jueves, 8 de junio de 2023

3. 12. Que nos Rois sont francs, & exempts des censures de la Cour de Rome.

Que nos Rois sont francs, & exempts des censures de la Cour de Rome

CHAPITRE XII. 

La dignité de nos Roys est si grande, que je ne me puis estancher en ce que j' ay cy dessus discouru, ains veux y adjouster le present commentaire, pour monstrer qu' ils sont de toute ancienneté affranchis des excommunications de la Cour de Rome. Proposition qui semblera de prime-face tres-hardie, je ne diray point à ceux qui pour s' avantager en credit dedans Rome, veulent introduire une nouvelle Papauté en la France, mais aussi aux ames plus calmes, qui sans partialitez recognoissent nostre S. Pere le Pape, chef de nostre Eglise Catholique & Universelle. Comment me diront-ils? Tu accordes toute primace & superiorité au S. Siege, en ce qui concerne le Spirituel: Mesmes vos Roys de France, de tout temps immemorial se disent être les enfans aisnez de l' Eglise Catholique, Apostolique Romaine: Et neantmoins tu ne les veux exposer sous les verges de ce grand Siege, qui sont, premierement, les excommunications & censures, quand ils se desvoient de bon chemin

Et en apres l' interdiction de leur Royaume, en consequence du peché d' un Roy. A ceux-cy je respondray de ceste façon, & les supplie vouloir prendre ma response de bonne part. Mes amis, nous recognoissons en France le Pape, pour chef de nostre Eglise Universelle, mais pour cela il n' est point hors de propos, que nos Roys soient francs & exemps de sa censure. Ainsi que nous voyons tous les Monasteres anciens être naturellement sujets à la jurisdiction de leurs Diocesains: & neantmoins qu' il y en a plusieurs, qui par privileges speciaux en sont exempts. Nos anciens Rois furent les premiers protecteurs de l' Eglise Romaine, tant contre la tyrannie des Empereurs de Constantinople, que contre les courses des Lombards, qui estoient journellement aux portes de Rome. Un Roy Pepin gagna tout l' Exarquat de Ravenne, dont il fit present aux Papes: Deliura leur ville du long siege qu' Astolphe Roy des Lombards y avoit mis: Et Charlemagne son fils chassa de la Lombardie, leur Roy Didier, & toute sa race, se faisant Roy de la ville de Rome, & de toute l' Italie, où il fut depuis couronné Empereur de l' Occident, par le Pape Leon, lequel il remit tout d' une main en sa liberté contre l' insolence du peuple Romain, qui le gourmandoit. Et deslors fut arresté que les Papes esleuz ne pourroient entrer en l' exercice de leurs charges, qu' ils ne fussent avant tout œuvre confirmez, par luy & ses successeurs. Je m' asseure aussi que deslors luy & sa posterité furent affranchis des excommunications du S. Siege. Et encores que nous n' en voyons la constitution expresse, si est-ce qu' on la peut tirer de l' Ordonnance de ce mesme Empereur representee par Yve Evesque de Chartres, en ses Epistres 123. & 195. Si quos culpatores Regia potestas, aut in gratiam benignitatis receperit, aut mensa suae participes fecerit, hos & sacerdotum, & populorum conventus suscipere Ecclesiastica communione debebit: Ut quod principalis pietas recepit, nec à Sacerdotibus Dei extraneum habeatur. Si le Roy, dit-il, reçoit quelqu' un en sa grace & faveur, ou admet à la table quelques pecheurs, il faut aussi qu' ils soient receus par les Prestres, & tout le peuple en la communion des fideles: A fin que ceux que la pieté du Prince embrasse, ne soient rejettez de l' Eglise, comme Ethniques. Que si la table ou faveur de nos Roys rendoit l' excommunié franc des censures Ecclesiastiques, il faut bien dire que nos Roys estoient hors de toutes excommunications. Ils avoient droit de confirmer les Papes apres leurs eslections. Droit, di-je, que les Papes disent leur avoir esté par eux remis: Aussi ne nous doit-on non plus envier, que de tout temps immemorial on ait quitté dedans Rome à nos Rois, toutes excommunications que l' on voudroit faire contre leurs Majestez. Tant y a que le Pape Gregoire IV. voulant y contrevenir, pour gratifier aux enfans du Roy Louys le Debonnaire, qui estoient en mauvais mesnage avecq' luy, tous les bons Evesques & Prelats de la France, luy manderent avant qu' il y fust entré, que s' il venoit pour excommunier leur Roy, il pouvoit hardiment reprendre le chemin de Rome. Parce que luymesme s' en retourneroit excommunié: parole brusque (je le confesse) mais qui fut de tel effect que Gregoire pour couvrir son jeu, dit qu' il estoit seulement venu a fin de pacifier toutes choses: & de fait moyenna la paix pour quelque temps, entre le pere, & les enfans. Plus hardie fut la responce de nostre Noblesse Françoise au Pape Adrian, quand sur une querelle juste il voulut excommunier le Roy Charles le Chauve. 

Lothaire Roy d' Austrasie estant decedé, delaisse Louys son frere Empereur & Roy d' Italie son heritier, le Roy Charles le Chauve leur oncle s' empara du Royaume d' Austrasie par un droit de bien-seance. Louys eut recours au Pape, qui prit la cause pour luy: & admonesta le Chauve de faire droit à son nepueu, à peine d' excommuniement. Toutesfois Charles le Chauve n' y obeït, au moyen dequoy le Pape voulut interposer ses censures avecques aigres comminations: mesmes sçachant la grande authorité qui residoit en Hincmare Archevesque de Rheims, luy enjoignit de ne l' admettre à sa communion, sur peine d' être privé de la sienne. Jamais ordonnance de Pape ne fust plus juste & saincte que ceste-cy. Car quel pretexte y avoit-il qu' un oncle frustrast son nepueu de la succession de son frere? Toutesfois jamais ordonnance ne fut plus mal receuë que celle là. Parce que Hincmare ayant communiqué les Lettres Apostoliques à plusieurs Prelats & Barons de la France, pour sçavoir comment il se devoit gouverner en cest affaire, il escrivit au Pape Adrian ce qu' il avoit recueilly de leurs opinions: & nommément que eux tous se sçandalisoient de son Decret, disans que jamais on n' avoit veu tels commandements, bien que les Roys fussent heretiques, schismatiques, ou tyrans. Soustenants que les Royaumes s' acquieroient par la poincte de l' espee, & non par les excommunications du sainct Siege, ou des Prelats. Et quand je leur couche, (disoit Hincmare) de la puissance donnee par nostre Seigneur à sainct Pierre qui est transmise aux Saincts Peres de Rome ses successeurs, ils me respondent. Petite Dominum Apostolicum, ut quia Rex & Episcopus simul esse non potest, & sui antecessores Ecclesiasticum ordinem (quod suum est) & non Rempublicam (quod Regum est) disposuerunt. Non præcipiat nobis habere Regem, qui nos in sic longinquis partibus adjuvare non possit, contra subitaneos & frequentes paganorum impetus, & nos Francos iubeat servire, cui nolumus servire. Quia istud iugum sui antecessores, nostris antecessoribus non imposuerunt. Quia scriptum sanctis libris audivimus, ut pro libertate & hæreditate nostra ad mortem certare debeamus, & peu apres, Propterea si Domnus Apostolicus vult pacem quærere, sic quærat, ut rixam non moveat. C' est à dire: Recherchez nostre S. Pere le Pape, comme s' il pouvoit être Roy, & Evesque ensemblément. Ses predecesseurs ont disposé de l' Ordre Ecclesiastic, qui estoit de leur vray estoc, & non du fait d' une Republique, qui appartient aux seuls Roys. Qu' il ne nous commande point d' avoir un Roy, lequel habitué en païs loingtain, ne nous puisse secourir contre les courses inopinees & frequentes des Payens. Ny n' enjoigne à nous qui sommes François de servir contre nos volontez. C' est un joug que ses devanciers ne nous imposerent jamais. Aussi est-il escrit dans les sainctes lettres, que chacun doit combatre jusques à la mort, pour la manutention de sa liberté, & son bien. Partant si nostre S. Pere le Pape recherche la paix, qu' il la recherche de telle façon, que ce soit sans nouvelle noise. Et apres tout cela Hingmare ferme la lettre en ces mots. Et ut mihi experimento videtur, propter meam interdictionem, vel propter linguae humanae gladium, nisi aliud obstiterit, Rex noster, vel eius regni primores non dimittent, ut quod cæperunt, quantum potuerint non exequantur. Et comme je cognois par experience, dit-il, ny le Roy, ny les principaux Seigneurs de son Royaume, ne delairront point de poursuivre leur premiere route, quelque interdiction, ou glaive spirituel que j' y interpose, s' ils ne sont destournez par quelque autre obstacle. De laquelle missive vous pouvez recueillir que le Pape non seulement vouloit censurer le Roy Charles le Chauve, par faute de luy obeïr en une querelle tresjuste, mais aussi se declaroit juge des Empires & Royaumes. A quoy ny le Roy, ny ses sujets ne voulurent condescendre: Soustenans que cela n' estoit de son authorité & puissance: & qu' ils estoient resolus de luy faire teste à quelque prix que ce fust. Comme estant une Loy nouvelle dans la France, qu' il vouloit introduire au prejudice de nos Roys, & de leur estat. 

Tant nous embrassames deslors ce privilege de nos Roys, que je le vous puis dire, ou être né avecq' nostre Couronne soudain que Clovis fut fait Chrestien, ou bien sous la seconde lignee, peu apres que nos Roys eurent pris en main la defense & protection de l' Eglise Romaine. Car ainsi le voyons nous successivement avoir esté observé en Charlemagne, Louys le Debonnaire son fils, & Charles le Chauve son arriere fils. Le premier Roy des nostres qui sous la troisiesme lignee merita d' être censuré pour son demerite, fut Philippe premier, à raison d' un mariage mal ordonné qu' il avoit fait au prejudice de sa vraye & legitime espouse. Toutesfois le Pape Urbain second se donna bien garde de le vouloir excommunier de sa puissance unique & absolue, mais y interposa avecq' luy l' authorité de l' Eglise Gallicane au Concil de Clairmont en Auvergne. Celuy qui premier voulut franchir le pas au desadvantage de nostre Couronne fut Boniface huictiesme contre Philippe le Bel, mais jamais censures ne cousterent tant aux Papes, comme celles-là. Ainsi qu' avez peu entendre par le chapitre precedent. Le semblable fit Benoist XIII. (dit Pierre de la Lune) tenant son siege en Avignon, sous le regne de Charles VI. Et il s' en trouva autant mauvais marchand que l' autre. 

Jules II. voulut suivre ceste mesme piste contre nostre bon Roy Louys XII. surnommé le Pere du peuple. Or par l' assemblee Conciliaire de l' Eglise Gallicane tenuë en la ville de Tours, en l' an 1510. ses censures furent censurees. Sans nous esloigner de nostre temps pendant les Troubles derniers, pareilles censures vindrent de Rome, contre le Roy à present regnant. Et par Arrest, tant du Parlement de Paris transferé à Tours, que de la Chambre souveraine seante à Chaalons en Champagne, il fut ordonné que les Bulles seroient brulees par l' executeur de la haute Justice, comme elles furent. Il n' est pas que l' Arrest depuis donné contre Jean Chastel, le 29. Decembre 1594. ne portast ce chef particulier: qu' entre autres choses il estoit condamné à mort, pour avoir soustenu devant ses Juges, que nostre Roy Henry IV. n' estoit en l' Eglise, jusques à ce qu' il eust l' approbation du Pape. Dont il declareroit faisant l' amende honorable, avant que d' estre exposé au dernier suplice, qu' il se repentoit, & demandoit pardon à Dieu, au Roy, & à Justice. 

Ceste question concernant le privilege de la dignité de nos Roys, au prejudice de l' excommunication faite en Cour de Rome, tint aucunement les successeurs de Boniface en cervelle, pour le scandale advenu entre luy, & le Roy Philippe le Bel. Qui fut cause que le Roy Philippe le Long son fils, delegua Maistre Raoul de Presles, l' un de ses Maistres de Requestes, à Rome, en l' an 1316. pour en être esclaircy: lequel fit un ample extraict de tous les privileges Ecclesiastics de nos Roys. Mesmes y en avoit deux dont le mesme Boniface leur en avoit passé condamnation, auparavant qu' il fust ulceré contre nostre Roy: L' un que le Roy de France, la Royne sa femme, & leurs enfans ne pouvoient être excommuniez. L' autre que le Confesseur du Roy les pouvoit absoudre de tous pechez sans exception & reserve. Proposition si arrestee en ceste France qu' au traicté de paix qui fut fait en la ville d' Arras, l' an 1481. entre le Roy Louys XI. & Maximilian Archiduc d' Austriche, & les Estats du païs bas, les Deputez de Maximilian, & des Estats stipulerent des nostres, que le Roy promettoit d' entretenir le Traité, & à ceste fin luy & son fils se soubmettoient à toutes censures Ecclesiastiques. Non obstant le privilege (portoit la capitulation) des Roys de France par lequel, ny eux, ny leur Royaume ne pouvoient être contraints par Censures Ecclesiastiques. Traité depuis confirmé le mesme an par le Roy Louys, au Plessi lez Tours, portant la confirmation en ces mots. Avons soubmis, nous, & nostre fils, & nostre Royaume à toutes censures Ecclesiastiques pour l' entretenement du dit Traité nonobstant le privilege qu' avons, que nous, nos successeurs, & nostre Royaume, ne devons être soubmis, ny contraincts par censures. Maxime qui fut encores confirmee par arrest donné en l' an 1549. sur un sujet qui fut tel que je vous deduiray presentement. Charles Cardinal de Lorraine Archevesque de Rheims pour immortaliser sa memoire en une tres-noble entreprise, fonda une Université dedans Rheims, avec plusieurs grands privileges. Ce qui luy fut premierement permis par le Roy Henry II puis par le Pape Paule III. en ce qui regardoit le Spirituel, lequel decerna ses Bulles bien amples qui portoient entre autres clauses ceste cy. Nos igitur pium & laudabile Henrici Regis, & Caroli Cardinalis desiderium, plurimum commandantes, praefatum Regem Henricum, à quibusvis, excommunicationis, suspensionis & interdicti, aliisque Ecclesiasticis, sententiis & censuris, pœnis à jure vel ab homine, quavis occasione, vel caussa latis, si quibus quomodolibet innodatus existat, ad effectum praesentium duntaxat consequendum, harum serie absolventes. Cecy merite de venir à la cognoissance de tous. Parquoy (dit la Bulle) loüans grandement le bon & loüable zele du Roy Henry, & de Charles Cardinal, l' absolvons de toutes excommunications, suspensions, interdicts, sentences Ecclesiastiques & censures, peines de droict, ou ordonnees par les hommes, pour quelque suject & occasion que ce soit, & en quelque maniere qu' il en puisse être lié. Le tout seulement en consideration des presentes, & a fin qu' elles sortent leur effect. Plus grande faveur ne pouvions nous recevoir de Rome que celle-là. Que le Roy Henry, sans aucune sienne supplication fust declaré absout de toutes excommunications, qu' il avoit peu encovrir de fait, ou de droict, toutesfois de mesme liberalité qu' elle fut offerte, la Cour de Parlement de Paris la refusa. D' autant que par la verification, tant des Bulles que lettres patentes du Roy, il fut dit par Arrest du penultime Janvier 1549. A la charge que nonobstant ceste pretenduë  absolution, on ne pouvoit inferer, que le Roy eust esté, ou pouvoit être à l' advenir aucunement ny pour quelque cause que ce fust, suject aux censures & excommunications Apostoliques, ny prejudicier aux droicts, privileges & preeminences du Roy, & de son Royaume. Lors que cest Arrest fust donné nous n' estions partialisez en Religions, comme nous, avons depuis esté par le malheur du temps: au contraire les Lutheriens & Calvinistes estoient tresgriesuement punis en ceste France.

Je vous ay discouru tout ce que dessus, non pour malveillance que je porte au S. Siege, plustost m' envoye Dieu la mort, ains pour vous monstrer que nos Roys portent avecques leur Couronne, leur saufconduit par tout, & ne sont sujects aux embusches de leurs ennemis pres des Papes. Placard que j' ay icy enchassé tout expres, contre ces nouveaux broüillons & trouble-mesnages, qui pour se faire grands dedans Rome, aux despens des Princes & Potentats Souverains, nous enseignent que leurs Royaumes peuvent être transferez d' une main à autre par les Papes: Je ne seray point marry que ceste puissance s' execute par tout ailleurs où il leur plaira, moyennant que ce ne soit, ny contre nos Roys, ny contre nostre Royaume. Et neantmoins il ne faut pour tout cela qu' ils forlignent de leur devoir. Parce qu' il y a un plus grand juge que le Pape, qui transfere les Royaumes, & sçait chastier non seulement les delinquants, mais aussi les enfans, des fautes commises par les Peres.

martes, 6 de junio de 2023

3. 11. Des remedes dont les Princes estrangers userent contre les censures Apostoliques,

Des remedes dont les Princes estrangers userent contre les censures Apostoliques, & interdictions de leurs Royaumes, ensemble de ceux que nous y avons apporté sous la troisiesme lignee de nos Roys. 

CHAPITRE XI.

Vous avez peu recueillir par le precedent chapitre de quelle façon les Empereurs, Roys, & Princes estrangers furent mal menez par les Papes, & le peu de moyen qu' ils eurent de s' en garentir: Chose à mon jugement qui provint, parce qu' ils leurs voulurent faire teste par la voye de fait seulement. Les aucuns prenans les armes en main pour les combatre: les autres estimans avoir beaucoup faict pour eux, quand ils avoient empesché que le Legat envoyé de Rome, ne peut entrer dans leurs pays, pour publier les fulminations: & les derniers en leur opposans des Antipates. Remedes nullement propres à ce mal. Par ce que ceux qui s' armoient, perdoient de plus en plus le cœur de leurs subjects, voyans leurs Princes non seulement excommuniez, mais encores affliger par armes ouvertes le S. Siege. Et quant aux seconds, ils se trompoient grandement: Car le son de la trompette de Rome pouvoit donner jusques à eux, & les derniers non seulement ne fermoient la playe, mais introduisoient un nouveau schisme en l' Eglise. Nous seuls entre toutes les autres nations, avons eu ce privilege special de n' estre exposez aux passions dereglees de ceux qui pour être pres des Papes vouloient abuser de leur authorité à nostre desadvantage. Car nous avons eu de tout temps & ancienneté, trois grandes propositions qui nous ont servy de bouclier: Propositions non point fondees sur la voye de fait, ains de droict, n' ayans opposé aux censures Apostoliques que le glaive spirituel. La premiere est que le Roy de France ne peut etre excommunié par l' authorité seule du Pape. La seconde, que le Pape n' a nulle jurisdiction ou puissance sur le temporel des Roys: La derniere, que le Concil general & universel est dessus le Pape. En tant que touche le premier poinct, je ne veux pas dire que noz Roys soient francs & exemps de censures Ecclesiastiques, & que par ce moyen ils se puissent donner toute bride: mais bien qu' ils ne peuvent être censurez par la seule main du Pape. Soubs la lignee du grand Clovis, nos Roys ne cognoissoient en rien les fulminations de la Cour de Rome, encores qu' en leur histoire il y ait eu 2. ou 3. particularitez qui meritoient bien d' être censurees. Et combien que sous la 2. lignee, les Papes eussent commencé de s' aprivoiser de la France, par la correspondance qui avoit esté entr' eux & le Roy Pepin, & que depuis sous la troisiesme, ils y eussent pris grand pied, si est-ce que jamais nous ne voulumes tolerer en France, qu' ils excommuniassent nos Roys de leur authorité absoluë. La police que l' on y tint, fut d' envoyer un Legat en France, & de faire assembler un Concil National, par lequel nos Roys estoient excommuniez, s' ils vouloient s' opiniastrer en leurs fautes. Ainsi fut-il pratiqué contre le Roy Lothaire, de la famille de Charlemagne, par le Pape Nicolas premier. Ainsi contre le Roy Philippes premier par Urbain second, au Concil de Clairmont. Proposition que je verifieray plus amplement au prochain Chapitre.

Au regard du temporel, nous en avons encores moins douté, toutesfois parce que les courtisans de Rome tiennent formellement le contraire, je vous veux icy representer un placard digne d' être enchassé dans ce livre. Sous le regne de Charles cinquiesme, dit le Sage, fut fait un livre en Latin, plain d' erudition & doctrine, appellé le Songe du Verger, dans lequel, l' autheur represente deux Roynes, la Puissance Spirituelle, & la Temporelle, qui soustenoient diversement leurs grandeurs devant le Roy, par deux Advocats, dont l' un portoit le nom de Clerc, pour la puissance Spirituelle, l' autre, celuy de Chevalier pour la Temporelle. Et parce que la memoire de cest œuvre est à demy ensevelie, il me plaist de la ressusciter. Le Clerc par plusieurs grandes authoritez soustient que le Pape a toute puissance sur les Roys, & Monarques, & non seulement sur leurs consciences, mais aussi sur leurs temporels & Royaumes. Chose qu' il prouve non point par authoritez sophistiques, telles qu' un tas de copistes ignorans de Cour de Rome, ont voulu faire passer pour Constitutions Decretales, quand ils disent qu' il y a deux grands luminaires, le grand & le petit, plus que In principio Deus creavit cœlum & terram, & que S. Jean n' avoit point dit In principiis, pour monstrer que le Ciel & la terre obeïssoient au seul Siege de Rome, & autres telles frivoles qui viennent plus au scandale, qu' augmentation de la dignité du sainct Siege. Mais bien d' une plus haute luite pour terrasser le Chevalier, il remonstre que nostre Seigneur Jesus-Christ estoit Seigneur de toutes choses spirituelles & temporelles, auquel estoit par l' organe du Roy David, Prophete de Dieu, dit. Demande-moy, & je te donneray gens & heritage, & seront tes possessions jusques à la fin de la terre: & ailleurs qu' il estoit Seigneur des Seigneurs, & Roy des Roys: & en un autre passage, qu' au Seigneur appartenoit la terre, & toutes ses appartenances. Leçon qui n' estoit point escrite de la main des hommes, ains envoyee de Dieu, & dictee par son sainct Esprit. De laquelle nous pouvions recueillir l' authorité du sainct Siege. Parce que nous ne revoquions point en doute que S. Pierre ne fust le grand Vicaire de nostre Seigneur Jesus-Christ. Consequemment que tous ces mesmes privileges avoient esté transmis en luy & ses successeurs. Qui ne sont pas petites remarques, pour monstrer que le Pape ne se donne point sous faux titre ceste authorité sur les Roys. Toutesfois le Chevalier y respond si pertinemment, que je m' asseure que celuy qui lira ces presens discours, sans être preoccupé de passion, luy donnera gain de cause. Parce, dit-il, qu' il faut considerer en nostre Seigneur deux temps, celuy d' humilité avant sa mort & Passion, celuy de gloire lors qu' apres sa Resurrection, il fut monté aux Cieux. Que tous les passages que l' on allegue de David se rapportent au temps de sa gloire, mais quant à son estat d' humilité, il ne se voulut jamais donner aucune prerogative sur les biens, & encores moins sur les Princes & Seigneurs terriens. Et c' est pourquoy estans semonds par quelques particuliers de vouloir être arbitre de leurs partages, il respondit qu' il n' estoit venu en ce bas être à cest effect, & refusa de s' en mesler. D' ailleurs il dit qu' il failloit rendre à Cæsar ce qui appartenoit à Cæsar, & à Dieu ce qui appartenoit à Dieu. Et estant mesme devant Pilate, il recogneut franchement que son Royaume n' estoit de ce bas monde. Concluant ce Chevalier que quand nostre Seigneur fit sainct Pierre son grand Vicaire, ç' avoit esté pour le representer en l' estat de l' humilité, non en celuy de sa majesté & gloire. Comme aussi luy donna-il fermement les clefs des Cieux, non de la terre, pour nous enseigner qu' il luy donnoit seulement la charge du spirituel. A quoy je puis adjouster non mal à propos, que quand sainct Pierre, poussé d' un zele extraordinaire, frapa Malchus de son glaive pour secourir nostre Seigneur, il en fut blasmé par luy, comme n' establissant pas son regne sur les armes materielles. Chose mesme qui fut trouvee de si mauvaise grace, que trois des Evangelistes ne l' oserent nommer recitant ceste histoire pour le respect qu' ils luy portoient, & ne sçeussions qui estoit l' Apostre, si sainct Jean ne se fust donné la liberté de le dire, par une authorité tres-grande qu' il avoit entre les autres trois Evangelistes. J' adjousteray qu' il ne faut point plus asseuré commentaire de ceste saincte leçon que le tiltre que la posterité de sainct Pierre voulut choisir, quand les Papes en leur premiere & ordinaire qualité s' intitulerent Serfs des Serfs, pour nous monstrer qu' ils espousoient le tiltre d' humilité, auquel nostre Seigneur avoit surrogé sainct Pierre. Toutes lesquelles considerations nous enseignent que c' est à juste raison que nostre Eglise Gallicane a de toute ancienneté soustenu que la puissance temporelle de nos Roys ne despendoit en riens de l' authorité du S. Siege. Reste doncques le dernier poinct par lequel nous croyons aussi que le Concil general & universel est par dessus le Pape. Jamais la Faculté de Theologie de Paris n' eut un plus grand Theologien, que Maistre Jean Gerson, duquel nous avons un discours, dont le tiltre est, De Auferibilitate Papae ab Ecclesia, par lequel il nous enseigne, non qu' il faille supprimer le Pape de l' Eglise Catholique, mais bien qu' il estoit en la puissance du Concil general assemblé, de le faire demettre selon les occurrences d' affaires: & de fait, ainsi fut-il jugé & ordonné par le grand Concil de Constance.

Voila en somme les trois propositions par lesquelles nous avons fait bouclier contre les assauts de la Cour de Rome, lors que sans subject elle s' est voulu armer contre nous. De maniere qu' en telles induës entreprises, nous appellasmes des censures Apostoliques au Concil futur general: auquel combien que le Pape deust presider, si est-ce que la pluralité des voix le pouvoit, & devoit emporter. C' estoit encor un brin de nos premiers privileges: parce que nous ressouvenans de nos anciens Concils, nous pensasmes, qu' il y falloit avoir recours comme à un ancre de dernier respit. Et seroit impossible de dire combien ceste ressouvenance profita depuis à l' Eglise Chrestienne, Tesmoin le Concil de Constance par moy presentement touché, tesmoin le Concil de Basle. Et se comportans nos Roys en ceste façon, non seulement ne leur prejudicia l' excommunication de l' Eglise Romaine (car l' appel en suspendoit l' effect) & encores moins furent estimez heretiques, mais au contraire demourerent en reputation de tres-fideles & Catholics, & fils aisnez du S. Siege Apostolic; & comme tels furent, entre tous les Princes Chrestiens, appellez Roys tres-Chrestiens: leur apportant cela un autre grand bien: car ny les Prelats, ny la Noblesse, ny le demourant du peuple, ne se desbanderent d' eux, quelque respect & reverence qu' ils portassent au S. Siege. Je veux dire quand les sujects ne couvoient aucune ambition particuliere en leurs ames au prejudice de la Couronne, & qu' il n' y alloit que de la querelle de Rome encontre nous. En cas semblable les Princes estrangers, qui à la suitte de telles censures & interdictions d' un Royaume, aiguisent aisément leurs cousteaux contre le Prince excommunié, toutesfois ne s' oserent jamais mettre de la partie contre nous. Voire nous succederent les choses si à propos, que combien que les Papes se formalisassent en toute extremité contre les Empereurs, pour les investitures des Evesques, si ne nous oserent-ils jamais heurter pour nostre Regale, qui ne s' eslongne pas grandement des investitures. Je le vous verifieray par un exemple singulier. Boniface VIII. voulant ioüer mesme personnage contre Philippes le Bel, que Gregoire VII. avoit fait contre l' Empereur Henry IV. luy envoya l' Archidiacre de Narbonne, porteur d' unes bulles dont la teneur estoit telle. Bonifacius Episcopus Servus servorum Dei, Philippo Francorum Regi, Deum time & mandata eius observa. Scire te volumus quod in temporalibus & spiritualibus, nobis subes. Praebendarum, ad te collatio nulla spectat: Et si aliquarum vacantium custodiam habeas, earum fructum successoribus reserves, & si quas contulisti, collationem haberi irritam decrevimus, & quatenus processerit revocamus. Aliud credentes fatuos reputamus. Datum Lateranensi, quarto Nonas Decembris, Pontificatus nostri anno sexto. Ces bulles ayans esté presentees, l' Archidiacre cita à Rome tous les Archevesques, Evesques, & Docteurs en Theologie, au premier jour de Novembre ensuivant, pour respondre sur ce que dessus: Le Roy commanda au porteur de vuider promptement du Royaume, & neantmoins fit une responce à Boniface plus brusque que n' estoient ses bulles. Philippus Dei gratia, Francorum Rex, Bonifacio se gerenti pro summo Pontifice, salutem modicam, sive nullam. Sciat tua fatuitas, in temporalibus nos alicui non subesse, aliquarum Ecclesiarum & præbendarum vacantium collationem, ad nos iure regio pertinere, & percipere fructus earum, & contra omnes possessores utiliter nos tueri. Secus autem credentes fatuos reputamus. C' estoit trop hardiment r' envié sur les pretensions du Pape. En quoy certes je souhaiterois qu' avecq' plus de sobrieté & modestie, il eust defendu ses droicts. Non pas en faveur de Boniface, que je ne mets au nombre des bons Papes, ains pour l' honneur de la dignité Pontificale. Cecy appresta matiere de nouvelle guerre entre l' Eglise de Rome, & nous. Parce que Boniface commença de proceder à belles censures contre le Roy, absolvant tous ces sujets du serment de fidelité, & par mesme moyen mit en interdiction le Royaume: duquel il fit present à Albert Empereur d' Allemagne, qu' il couronna Roy de France. C' estoit assez pour estonner de primeface un Roy: mais luy sage & avisé, assembla toute son Eglise Gallicane, & par son avis appella de ces censures, au futur Concil general. Quoy voyant l' Empereur, & que ceste interdiction n' avoit desarroyé les membres d' avecq' le chef, se contint dedans ses limites. Dont Boniface indigné, pour n' avoir peu attaindre au dessus de ses entreprises, mourut de despit. Qui occasionna le peuple de dire qu' il estoit mort de rage, & ses ennemis, qu' il mourut enragé: Tournans en parole d' effect ce qui estoit de Metaphore. Duquel exemple vous pouvez recueillir les trois propositions de nostre France, par moy cy dessus discouruës, que nous avons de tout temps & ancienneté tenuës pour fermes & stables, sans nous separer en nostre Eglise Gallicane, de l' obeïssance & honneur que nous devons au sainct Siege.

Il n' est pas qu' un Bachelier en Theologie, ayant au College de Harcourt entre autres articles de ses propositions mis cestuy. Qu' il estoit en la puissance du Pape d' excommunier un Roy, & donner son Royaume en proye, & d' affranchir ses sujects du serment de fidelité qu' ils avoient en luy, quand d' ailleurs il se trouvoit favoriser les Heretiques. Ceste proposition avoit esté mise en avant pour être disputee par le pour & par le contre, sans en faire une resolution affirmative: toutesfois le Parlement estant adverty de ce qui s' estoit passé, ne peut passer par connivence, que les Escoliers fussent si osez, que de mettre la grandeur du Roy en dispute, & de fait par Arrest du quatriesme Decembre 1561. ceste proposition fut declaree seditieuse: Et d' autant que ce Bachelier n' avoit peu être pris au corps, pour s' estre sauvé de vitesse, il fut ordonné que le Bedeau de la Sorbonne, habillé d' une chappe rouge, en presence de l' un des Presidents de la Cour, & de quatre Conseillers, & des principaux de la Faculté de Theologie, declareroit que temerairement & follement ceste proposition avoit esté soustenuë: & parce que ceste question avoit esté mise sur le tablier, & soustenuë au College de Harcour, defenses furent faite d' y disputer publiquement de la Theologie, l' espace de quatre ans ensuivant. Verité est que depuis cinquante ans en ça, se vint planter au milieu de nous une nouvelle Secte portant le nom de Jesuites, laquelle a ses propositions du tout contraires aux nostres, à la ruine de nostre Estat. Et parce qu' en l' an 1564, l' Université de Paris me fist cest honneur de me choisir pour son Advocat, & que je plaiday en plain Parlement sa cause encontr' eux, j' ay reservé pour la closture de ce troisiesme livre, le plaidoyé que j' en fis lors, le voulant faire passer pour chapitre.

Au demourant pour fermer ce que je pense appartenir au present suject, encores veux je adjouster cecy. Tout ainsi comme aux jeux & comedies qu' on represente sur un theatre, chacun y entre pour son argent, & se donne Loy de juger des bien ou malseances des Comediens, ainsi en advient-il aux Republiques. Les grands, en maniant les affaires d' Estat, joüent tels roolles qu' il leur plaist. Les petis en sont spectateurs à leurs despens, & pour n' être employez aux grandes charges, il leur reste seulement loisir de juger des coups. Permettez-moy doncq' je vous prie, de dire ce qu' il me semble de tout ce fait: Les vrayes armes dont les Papes veulent user contre les Princes souverains sont les censures, à la suitte desquelles ils couchent de l' interdiction des Royaumes, dont ils laissent l' execution à ceux qui ont les armes en main, pour s' en impatroniser, sous leur adveu & authorité. He vrayement if faut que la maladie soit merveilleusement aiguë en laquelle on employe ceste medecine. Or puis qu' il la faut employer, nul n' a tant d' interest qu' elle face ses operations que le Pape: autrement il diminuë d' autant de reputation envers tous les peuples: Et n' y a riens qui la face tant operer dans nos ames que le respect que nous luy portons. C' est pourquoy si j' estois capable de conseillier en si haut subject, je dirois qu' il y a trois circomstances qu' il faut soigneusement garder en ceste affaire. Premierement que voz censures ne soyent trop communes & triviales. Secondement que ne fermiez point trop rigoureusement la porte aux Princes qui vous reblandissent avecques humbles soubmissions. Et finalement que dedans vos censures il n' y ait point d' ambition cachee, en faveur de quelque autre Prince, dont vous esperez commodité, ou craignez incommodité. Le premier poinct cause le mespris. Le second fait oublier le chemin de Rome. Tellement qu' en interdisant un Royaume, vous mettez sans y penser une ville en interdiction, qui n' est riche que des deniers qui proviennent des autres Provinces. Miserable est la vengeance, quand en vous vengeant d' un ennemy, vous vous vengez de vous mesmes. J' adjousteray, que ce pendant pour ne laisser fluctuer en incertitude les dignitez Ecclesiastiques d' un pays, & a fin qu' elles ne demeurent veufves & denuees de Pasteurs, la necessité fait trouver des voyes extraordinaires pour y pourveoir, lesquelles par un long usage se peuvent tourner en ordinaires, n' y ayant plus violent & certain tyran sur nos actions que l' accoustumance. Et ne considerez pas que fermant la voye de Rome, faites ouverture à une chose que tous les Politics souhaitent. Qui est de ne transporter point l' or & l' argent hors de leur Royaume, sous pretexte des provisions beneficiales. Le plus grand secret qu' il y a en cest affaire, est, que tout ainsi que Dieu, qui ne desire riens tant que d' être appellé le Pere commun de nous tous, & comme tel ouvre ses bras à ceux qui le reclament dignement, aussi le Pape estant son Vicaire, & portant pareil tiltre de Pere, doit pratiquer la parabole de l' enfant prodigue à l' endroit du Prince qui retourne par devers luy: & penser que les ceremonies que les Courtisans y desirent, font oublier la devotion. Bref, que comme l' enfant doit obeïssance à son Pere, aussi le Pere est obligé de n' irriter point son enfant. Car pour le regard du dernier poinct, qui concerne les factions secrettes que l' on couvre du masque de censures, je ne veux, ny ne puis croire qu' elles se logent dedans Rome. Parce que si elles s' y logeoient, ce seroit l' accomplissement de malheur, qu' un Prince fournist à son ambition detestable, sous le nom & aux despens de la Religion Catholique Apostolique de Rome. Cela pouvoit autresfois passer sans scandale, lors que les consciences estoient plus retenuës en l' obeïssance des Papes, mais maintenant c' est tout autre discours. Le siege de Rome est comme une grande bute contre laquelle plusieurs peuples descochent aujourd'huy leurs fleches. L' heresie de Martin Luther, & de Jean Calvin bastie sur quelques abus, les y convie comme à un festin: Et Dieu sçait si ceux-là avoient le moindre sentiment de ceste scandaleuse negotiation, *esguiseroient, & leurs esprits, & leurs plumes, pour declamer contre ces *censures. Je ne pense point certes qu' il y ait armes qu' il faille tant craindre dans Rome que la plume. C' est où je finiray ce chapitre. Et Dieu vueille que ces miens discours soient digerez par ceux qui tiennent le gouvernail du S. Siege, de mesme devotion, comme je les ay escrits. 

3. 10. De l' authorité que les Papes se donnerent depuis la venuë de Hugues Capet,

De l' authorité que les Papes se donnerent depuis la venuë de Hugues Capet, sur les Empereurs & Roys, interdiction des Royaumes, & autres discours de mesme subject. 

CHAPITRE X. 

L' authorité de S. Pierre, les martyres continuels & de suitte, que souffrirent noz premiers saincts Peres de Rome jusques à Silvestre, la Religion vraye & Catholique en laquelle leur posterité fut ferme contre les furieux assaux des heretiques, l' humanité dont ils avoient embrassé tous les Evesques à tort affligez, la ruine des Eglises Apostoliques du Levant, premierement par les heresies, en apres par les Mahometistes, les partialitez & divisions des Princes Chrestiens en la France, Allemagne, & Italie, l' ambition dereglee & ignorance de noz Prelats, la desbauche de nostre Eglise Gallicane procuree par noz Roys mesmes, l' humble soubmission du commun peuple: Toutes ces particularitez mises ensemble, furent de tel effect & vertu, que non seulement le Pape fut jugé avoir toute puissance sur les Evesques, mais aussi sur tous les Princes & Potentas de la Chrestienté. Et de fait, Dante & Occan, furent declarez heretiques, parce qu' ils avoient soustenu que l' Empire, pour le temporel ne dependoit de la Papauté. Nicolas premier, avoit dit qu' il falloit regarder ce qu' ils estoient, non ce qu' ils faisoient. Et l' opinion commune des peuples estoit, que soudain qu' un Prelat estoit monté à ce haut degré, toutes ses ordonnances estoient sainctes, bonnes, juridiques & non sujectes à contrerole. Jamais Prince ne fut plus mal traicté de l' Eglise Romaine que l' Empereur Henry IIII. (comme je deduiray cy apres) & paraventure sans grande raison, toutesfois un personnage d' honneur de son temps qui escrivit sa vie, sans se nommer, discourant comme Gregoire VII. l' avoit traité indignement. Quinetiam & hoc addidit (fait-il) absolvit omnes à iuramento qui fidem Regi iuraverant, ut contra eum impelleret absolutio, quos fidei tenebat obligatio. Quod factum multis displicuit, si tamen cui displicere licet quod Apostolicus fecit. 

C' est à dire. Il adjousta cecy à tout ce que dessus, remettant à tous les subjects de luy le serment de fidelité dont ils luy estoient obligez: a fin que ceste absolution les excitast contre celuy envers lequel l' obligation du serment les retenoit en obeissance. Chose qui despleut à plusieurs, si toutesfois il est loisible à aucun de trouver mauvais ce qui est fait par nostre Pere l' Apostole. Il ne sera doncques hors de propos (ce me semble) de vous discourir par le menu de quelle façon les Papes se voulurent authorizer en grandeur par dessus les Roys & Monarques, voire de conferer les Royaumes qui ne leurs appartenoient.

Ainsi que leurs prerogatives, authoritez & grandeurs s' establissoient dedans Rome en la maniere que j' ay discouru au 4. chapitre, combien que leur Estat semblast grandement s' augmenter, toutesfois les Empereurs ne se pouvoient bonnement laisser mettre la poudre aux yeux, ny passer par connivence plusieurs choses qu' ils estimoient despendre de leurs Majestez. Car encores que par la nouvelle police, qui avoit rendu souz Gregoire V. les Empereurs electifs, l' Empire eust esté faict d' hereditaire, viager, & que tout d' une suitte le Pape se fut afranchy de la puissance des Empereurs, je veux dire que l' on ne desirast plus leur consentement aux elections du Pape: ce nonobstant quelques Empereurs des Eleuz plus opiniastres s' en voulurent faire croire, & r' entrer dans leur ancien privilege, non seulement pour l' election du Pape, mais aussi pour la domination, & seigneurie de Rome. Toutesfois ils trouverent un ennemy fort, qui par les ruines des Princes s' estoit rendu trespuissant dedans l' Italie. Si ne demoura neantmoins cest article sans dissensions & disputes assez souvent reiterees. Parce que du temps de Clement II. Henry III. Empereur, apres avoir esté couronné, contraignit les Romains par serment de renoncer au droict d' election des Papes, & de ne s' en entremettre à l' advenir. Et de fait quelque temps apres, le Siege vacquant par le decez de Damase successeur de Clement, l' Empereur voulut y envoyer Leon IX. Allemant, auparavant nommé Brunon, pour tenir le Siege Romain: mais Hugues Abbé de Clugny, & Hildebrand, l' un de ses Religieux, allerent au devant, l' admonnestant de ne faire ce tort à l' Eglise. D' autant que ce n' estoit à l' Empereur d' elire les Papes, ains au Clergé & peuple Romain. A quoy Brunon acquiessa, & entra comme personne privee dans la ville. Entree si agreable au peuple, qu' en recognoissance de ce, par commun suffrage de tous il fut éleu Pape, & dés son advenement fit Hildebrand Cardinal souz le tiltre de sainct Paul. Cestuy sera par cy apres Gregoire VII. l' un des plus hardis propugnateurs du Siege de Rome, qui oncques fust auparavant luy. Car depuis à sa persuasion les Papes à face ouverte firent teste aux Empereurs, non seulement en ce qui concernoit la manutention de l' Eglise, mais aussi à l' avilissement de la Majesté de l' Empire. C' est luy, souz lequel Matilde parente de l' Empereur Henry donna au S. Siege, les villes de Luques, Ferrare, Parme, Rege & Mantouë, qui furent depuis appellees le Patrimoine de sainct Pierre.

Ce grand Gregoire au lieu que ses predecesseurs n' avoient fait que parer aux coups des Empereurs pour l' election du Papat, voulut se rendre assaillant: par ce que non seulement il ne fit doute que le Pape ne devoit être éleu les Empereurs: mais passant outre, soustint que ce n' estoit à eux d' investir les Evesques, & excommunia tous les Princes qui pretendoient ce droict d' investiture. Alors estoit Empereur Henry IIII. grand Prince, lequel regna 50. ans & combatit à enseignes desployees plusieurs fois. Il ne voulut pas permettre que sa posterité l' accusast que souz luy la Majesté de l' Empire eust receu une si grande playe. Il s' oppose à ceste interdiction, specialement pour celle des investitures. Le Pape contre ceste irreverence interpose son Decret Apostolic, par lequel il l' excommunie, & non content de ce, tout d' une suitte le prive de sa dignité Imperiale, absoult tous ses subjects du serment de fidelité qu' ils avoient en luy, & expose tous ses pays en proye, à la discretion de celuy qui les pourroit envahir. Il n' estoit plus icy question de commander dedans l' Italie, ce commandement s' estendoit plus loing, c' estoit donner un Empire qui ne luy avoit pas beaucoup cousté à gaigner. Toutesfois ces censures se trouverent de telle vertu, que non pas un estranger, ains son propre fils s' empara de l' estat sur son Pere. Piteux spectacle veritablement, mais par lequel vous pouvez recueillir combien lors estoit grande la puissance des Papes. Il y avoit assez de subject  pour contenter l' opinion de Gregoire, toutesfois non assouvy, il fait degrader ce pauvre Prince de ses ornemens Imperiaux par les Evesques de Majence, Colongne, & Wormes. Et depuis l' ayant reduit en une estroite prison, où il mourut, les Ligeois l' ayant fait inhumer en terre saincte, sont excommuniez par le Pape. Pour lever laquelle sentence d' interdiction, ils le deterrent, & fut son corps porté à Spire, & mis en un cercueil de pierre hors l' Eglise, comme estant mort excommunié. Ce fut un coup d' aprentissage, & de chef d' œuvre tout ensemble: qu' un Empereur, qui avoit Imperé cinquante ans, s' estoit trouvé en tant de batailles rangees, eust esté vaincu en une querelle qu' il pensoit tres-juste, par les fulminations d' un seul homme, lesquelles avoyent peu induire le fils à faire la guerre à son pere, & que ceste punition non seulemet n' eust pris fin par la mort, mais qu' ell' eust encore esté executee contre ses os & son tombeau. Les anciens Evesques à la verité avoyent bien usé de quelques censures contre les Princes terriens: parce que Fabian Pape ferma la porte de l' Eglise, à Philippes Empereur: comme fit S. Martin à Maxime autre Empereur, & S. Ambroise à Theodose, & S. Germain à Aribert Roy, jusques à ce qu' ils se fussent reconciliez, & fait confession publique des fautes par eux commises: mais nul d' eux ne pensa jamais toucher à l' Estat, comme aussi n' eussent-ils ozé l' entreprendre. Depuis cest exemple horrible de Gregoire, les Papes n' excommunierent presque jamais Prince, qu' ils ne missent aussi ses terres & seigneuries au ban de la Papauté, comme pretendans être seigneurs temporels & spirituels de toute la Chrestienté, & comme si les Empereurs, Rois & Monarques tinssent d' eux en foy & hommage leurs Couronnes. Et à vray dire, je desirerois depuis ce temps là, je ne sçay quoy de plus modeste en leur domination. Parce que nous ne voyons le plus du temps, que guerre, que sang, que violence, en l' Eglise, les Papes tantost victorieux, tantost vaincus, & se donner de tres-grands advantages sur les autres Princes, lesquels ils sçavoient combattre par leur glaive spirituel. Par le moyen duquel, captivans la conscience des subjects, ils despouillerent souvent les foibles Princes de leurs Royaumes & Principautez, pour en revestir les plus forts. En quoy ils eurent une leçon generale, c' est à sçavoir que s' ils avoient conceu quelque mal talent contre un Prince, ils se pourvoyoient premierement par censures Ecclesiastiques contre luy, puis s' il ne se reconcilioit avecq' luy, ils le faisoient declarer heretique: & apres abandonnoyent son Royaume à celuy qui le pourroit premier occuper. Qui n' estoient pas petits artifices pour parvenir à leurs desseings. Parce que combien que les subjects aiment naturellement leur Seigneur souverain, si est-ce que poulsez d' un plus hault zele, qui est la religion, il n' y a riens qui leur enseigne plus à le mespriser, voire abhorrer, que quand ils le voyent distraict du sein de l' Eglise, & mis au rang des heretiques. De sorte qu' il n' y avoit meilleur moyen de faire perdre au Prince le cœur de son peuple, & tout d' une suitte le destituer de ses forces, que par cestui-là: veu que la principale force de tout Roy gist en la devotion, & amour de ses subjects. D' un autre costé il estoit fort mal-aisé en telles affaires, qu' il ne se trouvast tousjours quelque autre puissant Seigneur, aux aguets, pour prendre ceste querelle en main. Estant l' ambition de ceste nature, qu' elle ne demande qu' un tiltre coloré avecq' la force, pour s' emparer des terres, & seigneuries d' autruy. Ainsi le Pape joignant la puissance spirituelle, & temporelle ensemblement, encontre la seule temporelle, n' avoit pas petit advantage encontre son ennemy.

Joinct que parmy ces remuemens extraordinaires se logea un nouveau conseil aux Papes de faire publier les Croisades, quand ils se trouvoient les plus foibles. La plus part des mauvais exemples preignent leur source, & origine de commencemens honnestes & specieux. Ces Croisades premierement avoient esté inventees, quand on se vouloit armer encontre les Infideles pour conquerir la terre Saincte. Car lors ceux qui s' acheminoient en ces voyages, comme si c' eussent esté pelerinages de devotion, non de guerre, apres s' être renduz confez entre les mains de leurs Pasteurs, chargeoient la Croix, & le bourdon, s' asseurans d' une vie eternelle, comme martyrs, s' ils mouroient en telles entreprises. Les Papes tournerent puis apres cecy à autre usage, pour executer leurs jugemens encontre leurs ennemis, qu' ils avoient declarez heretiques, donnans plusieurs indulgences, & pardons à ceux qui souz ces arrhes se ligueroient pour leur querelle.

Il seroit mal-aisé de dire combien souz ces propositions ils se rendirent redoutez, & combien de fois à autres ils reduisirent les Princes en piteux estat. Un Henry quatriesme, dont j' ay cy-dessus parlé, un Jean Roy d' Angleterre, un Raimond Comte de Tholose, un Guillaume fils de Roger Roy de Naples, un Mainfroy, un Louys de Baviere, les Galeaces enfans de Matthieu Duc de Milan, un Pierre d' Arragon, un Federic premier Empereur de ce nom, un Andalo Duc de Venise, en eussent peu porter tesmoignage.

Et encores que les Papes n' obtindrent pas sur tous eux ce qu' ils desiroient, si leur taillerent-ils de la besongne, qui rendit leurs Estats infiniement estonnez. Mais sur tout, miserable fut le spectacle des guerres qui advindrent en Italie, entre le Pape, & l' Empereur Federic second, sous le nom des Guelphes, & Gibellins. Ceux-là tenans le party du Pape, ceux-cy celuy de l' Empereur. Qui apporta telle confusion, & desordre dans l' Italie, qu' en fin tous les Ducs, Marquis, & Comtes que l' on y a veus, s' establirent de la calamité de ces guerres. Car ioüans les uns & autres (si ainsi le faut dire) aux barres, l' un entrant en une ville pour la laisser desolee à son ennemy, & cestuy pour l' abandonner à l' instant: finalement apres plusieurs changemens, les villes estans par divers sacs reduictes en toute extremité de disette, & ces longues guerres prenans assopissement plus par la ruine de l' Estat, que par faute de volonté, ceux qui sur la declinaison de la maladie se trouverent commis pour la deffence d' unes & autres places, se firent par un droict de bienseance accroire qu' ils en estoient les vrays seigneurs, & à tant prindrent tiltres, qui de Ducs, qui de Marquis, qui de Comtes, les uns soubs l' adveu de l' Empereur, les autres soubs celuy du Pape. A la charge de les tenir diversement d' eux, en foy & hommage.

Les choses pendant le temps de sept ou huict vingt ans, tomberent en tel desarroy dedans la ville de Rome, que Jean sire de Jon-ville nous apprend que S. Louys estant en Chipre, le Roy de Tartarie luy envoya Ambassadeurs, pour l' advertir qu' il avoit receu le S. Sacrement de Baptesme: Chose dont S. Louys tres-joyeux, donna advis au Pape Innocent, lequel depescha sur le champ plusieurs doctes Theologiens pour convertir le demourant des Tartares. Et comme tous les jours ils trompetassent que le Pape estoit Vicare de Dieu en terre, & que le Roy de Tartarie esmeu de ce grand & sainct tiltre, deliberast envoyer Ambassadeurs expres vers Innocent pour le saluer avecq' toutes humbles souzmissions, ces Theologiens rompirent ce voyage: Craignans (comme dit Join-ville) que si ces nouveaux Chrestiens venoient à Rome, apres avoir consideré les mœurs corrompus qui y regnoient, ils ne conseillassent à leur Roy de retourner à sa premiere Religion.

Toutesfois Dieu regardant d' un œil de pitié son Eglise, la voulut soulager par la devotion generale des inferieurs, pendant que le chef estoit ainsi travaillé d' une fievre continue. Par ce que depuis le Roy Philippe premier, soubs lequel fut entrepris ce premier voyage d' outremer, jusques au regne de sainct Louys (qui sont cent ou six vingt ans d' intervalle) se planta une pepiniere d' ordres en nostre Christianisme, les Templiers, les Hospitaliers, les Ordres de Cisteaux & Clugny, Grammont, Premonstré, Sainct Bernard, des Chartreux, & pour closture de tout cecy, les quatre ordres des Mendians. Qui fut cause, que bien que le chef se fust aucunement debandé, toutesfois les membres s' estans retenus en leur ancien devoir, lors qu' il sembloit que la Religion deust être plus affligee, ce fut lors qu' elle prospera grandement. Et c' est peut-être la cause, pour laquelle Jean Boccace (Giovanni Boccaccio) Florentin rencontrant aucunement sur le conte du Sire Join-ville, dedans son Decameron nous raconte qu' un Juif nommé Melchisedech voulant être baptisé, eut envie d' aller à Rome pour voir le Pape. Ce dont il fut dissuadé d' un sien amy Crestien, craignant que voyant les deportemens de ce lieu, il changeast de propos, toutesfois le Juif s' en faisant croire, alla jusques à Rome, où ayant descouvert plusieurs choses dignes d' être plustost teües, que dictes, ne laissa à son retour de se faire baptiser. Dont son amy infiniement estonné, le Juif luy dit que plus volontairement il se faisoit Chrestien, de tant qu' il avoit veu le chef de la Chrestienté grandement malade, & la Religion prosperer nonobstant ceste maladie. Conte qui estoit faict à plaisir, mais par celuy qui de son temps voyoit encores une bonne partie de toutes ces calamitez.

Quelques uns paradventure voudront mal menager ce que j' ay presentement discouru, & le tourner au desadvantage du siege de Rome, comme je voy plusieurs esprits y être trop licentieusement disposez, toutes fois je les prieray recevoir cest advertissement de ma part. J' ay tousjours estimé que combien que la vertu rende un Prelat grandement recommandable, si est-ce que le vice que abonde en uns, & autres, ne faict nul tort à leurs dignitez Ecclesiastiques. Estant l' homme naturellement assiegé de tant de passions dereglees, que quelque grand personnage qu' il soit, on ne le peut nommer parfaict, ains seulement pouvons dire cestuy être de plus grand merite, qui est le moins imparfaict. Et au surplus, je ne pense qu' en toute l' histoire des Papes y ait placart dont nous devions tant faire estat que de cestuy, non point au prejudice d' eux, ains au profit de nostre Eglise generale, & universelle, pour monstrer une juste vengeance que Dieu exerça contre la puissance terrienne, par la puissance Ecclesiastique. C' est pourquoy je vous supplie vouloir icy faire une pause, & remarquer la revolution & entresuitte des affaires. Les Papes du commencement souloient être confirmez par les Empereurs, & sans leurs consentemens expres ne s' osoient immiscer en leurs charges: Les Empereurs puis apres non seulement perdirent ce privilege, ains par autre rencontre d' affaires furent confirmez par les Papes. Les Empereurs trop imperieux avoient autrefois voulu cognoistre des choses jugees par l' Eglise, comme de fait Donat Heresiarche appella à l' Empereur de la sentence qui avoit esté donnee en un Concil contre luy: & les Papes renverserent depuis les jugemens donnez par les Empereurs, comme il advint de la sentence de Federic, contre Robert Roy de Naples. Les Empereurs par une insolence extraordinaire, avoient quelques fois bravé les Papes à tort, jusques à les bannir, ou fustiger, comme il en prit à Libere, & Vigile: & tout de ceste mesme façon y eut Pape qui petilla Federic Empereur premier de ce nom aux pieds. Brief les Empereurs s' estoient donnez loy de conferer les Archeveschez & Eveschez, ausquelles ils n' avoient aucun droict: & Dieu permit en contreschange que les Papes conferassent les principautez, & Royaumes, ausquels ils n' avoient nulle part. De maniere que nous pouvons par cela juger que si aux deportemens de ces grands Prelats y eut quelques violences brusques, ce fut par un jugement caché de Dieu & à vray dire une justice de Dieu exercee par l' injustice des hommes, pour enseigner au Magistrat seculier de se contenir modestement dans ses bornes, & n' entreprendre tyranniquement dessus l' Ecclesiastic: Comme aussi ces mesmes entreprises de l' Ecclesiastic sur la puissance seculiere ont nuit aux Papes, comme je deduiray en son lieu.

Mais pour reprendre ma premiere route, voila comment les Papes se firent grands. Toutesfois restoit encores à leur grandeur, un poinct: c' estoit que leurs constitutions, que nous appellons Decretales, estoient esparces çà & là. Tout ainsi que l' Empereur Justinian avoit fait ramasser dans un tome, que nous appellons le Code, toutes les loix & ordonnances de ses predecesseurs, per la diligence de Tribonian son grand Chancellier: aussi la Majesté de l' Empire estant sous le nom d' une saincteté reduite en la personne du Pape, Gregoire neufiesme, par le ministere & aide de frere Raimond son Chapellain, de l' ordre de sainct Dominique, fit compiler toutes les constitutions Pontificales de ses devanciers, en cinq livres, qui furent appellees Decretales. Auparavant Burcard, Yve de Chartres, & Gratian avoient amassé plusieurs anciens Canons, dont Gratian par succession de temps a emporté le dessus. Son œuvre est appellee le Decret, qui s' est trouvé fort agreable. Toutesfois je desireray tousjours que tout homme qui s' amusera à le lire, y apporte plus de jugement, qu' en la lecture des Decretales, pour avoir en divers endroicts rapiecé son œuvre de plusieurs eschantillons, que l' on tire de luy comme vrays, dont toutesfois tout homme qui aura â bonnes enseignes mis l' œil dans l' ancienneté, sera grand doute. Gregoire ordonna que ses decretales fussent receues par toute la Chrestienté, tant és escholles, qu' és sieges de Justice. Et à l' imitation de luy, Boniface huictiesme sous le nom de Sexte, Clement V. sous le nom des Clementines, Jean vingt deuxiesme sous celuy d' Extravagantes firent pareilles compilations: Chose qui ne fut de petite prudence. Car y ayans plusieurs Universitez de loix espanduës par toute l' Europe, esquelles estoient enseignees les loix Imperiales, pour servir de guidon à ceux, qui puis apres vouloient manier les affaires de la Republique: aussi voulurent les Papes que d' une mesme balance on y enseignast leurs Constitutions Canoniques, & Pontificales, & à cet effet adjousterent la faculté de Decret, tout ainsi que de droict Civil, laquelle ils favoriserent de telle façon, qu' uns Urbain V. & Innocent VI. Papes, Docteurs en Decret, furent pour leur doctrine en ceste faculté appellez à la Papauté. Et tout ainsi que les Papes precedent aujourd'huy les Empereurs, aussi la faculté de Decret precede celle du droict Civil, aux assemblees, & congregations generales. Pareillement ainsi que les Roys donnerent Conservateurs Royaux aux Universitez pour la protection des Escoliers, aussi donnerent à mesme fin les Papes, des Conservateurs Apostolics. Qui estoit en ce faisant bastir, je ne diray point autant de supposts, ains de supports pour le soustenement de leur siege.