martes, 6 de junio de 2023

3. 11. Des remedes dont les Princes estrangers userent contre les censures Apostoliques,

Des remedes dont les Princes estrangers userent contre les censures Apostoliques, & interdictions de leurs Royaumes, ensemble de ceux que nous y avons apporté sous la troisiesme lignee de nos Roys. 

CHAPITRE XI.

Vous avez peu recueillir par le precedent chapitre de quelle façon les Empereurs, Roys, & Princes estrangers furent mal menez par les Papes, & le peu de moyen qu' ils eurent de s' en garentir: Chose à mon jugement qui provint, parce qu' ils leurs voulurent faire teste par la voye de fait seulement. Les aucuns prenans les armes en main pour les combatre: les autres estimans avoir beaucoup faict pour eux, quand ils avoient empesché que le Legat envoyé de Rome, ne peut entrer dans leurs pays, pour publier les fulminations: & les derniers en leur opposans des Antipates. Remedes nullement propres à ce mal. Par ce que ceux qui s' armoient, perdoient de plus en plus le cœur de leurs subjects, voyans leurs Princes non seulement excommuniez, mais encores affliger par armes ouvertes le S. Siege. Et quant aux seconds, ils se trompoient grandement: Car le son de la trompette de Rome pouvoit donner jusques à eux, & les derniers non seulement ne fermoient la playe, mais introduisoient un nouveau schisme en l' Eglise. Nous seuls entre toutes les autres nations, avons eu ce privilege special de n' estre exposez aux passions dereglees de ceux qui pour être pres des Papes vouloient abuser de leur authorité à nostre desadvantage. Car nous avons eu de tout temps & ancienneté, trois grandes propositions qui nous ont servy de bouclier: Propositions non point fondees sur la voye de fait, ains de droict, n' ayans opposé aux censures Apostoliques que le glaive spirituel. La premiere est que le Roy de France ne peut etre excommunié par l' authorité seule du Pape. La seconde, que le Pape n' a nulle jurisdiction ou puissance sur le temporel des Roys: La derniere, que le Concil general & universel est dessus le Pape. En tant que touche le premier poinct, je ne veux pas dire que noz Roys soient francs & exemps de censures Ecclesiastiques, & que par ce moyen ils se puissent donner toute bride: mais bien qu' ils ne peuvent être censurez par la seule main du Pape. Soubs la lignee du grand Clovis, nos Roys ne cognoissoient en rien les fulminations de la Cour de Rome, encores qu' en leur histoire il y ait eu 2. ou 3. particularitez qui meritoient bien d' être censurees. Et combien que sous la 2. lignee, les Papes eussent commencé de s' aprivoiser de la France, par la correspondance qui avoit esté entr' eux & le Roy Pepin, & que depuis sous la troisiesme, ils y eussent pris grand pied, si est-ce que jamais nous ne voulumes tolerer en France, qu' ils excommuniassent nos Roys de leur authorité absoluë. La police que l' on y tint, fut d' envoyer un Legat en France, & de faire assembler un Concil National, par lequel nos Roys estoient excommuniez, s' ils vouloient s' opiniastrer en leurs fautes. Ainsi fut-il pratiqué contre le Roy Lothaire, de la famille de Charlemagne, par le Pape Nicolas premier. Ainsi contre le Roy Philippes premier par Urbain second, au Concil de Clairmont. Proposition que je verifieray plus amplement au prochain Chapitre.

Au regard du temporel, nous en avons encores moins douté, toutesfois parce que les courtisans de Rome tiennent formellement le contraire, je vous veux icy representer un placard digne d' être enchassé dans ce livre. Sous le regne de Charles cinquiesme, dit le Sage, fut fait un livre en Latin, plain d' erudition & doctrine, appellé le Songe du Verger, dans lequel, l' autheur represente deux Roynes, la Puissance Spirituelle, & la Temporelle, qui soustenoient diversement leurs grandeurs devant le Roy, par deux Advocats, dont l' un portoit le nom de Clerc, pour la puissance Spirituelle, l' autre, celuy de Chevalier pour la Temporelle. Et parce que la memoire de cest œuvre est à demy ensevelie, il me plaist de la ressusciter. Le Clerc par plusieurs grandes authoritez soustient que le Pape a toute puissance sur les Roys, & Monarques, & non seulement sur leurs consciences, mais aussi sur leurs temporels & Royaumes. Chose qu' il prouve non point par authoritez sophistiques, telles qu' un tas de copistes ignorans de Cour de Rome, ont voulu faire passer pour Constitutions Decretales, quand ils disent qu' il y a deux grands luminaires, le grand & le petit, plus que In principio Deus creavit cœlum & terram, & que S. Jean n' avoit point dit In principiis, pour monstrer que le Ciel & la terre obeïssoient au seul Siege de Rome, & autres telles frivoles qui viennent plus au scandale, qu' augmentation de la dignité du sainct Siege. Mais bien d' une plus haute luite pour terrasser le Chevalier, il remonstre que nostre Seigneur Jesus-Christ estoit Seigneur de toutes choses spirituelles & temporelles, auquel estoit par l' organe du Roy David, Prophete de Dieu, dit. Demande-moy, & je te donneray gens & heritage, & seront tes possessions jusques à la fin de la terre: & ailleurs qu' il estoit Seigneur des Seigneurs, & Roy des Roys: & en un autre passage, qu' au Seigneur appartenoit la terre, & toutes ses appartenances. Leçon qui n' estoit point escrite de la main des hommes, ains envoyee de Dieu, & dictee par son sainct Esprit. De laquelle nous pouvions recueillir l' authorité du sainct Siege. Parce que nous ne revoquions point en doute que S. Pierre ne fust le grand Vicaire de nostre Seigneur Jesus-Christ. Consequemment que tous ces mesmes privileges avoient esté transmis en luy & ses successeurs. Qui ne sont pas petites remarques, pour monstrer que le Pape ne se donne point sous faux titre ceste authorité sur les Roys. Toutesfois le Chevalier y respond si pertinemment, que je m' asseure que celuy qui lira ces presens discours, sans être preoccupé de passion, luy donnera gain de cause. Parce, dit-il, qu' il faut considerer en nostre Seigneur deux temps, celuy d' humilité avant sa mort & Passion, celuy de gloire lors qu' apres sa Resurrection, il fut monté aux Cieux. Que tous les passages que l' on allegue de David se rapportent au temps de sa gloire, mais quant à son estat d' humilité, il ne se voulut jamais donner aucune prerogative sur les biens, & encores moins sur les Princes & Seigneurs terriens. Et c' est pourquoy estans semonds par quelques particuliers de vouloir être arbitre de leurs partages, il respondit qu' il n' estoit venu en ce bas être à cest effect, & refusa de s' en mesler. D' ailleurs il dit qu' il failloit rendre à Cæsar ce qui appartenoit à Cæsar, & à Dieu ce qui appartenoit à Dieu. Et estant mesme devant Pilate, il recogneut franchement que son Royaume n' estoit de ce bas monde. Concluant ce Chevalier que quand nostre Seigneur fit sainct Pierre son grand Vicaire, ç' avoit esté pour le representer en l' estat de l' humilité, non en celuy de sa majesté & gloire. Comme aussi luy donna-il fermement les clefs des Cieux, non de la terre, pour nous enseigner qu' il luy donnoit seulement la charge du spirituel. A quoy je puis adjouster non mal à propos, que quand sainct Pierre, poussé d' un zele extraordinaire, frapa Malchus de son glaive pour secourir nostre Seigneur, il en fut blasmé par luy, comme n' establissant pas son regne sur les armes materielles. Chose mesme qui fut trouvee de si mauvaise grace, que trois des Evangelistes ne l' oserent nommer recitant ceste histoire pour le respect qu' ils luy portoient, & ne sçeussions qui estoit l' Apostre, si sainct Jean ne se fust donné la liberté de le dire, par une authorité tres-grande qu' il avoit entre les autres trois Evangelistes. J' adjousteray qu' il ne faut point plus asseuré commentaire de ceste saincte leçon que le tiltre que la posterité de sainct Pierre voulut choisir, quand les Papes en leur premiere & ordinaire qualité s' intitulerent Serfs des Serfs, pour nous monstrer qu' ils espousoient le tiltre d' humilité, auquel nostre Seigneur avoit surrogé sainct Pierre. Toutes lesquelles considerations nous enseignent que c' est à juste raison que nostre Eglise Gallicane a de toute ancienneté soustenu que la puissance temporelle de nos Roys ne despendoit en riens de l' authorité du S. Siege. Reste doncques le dernier poinct par lequel nous croyons aussi que le Concil general & universel est par dessus le Pape. Jamais la Faculté de Theologie de Paris n' eut un plus grand Theologien, que Maistre Jean Gerson, duquel nous avons un discours, dont le tiltre est, De Auferibilitate Papae ab Ecclesia, par lequel il nous enseigne, non qu' il faille supprimer le Pape de l' Eglise Catholique, mais bien qu' il estoit en la puissance du Concil general assemblé, de le faire demettre selon les occurrences d' affaires: & de fait, ainsi fut-il jugé & ordonné par le grand Concil de Constance.

Voila en somme les trois propositions par lesquelles nous avons fait bouclier contre les assauts de la Cour de Rome, lors que sans subject elle s' est voulu armer contre nous. De maniere qu' en telles induës entreprises, nous appellasmes des censures Apostoliques au Concil futur general: auquel combien que le Pape deust presider, si est-ce que la pluralité des voix le pouvoit, & devoit emporter. C' estoit encor un brin de nos premiers privileges: parce que nous ressouvenans de nos anciens Concils, nous pensasmes, qu' il y falloit avoir recours comme à un ancre de dernier respit. Et seroit impossible de dire combien ceste ressouvenance profita depuis à l' Eglise Chrestienne, Tesmoin le Concil de Constance par moy presentement touché, tesmoin le Concil de Basle. Et se comportans nos Roys en ceste façon, non seulement ne leur prejudicia l' excommunication de l' Eglise Romaine (car l' appel en suspendoit l' effect) & encores moins furent estimez heretiques, mais au contraire demourerent en reputation de tres-fideles & Catholics, & fils aisnez du S. Siege Apostolic; & comme tels furent, entre tous les Princes Chrestiens, appellez Roys tres-Chrestiens: leur apportant cela un autre grand bien: car ny les Prelats, ny la Noblesse, ny le demourant du peuple, ne se desbanderent d' eux, quelque respect & reverence qu' ils portassent au S. Siege. Je veux dire quand les sujects ne couvoient aucune ambition particuliere en leurs ames au prejudice de la Couronne, & qu' il n' y alloit que de la querelle de Rome encontre nous. En cas semblable les Princes estrangers, qui à la suitte de telles censures & interdictions d' un Royaume, aiguisent aisément leurs cousteaux contre le Prince excommunié, toutesfois ne s' oserent jamais mettre de la partie contre nous. Voire nous succederent les choses si à propos, que combien que les Papes se formalisassent en toute extremité contre les Empereurs, pour les investitures des Evesques, si ne nous oserent-ils jamais heurter pour nostre Regale, qui ne s' eslongne pas grandement des investitures. Je le vous verifieray par un exemple singulier. Boniface VIII. voulant ioüer mesme personnage contre Philippes le Bel, que Gregoire VII. avoit fait contre l' Empereur Henry IV. luy envoya l' Archidiacre de Narbonne, porteur d' unes bulles dont la teneur estoit telle. Bonifacius Episcopus Servus servorum Dei, Philippo Francorum Regi, Deum time & mandata eius observa. Scire te volumus quod in temporalibus & spiritualibus, nobis subes. Praebendarum, ad te collatio nulla spectat: Et si aliquarum vacantium custodiam habeas, earum fructum successoribus reserves, & si quas contulisti, collationem haberi irritam decrevimus, & quatenus processerit revocamus. Aliud credentes fatuos reputamus. Datum Lateranensi, quarto Nonas Decembris, Pontificatus nostri anno sexto. Ces bulles ayans esté presentees, l' Archidiacre cita à Rome tous les Archevesques, Evesques, & Docteurs en Theologie, au premier jour de Novembre ensuivant, pour respondre sur ce que dessus: Le Roy commanda au porteur de vuider promptement du Royaume, & neantmoins fit une responce à Boniface plus brusque que n' estoient ses bulles. Philippus Dei gratia, Francorum Rex, Bonifacio se gerenti pro summo Pontifice, salutem modicam, sive nullam. Sciat tua fatuitas, in temporalibus nos alicui non subesse, aliquarum Ecclesiarum & præbendarum vacantium collationem, ad nos iure regio pertinere, & percipere fructus earum, & contra omnes possessores utiliter nos tueri. Secus autem credentes fatuos reputamus. C' estoit trop hardiment r' envié sur les pretensions du Pape. En quoy certes je souhaiterois qu' avecq' plus de sobrieté & modestie, il eust defendu ses droicts. Non pas en faveur de Boniface, que je ne mets au nombre des bons Papes, ains pour l' honneur de la dignité Pontificale. Cecy appresta matiere de nouvelle guerre entre l' Eglise de Rome, & nous. Parce que Boniface commença de proceder à belles censures contre le Roy, absolvant tous ces sujets du serment de fidelité, & par mesme moyen mit en interdiction le Royaume: duquel il fit present à Albert Empereur d' Allemagne, qu' il couronna Roy de France. C' estoit assez pour estonner de primeface un Roy: mais luy sage & avisé, assembla toute son Eglise Gallicane, & par son avis appella de ces censures, au futur Concil general. Quoy voyant l' Empereur, & que ceste interdiction n' avoit desarroyé les membres d' avecq' le chef, se contint dedans ses limites. Dont Boniface indigné, pour n' avoir peu attaindre au dessus de ses entreprises, mourut de despit. Qui occasionna le peuple de dire qu' il estoit mort de rage, & ses ennemis, qu' il mourut enragé: Tournans en parole d' effect ce qui estoit de Metaphore. Duquel exemple vous pouvez recueillir les trois propositions de nostre France, par moy cy dessus discouruës, que nous avons de tout temps & ancienneté tenuës pour fermes & stables, sans nous separer en nostre Eglise Gallicane, de l' obeïssance & honneur que nous devons au sainct Siege.

Il n' est pas qu' un Bachelier en Theologie, ayant au College de Harcourt entre autres articles de ses propositions mis cestuy. Qu' il estoit en la puissance du Pape d' excommunier un Roy, & donner son Royaume en proye, & d' affranchir ses sujects du serment de fidelité qu' ils avoient en luy, quand d' ailleurs il se trouvoit favoriser les Heretiques. Ceste proposition avoit esté mise en avant pour être disputee par le pour & par le contre, sans en faire une resolution affirmative: toutesfois le Parlement estant adverty de ce qui s' estoit passé, ne peut passer par connivence, que les Escoliers fussent si osez, que de mettre la grandeur du Roy en dispute, & de fait par Arrest du quatriesme Decembre 1561. ceste proposition fut declaree seditieuse: Et d' autant que ce Bachelier n' avoit peu être pris au corps, pour s' estre sauvé de vitesse, il fut ordonné que le Bedeau de la Sorbonne, habillé d' une chappe rouge, en presence de l' un des Presidents de la Cour, & de quatre Conseillers, & des principaux de la Faculté de Theologie, declareroit que temerairement & follement ceste proposition avoit esté soustenuë: & parce que ceste question avoit esté mise sur le tablier, & soustenuë au College de Harcour, defenses furent faite d' y disputer publiquement de la Theologie, l' espace de quatre ans ensuivant. Verité est que depuis cinquante ans en ça, se vint planter au milieu de nous une nouvelle Secte portant le nom de Jesuites, laquelle a ses propositions du tout contraires aux nostres, à la ruine de nostre Estat. Et parce qu' en l' an 1564, l' Université de Paris me fist cest honneur de me choisir pour son Advocat, & que je plaiday en plain Parlement sa cause encontr' eux, j' ay reservé pour la closture de ce troisiesme livre, le plaidoyé que j' en fis lors, le voulant faire passer pour chapitre.

Au demourant pour fermer ce que je pense appartenir au present suject, encores veux je adjouster cecy. Tout ainsi comme aux jeux & comedies qu' on represente sur un theatre, chacun y entre pour son argent, & se donne Loy de juger des bien ou malseances des Comediens, ainsi en advient-il aux Republiques. Les grands, en maniant les affaires d' Estat, joüent tels roolles qu' il leur plaist. Les petis en sont spectateurs à leurs despens, & pour n' être employez aux grandes charges, il leur reste seulement loisir de juger des coups. Permettez-moy doncq' je vous prie, de dire ce qu' il me semble de tout ce fait: Les vrayes armes dont les Papes veulent user contre les Princes souverains sont les censures, à la suitte desquelles ils couchent de l' interdiction des Royaumes, dont ils laissent l' execution à ceux qui ont les armes en main, pour s' en impatroniser, sous leur adveu & authorité. He vrayement if faut que la maladie soit merveilleusement aiguë en laquelle on employe ceste medecine. Or puis qu' il la faut employer, nul n' a tant d' interest qu' elle face ses operations que le Pape: autrement il diminuë d' autant de reputation envers tous les peuples: Et n' y a riens qui la face tant operer dans nos ames que le respect que nous luy portons. C' est pourquoy si j' estois capable de conseillier en si haut subject, je dirois qu' il y a trois circomstances qu' il faut soigneusement garder en ceste affaire. Premierement que voz censures ne soyent trop communes & triviales. Secondement que ne fermiez point trop rigoureusement la porte aux Princes qui vous reblandissent avecques humbles soubmissions. Et finalement que dedans vos censures il n' y ait point d' ambition cachee, en faveur de quelque autre Prince, dont vous esperez commodité, ou craignez incommodité. Le premier poinct cause le mespris. Le second fait oublier le chemin de Rome. Tellement qu' en interdisant un Royaume, vous mettez sans y penser une ville en interdiction, qui n' est riche que des deniers qui proviennent des autres Provinces. Miserable est la vengeance, quand en vous vengeant d' un ennemy, vous vous vengez de vous mesmes. J' adjousteray, que ce pendant pour ne laisser fluctuer en incertitude les dignitez Ecclesiastiques d' un pays, & a fin qu' elles ne demeurent veufves & denuees de Pasteurs, la necessité fait trouver des voyes extraordinaires pour y pourveoir, lesquelles par un long usage se peuvent tourner en ordinaires, n' y ayant plus violent & certain tyran sur nos actions que l' accoustumance. Et ne considerez pas que fermant la voye de Rome, faites ouverture à une chose que tous les Politics souhaitent. Qui est de ne transporter point l' or & l' argent hors de leur Royaume, sous pretexte des provisions beneficiales. Le plus grand secret qu' il y a en cest affaire, est, que tout ainsi que Dieu, qui ne desire riens tant que d' être appellé le Pere commun de nous tous, & comme tel ouvre ses bras à ceux qui le reclament dignement, aussi le Pape estant son Vicaire, & portant pareil tiltre de Pere, doit pratiquer la parabole de l' enfant prodigue à l' endroit du Prince qui retourne par devers luy: & penser que les ceremonies que les Courtisans y desirent, font oublier la devotion. Bref, que comme l' enfant doit obeïssance à son Pere, aussi le Pere est obligé de n' irriter point son enfant. Car pour le regard du dernier poinct, qui concerne les factions secrettes que l' on couvre du masque de censures, je ne veux, ny ne puis croire qu' elles se logent dedans Rome. Parce que si elles s' y logeoient, ce seroit l' accomplissement de malheur, qu' un Prince fournist à son ambition detestable, sous le nom & aux despens de la Religion Catholique Apostolique de Rome. Cela pouvoit autresfois passer sans scandale, lors que les consciences estoient plus retenuës en l' obeïssance des Papes, mais maintenant c' est tout autre discours. Le siege de Rome est comme une grande bute contre laquelle plusieurs peuples descochent aujourd'huy leurs fleches. L' heresie de Martin Luther, & de Jean Calvin bastie sur quelques abus, les y convie comme à un festin: Et Dieu sçait si ceux-là avoient le moindre sentiment de ceste scandaleuse negotiation, *esguiseroient, & leurs esprits, & leurs plumes, pour declamer contre ces *censures. Je ne pense point certes qu' il y ait armes qu' il faille tant craindre dans Rome que la plume. C' est où je finiray ce chapitre. Et Dieu vueille que ces miens discours soient digerez par ceux qui tiennent le gouvernail du S. Siege, de mesme devotion, comme je les ay escrits. 

3. 10. De l' authorité que les Papes se donnerent depuis la venuë de Hugues Capet,

De l' authorité que les Papes se donnerent depuis la venuë de Hugues Capet, sur les Empereurs & Roys, interdiction des Royaumes, & autres discours de mesme subject. 

CHAPITRE X. 

L' authorité de S. Pierre, les martyres continuels & de suitte, que souffrirent noz premiers saincts Peres de Rome jusques à Silvestre, la Religion vraye & Catholique en laquelle leur posterité fut ferme contre les furieux assaux des heretiques, l' humanité dont ils avoient embrassé tous les Evesques à tort affligez, la ruine des Eglises Apostoliques du Levant, premierement par les heresies, en apres par les Mahometistes, les partialitez & divisions des Princes Chrestiens en la France, Allemagne, & Italie, l' ambition dereglee & ignorance de noz Prelats, la desbauche de nostre Eglise Gallicane procuree par noz Roys mesmes, l' humble soubmission du commun peuple: Toutes ces particularitez mises ensemble, furent de tel effect & vertu, que non seulement le Pape fut jugé avoir toute puissance sur les Evesques, mais aussi sur tous les Princes & Potentas de la Chrestienté. Et de fait, Dante & Occan, furent declarez heretiques, parce qu' ils avoient soustenu que l' Empire, pour le temporel ne dependoit de la Papauté. Nicolas premier, avoit dit qu' il falloit regarder ce qu' ils estoient, non ce qu' ils faisoient. Et l' opinion commune des peuples estoit, que soudain qu' un Prelat estoit monté à ce haut degré, toutes ses ordonnances estoient sainctes, bonnes, juridiques & non sujectes à contrerole. Jamais Prince ne fut plus mal traicté de l' Eglise Romaine que l' Empereur Henry IIII. (comme je deduiray cy apres) & paraventure sans grande raison, toutesfois un personnage d' honneur de son temps qui escrivit sa vie, sans se nommer, discourant comme Gregoire VII. l' avoit traité indignement. Quinetiam & hoc addidit (fait-il) absolvit omnes à iuramento qui fidem Regi iuraverant, ut contra eum impelleret absolutio, quos fidei tenebat obligatio. Quod factum multis displicuit, si tamen cui displicere licet quod Apostolicus fecit. 

C' est à dire. Il adjousta cecy à tout ce que dessus, remettant à tous les subjects de luy le serment de fidelité dont ils luy estoient obligez: a fin que ceste absolution les excitast contre celuy envers lequel l' obligation du serment les retenoit en obeissance. Chose qui despleut à plusieurs, si toutesfois il est loisible à aucun de trouver mauvais ce qui est fait par nostre Pere l' Apostole. Il ne sera doncques hors de propos (ce me semble) de vous discourir par le menu de quelle façon les Papes se voulurent authorizer en grandeur par dessus les Roys & Monarques, voire de conferer les Royaumes qui ne leurs appartenoient.

Ainsi que leurs prerogatives, authoritez & grandeurs s' establissoient dedans Rome en la maniere que j' ay discouru au 4. chapitre, combien que leur Estat semblast grandement s' augmenter, toutesfois les Empereurs ne se pouvoient bonnement laisser mettre la poudre aux yeux, ny passer par connivence plusieurs choses qu' ils estimoient despendre de leurs Majestez. Car encores que par la nouvelle police, qui avoit rendu souz Gregoire V. les Empereurs electifs, l' Empire eust esté faict d' hereditaire, viager, & que tout d' une suitte le Pape se fut afranchy de la puissance des Empereurs, je veux dire que l' on ne desirast plus leur consentement aux elections du Pape: ce nonobstant quelques Empereurs des Eleuz plus opiniastres s' en voulurent faire croire, & r' entrer dans leur ancien privilege, non seulement pour l' election du Pape, mais aussi pour la domination, & seigneurie de Rome. Toutesfois ils trouverent un ennemy fort, qui par les ruines des Princes s' estoit rendu trespuissant dedans l' Italie. Si ne demoura neantmoins cest article sans dissensions & disputes assez souvent reiterees. Parce que du temps de Clement II. Henry III. Empereur, apres avoir esté couronné, contraignit les Romains par serment de renoncer au droict d' election des Papes, & de ne s' en entremettre à l' advenir. Et de fait quelque temps apres, le Siege vacquant par le decez de Damase successeur de Clement, l' Empereur voulut y envoyer Leon IX. Allemant, auparavant nommé Brunon, pour tenir le Siege Romain: mais Hugues Abbé de Clugny, & Hildebrand, l' un de ses Religieux, allerent au devant, l' admonnestant de ne faire ce tort à l' Eglise. D' autant que ce n' estoit à l' Empereur d' elire les Papes, ains au Clergé & peuple Romain. A quoy Brunon acquiessa, & entra comme personne privee dans la ville. Entree si agreable au peuple, qu' en recognoissance de ce, par commun suffrage de tous il fut éleu Pape, & dés son advenement fit Hildebrand Cardinal souz le tiltre de sainct Paul. Cestuy sera par cy apres Gregoire VII. l' un des plus hardis propugnateurs du Siege de Rome, qui oncques fust auparavant luy. Car depuis à sa persuasion les Papes à face ouverte firent teste aux Empereurs, non seulement en ce qui concernoit la manutention de l' Eglise, mais aussi à l' avilissement de la Majesté de l' Empire. C' est luy, souz lequel Matilde parente de l' Empereur Henry donna au S. Siege, les villes de Luques, Ferrare, Parme, Rege & Mantouë, qui furent depuis appellees le Patrimoine de sainct Pierre.

Ce grand Gregoire au lieu que ses predecesseurs n' avoient fait que parer aux coups des Empereurs pour l' election du Papat, voulut se rendre assaillant: par ce que non seulement il ne fit doute que le Pape ne devoit être éleu les Empereurs: mais passant outre, soustint que ce n' estoit à eux d' investir les Evesques, & excommunia tous les Princes qui pretendoient ce droict d' investiture. Alors estoit Empereur Henry IIII. grand Prince, lequel regna 50. ans & combatit à enseignes desployees plusieurs fois. Il ne voulut pas permettre que sa posterité l' accusast que souz luy la Majesté de l' Empire eust receu une si grande playe. Il s' oppose à ceste interdiction, specialement pour celle des investitures. Le Pape contre ceste irreverence interpose son Decret Apostolic, par lequel il l' excommunie, & non content de ce, tout d' une suitte le prive de sa dignité Imperiale, absoult tous ses subjects du serment de fidelité qu' ils avoient en luy, & expose tous ses pays en proye, à la discretion de celuy qui les pourroit envahir. Il n' estoit plus icy question de commander dedans l' Italie, ce commandement s' estendoit plus loing, c' estoit donner un Empire qui ne luy avoit pas beaucoup cousté à gaigner. Toutesfois ces censures se trouverent de telle vertu, que non pas un estranger, ains son propre fils s' empara de l' estat sur son Pere. Piteux spectacle veritablement, mais par lequel vous pouvez recueillir combien lors estoit grande la puissance des Papes. Il y avoit assez de subject  pour contenter l' opinion de Gregoire, toutesfois non assouvy, il fait degrader ce pauvre Prince de ses ornemens Imperiaux par les Evesques de Majence, Colongne, & Wormes. Et depuis l' ayant reduit en une estroite prison, où il mourut, les Ligeois l' ayant fait inhumer en terre saincte, sont excommuniez par le Pape. Pour lever laquelle sentence d' interdiction, ils le deterrent, & fut son corps porté à Spire, & mis en un cercueil de pierre hors l' Eglise, comme estant mort excommunié. Ce fut un coup d' aprentissage, & de chef d' œuvre tout ensemble: qu' un Empereur, qui avoit Imperé cinquante ans, s' estoit trouvé en tant de batailles rangees, eust esté vaincu en une querelle qu' il pensoit tres-juste, par les fulminations d' un seul homme, lesquelles avoyent peu induire le fils à faire la guerre à son pere, & que ceste punition non seulemet n' eust pris fin par la mort, mais qu' ell' eust encore esté executee contre ses os & son tombeau. Les anciens Evesques à la verité avoyent bien usé de quelques censures contre les Princes terriens: parce que Fabian Pape ferma la porte de l' Eglise, à Philippes Empereur: comme fit S. Martin à Maxime autre Empereur, & S. Ambroise à Theodose, & S. Germain à Aribert Roy, jusques à ce qu' ils se fussent reconciliez, & fait confession publique des fautes par eux commises: mais nul d' eux ne pensa jamais toucher à l' Estat, comme aussi n' eussent-ils ozé l' entreprendre. Depuis cest exemple horrible de Gregoire, les Papes n' excommunierent presque jamais Prince, qu' ils ne missent aussi ses terres & seigneuries au ban de la Papauté, comme pretendans être seigneurs temporels & spirituels de toute la Chrestienté, & comme si les Empereurs, Rois & Monarques tinssent d' eux en foy & hommage leurs Couronnes. Et à vray dire, je desirerois depuis ce temps là, je ne sçay quoy de plus modeste en leur domination. Parce que nous ne voyons le plus du temps, que guerre, que sang, que violence, en l' Eglise, les Papes tantost victorieux, tantost vaincus, & se donner de tres-grands advantages sur les autres Princes, lesquels ils sçavoient combattre par leur glaive spirituel. Par le moyen duquel, captivans la conscience des subjects, ils despouillerent souvent les foibles Princes de leurs Royaumes & Principautez, pour en revestir les plus forts. En quoy ils eurent une leçon generale, c' est à sçavoir que s' ils avoient conceu quelque mal talent contre un Prince, ils se pourvoyoient premierement par censures Ecclesiastiques contre luy, puis s' il ne se reconcilioit avecq' luy, ils le faisoient declarer heretique: & apres abandonnoyent son Royaume à celuy qui le pourroit premier occuper. Qui n' estoient pas petits artifices pour parvenir à leurs desseings. Parce que combien que les subjects aiment naturellement leur Seigneur souverain, si est-ce que poulsez d' un plus hault zele, qui est la religion, il n' y a riens qui leur enseigne plus à le mespriser, voire abhorrer, que quand ils le voyent distraict du sein de l' Eglise, & mis au rang des heretiques. De sorte qu' il n' y avoit meilleur moyen de faire perdre au Prince le cœur de son peuple, & tout d' une suitte le destituer de ses forces, que par cestui-là: veu que la principale force de tout Roy gist en la devotion, & amour de ses subjects. D' un autre costé il estoit fort mal-aisé en telles affaires, qu' il ne se trouvast tousjours quelque autre puissant Seigneur, aux aguets, pour prendre ceste querelle en main. Estant l' ambition de ceste nature, qu' elle ne demande qu' un tiltre coloré avecq' la force, pour s' emparer des terres, & seigneuries d' autruy. Ainsi le Pape joignant la puissance spirituelle, & temporelle ensemblement, encontre la seule temporelle, n' avoit pas petit advantage encontre son ennemy.

Joinct que parmy ces remuemens extraordinaires se logea un nouveau conseil aux Papes de faire publier les Croisades, quand ils se trouvoient les plus foibles. La plus part des mauvais exemples preignent leur source, & origine de commencemens honnestes & specieux. Ces Croisades premierement avoient esté inventees, quand on se vouloit armer encontre les Infideles pour conquerir la terre Saincte. Car lors ceux qui s' acheminoient en ces voyages, comme si c' eussent esté pelerinages de devotion, non de guerre, apres s' être renduz confez entre les mains de leurs Pasteurs, chargeoient la Croix, & le bourdon, s' asseurans d' une vie eternelle, comme martyrs, s' ils mouroient en telles entreprises. Les Papes tournerent puis apres cecy à autre usage, pour executer leurs jugemens encontre leurs ennemis, qu' ils avoient declarez heretiques, donnans plusieurs indulgences, & pardons à ceux qui souz ces arrhes se ligueroient pour leur querelle.

Il seroit mal-aisé de dire combien souz ces propositions ils se rendirent redoutez, & combien de fois à autres ils reduisirent les Princes en piteux estat. Un Henry quatriesme, dont j' ay cy-dessus parlé, un Jean Roy d' Angleterre, un Raimond Comte de Tholose, un Guillaume fils de Roger Roy de Naples, un Mainfroy, un Louys de Baviere, les Galeaces enfans de Matthieu Duc de Milan, un Pierre d' Arragon, un Federic premier Empereur de ce nom, un Andalo Duc de Venise, en eussent peu porter tesmoignage.

Et encores que les Papes n' obtindrent pas sur tous eux ce qu' ils desiroient, si leur taillerent-ils de la besongne, qui rendit leurs Estats infiniement estonnez. Mais sur tout, miserable fut le spectacle des guerres qui advindrent en Italie, entre le Pape, & l' Empereur Federic second, sous le nom des Guelphes, & Gibellins. Ceux-là tenans le party du Pape, ceux-cy celuy de l' Empereur. Qui apporta telle confusion, & desordre dans l' Italie, qu' en fin tous les Ducs, Marquis, & Comtes que l' on y a veus, s' establirent de la calamité de ces guerres. Car ioüans les uns & autres (si ainsi le faut dire) aux barres, l' un entrant en une ville pour la laisser desolee à son ennemy, & cestuy pour l' abandonner à l' instant: finalement apres plusieurs changemens, les villes estans par divers sacs reduictes en toute extremité de disette, & ces longues guerres prenans assopissement plus par la ruine de l' Estat, que par faute de volonté, ceux qui sur la declinaison de la maladie se trouverent commis pour la deffence d' unes & autres places, se firent par un droict de bienseance accroire qu' ils en estoient les vrays seigneurs, & à tant prindrent tiltres, qui de Ducs, qui de Marquis, qui de Comtes, les uns soubs l' adveu de l' Empereur, les autres soubs celuy du Pape. A la charge de les tenir diversement d' eux, en foy & hommage.

Les choses pendant le temps de sept ou huict vingt ans, tomberent en tel desarroy dedans la ville de Rome, que Jean sire de Jon-ville nous apprend que S. Louys estant en Chipre, le Roy de Tartarie luy envoya Ambassadeurs, pour l' advertir qu' il avoit receu le S. Sacrement de Baptesme: Chose dont S. Louys tres-joyeux, donna advis au Pape Innocent, lequel depescha sur le champ plusieurs doctes Theologiens pour convertir le demourant des Tartares. Et comme tous les jours ils trompetassent que le Pape estoit Vicare de Dieu en terre, & que le Roy de Tartarie esmeu de ce grand & sainct tiltre, deliberast envoyer Ambassadeurs expres vers Innocent pour le saluer avecq' toutes humbles souzmissions, ces Theologiens rompirent ce voyage: Craignans (comme dit Join-ville) que si ces nouveaux Chrestiens venoient à Rome, apres avoir consideré les mœurs corrompus qui y regnoient, ils ne conseillassent à leur Roy de retourner à sa premiere Religion.

Toutesfois Dieu regardant d' un œil de pitié son Eglise, la voulut soulager par la devotion generale des inferieurs, pendant que le chef estoit ainsi travaillé d' une fievre continue. Par ce que depuis le Roy Philippe premier, soubs lequel fut entrepris ce premier voyage d' outremer, jusques au regne de sainct Louys (qui sont cent ou six vingt ans d' intervalle) se planta une pepiniere d' ordres en nostre Christianisme, les Templiers, les Hospitaliers, les Ordres de Cisteaux & Clugny, Grammont, Premonstré, Sainct Bernard, des Chartreux, & pour closture de tout cecy, les quatre ordres des Mendians. Qui fut cause, que bien que le chef se fust aucunement debandé, toutesfois les membres s' estans retenus en leur ancien devoir, lors qu' il sembloit que la Religion deust être plus affligee, ce fut lors qu' elle prospera grandement. Et c' est peut-être la cause, pour laquelle Jean Boccace (Giovanni Boccaccio) Florentin rencontrant aucunement sur le conte du Sire Join-ville, dedans son Decameron nous raconte qu' un Juif nommé Melchisedech voulant être baptisé, eut envie d' aller à Rome pour voir le Pape. Ce dont il fut dissuadé d' un sien amy Crestien, craignant que voyant les deportemens de ce lieu, il changeast de propos, toutesfois le Juif s' en faisant croire, alla jusques à Rome, où ayant descouvert plusieurs choses dignes d' être plustost teües, que dictes, ne laissa à son retour de se faire baptiser. Dont son amy infiniement estonné, le Juif luy dit que plus volontairement il se faisoit Chrestien, de tant qu' il avoit veu le chef de la Chrestienté grandement malade, & la Religion prosperer nonobstant ceste maladie. Conte qui estoit faict à plaisir, mais par celuy qui de son temps voyoit encores une bonne partie de toutes ces calamitez.

Quelques uns paradventure voudront mal menager ce que j' ay presentement discouru, & le tourner au desadvantage du siege de Rome, comme je voy plusieurs esprits y être trop licentieusement disposez, toutes fois je les prieray recevoir cest advertissement de ma part. J' ay tousjours estimé que combien que la vertu rende un Prelat grandement recommandable, si est-ce que le vice que abonde en uns, & autres, ne faict nul tort à leurs dignitez Ecclesiastiques. Estant l' homme naturellement assiegé de tant de passions dereglees, que quelque grand personnage qu' il soit, on ne le peut nommer parfaict, ains seulement pouvons dire cestuy être de plus grand merite, qui est le moins imparfaict. Et au surplus, je ne pense qu' en toute l' histoire des Papes y ait placart dont nous devions tant faire estat que de cestuy, non point au prejudice d' eux, ains au profit de nostre Eglise generale, & universelle, pour monstrer une juste vengeance que Dieu exerça contre la puissance terrienne, par la puissance Ecclesiastique. C' est pourquoy je vous supplie vouloir icy faire une pause, & remarquer la revolution & entresuitte des affaires. Les Papes du commencement souloient être confirmez par les Empereurs, & sans leurs consentemens expres ne s' osoient immiscer en leurs charges: Les Empereurs puis apres non seulement perdirent ce privilege, ains par autre rencontre d' affaires furent confirmez par les Papes. Les Empereurs trop imperieux avoient autrefois voulu cognoistre des choses jugees par l' Eglise, comme de fait Donat Heresiarche appella à l' Empereur de la sentence qui avoit esté donnee en un Concil contre luy: & les Papes renverserent depuis les jugemens donnez par les Empereurs, comme il advint de la sentence de Federic, contre Robert Roy de Naples. Les Empereurs par une insolence extraordinaire, avoient quelques fois bravé les Papes à tort, jusques à les bannir, ou fustiger, comme il en prit à Libere, & Vigile: & tout de ceste mesme façon y eut Pape qui petilla Federic Empereur premier de ce nom aux pieds. Brief les Empereurs s' estoient donnez loy de conferer les Archeveschez & Eveschez, ausquelles ils n' avoient aucun droict: & Dieu permit en contreschange que les Papes conferassent les principautez, & Royaumes, ausquels ils n' avoient nulle part. De maniere que nous pouvons par cela juger que si aux deportemens de ces grands Prelats y eut quelques violences brusques, ce fut par un jugement caché de Dieu & à vray dire une justice de Dieu exercee par l' injustice des hommes, pour enseigner au Magistrat seculier de se contenir modestement dans ses bornes, & n' entreprendre tyranniquement dessus l' Ecclesiastic: Comme aussi ces mesmes entreprises de l' Ecclesiastic sur la puissance seculiere ont nuit aux Papes, comme je deduiray en son lieu.

Mais pour reprendre ma premiere route, voila comment les Papes se firent grands. Toutesfois restoit encores à leur grandeur, un poinct: c' estoit que leurs constitutions, que nous appellons Decretales, estoient esparces çà & là. Tout ainsi que l' Empereur Justinian avoit fait ramasser dans un tome, que nous appellons le Code, toutes les loix & ordonnances de ses predecesseurs, per la diligence de Tribonian son grand Chancellier: aussi la Majesté de l' Empire estant sous le nom d' une saincteté reduite en la personne du Pape, Gregoire neufiesme, par le ministere & aide de frere Raimond son Chapellain, de l' ordre de sainct Dominique, fit compiler toutes les constitutions Pontificales de ses devanciers, en cinq livres, qui furent appellees Decretales. Auparavant Burcard, Yve de Chartres, & Gratian avoient amassé plusieurs anciens Canons, dont Gratian par succession de temps a emporté le dessus. Son œuvre est appellee le Decret, qui s' est trouvé fort agreable. Toutesfois je desireray tousjours que tout homme qui s' amusera à le lire, y apporte plus de jugement, qu' en la lecture des Decretales, pour avoir en divers endroicts rapiecé son œuvre de plusieurs eschantillons, que l' on tire de luy comme vrays, dont toutesfois tout homme qui aura â bonnes enseignes mis l' œil dans l' ancienneté, sera grand doute. Gregoire ordonna que ses decretales fussent receues par toute la Chrestienté, tant és escholles, qu' és sieges de Justice. Et à l' imitation de luy, Boniface huictiesme sous le nom de Sexte, Clement V. sous le nom des Clementines, Jean vingt deuxiesme sous celuy d' Extravagantes firent pareilles compilations: Chose qui ne fut de petite prudence. Car y ayans plusieurs Universitez de loix espanduës par toute l' Europe, esquelles estoient enseignees les loix Imperiales, pour servir de guidon à ceux, qui puis apres vouloient manier les affaires de la Republique: aussi voulurent les Papes que d' une mesme balance on y enseignast leurs Constitutions Canoniques, & Pontificales, & à cet effet adjousterent la faculté de Decret, tout ainsi que de droict Civil, laquelle ils favoriserent de telle façon, qu' uns Urbain V. & Innocent VI. Papes, Docteurs en Decret, furent pour leur doctrine en ceste faculté appellez à la Papauté. Et tout ainsi que les Papes precedent aujourd'huy les Empereurs, aussi la faculté de Decret precede celle du droict Civil, aux assemblees, & congregations generales. Pareillement ainsi que les Roys donnerent Conservateurs Royaux aux Universitez pour la protection des Escoliers, aussi donnerent à mesme fin les Papes, des Conservateurs Apostolics. Qui estoit en ce faisant bastir, je ne diray point autant de supposts, ains de supports pour le soustenement de leur siege.

3. 9. Du deschet, & desbauche de nos privileges, soubs la seconde lignee de noz Roys.

Du deschet, & desbauche de nos privileges, soubs la seconde lignee de noz Roys. 

CHAPITRE IX.

L' ignorance de nos Prelats envelopee des guerres civiles (qui ne produisent ordinairement autre chose que la desolation de l' Estat Ecclesiastic) ceste ignorance, di-je, commençant de tomber au temps de ce grand Nicolas, il ne faut pas trouver estrange s' il ne fut adoncques mal-aisé de nous faire descheoir d' un degré ou deux de nos anciens privileges. Aussi certainement est-ce luy dessous ceste seconde lignee qui y donna la premiere atteinte, & pour une tres-juste cause que l' on ne doit passer soubs silence, a fin que ce nous soit une leçon pour nous apprendre de n' abuser des benefices, qui nous sont accordez de Dieu. Je vous ay n' agueres recité un abus qui fut fait au Concil de Lion, ou bien de Soissons, tenu contre Louys le Debonnaire, je vous en raconteray maintenant un autre qui fut commis en la ville d' Aix, pour gratifier à la passion d' un Roy, qui n' estoit pas veritablement Roy de France, mais estoit l' un des successeurs de Charlemaigne, & si tenoit son Royaume dedans l' enclos de noz Gaules. Il prit opinion au Roy Lothaire second, petit fils du Debonnaire, de repudier la Roine Tutbergue sa femme, voulant espouser Uvaldrade (Waldrade) sa concubine, de l' amour de laquelle il estoit infiniement esperdu. Ce qu' il ne pouvoit faire sans scandale: car la Royne estoit apparentee de plusieurs grands Princes. Cela fust cause qu' il y voulut employer un faux pretexte de l'  Eglise, & abuser du remede *commun de la France, je veux dire de l' auctorité d' un Concil. Waldrade estoit niepce de Gontier Archevesque de Cologne, & grand Aumosnier du Roy, qui prend ceste affaire en main, & pour parvenir à son dessein, attire à sa cordelle Tutgrand, Archevesque de Treues. Le Concil est encommencé premierement dans Cologne, puis parachevé à Aix la Chapelle (siege du Royaume de Lothaire) ou par commune resolution de toute l' assemblee ce divorce fut approuvé, & le Mariage trouvé bon d' entre le Roy & Waldrade. Les parens de la pauvre Royne ne s' en peurent taire: Ils vont au recours des affligez en la ville de Rome: où ils trouverent le Pape Nicolas tres-disposé à embrasser leur complainte, lequel dés l' instant mesmes delegua Hagayer, & Rodoal Evesques, Legats en ceste France pour s' informer comme le tout s' estoit passé. C' estoit à parler François entreprendre à huys ouvert sur nos anciens privileges. Car auparavant vous ne trouverez point que jamais le semblable eust esté pratiqué en la France. Lothaire craignant la fulmination Apostolique s' excuse sur les Evesques de son Royaume, dit qu' il n' a rien fait que par leur adveu & authorité. Ces deux Legats luy conseillent d' envoyer par devers le Pape les deux Archevesques qui avoient presidé en ce Concil, a fin (comme il est à croire) que la punition qui seroit exercee sur eux, servit de bride non seulement aux autres Prelats, mais aux Roys. Le Roy les croit & de fait envoye Gontier, & Tutgrand à Rome pour prendre raison de leur fait. C' estoit un second deschet de nos privileges. Ils avoient affaire à un tres-advisé Prelat, lequel, bien qu' il estimast ses sentences n' être sujettes à controle que de luy seul, comme il avoit escrit à l' Empereur de Constantinople, si ne voulut-il franchir le pas pour le premier coup contre nous: Mais pour n' être veu deroger de plain faut à nos privileges, ne voulut employer sa puissance absoluë, ains nous combattant de nos mesmes armes, fit faire un Concil, par l' advis duquel il anathematiza ces deux Prelats, les priva de leurs Archeveschez, degrada de l' ordre de Prestrise, & reduisit pour tout soulas à la communion des Laiz. Et combien que ce jugement ne feust pas agreable à tous, comme nouveau, & non jamais au precedent veu dans la France, & que ces deux Prelats s' en plaignissent à l' Empereur Loys, frere de Lothaire. Disans que jamais Metropolitain n' avoit esté destitué de son siege entre nous, sans le vouloir du Prince, accompaigné de la sentence des autres Metropolitains. Ce nonobstant, ce decret sortit son plain effect, & ne peurent jamais ces deux Evesques obtenir restitution du Pape, encores que par deux & trois fois ils s' allassent jetter à ses pieds. Jugement certes tres-sainct, & tres-juste. Car si Dieu oste les Royaumes, & les transmet d' une main à autre, pour le peché des Roys, comme nous en voyons plusieurs exemples dans la Bible, hé vrayement quand il eust permis que tout à fait nous fussions decheuz de nos privileges anciens, nous n' eussions esté chastiez que selon noz demerites. L' exemple que je vous viens de reciter servit puis apres de grande planche. Car à la suitte de ce jugement, Nicolas voyant que Lothaire perseveroit en son peché, depescha Arsenius autre Legat, lequel passant plus outre que les deux autres, assembla de l' authorité Apostolique un Concil encontre Lothaire, l' exhorte d' abandonner sa concubine, & de retourner à sa vraye espouse, sur peine d' encourir les censures Ecclesiastiques. Ce que Lothaire fut contraint de faire. Et en ce mesme Concil le Legat excommunia Eugiltrude femme de Bosson, lequel elle avoit quitté pour adherer à Uvanger (Wanger), l' un de ses vassaux: Adjurant tous les Prelats des Gaules, Germanie, & Neustrie, par l' authorité de Dieu tout puissant, de S. Paul, & de Nicolas Pape universel, de ne recevoir ceste Princesse en leurs Eglises. 

Voila comment nostre Eglise Gallicane descheoit de ses anciennes libertez: Et combien que le sainct Siege eust lors attaint à tout ce que l' on pouvoit souhaitter de grandeur, comme mesmes l' on peut remarquer par le huictiesme Concil general de Constantinople tenu soubs Adrian second, toutesfois nostre Eglise ne pouvoit aisement souffrir que le Pape entreprist sur noz Ordinaires: & de ce s' en trouve un exemple fort notable soubs le mesme Adrian deuxiesme, du temps de Charles le Chauve, n' estant encores Empereur. Il s' estoit fait donner quelques biens de l' Eglise de Laon par Hincmare, lors Evesque de ce lieu. Don qui avoit esté bien & deuëment emologué. Depuis il redonna ces mesmes terres à un Gentil-homme, duquel, l' Evesque induit d' une repentance, les vouloit repeter: mais luy n' en voulant passer condemnation, fut soudain excommunié par l' Evesque. C' estoit un baston, dont lors & apres escrimerent trop librement les Superieurs de l' Eglise, & qui fit venir par succession de temps ces excommunications en nonchaloir, pour en user indifferemment, & les mettre en œuvre sans discretion. Le Gentil-homme en appelle, & releve son appel par devant Hincmare Archevesque de Rheims, lequel fut un tres-grand personnage de son temps. Apres que l' Archevesque eust cogneu du merite de ceste cause, & comme les choses s' estoient passees à l' endroict du Roy, il annulla la sentence, & renvoya le Gentil-homme absous des censures Ecclesiastiques. Dont l' Evesque de Laon indigné, appella en Cour de Rome. Ceste appellation trouvee insolente, & nouvelle, Charles le Chauve s' en remuë, & fait assembler les Prelats de la Province à Rheims, où par l' advis du Concil cest appel fut declaré non recevable, ny vallable. D' autant que par les anciens decrets de l' Eglise Gallicane, les causes ne devoient outre-passer les limites du Royaume, où elles avoient esté encommencees. Chose dont le Pape Adrian indigné, blasma grandement Hincmare Archevesque, & en escrivit mesmement lettres au Roy, pleines de courroux, & contumelie. Parquoy enjoignir à l' un & à l' autre par puissance, & autorité Apostolique, qu' ils deferassent à cest appel, & que les parties eussent à se trouver à Rome, pour y être la cause jugee. A quoy Charles aidé, comme il est vray-semblable, des instructions de l' Archevesque, respondit assez brusquement que c' estoit contre tout l' ordre ancien de Rome, & de la France, que le Roy ordonné de Dieu pour reformer toutes les fautes de ses subjets, permit que celuy eust recours à Rome, qui avoit esté condamné par un Synode Provincial en presence de son Metropolitain, & que jamais ses predecesseurs Roys de France, n' estoient tombez en cest accessoire: que les saincts decrets anciens, mesmes de Rome, resistoient à ceste nouvelle entreprise. Parquoy desiroit faire, non ce que le Pape, mais bien l' Eglise ancienne de Rome, ordonnoit. L' exhortant pour conclusion qu' il eust à l' advenir à se deporter de lettres de telle substance envers luy, & ses Prelats, a fin qu' ils n' eussent occasion de l' esconduire.

Telle fut doncq' la responce de Charles, beaucoup plus forte & vertueuse que celle qu' il fist puis apres, estant Empereur. L' ambition extraordinaire meurdriere de tous les Estats, n' hebergeoit lors en son cerveau, ny le temps, & l' occasion ne luy avoient encores suggeré les memoires, qu' il pratiqua depuis la mort de Louys Empereur d' Italie son nepueu. Cest Empereur decedant, avoit delaissé trois enfans, Carloman, Louys, & Charles le Gras, ausquels par droict successif devoit appartenir cest Empire, toutesfois Charles le Chauve par brigues & moyens sinistres, les supplanta, & se fit couronner Empereur de Rome par le Pape Jean huictiesme, avec lequel ayant lié sa fortune, il la voulut estayer par nouvel advis, & rendre grand à son possible celuy qui l' avoit gratifié de ce beau tiltre d' Empereur. 

Ce Prince d' un esprit remuant, fantasque, & bisarre, homme de peu d' effect, auquel la famille des Martels doit principalement sa ruine, voulut pour se magnifier en qualité d' Empereur, faire tenir un Concil general en un lieu nommé Pontigon, où il se trouva lors en personne, habillé à la Françoise, non à la Grecque, & avec luy Jean Evesque de la Toscane, Legat du Pape Jean huictiesme: lequel dés la premiere seance fit faire lecture des bulles Apostoliques, par lesquelles le Pape leur permettoit l' ouverture du Concil: & aussi deleguoit Ansegise Evesque de Sienne pour son Legat, tant sur les Gaules, que Germanie, approuvoit, & avoit pour agerable tout ce qui seroit par luy faict, luy permettant d' y faire celebrer les Concils, comme si le Pape y eust esté en personne. Les Evesques grandement estonnez de ceste nouvelle commission, demanderent avant que de passer plus outre, d' en avoir copie. Ce que le Roy, qui s' entendoit avecq' le Pape, refusa, & ordonna que puis que sa Sainteté l' avoit ainsi ordonné, Ansegise tint la primace de toutes les Gaules, & en ceste qualité luy fit bailler siege par dessus tous les autres Prelats, baillant à l' Evesque de la Toscane le costé droit. Hincmare Archevesque de Rheims se leve sur pieds, & s' oppose fortement à ceste entreprise, soustenant hautement que c' estoit directement contrevenir aux decrets anciens de l' Eglise Gallicane. Bref les choses se passererent lors au contentement des Prelats, nonobstant l' intervention manifeste du Roy. Dont luy irrité retournant à ceste assemblee, lors habillé à la Gregeoise (comme Prince plain de vanité qu' il estoit) somma de rechef ces Prelats de satisfaire au vouloir du Pape en faveur d' Ansegise. A quoy ils respondirent que jamais ils n' avoient desobey aux commandemens reguliers du Pape, ny de ses predecesseurs. Et comme il les pressast d' avantage de franchir le pas, il ne peut obtenir d' eux non plus en la derniere session, qu' il avoit faict en la premiere. Qui monstroit qu' en eux n' estoit encor du tout esteinte ceste ancienne vertu, & liberté de nostre Eglise Gallicane. Et comme Jean huictiesme ne s' en fust voulu taire, ains eust escrit lettres plaines de commination aux Eglises, & Clergé de France, pour n' avoir voulu endurer son Legat, Hincmare fit une responce concernant les Privileges de nostre Eglise, & c' est ce que veut dire Flodoard, parlant de luy, quand il dict. Respondit etiam ad capitula quædam Episcopis Regni Francorum à Joanne Papa transmissa, de privilegiis sedium, per capitula septem: quoniam idem Papa nisus fuerat Ansegisum Senensem Episcopum, primatem constituere, ut Apostolica vice per Gallias, & Germanias frueretur, cui conatui venerabilis hic praesul Hincmarus obstitit. Il respondit, (fait-il) quelques articles envoyez aux Evesques de France par le Pape Jean, sur les Privileges des Eglises Cathedrales, & ce par sept Chapitres. D' autant que ce Pape s' estoit efforcé d' establir Ansegise Evesque de Sienne Primat, & son vicegerant par toutes les Gaules & Germanies. Auquel dessein ce venerable Prelat Hincmare resista: & neantmoins par ce que l' on luy improperoit calomnieusement que defendant nos privileges si fortement, il avoit en cela mespris contre le S. siege de Rome. Qui est une opinion qui peut aisément entrer en un cerveau morfondu. Voicy qu' en dit le mesme Flodoard. Scripsit & Apologeticum contra obtrectatores suos, qui calumniabantur eum diversis obtrectationum apetitionibus, scilicet apud Joannem Papam, quod nollet autoritatem recipere, & decreta Pontificum sedis Romanae, atque & tunc in Synodo Tricassina, & postea in hoc Apologetico respondit, refellens *convitiatores suos, & se decretalia Pontificum Romanorum à sanctis Conciliis recepta, & approbata recipere, & sequi discretè pro ut sunt sequenda depromens. Il escrivit (dit-il) un Apologetic contre ses mesdisans, qui le calomnioient diversement envers le Pape Jean, comme s' il n' eust voulu recevoir les decrets du Siege Apostolic de Rome. Chose dont il se purgea tant au Concil tenu à Troye, que par cest Apologetic, declarant qu' il adheroit aux decrets des Papes receus & approuvez par les saincts Concils, enseignant comment il y falloit distinctement obeyr. Qui sont passages dignes d' être notez pour l' ancienneté de nos privileges. Et à la mienne volonté que ce livre fust en essence. Et certes on ne peut oster à Hincmare qu' il ne fust un tres-grand personnage, & l' un des plus grands protecteurs en ce temps là de nos privileges: mais si vous tournez le fueillet, vous le trouverez aussi avoir esté sur son advenement, & selon les occasions, l' un des plus grands perturbateurs d' iceux. Et par ce que parlant de luy avec personnages de ce temps, studieux de l' antiquité, je ne leur pouvois faire accroire cela, je le vous veux representer par un exemple digne aussi du present subjet. Ebon Archevesque de Rheims avoit esté l' un des principaux entremetteurs de la conspiration qui fut dressee contre le Debonnaire par ses enfans, qui fut cause que cest Empereur estant depuis restably en ses Estats, s' en voulut ressentir contre luy, & le fit priver de son Archevesché par le Pape Sergius deuxiesme, & en son lieu fut mis Hincmare. Encores que ce personnage fust infiniement bien duict, & nourry aux privileges anciens de nostre Eglise Gallicane, & qu' il ne fust pas d' advis de les changer aisement, comme vous avez peu entendre par les choses que je vous ay presentement discourues: si est-ce que prevoyant ce qui advint depuis, & desirant se rendre asseuré de tout point, non seulement ne se contenta des voix & suffrages du Clergé, assistez de l' authorité de l' Empereur, mais voulut recevoir confirmation par le Pape, auquel l' Empereur adressa lettres patentes pour cest effect, si ne peut il toutesfois de telle façon obvier aux inconveniens que le Debonnaire estant mort, Lothaire son fils Empereur ne fist restituer Ebon en son ancien siege, avec le consentement de quelques Evesques, lequel aussi non content de ce, alla à Rome, où il fut receu par le Pape en sa communion, & de là retourna à l' exercice de sa charge, en laquelle il promeut quelques uns aux ordres, & aux autres il confera divers benefices selon que l' occasion s' estoit presentee. Mais aussi tost qu' Ebon fut decedé, & Hincmare de retour en son Archevesché, il les priva de tous les biens, degrez, & honneurs qu' ils avoient receuz du deffunct, comme ayans esté conferez par celuy qui n' avoit eu pouvoir de ce faire. Ce pauvre peuple ne s' en peut taire, & fut la matiere de telle façon ventilee, que l' on en vint jusques à un Concil qui fut tenu à Soissons, auquel lieu, par ce que la cause se traictoit contre le Metropolitain, il fut dit que les parties conviendroient de 2. ou 3. Juges, sous l' arbitrage desquels seroit la question terminee en la presence du Concil. C' estoit la forme qui estoit prescrite tant par un Concil Africain, que par les loix Synodales de Charlemaigne. Chose à quoy Hincmare condescendit liberalement, mais avec une protestation telle que l' on lit dans les actes de ce Concil, qui fut telle. Ego Hincmarus sanctae Metropolitanae Ecclesiæ Rhemorum Episcopus in hac dumtaxat caussa, quae ventilatur de his, qui se à Domino Ebone depositionem suam asserunt ordinatos, eligo mihi iudices, quos Canones Electos appellant, Uveinlonem (Weinlonem) Senonensem Archiepiscopum, Pardulsum dioceseos nostra Laudunensem coepiscopum servantem locum nostrum in hoc iudicio, nostræ authoritatis salvo in omnibus primatii Metropolis Rhemorum Ecclesia iure, & manente in suo statu, quod quidem ius cum aliis Metropolitanis mihi à sacris canonibus est collatum: salva etiam reverentia Apostolica sedis, quae in omnibus caussis debet reverenda adhiberi, sicut Innocentius Papa ad Victricum Rhotomagensem scribit Episcopum, & sancti etiam Canones præfigere dignoscuntur. C' estoit en bon langage un huis de derriere qu' il se reservoit & un recours au siege Apostolic, s' il luy fust mesadvenu de sa cause, contre l' ancienne usance de France. Là furent deduictes plusieurs choses sur la destitution, & restitution d' Ebon, & à vray dire, toutes les fleiches que l' on descochoit d' une part & d' autre, ne concernoient que la grandeur, & authorité du Siege Apostolic. Par ce que Hincmare remonstroit que Sergius Pape avoit reduit Ebon en une communion laicale, & privé de son Archevesché, mesmes sur ce que la congregation des Evesques de France luy en avoit escrit. Au contraire qu' il avoit esté receu, & instalé en ce siege par election du Clergé, & lettres patentes du Roy, ensemble par confirmation du mesme Sergius. Que suivant cela il avoit receu l' honneur du Pallium du sainct Siege: Que tout ce que ses adversaires alleguoient de la restitution faire par Lothaire, & quelques Evesques, estoit en partie supposé, & en partie contre les Canons Ecclesiastics. Surquoy, apres avoir ouy meurement les parties, il fut sententié pour Hincmare, & ordonné que les destitutions tiendroient. Toutesfois Hincmare non content de cela, en advertit encores le sainct Siege, & fit confirmer par Benoist Pape tout ce qui avoit esté arresté en ce Concil. Et non content de cela, Benoist donna d' abondant ce privilege à Hincmare, que nul de ses diocesains apres avoir souffert sentence de condemnation de luy, n' en peust appeller. Quoy faisant, il derogeoit grandement à nos privileges en ostant la voye ancienne d' appel du Metropolitain au Concil provincial. Hincmare pensoit s' être de ceste façon asseuré pour avoir d' un costé suivy la vieille discipline de France, j' entends d' avoir fait confirmer par Concils ses sentences: & encores la nouvelle forme, ayant fait par une abondance de seurté ratifier par le Pape, tout ce qui s' estoit passé à Soissons. Toutesfois ses parties adverses ayant fait consultation pour eux sur la protestation du mesme Hincmare vont à Rome, discourent leur fait avecq' humble supplication au Pape Nicolas premier successeur de Benoist, lequel casse & annulle ceste sentence Synodale contre eux donnee, & les restitue en entier. Par ce qu' il ne falloit imputer à ces pauvres gens à vice, si suivans la foy du public, & l' erreur commun de tous, qui vient au supplement du droict, ils avoient pris provision de celuy qui estoit par la commune voix du peuple en opinion d' être leur vray superieur. Nicolas estoit un grand Pape, mais il s' atachoit aussi à un bien grand Archevesque, lequel revenant comme d' un profond sommeil, & cognoissant la faute qu' il avoit commise en soy departant de nos anciens privileges, pour avoir recherché de là les monts ce qui naissoit dans nostre France, escrivit une lettre bien ample à Nicolas (avec tel honneur toutesfois que requeroit la dignité qu' il soustenoit, car il l' appelle son unique Seigneur, Pere des Peres) par laquelle lettre il luy remonstre modestement sans riens toutesfois obmettre qu' il ne devoit retracter ce qui avoit esté passé & conclud en un Concil National, le tout ainsi que nous aprenons plus amplement de Flodoard.

A quel propos tout cecy? non à autre, sinon pour monstrer comme les affaires de nostre Eglise Gallicane se trouverent adoncques vagues & fluctuantes pour l' injure du temps, & que pour vray dire, il n' y avoit riens si certain que l' incertain. Par ce que ceux qui en tenoient la plus forte clef, embrouilloient à leur appetit la serrure, faisans sur un mesme subject le faict & defaict. Car vous voyez ce grand Prelat avoir du commencement sa retraicte à Rome, pour la manutention & asseurance de sa dignité, craingnant quelque algarade de Lothaire lors qu' il seroit Empereur: & d' avantage, qu' il proteste avoir recours vers le Pape en ce Concil de Soissons, sa cause se trouvant en balance. Toutesfois depuis s' estant avecq' le temps asseuré de la volonté de l' Empereur, il en ferma du tout la porte de Rome à l' Evesque de Laon: comme au contraire Charles le Chauve du commencement ne portant que tiltre de Roy, souz Adrian deuxiesme favorisa noz privileges, contre lesquels depuis il s' arma en faveur du Siege de Rome souz Jean huictiesme, par lequel il avoit esté sacré Empereur. Et qui approfondira ceste Histoire, trouvera qu' il n' y eut que l' ambition en l' un & l' autre, qui leur fit oublier l' ancienneté de nostre Eglise. Car a fin que l' on ne pense point que ce soit une charité que je leur preste soubz faux gages, Rheginon parlant du sacre & Couronnement de Charles le Chauve, dit qu' il l' achepta à beaux deniers contens, pour defrauder de l' Empire les vrays & legitimes heritiers. Carolus senior (dit-il) Romam secundò profectus, ubi iampridem Imperatoris nomen à præsule sedis Apostolicae ingenti pretio emit. Charles l' aisné vint à Rome pour la seconde fois, où dés pieça il avoit achepté du Pape le tiltre d' Empereur grande somme d' argent. Auquel lieu il appelle Charles l' aisné, à la diference de Charles le Gras l' un de ses nepueux fils de l' Empereur. En cas semblable Leon quatriesme pour attirer de toutes les façons qu' il peut Hincmare à sa devotion, luy envoya le Pallium avec une prerogative extraordinaire qu' il n' avoit jamais octroyee, comme Flodoard, faisant grande commemoration de luy, nous enseigne en ces paroles, quand il dit que, Pro sua sanctitatis, & sapientiae reverentia per interventionem Lotharii Imperatoris, Pallium ad quotidianum suscepit usum à quarto Leone Papa à quo iam aliud perceperat, ut designatis sibi solemnitatibus servandum: quem quotidianum Pallii usum nulli unquam Archiepiscopo se concessisse, vel deinceps concessurum esse, idem Papa in Epistola ad eum directa testatur. C' est à dire, Que pour la reverence de la saincteté & sagesse qui estoit en luy, Leon quatriesme luy avoit envoyé le Pallium par l' entremise de l' Empereur Lothaire, pour en user tous les jours, lequel il avoit une autrefois receu pour en user aux solemnitez à ce dediees, & protesta lors le Pape par lettres à Hincmare qu' il n' avoit jamais octroyé, ny n' octroyeroit à l' advenir ceste prerogative à nul autre. Il ne falloit point dire que Leon ne l' eust jamais octroyé. Car la verité est qu' au paravant nul n' en avoit usé de ceste façon. Et de faict sainct Gregoire en osta l' usage à l' Archevesque de Ravenne, qui maintenoit luy être permis par ancien privilege d' en user tous les jours. Que s' il vous plaist raporter chaque chose à son temps, il sera fort aisé de cognoistre d' où proceda l' entreprise qui fut faite par l' un & l' autre au prejudice de nostre Eglise. Car lors que Charles fit tenir ce deuxiesme Concil, dont j' ay parlé cy-dessus, ce fut soubz Jean, dont il avoit achepté la Couronne de l' Empire, & le Concil de Soissons fut celebré soubz Benoist successeur de Leon, lors, que la memoire n' estoit encores effacce en l' esprit de Jean, du bien fait qu' il avoit receu de son predecesseur, voulans chacun endroit soy favoriser ceux ausquels ils se sentoient obligez, aux despens de nostre liberté ancienne: & l' un des plus grands instrumens qui se trouva & lors, & depuis pour asservir noz Prelats, fut le Pallium, dont chacun se rendoit par une ambition particuliere esclave, a fin d' être comme Vicegerans du sainct Siege en ceste France: mesmes que les Papes se dispensoient fort aisément de l' envoyer non seulement aux Metropolitains, mais aussi aux simples Evesques. Quoy faisans, c' estoit apporter prejudice à ces Metropolitains, ausquels les Evesques chargez de cest honneur, se vouloient parangonner par le moyen de ceste gratification. Chose dont Foulques Archevesque de Rheims se plaignit envers Formose Pape, disant que cela apportoit deux maux, c' est à sçavoir, la confusion & desordre en l' Eglise Gallicane, & l' avilissement de cest honneur en la Romaine, pour être conferé sans acception de personnes autant aux indignes, comme à ceux qui le meritoient, & aux Evesques, comme aux Archevesques. 

Les affaires de la France n' estoient lors arrivees à tel periode, où elles tomberent puis apres: mais toutes ces choses n' estoient qu' un fondement de la mutation qui devoit puis apres advenir tant en l' Estat Ecclesiastic, que seculier, dont le Chauve fut l' un des premiers Autheurs: aussi ne me peut-on denier que le lot qui luy escheut en partage, n' ait esté presque celuy dont noz Roys furent assortis, & que nous appelames depuis Royaume de France. Or depuis l' Empire du Chauve, jusques à la venuë de Capet, ne recherchez une vraye & asseuree face d' Estat, ny en la France, ny en Allemaigne, ains seulement un preparatif general de changement. Ce ne fut qu' un Chaos & meslange qui dura plusieurs longues annees. En tout cest entreject de temps, vous voyez un Bosson faict Roy de Provence, un Bauldouin se faire Comte de Flandre, un Raoul le Normant occuper l' Estat du pays, que nous appellons Normandie, un autre de mesme nom, celuy de Bourgongne, Guy, & Berenger, le Royaume d' Italie, Eude, & apres son frere Robert celuy de France, & apres luy Raoul son gendre: Arnoul Bastard, chasser Charles le Gras son oncle vray Empereur d' Allemaigne, pour s' en impatroniser. Pendant les quelles confusions, tout ainsi que la Majesté Royalle estoit tellement rabaissee, qu' à peine recognoissoit on le vray Roy de France, aussi s' evanouist la dignité de l' Eglise & des Prelats. Car combien que l' on fit contenance de proceder par election aux Eveschez, si estoient elles briguees, non par menees sourdes, pour couvrir la honte & pudeur, ains par la force & violence publique des plus grands: esquelles toutesfois pour apporter quelque asseurance, ils eurent recours à la voye qu' avoit suivy Hincmare. C' estoit de les faire confirmer & ratifier par le Pape, l' authorité duquel estoit lors arrivee en tel credit, que soudain qu' elle y estoit passee, on estimoit que toutes les fautes precedantes estoient couvertes. Et là où auparavant nous recherchions Rome ordinairement par devotion pour voir les saincts lieux, nous la recherchames de là en avant, pour couvrir & faire sortir effect à nostre ambition. Chose que je vous veux monstrer par un seul exemple pour tous; parce qu' en toute mon Histoire je ne me suis proposé que de cotter les plus signalez exemples d' entre plusieurs, & mesmement tirez des Autheurs qui furent ou du temps, ou fort proches des choses que je raconte. Seulphe (quatriesme en ordre en l' Archevesché de Rheims apres Hincmare) estant allé de vie à trespas, le Comte Hubert qui lors tenoit grand lieu en France, moyenna par les trafiques d' Abbon, & Bonon Evesques de Soissons, & Chaalons, que Hugues son fils, qui n' avoit encores attaint l' aage de cinq ans, fust éleu Archevesque de Reims: & pendant le soubz-aage de cest enfant, Raoul Roy, bailla à son pere par forme d' œconomat, le gouvernement du revenu de l' Archevesché: mais par ce que ceste election estoit indubitablement vitieuse, Heribert depesche messagers par devers Jean Pape, acompagnez d' Abbon, lesquels avec tres-humbles supplications, le requirent qu' il luy pleust par un privilege special confirmer ceste election. Ce qu' il fait: mais veut par mesme moyen qu' Abbon fut Vicegerant, & fist tous actes d' Archevesque en ce lieu au spirituel, jusques à ce que Hugues eust attainct aage complet pour être sacré. C' estoit mettre en œuvre à bonnes enseignes la proposition de Nicolas premier, lors qu' il disoit que tout ce qui estoit ordonné par le Pape, ne pouvoit être cassé, & qu' il donnoit dispense, ainsi qu' il trouvoit bon de faire, selon la qualité des personnes qui se retiroient devers luy. Cela estant ainsi depesché, Heribert commença de ravager en ceste Eglise, comme un loup affamé au meillieu d' un troupeau de brebis, & destituë Flodoard Chanoine de l' Eglise de Rheims, (duquel j' ay emprunté ceste Histoire) & autres siens compagnons, pour n' avoir voulu assister à ceste election. Et depuis Oldaric Evesque d' Aix s' en estant fuy de son Diocese, pour la persecution des Sarrazins, le mesme Heribert le fit commettre au lieu d' Abbon à l' administration du spirituel, luy laissant pour ses aliments le simple revenu d' une prebende & d' une petite Abbaye. L' indignité de ceste procedure fut cause que Louys d' Outremer arrivé à la Couronne voulut faire proceder à nouvelle election, par laquelle Artolde fut éleu & mis au lieu de Hugues, & peut estre n' y avoit-il pas plus de devotion en ceste-cy, qu' en la premiere. Car Heribert estoit celuy qui avoit fait mourir en prison Charles le Simple pere de Louys: toutesfois il y avoit plus de pretexte en ceste-cy qu' en l' autre, pour la qualité des mœurs & de l' aage. Artolde donc estant entré en la iouyssance de cest Archevesché il en est jecté dehors par Heribert, & Hugues le Grand son beau-frere, & à l' instant mesme pour oster tout obstacle, Hugues est remis en fort bas aage & sacré Prestre, puis Archevesque. Et vrayement & l' election, & la confirmation de Hugues, & tout ce qui avoit esté fait à la suitte de cecy par les superieurs de l' Eglise, estoit tant éloigné de droict divin & humain, qu' en ceste concurrence de deux Prelats, il n' y avoit que tenir pour luy: toutesfois encore n' osa l' on rompre ce qui avoit esté faict, que par les mesmes voyes dont l' on avoit usé en faveur de luy. Ce fut d' avoir recours à un Concil National dans Verdun, non toutes fois authorisé des Metropolitains, comme estoit nostre premiere coustume, mais souz l' authorité de l' Archevesque de Treues, president, non en ceste qualité d' Archevesque, mais comme Legat du sainct Siege. Et en ce Concil fut Hugues destitué de son Archevesché comme incapable.

Et si les Eveschez estoient en ceste façon mal menagees, encores y avoit-il aux Abbayes, & autres moindres benefices plus grand desordre. Par ce que les Roys s' estoient licentiez de conferer les Abbayes aux Princes, Seigneurs, & Gentils-hommes, pour les tenir leur vie durant, comme les Fiefs. Et comme en tels desordres generaux chacun veut faire le Roy, le semblable faisoient les autres Seigneurs à l' endroit de leurs favoriz, pour raison des moindres benefices. Ainsi lisons nous que Baudouin Comte de Flandres osta plusieurs Eglises parochialles aux vrais titulaires, pour en gratifier de sa propre authorité ceux que bon luy sembla. Desbauche qui estoit un prognostic tres certain du changement de ceste seconde lignee. Car il n' y a riens qui excite tant le courroux de Dieu, que de voir ses Eglises profanees, & tomber en la main de ceux qui se sont vouez au service du Prince temporel, & non du spirituel. Il me souvient avoir leu dedans Luithprand, que Hugues Comte de Provence, ayant esté infiniment heureux en tout le cours de ses affaires. (Car il avoit adjoinct sans grande difficulté à son estat toute l' Italie) Manasses Archevesque d' Arles son cousin le vint trouver, où apres luy avoir faict quelques services, Hugues pour le rendre grand, luy donna les Eveschez de Veronne, Tarente, & Mantouë. Lisez la suitte de ceste histoire, qui est expressement dediee pour ce Prince, vous trouverez que depuis qu' il eut en ceste façon licentieusement abusé des dignitez de l' Eglise, jamais il ne prospera, ains allerent tousjours les affaires en decadence jusques au dernier soupir de sa vie. Au contraire ce mesme Luithprand en son quatriesme livre nous recite qu' Othon premier Empereur de ce nom estant constitué en grandes angusties de guerre contre Henry son frere, & Gilbert son beau-frere Duc de Lorraine, un sien grand Seigneur Comte qui l' avoit suivy & servy fidelement en toutes ses guerres, le pria par lettres de luy vouloir donner une Abbaye lors vacante, riche & opulente en biens, & possessions temporelles, a fin que par le revenu d' icelle il eust moyen de stipendier ses soldats, & en soustenir plus aisément le defroy de la Guerre. A quoy l' Empereur d' un visage riant dit au Gentilhomme porteur de la lettre, qu' il avoit envie de faire response à son maistre plustost de bouche, que par lettre. Ce qu' entendu par ce Comte il fut infiniment resiouy, tenant ja pour accordé le Benefice qu' il avoit demandé. Et de ce pas s' achemina devers l' Empereur, le rechargeant de mesme requeste. Auquel ce Prince en presence de tout le peuple: Il faut (dit-il) plus obeïr à Dieu, qu' aux hommes. Car qui est celuy si peu clair-voyant qui ne voye que la requeste que me faites maintenant, n' est pas tant requeste, qu' une taisible, & ouverte menace pour la necessité en laquelle vous me voyez reduit? Mais il est escrit, ne donnez point aux chiens ce qui est sanctifié, lequel passage estant par les Docteurs pris en sens allegorique, j' estimerois donner aux chiens, si je donnois à celuy qui suit la guerre temporelle, un monastere, qui est dedié pour les Religieux qui guerroyent souz les estendarts de Dieu seulement. Pour ceste cause je veux bien que sçachiez en presence de tout ce peuple, que vous, qui me demandez avecq' telle arrogance un don tant desraisonnable, ne l' obtiendrez jamais ne (de) moy, ny autre chose dont me requeriez. Partant s' il vous vient à plaisir de prendre vostre vol vers ces autres rebelles, le plustost sera le meilleur.

Ces choses estans proferees d' une magnanimité digne d' un si grand Empereur, ce Comte non seulement ne tourna visage vers l' autre party, mais se jette aux pieds de son maistre, le priant tres-humblement de luy vouloir pardonner la faute, en laquelle il estoit inadvertemment tombé. Et à tant vivant cest Empereur en ce sainct propos, & ayant Dieu pour son protecteur au lieu des hommes, non seulement vint à chef de ses ennemis, mais qui plus est chassa sans esperance de retour, & Hugues, & Berenger, de l' Italie, la remettant souz l' Empire, dont elle avoit esté distraicte par deux ou trois successions d' Empereurs. Au contraire la posterité de Charlemaigne faisant lictiere des Eveschez & Abbayes, perdit la Couronne & fut cause d' eschanger l' ancienne discipline de nostre Eglise en une nouvelle, dont nous parlerons cy apres.