miércoles, 5 de julio de 2023

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

CHAPITRE V.

Grande pitié, jamais personne ne secourut la France si à propos, & plus heureusement que cette Pucelle, & jamais memoire de femme ne fut plus deschiree que la sienne. Les Anglois l' estimerent, & sorciere & heretique, & sous cette proposition la firent brusler. Quelques uns des nostres se firent accroire que ce fut une feintise telle, que de Numa Pompilius dans Rome, quand il se vantoit communiquer en secret avecques Egerie la Nymphe, pour s' acquerir plus de creance envers le peuple, & telle est l' opinion du Seigneur de Langey au troisiesme livre de la discipline militaire chapitre 3. A quoy les autres adjoustent & disent que les Seigneurs de la France supposerent cette jeune garce, feignans qu' elle estoit envoyee de Dieu pour secourir le Royaume, mesme quand elle remarqua le Roy Charles à Chinon entre tous les autres, on luy avoit donné un certain signal pour le recognoistre. J' en ay veu de si impudens & eshontez, qui disoient que Baudricour Capitaine de Vaucouleur en avoit abusé, & que l' ayant trouvee d' entendement capable, il luy avoit fait joüer cette fourbe: Quant aux premiers je les excuse, ils avoient esté malmenez par elle, & nul ne sçait combien douce est la vengeance que celuy qui a receu l' injure. Quant aux seconds, bien qu' ils meritent quelque reprimande, si est-ce que je leur pardonne aucunement, parce que le malheur de nostre siecle aujourd'huy est tel, que pour acquerir reputation d' habille homme, il faut Machiavelizer. Mais par le regard des troisiesmes, non seulement, je ne leur pardonne, mais au contraire ils me semblent estre dignes d' une punition exemplaire, pour estre pires que l' Anglois, & faire le procés extraordinaire à la renommee de celle à qui toute la France a tant d' obligation. Ceux là luy osterent la vie, ceux-cy l' honneur, & l' ostent par un mesme moyen à la France, quand nous appuyons le restablissement de nostre Estat sur une fille deshonoree. 

De ma part je repute son histoire un vray miracle de Dieu. La pudicité que je voy l' avoir accompagnee jusques à sa mort, mesme au milieu des troupes, la juste querelle qu' elle prit, la proüesse qu' elle y apporta, les heureux succés de ses affaires, la sage simplicité que je recueille de ses responses aux interrogatoires qui luy furent faits par des juges du tout voüez à sa ruine, ses predictions qui depuis sortirent effect, la mort cruelle qu' elle choisit, dont elle se pouvoit garentir, s' il y eust eu de la feintise en son fait: Tout cela, dis-je me fait croire (joinct les voix du ciel qu' elle oyoit) que toute sa vie & histoire fut un vray mystere de Dieu: Aussi est ce la verité que son pere avoit songé que cette fille deuroit quelquesfois viure au milieu des soldats, comme je remarqueray en son lieu. J' ay veu autresfois la copie de son procez en la Librairie de sainct Victor, puis en celle du grand Roy François à Fontainebleau, & depuis ay eu en ma possession l' espace de quatre ans entiers le procés originaire, auquel tous les actes, lettres patentes du Roy Henry, advis de l' Université de Paris, interrogatoires faits à la Pucelle estoient tout au long copiez, & au bout de chaque fueillet y avoit escrit, Affirmo, ut supra, Bosquille, c' estoit le Greffier, & à la fin du registre estoient les seings, & seaux de l' Evesque de Beauvais, & de l' Inquisiteur de la Foy, ensemble celuy du Greffier. Qui fait que j' en puis parler plus hardiment. Je veux doncques icy raconter comme les choses se passerent, & vous discourant les principaux poincts de son procés, vous pourrez aussi recueillir par ses responses tout ce qui fut de sa maison & de son histoire particuliere.

Apres que le Duc de Bourgongne eut esté creé Lieutenant general de Paris, il mit le siege devant Compieigne, où il trouva à qui parler, car en fin il fut contraint de le lever, vray qu' en une sortie que firent le Capitaine Poton, & la Pucelle, le malheur voulut que l' un & l' autre y furent pris. Quant à Poton il courut la commune fortune des autres gens de guerre, d' en estre quitte pour sa rançon, où d' estre changé pour un autre, mais non cette pauvre Pucelle, la prise de laquelle fut si agreable aux Anglois, qu' ils en firent chanter un Te Deum dans l' Eglise nostre Dame de Paris, & quittans la forme ordinaire que l' on observe aux prisonniers de bonne guerre, luy voulurent faire son procés. Le bastard de Vendosme l' avoit prise, qui la monstra au Duc de Bourgogne lequel la bailla en garde à messire Jean de Luxembourg, auquel il avoit plus de fiance. Deslors elle commença d' avoir deux maistres. Les Anglois desiroient de l' avoir, a fin de la sacrifier au feu. Le Duc n' y donnoit pas grand obstacle, mais bien Luxembourg & le bastard, ne voulans estre defraudez de la rançon, les uns combattans pour la vie, les autres pour la bourse. Messire Pierre Cauchon Evesque de Beauvais, qui lors estoit en grand credit pres des Anglois, faisoit toute instance à ce qu' elle luy fust deliuree, comme heretique, qui avoit esté prise dans son Diocese. Le jeune Roy se met de la partie, pour le moins ceux de son conseil: En fin elle est mise en ses mains, moyennant cinq mille liures, qui furent baillees à Messire Jean de Luxembourg, & trois cens liures de rente au bastard de Vendosme. L' Université de Paris desiroit que cette cause fust renvoyee à Paris: Toutesfois le Roy par ses lettres patentes du 30. Janvier 1430, donne toute charge à l' Evesque de Beauvais, c' estoit celuy qui peu auparavant avoit esté envoyé expres en Angleterre pour l' amener en France. Le 9. ensuivant l' Evesque demande aux Doyen, Chanoines, & Chapitre de Roüen, territoire pour rendre la cause plus exemplaire, le siege Archiepiscopal estant lors vacquant. Ce qui luy fut tres-volontiers accordé. En cecy il est assisté de frere Jean Magistri, de l' Ordre des freres Prescheurs, Vicegerant de frere Jean Graverant Inquisiteur general de la foy: Messire Jean Estinet Evesque de Bayeux est faict Promoteur en cette cause. Or pour garder l' ordre judiciaire, la Pucelle est citee devant l' Evesque au 21. Fevrier, a fin de venir respondre aux faits proposez encontre elle par le Promoteur. Cette pauvre fille avoit tant de crainte de Dieu en son ame, qu' avant que de subir interrogatoire, elle demanda d' ouyr la Messe. Ce qui luy fut refusé, de tant qu' elle portoit l' habit d' homme, qu' elle ne vouloit delaisser. Je reciteray les principaux articles, sur lesquels elle fut interrogee, à la charge que s' il n' y a tant de grace, il y aura paraventure plus de creance pour ceux qui liront ce Chapitre. Les faits du Promoteur furent couchez en Latin, comme est l' ordinaire en Cour d' Eglise, & fut son interrogatoire fait à diverses journees, selon les instructions & memoires, qu' en donnoit le Promoteur, & à dire le vray, jamais une personne accusee ne fut tant chevalee par un juge pour estre surprise, & toutes-fois jamais personne ne respondit plus à propos que cette cy: Monstrant assez par cela qu' elle estoit assistee de Dieu, & de la verité, au milieu de ses ennemis. En la plus part des demandes qu' on luy faisoit s' il y avoit de l' obscurité, elle demandoit jour d' advis pour communiquer aux sainctes, avecques lesquelles elle parloit, comme en cas semblable, si les juges se trouvoient empeschez sur ses responses, ils en escrivoient à l' Université de Paris, a fin d' en avoir son opinion, laquelle s' assembloit tantost aux Bernardins, tantost aux Mathurins, & pour cette cause le procez est plain d' une infinité de ses advis, qu' il n' est besoin d' inserer icy. Je me contenteray seulement de vous representer l' ame de ce procez, au moins mal qu' il me sera possible.

Interrogee sur le premier article de dire verité, respondit que ses pere, & mere elle les diroit, mais des revelations, que non, & qu' elle les avoit dictes à son Roy Charles, & que dans huictaine elle sçavroit bien si elle les deuroit reveler. Interrogee de son nom, elle dist qu' en son pays on l' appelloit Jannette, & depuis qu' elle vint en France fut appellee Jeanne Darc, du village de Dompré: Que son pere s' appelloit Jacques Darc, & sa mere Isabelle: Que l' un de ses parrains estoit appellé Jean Lingue, l' autre Jean Berrey. De ses marraines, l' une Jeanne, l' autre Agnes, l' autre Sibille, & qu' elle en avoit eu encores quelques autres, comme elle avoit ouy dire à sa mere: Qu' elle estoit lors de l' aage de vingt & neuf ans ou environ, Lingere & Fillandiere de son mestier, & non bergere, alloit tous les ans à confesse, oyoit souvent une voix du Ciel, & que la part où elle l' oyoit y avoit une grande clarté, & estimoit que ce fust la voix d' un Ange. Que cette voix l' admonestoit maintesfois d' aller en France, & qu' elle feroit lever le siege d' Orleans, luy dist qu' elle allast à Robert de Baudricourt, Capitaine de Vaucouleur, lequel luy donneroit escorte pour la mener, ce qu' elle fit, & le cogneut par cette voix. Item dixit quod bene scit quòd Deus diligit ducem Aurelianensem, ac etiam quòd plures revelationes de ipso habuerat, quàm de alio homine vivente, excepto illo, quem dicit Regem suum. Qui est à dire, item elle dit qu' elle sçavoit bien que Dieu aimoit le Duc d' Orleans, & qu' elle avoit eu plus de revelations de luy, que de nul autre vivant, fors & excepté de celuy qu' elle appelle son Roy. Recognoist avoir fait donner une escarmouche à jour de feste devant Paris: Interrogee si c' estoit bien fait, elle dist, passez outre: Interrogee quand elle avoit ouy la voix, elle respond, hier trois fois, la premiere au matin, la seconde sur le vespre, & la troisiesme, quum pulsaretur pro Ave Maria de sero. On l' interroge si elle a veu des Fees, dit que non, qu' elle sçache: mais bien qu' une sienne marraine femme du Maire d' Aulbery se vantoit les avoir quelquesfois veuës vers l' arbre des Fees, joignant leur village de Dompré. Qui estoient ceux ou celles qui parloient à elle, dit que c' estoit saincte Catherine, & saincte Marguerite, lesquelles elle avoit veuës souvent, & touchees depuis qu' elle estoit en prison, & baisé la terre par où elles estoient passees, & que de toutes ses responses elle prenoit conseil d' elles: Qu' elle avoit pris la robbe d' homme par expres commandement de Dieu: Qu' elle fut blecee au col devant la ville d' Orleans: Item dicit quòd antequam sint septem anni, Anglici, dimittent maius vadium quàm fecerunt coram Aurelianis, & quòd totum perdent in Francia: Dicit etiam quòd praefati Anglici habebunt maiorem perditionem, quàm unquam habuerunt in Francia, & hoc erit per magnam victoriam, quam Deus mittet Gallis. Qui est à dire, Item elle dit que devant qu' il soit sept ans, les Anglois delairront un plus grand gage que celuy qu' ils firent devant Orleans, & qu' ils perdront tout ce qu' ils ont dans la France. Dit en outre qu' ils feront une perte plus grande en France qu' ils n' avoient fait auparavant: & que cela adviendra par une grande victoire que les François avront sur eux. Interrogee si elle portoit quelques armoiries, dist que non, ains seulement son estendart. Mais que le Roy en avoit donné à ses freres c' est à sçavoir un escu en champ d' azur, auquel il y avoit deux fleurs de Lys d' or, au milieu une couronne. Je diray cecy en passant, que le Roy d' Angleterre escrivant une lettre aux Prelats, concernant la presomption de cette Pucelle. Elle avoit esté (dit-il) si audacieuse de charger les fleurs de Lys en ses armes, qui est un escu à champ d' azur, avec des fleurs de Lys d' or, & une espee la pointe en haut feruë en une couronne. Au demeurant elle dit à l' Evesque que son pere un jour entre les autres songea qu' elle iroit avec des gensdarmes: Ce que craignant il la tenoit ordinairement de court, & disoit souvent à ses fils que s' il pensoit que cela deust avenir, il avroit beaucoup plus cher qu' on la noyast. On luy impute qu' estant prisonniere à Beaurevoir, elle avoit sauté du haut en bas de la tour pour se tuer, elle confesse le fait, mais que c' estoit en esperance de se sauver: Elle demande d' oüir la Messe, & puis de recevoir Dieu à la feste de Pasques, ce qu' on luy accorde, en reprenant l' habit de femme, mais elle n' y veut entendre. Sur le fait de l' adoration, dit que si quelques uns avoient baisé ses mains, ou sa robbe, ce n' avoit point esté de son consentement. Dit qu' à l' arbre des Fees, & à la fontaine pres de Dompré elle parla à sainctes Catherine, & Marguerite, mais non aux Fees: Et y commença de parler dés l' aage de treize ans. Que quelquesfois on luy avoit bien imputé d' avoir parlé aux Fees, mais qu' il n' en estoit rien, & ainsi l' avoit dit à un de ses freres. Qu' au 20. an de son âge elle alla à Neuf-chastel en Lorraine, où elle demeura chez une hostesse nommee la Rousse, & là menoit les bestes aux champs, mesmes les chevaux paistre, & abreuver: Et ainsi apprit de se tenir à cheval: Que pendant qu' elle estoit à Neuf-chastel, elle fut citee pardevant l' Official de Toul pour un mariage, mais qu' elle gaigna sa cause. Qu' apres y avoir servy cinq ans, elle retourna chez son pere, puis malgré luy s' en alla à Vaucouleur, où Robert de Baudricourt ne tint compte d' elle pour la premiere, ny seconde fois, mais à la troisiesme, il la receut & l' habilla en homme, puis luy bailla vingt Chevaliers, un Escuyer, & quatre varlets qui la menerent au Roy estant à Chinon. Sollicitee par ses Juges de reprendre l' habit de femme, elle respond qu' elle ne requeroit d' avoir de cet habit qu' une chemise apres sa mort. De rechef solicitee de laisser l' habit d' homme, & qu' en ce faisant on la recevroit au S. Sacrement de Communion. Noluit huic praecepto obsequi, in quo apparet peruicacia eius, & obduratio ad malum, & contemptus Sacramentorum. A la fin elle accorde de reprendre une robbe de femme pour ouyr la Messe, mais à la charge que l' ayant ouye elle reprendroit celle d' homme. Ad hoc fuit et dictum quod ipsa caperet habitum muliebrem simpliciter, & absolutè. Ad quod ipsa respondit, Tradatis mihi habitum ad modum unius filiae Burgensis, scilicet unam Houpelandam longam, & similiter Capitium muliebre, & ipsa accipiam pro audiendo missam. Dicebat se malle mori, quàm revocare id quod Dominus fecit sibi fieri, hoc est ut ferret habitum virilem. Dit qu' elle avoit promis au Roy lors qu' elle le salüa la premiere fois de faire lever le siege d' Orleans, de le faire sacrer Roy, & qu' elle le vengeroit de ses ennemis. Luy fut improperé que tousjours elle avoit empesché la paix avec l' Anglois. Ce qu' elle accorda, disant que la paix ne se pouvoit faire qu' ils ne vuidassent du tout de la France. Le Promoteur luy reproche qu' elle avoit faict cacher derriere l' Autel de saincte Catherine de Fierbois une espee qu' elle envoya querir depuis qu' elle eut parlé au Roy pour le tromper: Quod ipsa negat, scilicet se fecisse hoc dolosè: Bien confesse-elle qu' avant qu' aller à Chinon, elle avoit ouy trois Messes en ce lieu de saincte Catherine: Luy reproche d' avantage qu' elle se disoit avoir esté envoyee de Dieu pour faire la guerre. Chose du tout contrevenante à sa volonté pour n' avoir rien tant en horreur, que l' effusion de sang. Respond que par les lettres qu' elle avoit escrites au Roy d' Angleterre, & Princes de son sang, elle avoit premierement demandé la paix, & depuis faict la guerre. La teneur de la lettre est transcrite au procez: Qu' elle avoit faict mourir un Franquet, dict que c' estoit un volleur: que pour tel recogneu, il fut defaict par sentence du Bailly de Senlis: Qu' elle avoit plusieurs fois receu le Corpus Domini en habit d' homme, & aussi qu' elle avoit flechy le genoüil devant les dictes voix, ce qu' elle recogneut, & confessa. Le Promoteur. Item quod ipsa Ioanna in tantum suis adinventionibus Catholicos seduxit, quod multi in praesentia eius eam adoraverunt ut sanctam, & adhuc adorant in absentia, ordinando in reverentiam eius Missas & Collectas in Ecclesiis: imò dicunt eam maiorem esse omnibus sanctis Dei post beatam Virginem, elevant imagines, & repraesentationis eius in basilicis sanctorum, ac etiam in  plumbo, & alio metallo repraesentationes eius super se ferunt. A quoy elle respondit qu' elle s' en rapportoit à Dieu. Contra praceptum Dei  assumpsit dominationem supra viros, constituendo se caput exercitus. Elle dit que si elle avoit esté chef de guerre, c' avoit esté pour battre les Anglois: Dict en outre que son estendart estoit de toille, ou boucassin bordé de veloux, avecques un champ semé de fleurs de Lys, au milieu d' iceluy y avoit un Dieu figuré, tenant un monde costoyé de deux Anges revestus de blanc, & au dessous estoit escrit; Iesus Maria. Il n' y avoit en cette responce aucun mal, toutesfois les Juges tournans tout ce qui avoit esté par elle fait ou dit en venin, luy remonstrerent que Voluerat attribuere tales vanitates Deo, & Angelis, quod est contra reverentiam Dei & Sanctorum: Et si sa fiance estoit en son estendart: A quoy elle respondit sagement, que toute sa fiance estoit en celuy dont elle portoit l' image. Pourquoy elle tint seule cet estendart sur l' Autel, quand le Roy fut couronné, Illud fuerat (dit-elle) in poena, & ideo rationabile erat quod esset in honore. Qu' ayant esté blecee devant Paris, elle offrit depuis, & fit appendre dans l' Eglise sainct Denis son harnois par gloire, dit que par devotion elle l' offrit à S. Denis, comme font tous ceux qui sont blecez en guerre, aussi que S. Denis est le commun cry de la France, S. Denis Mont-joye. On luy demande si elle se vouloit rapporter au jugement de l' Eglise militante: Elle dit que ouy, pourveu qu' elle ne luy commandast rien impossible, Scilicet declarata per eam de visionibus, & revelationibus, quas dixit se fecisse ex parte Dei, quas nollet revocare pro quocunque, & si Ecclesia diceret istas visiones esse illusiones, nollet tunc se referre ad hominem, sed ad Deum.

Les articles tirez des confessions de la Pucelle estoient, qu' elle aagee de treize ans, disoit avoir veu sainct Michel, saincte Catherine, & saincte Marguerite, mesme une grande troupe d' Anges. Que ces sainctes luy conseillerent depuis d' aller trouver Charles VII. pour le secourir, & de changer l' habit d' homme, lequel elle avoit mieux aimé porter que d' oüyr la Messe, ou recevoir le precieux Corps de nostre Seigneur, & avoit refusé en cela de se soubmettre au jugement de l' Eglise militante, ains s' en estoit rapportee au seul Dieu. Item quod dicit quod ipsa est certa de quibusdam mere contingentibus, & occultis, & quod cognovit per voces, quas nunquam ante viderat. Ulterius dicit quod ex quo habeat de mandato Dei deferre habitum viri, oportebat eam accipere tunicam brevem, Caputium, Gipponem, brachas, & caligas cum aiguilletis, capillis suis super aurium summitates scißis in rotundum. D' avantage qu' elle s' estoit precipitee du haut en bas de certaine tour, aymant mieux mourir que de tomber és mains des ennemis: Et quod non tantum audivit, & vidit, sed etiam tetigit corporaliter & sensibiliter Catharinam, & Margaretam, & osculata erat terram, super quam gradiebantur.

En fin apres que le Promoteur eut pris telles conclusions qu' il luy pleut par sentence de l' Evesque, & du Vicegerent de l' Inquisiteur, il est dit que tout ce qui avoit esté fait par la Pucelle, n' estoit que factions, & tromperie, pour seduire le pauvre peuple, ou bien invention du Diable, & qu' en tout cecy elle avoit commis blaspheme contre l' honneur de Dieu, impieté contre ses pere, & mere, idolatrie contre l' honneur de nostre mere saincte Eglise. Autre blaspheme d' avoir mieux aimé ne recevoir le Corps de Dieu, & communier au S. Sacrement de l' Autel, que de quitter l' habillement d' homme. A ce jugement opinerent les Evesques de Constance, & Lizieux, le Chapitre de l' Eglise Cathedrale de Roüen, seize Docteurs, & six tant Licentiez, que Bacheliers en Theologie, & unze Advocats de Roüen. Cette sentence envoyee à l' Université de Paris, pour donner advis sur icelle, elle s' assembla au College de sainct Bernard, sous l' authorité de Maistre Pierre de Gonda Recteur, & apres avoir le tout veu, la Faculté de Theologie fut d' advis par l' organe de Maistre Jean de Troyes, celle de Decret par celuy de Maistre Guerraut Boissel leurs Doyens, que la Pucelle estoit vrayement heretique & schismatique, & sur cette resolution l' Université depescha deux lettres du quatorziesme jour de May, mil quatre cens trente & un. L' une au Roy Henry, l' autre à l' Evesque de Beauvais, a fin de la faire mourir: Toutes-fois cet advis ne fut suivy pour ce coup, mais ayant esté la Pucelle admonestee de se soubmettre au jugement de l' Eglise, elle fait responce qu' elle entendoit se soubmettre à toute raison, ainsi qu' elle avoit tousjours protesté par son procez: On l' exposa sur un escharfaut public, où apres avoir esté preschee, elle dit lors qu' elle se soubmettoit au jugement de Dieu, & de nostre sainct Pere le Pape. Puis voyant que l' on vouloit passer outre, elle protesta de tenir tout ce que l' Eglise ordonneroit, disant plusieurs fois que puis que tant de gens sages soustenoient que les apparitions n' estoient de Dieu, elle le vouloit aussi croire, & fit une abjuration publique inseree tout au long au procez. Sur quoy intervint autre sentence, par laquelle elle est absoulte du lien d' excommunication, & condamnee à perpetuelle prison, Ut cum pane doloris ibi commissa defleret. Et deslors elle reprit l' habit de femme, & l' envoya-l'on en une prison les fers aux pieds: Ce neantmoins furent mis ses habillemens d' homme pres d' elle, pour voir quels seroient ses deportemens. Elle ne fut pas si tost seule, & revenuë à son second penser, qu' elle fit penitence de son abjuration, & reprit ses premiers habits d' homme. Le lendemain au matin visitee, estant trouvee en son ancien appareil, & interrogee sur ce changement, elle respond l' avoir faict par le commandement expres des sainctes, & qu' elle aimoit mieux obeïr aux commandemens de Dieu, que des hommes. A ce mot on la declare heretique relapse, & tout d' une suitte elle est renvoyee au bras seculier, où elle fut condamnee d' estre bruslee toute vifve par sentence du trentiesme May 1431. depuis envoyee au Parlement de Paris, pour y estre enregistree. Les Normans non contens de l' avoir condamnee à mort, la voulurent mitrer lors qu' ils l' envoyerent au gibet, & estoient ces mots escrits sur la mitre, Heretique, Relapse, Apostate, Idolatre, & au devant d' elle un Tableau plain d' injures & contumelies, ne se pouvans assouvir de sa seule mort, ores qu' elle fust tres-cruelle.

L' Université de Paris voulant aussi joüer son rolle, fit une procession generale le jour de sainct Martin d' Esté à sainct Martin des Champs, où un frere Dominicain fit une declamation encontre cette pauvre fille, pour monstrer que tout ce qu' elle avoit faict c' estoient œuvres du Diable, non de Dieu.

Au milieu de tous ces fleaux toutes-fois, pendant qu' on luy faisoit son procez, vint à Paris une femme nommee Peronne, qui estoit du pays de Bretagne, laquelle soustint publiquement que la Pucelle avoit esté envoyee de Dieu, & que de ce elle avoit plusieurs revelations par l' Ange, qu' elle voyoit souvent habillé de robbe blanche: Et parce qu' elle ne voulut jamais desmordre cette creance, elle fut escharfaudee, & preschee le troisiesme de Septembre, mil quatre cens trente, & le jour mesme bruslee. C' estoit six ou sept mois auparavant la condamnation de la Pucelle. Depuis les affaires de la France estans devenuës plus calmes par l' extermination des Anglois, Maistre Robert Cibole Docteur en Theologie, Chancelier de l' Université, par Livre exprez escrivit en l' an mil quatre cens cinquante six, contre tous ceux qui l' avoient declaree heretique, j' en ay veu autres fois le Livre és mains du Feron, ce grand rechercheur d' armoiries.

Mais puis qu' un Theologien, & Chancelier de l' Université n' a douté d' accuser tous ces Messieurs là d' impieté, pourquoy ne suivray-je ses traces? S' il vous plaist recueillir ce que j' ay discouru cy-dessus, tout le motif de sa condamnation fut pour deux causes: L' une pour s' estre contre les commandemens de S. Paul habillee en homme, l' autre pour avoir adjousté foy aux voix, qui se presentoient à elle de nuict. Or pour le regard de ces voix, on ne peut dire que ce fust artifice, cela pouvoit estre dit, quand elle se presenta au Roy, a fin d' exciter les Capitaines, & soldats, à se plonger de meilleur cœur dans la querelle de leur Prince: Mais estant és mains de la Justice, se pouvant garantir de la mort, comme elle avoit fait en quittant les habillemens d' homme, & neantmoins le lendemain les ayant repris, qui luy estoit une asseurance de mort tres-cruelle, il ne faut point faire de doute, qu' elle r'entra sur ses alteres par l' advis qu' elle en eut la nuict, comme elle confessa à ses Juges. Quel jugement doncques pouvons nous en cecy faire d' elle, je dy pour en parler sans passion? Non autre certes, sinon qu' elle estimoit que toutes ces voix venoient de Dieu, qui luy avoit du commencement commandé de prendre l' habit d' homme pour sauver le Roy, & puis ne le laisser quelque crainte de mort que l' on luy mist devant les yeux: Et c' est pourquoy elle dist tant de fois, que combien qu' elle se soubmist au jugement de l' Eglise militante, toutes-fois elle vouloit embrasser premierement celuy de Dieu. Mais cette voix estoit-elle de Dieu, ou du Diable? Je sçay bien que le Diable se transforme assez souvent en l' Ange de Dieu pour nous piper. C' est ce que l' Evangile nous enseigne: puis qu' il joüe de fois à autre ce personnage, il faut doncques croire que Dieu envoye aussi quand il veut ses bons Anges sous telles images qu' il luy plaist, pour nous induire à bonnes choses. La Bible est toute pleine de tels exemples. Le mesme Dieu qui estoit lors, est celuy qui gouverne cet Univers, pourquoy douterons nous que sa puissance ne soit telle, & par consequent ses effects? En tout ce procez par moy discouru, vous ne remarquez autre chose qu' une ame toute Catholique, qui ne demande que confession, oüir la Messe, recevoir Dieu, moyennant que ce soit en l' habit qui luy est commandé par les voix: Parce qu' elle estime que ce soit un commandement expres, & particulier de Dieu qui luy est fait. Mais pourquoy prit-elle l' habit d' homme? Estoit-ce pour un meschant œuvre? Pour porter confort & aide à son Roy, contre l' indeuë usurpation des Anglois. Davantage voyez comme illuminee des rayons du sainct Esprit par ces voix, elle predit des choses qui advindrent: Car je vous laisse à part, qu' elle recogneut premierement Baudricourt, puis le Roy, que elle n' avoit jamais veu, cela pouvoit estre sujet à caution, & pourra quelque sage-mondain dire que c' estoit une partie joüee par l' entremise de quelques uns, qui luy avoient servy sous main de protecoles: Quant à moy, je veux croire que ce fut par inspiration de Dieu, puis qu' en tout ce que je diray cy-apres, je n' y voy nulle hypocrisie. Elle dit au Roy qu' elle estoit envoyee de Dieu pour degager Orleans du siege, puis pour faire Sacrer, & Couronner le Roy à Rheims, ne le fit-elle? Par les lettres que sur son advenement elle escrivit au Roy d' Angleterre, elle luy manda que s' il n' entendoit à la paix, il verroit le Roy Charles entrer en tout honneur dans Paris, & qu' ainsi luy avoit esté revelé, cela n' advint-il puis apres? Par une de ses responces elle dit à ses Juges que le Duc d' Orleans estoit bien aimé de Dieu, comment pouvoit-elle juger cela que par l' inspiration divine? Elle dit encores à ses Juges qu' avant le terme de sept ans, l' Anglois seroit exterminé de la France. S' il ne le fut de la France, ne le fut-il de Paris en l' an mil quatre cens trente six ville capitale de la France, par le moyen dequoy le Roy Charles gaigna quarante cinq dessus la partie? Mais sur tout me plaist quand cette guerriere pour braver ses Juges par une belle saillie, leur dit que le Duc d' Orleans qui estoit leur prisonnier il y avoit quinze ans passez, estoit le bien aymé de Dieu. Voyons si cette parolle fut menteuse. Il sortit de prison l' an mil quatre cens quarante, & à son retour espousa en la ville de sainct Aumer, Catherine de Cleues, niepce de Philippes Duc de Bourgongne, dont il eut un seul fils du nom de Louys. Auparavant sa prison il avoit eu un enfant naturel Jean Comte de Dunois, appellé communément par nos Historiographes, le Bastard d' Orleans, qui depuis és annees mil quatre cens cinquante & deux, reduisit sous la puissance du Roy Charles les pays de Normandie & Guyenne. Et quant au legitime ce fut nostre bon Roy Louys douziesme de ce nom, qui pour ses bons & doux deportemens fut apres son decez honoré du bel Eloge de Pere du Peuple, qu' un Claude de Seissel Evesque de Marseille ne douta par livre exprez de parangonner à tous les autres Roys de France. Un Prince pouvoit-il estre mieux aimé de Dieu, que de luy envoyer deux enfans, ausquels nostre France fut depuis tant redeuable? Et puis au bout de cela apres tant de bons actes, apres tant de predictions veritables, en une querelle si juste, apres tant d' heureux succez, nous dirons que c' estoient illusions du Diable? Certes il ne faut point avoir de pieté en la teste qui le soustiendra. Adjoustez, & cestuy est un traict d' Histoire fort memorable: si les anciennes Histoires sont vrayes on trouve unes Semiramis & Jeanne, qui sous habillemens d' hommes exercerent, celle là une Royauté, cette-cy la Papauté: Toutesfois avant que la partie fust parachevee, elles nous servirent d' un plat de leur mestier: Parce que chacune fit un enfant, chose qui leva leur masque. Mais nostre Jeanne, encores que l' Anglois recherchast tous moyens de la calomnier, si ne luy impropera-il impudicité par tout le discours de son procez, jaçoit qu' elle eust vescu au milieu de plusieurs grandes armees, où telle desbauche est plus que souvent en usage. Et c' est pourquoy la posterité non sans grande raison luy donna le tiltre de Pucelle, qui luy est demeuré jusques à huy. Ce neantmoins il y a aujourd'huy quelques plumes si eshontees qui ne doutent de la pleuvir pour garce de Baudricourt. Au demeurant je ne veux oublier que sa memoire fut de si grande recommandation entre nous apres sa mort, qu' en l' an 1440. le commun peuple se fit accroire que la Pucelle vivoit encores, & qu' elle estoit eschappee des mains des Anglois, qui en avoient fait brusler une autre en son lieu: Et pource qu' il en fut trouvee une en la gendarmerie en habillement desguisé, le Parlement fut contraint la faire venir, la representer sur la pierre de Marbre du Palais, au peuple, pour monstrer que c' estoit une imposture.

Je serois ingrat envers la memoire du Roy Charles premierement, puis de cette miraculeuse guerriere, si pour closture de ce Chapitre, je n' y enchassois cet Eloge, qui me semble d' une singuliere recommandation. Elle avoit trois freres, Jaquemin, Jean, & Pierre dit Pierrelot, dont les deux derniers s' embarquerent à pareille fortune que leur sœur, faisans profession des armes. Le Roy en consideration des grands & signalez services qu' il avoit receuz de la Pucelle, tant à la levee du siege d' Orleans, que son Sacre, dont elle avoit esté la principale porte-banniere, l' annoblit, ensemble ses pere, mere, freres, & leur posterité, tant masculine que feminine, par ses Patentes en forme de Chartre, donnees à Mehun sur Yeure, au mois de Decembre mil quatre cens vingt-neuf, verifiees le seiziesme de Janvier ensuivant, en la Chambre des Comptes de Paris, lors transferee à Bourges. La teneur des lettres est telle. Considerantes laudabilia grataque servitia nobis ac regno nostro iam per dictam Ioannam puellam multimode impensa, & quae in futurum impendi speramus, certisque alijs causis ad hoc animum nostrum inducentibus, praefatam puellam, Iacobum Darc patrem, lsabellam eius uxorem, matrem, Iacqueminum, Ioannem & Petrum Perrelo, fratres ipsius puellae, & totam suam parentelam, & lignagium, & ion favorem & pro contemplatione eiusdem & eorum, posteritatem masculinam, & foemineam in legitimo matrimonio natam & nascituram nobilitavimus, & peu apres. Concedentes eisdem & eorum posteritati, tam masculinae, quam femineae, in legitimo matrimonio procreatae, & procreandae, ut ipsi feoda & retrofeoda, & res nobiles à nobilibus, & alijs quibuscumque personis acquirere, & tam acquisitas, quàm acquirendas retinere ac possidere perpetuo valeant. Privilege admirable, & non jamais octroyé à autre famille. Bien trouvons nous un Eude le Maire natif du village de Challo sainct Mas pres d' Estampes, & ses successeurs tant en ligne feminine que masculine avoir esté dispensez de toutes daces: mais non pour cela reputez Nobles, ny joüy du Privilege de Noblesse. 

Jamais service fait à la France ne vint au parangon de celuy de la Pucelle. Aussi jamais lettres d' annoblissement ne furent de tel poids & mesure que celles-cy. Annoblissement tellement embrassé, que comme ainsi soit qu' en la Normandie, il y ait quelques hommes issus des filles de cette lignee, ils joüissent de ce privilege. Et ainsi voy-je, uns Robert Fournier, Lucas de Chemin, oncle & nepueu, apres ample cognoissance de cause, & examen de leur genealogie, avoir fait enregistrer ces lettres d' annoblissement pour eux & les leur en la Cour des Aydes de Normandie, le 13. Decembre 1608. depuis que le Privilege d' Eude le Maire a esté supprimé.

Or pour plus signalee remarque de cette gratification, le Roy Charles voulut que les freres de la Pucelle portassent en leurs armoiries un escu en champ d' azur, auquel y avroit deux fleurs de Lys d' or, & au milieu une Couronne: & en outre, qu' au lieu du surnom Darc qu' ils avoient apporté du ventre de leur mere, ils fussent de là en avant surnommez du Lys. Comme si la Couronne de France, & le Lys eussent par les paradoxes exploicts & chef d' œuvres de la Pucelle repris leur ancienne force, dignité & vertu. Chose que je descouvre par un extraict tres-notable dont je vous veux faire part. Dés l' an mil quatre cens vingt cinq, on avoit baillé à six liures de rente fonciere par chacun an, le marc d' argent revenant à sept liures, une Isle assise sur la riviere de Loire, contenant deux cens arpens, vulgairement appellee l' Isle aux Boeufs, dont les Receveurs du Domaine d' Orleans, faisoient estat par leurs comptes: Advient que les detempteurs s' en departent le vingt & sixiesme Juillet, mil quatre cens quarante trois, & la remettent és mains de Charles Duc d' Orleans pere de Louys, qui fut depuis Roy de France douziesme du nom, lequel deux jours apres en fit don à Pierre frere de la Pucelle, verifié le vingtneufiesme par Maistre Jean le Fuzelier General de ses finances, pour en joüïr par luy & Jean son fils leurs vies durant, en consideration dequoy cette partie depuis mise en recepte fut couchee à neant, tant & si longuement qu' ils vesquirent. Comme de faict vous trouvez tout cela amplement narré par le compte de l' an mil quatre cens quarante quatre, rendu en la Chambre des Comptes, par Maistre Robin Gaffard, portant entr'autres choses l' article de recepte ces mots qui servent à mon intention. Laquelle Isle mon dict Seigneur le Duc a donné à Messire Pierre du Lys Chevalier; Oüye la supplication du dit Messire Pierre, contenant que pour acquiter la loyauté envers le Roy nostre dit Seigneur, & Monsieur le Duc d' Orleans, il se partit de son pays pour  venir au service du Roy nostre dit Seigneur, & de Monsieur le Duc en la compagnie de Jeanne la Pucelle sa sœur, avec laquelle jusques à son absentement, & depuis jusques à present il a exposé son corps & ses biens ou dit service, & au fait des guerres du Roy, tant à la resistance des anciens ennemis du Royaume, qui tindrent le siege devant la ville d' Orleans, comme à plusieurs voyages faicts & entrepris par le Roy nostre dit Seigneur, & ses chefs de guerre, & autrement en plusieurs & divers lieux. Je vous laisse le demeurant de l' article, auquel est pareillement fait mention de Jean du Lys fils de Pierre: Me contentant qu' on voye que ce Pierre surnommé du Lys estoit frere de la Pucelle. Surnom que je voy luy avoir esté baillé, & à son fils en tous les comptes subsequens faisans mention d' eux.

Je ne me puis faire accroire que cestuy ayant affaire à un grand Prince du Sang eust osé changer son surnom Darc en celuy du Lys: sans que luy & ses freres eussent permission expresse de ce faire, par le benefice du Roy. Mais sortout me plaist qu' on trouve par quelques anciens tiltres que plusieurs des leur qui les survesquirent, apres avoir mis le surnom du Lys, adjoustoient tout suivamment ces mots Dits la Pucelle, pour monstrer qu' ils estoient de sa lignee. Au demeurant comme par succession de temps cette famille fut casuellement espanduë en diverses branches par la France, tant en lignee masculine que feminine: Aussi Maistre Charles du Lys, Conseiller du Roy, & son Advocat general en la Cour des Aydes de Paris, a pardevers soy plusieurs enseignemens, par lesquels il se treuve & preuve en estre un des rejettons.

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

lunes, 3 de julio de 2023

6. 4. Du restablissement de l' Estat sous Charles septiesme, & comme en cecy il y eut du miracle tres-expres de Dieu.

Du restablissement de l' Estat sous Charles septiesme, & comme en cecy il y eut du miracle tres-expres de Dieu.

CHAPITRE IV.

Il est meshuy temps que je reprenne mon haleine de la longue carriere que je me suis donnee par le chapitre precedant; chapitre, dis-je, plus long que n' estoit ny mon premier project, ny la portee de ce livre, mais depuis poussé d' une juste douleur je l' ay fait de propos deliberé, comme estant une vraye image des mal-heurs qui voguent aujourd'huy par la France. Tout ainsi qu' apres avoir esté agitez d' une grande maladie, il est requis un long temps avant que de recouvrer plaine guarison, aussi pour restablir un Estat desolé, comme estoit le nostre, il n' y falloit pas peu de temps apres, & convint le regaigner par les mesmes outils qu' il avoit esté perdu, je veux dire par les armes, le tout se tournant tousjours à la charge & affoiblissement du peuple, remede toutesfois tres-necessaire, tout ainsi que la medecine, qui tourmente nos corps pour les guerir: En quoy je veux recognoistre qu' il y eut du miracle de Dieu tres-expres: Car si nous considerons Charles septiesme, sous le regne duquel advint ce grand restablissement, quelque chose que l' on se persuade de luy, ce n' estoit un subjet capable pour cet effect. Premierement il estoit au milieu de ses afflictions du tout addonné à ses voluptez, faisoit l' amour à une belle Agnes, oubliant par le moyen d' elle toutes les choses necessaires à son Estat: & dit-on que ce brave Capitaine la Hire venant un jour botté, crotté, battu de pluye, & du vent, le salver pour luy conter quelques exploits de guerre par luy faits, il le trouva au milieu des Dames menant sa maistresse à la danse (je me mocque certes de moy, quand j' appelle une simple Damoisselle, maistresse d' un Roy) lequel demandant à la Hire ce qu' il luy sembloit de cette belle compagnie, il luy respondit d' une parole brusque & hardie, que jamais ne s' estoit trouvé Roy qui perdist si joyeusement son Estat, comme luy: Outre cette particularité vicieuse, il avoit, si je ne m' abuse, une foiblesse de sens non vrayement telle que son pere, mais ayant esté paistry d' une paste d' homme foible d' entendement, il en portoit quelque quartier en son esprit: Pour le moins trouvé-je que de deux ans en deux ans il avoit nouveaux gouverneurs, qui tenoient les premiers rangs pres de luy, voire que les extremitez qu' il y apportoit, causerent de fois à autres des jalousies particulieres en ses Princes, qui cuiderent renverser ce qui luy restoit du Royaume. Les deux principaux ministres de ses actions, & peut-estre de sa ruine furent Tanneguy du Chastel, & Louvet President de Provence, car ils furent cause de la mort du Duc Jean. Ceux-cy le possederent longuement par dessus les autres, mesmes Tanneguy du Chastel, avec une arrogance infinie, lequel abusant de la facilité de son maistre, tua en sa presence, & en son conseil le Comte Dauphin d' Auvergne, l' an 1424. dont les Princes & Seigneurs courroucez, la Royne de Sicile belle mere du Roy, le Connestable de Richemont & autres Seigneurs de marque l' abandonnerent. Qui fut cause que Tanneguy fut contraint de quitter la place, demeurant Louvet seul en son lieu: Mais luy se voyant assiegé de mesme haine, & ne pouvant resister aux grands Seigneurs se retira en Avignon, & onc puis ny l' un ny l' autre ne furent veus. Ce dernier estoit beau-pere du bastard d' Orleans: ainsi se racointerent en Cour la Royne, & le Connestable, accordans que le sire du Grat demeurast gouverneur du Roy, au lieu du President: mais le Grat desplaisant aux grands fut traitté plus rudement que les deux autres, parce qu' il fut pris & noyé par le Connestable: & depuis le seigneur de la Trimoüille espousa & sa veufve, & la bonne grace du Roy. Quelque peu apres il entre en disgrace, & est pris en sa chambre par le sieur de Bueil son nepueu, qui luy fit payer six mille escus de rançon: Et entra au gouvernement en son lieu Messire Charles d' Anjou frere puisné du Roy René de Sicile, Comte de Provence: Bref, tant de changemens de gouverneurs me font juger la foiblesse de son jugement. Au demeurant pendant le debat qui advint contre Tanneguy, & Louvet, fut prise la ville du Mans par les Anglois. Le registre de Parlement du huictiesme Aoust mil quatre cens vingt quatre porte:

La ville du Mans renduë aux Anglois, lesquels estoient du tout ou peu s' en falloit au dessus des François, lors fort diminuez de puissance, & quasi tous deffaits, & mis en desconfiture. De jalousie que l' on conceut contre le sieur de la Trimoüille, les Comtes de Clermont & de la Marche, prennent la ville de Bourges d' emblee, & comme ils avoient mis le siege devant la grosse Tour, estant secouruë par le Roy & le seigneur de la Trimoüille, les autres furent contrains de sonner la retraitte en leurs maisons. Jeux qui se joüoient entre les sujects du Roy contre luy à la veuë des Anglois, & peut-on de cela recueillir quel advantage on leur donnoit. Ce neantmoins Dieu nous regardant d' un œil de pitié, luy envoya des Capitaines guerriers, qui prindrent sa querelle en main lors que peut-estre moins il y pensoit: Entre autres Jean bastard d' Orleans, & Poton de Xaintraille (quelques uns l' appellent de Saincte Treille) & Jean de Vignoles dit la Hire, tous deux extraicts de bas lieu, celuy-là du pays de Xaintonge, cestuy de Champagne, qui du commencement se firent Capitaines d' eux mesmes, & sans auctorité du Roy, & depuis acquirent tant de reputation contre les Anglois, qu' ils les redoutoient par dessus les autres, & non (contant) content de cela, Dieu voulut encores y apporter une particularité plus grande: car il y envoya la Pucelle Jeanne, par le ministere & entremise de laquelle nous reconquismes la plus grande partie des villes qui avoient esté soustraictes par l' Anglois, à laquelle j' entends bailler son Eloge particulier au chap. suivant.

Mais quant à present je diray qu' apres la mort du Duc Jean, jamais Prince ne se trouva plus affligé que Charles lors Dauphin de France, d' autant qu' il fut exheredé par Charles VI. son pere par le contract de mariage de Henry Roy d' Angleterre, & Catherine de France, lesquels furent instituez heritiers du Roy, & accordé que Henry s' intituleroit cependant Regent en France, & heritier de la couronne, que nulle paix ne seroit faicte avecques Charles de Valois, sinon par assemblee de trois Estats, & du consentement des deux Roys, & du Duc de Bourgongne, qui estoit reduire les choses à une impossibilité: Car d' assembler les Estats legitimement au milieu des armees, à peine qu' on le vit jamais, & au surplus l' esperance d' un grand Royaume qui estoit desja presque arrivé à son accomplissement d' un costé, & la vengeance que l' autre Prince couvoit dedans sa poitrine pour la mort de son pere, estoient telles, que c' estoit mettre les affaires hors de toute opinion de paix. Ces conventions ainsi passees, & le mariage solemnizé en face de saincte Eglise, il falloit interposer l' authorité du Parlement devant que le Roy d' Angleterre partist pour s' en aller en son pays. Les deux Roys viennent au Parlement, où maistre Nicolas Roulin Advocat de la doüairiere de Bourgongne instituë une accusation à huis ouvert contre Charles de Valois, & apres luy maistre Pierre de Marigny Advocat du Roy, conclud à ce qu' il fust proclamé à trois briefs jours à la Table de Marbre du Palais, pour l' homicide par luy commis en la personne du Duc Jean. Ce qui est faict à son de trompe & cry public, & apres tout l' ordre judiciaire à ce requis, & observé, il est par arrest declaré indigne de succeder à la couronne. Arrest dont il appella devant la face de Dieu, & fit vœu de relever à la pointe de son espee, mais certes ce ne fut pas sans une infinité de travaux de luy, & de tous les siens. Or apres que le Roy d' Angleterre fut sorty de Paris, cette tragedie se joüant de telle façon pres du Roy, le cœur ne faillit au Dauphin, par ce qu' il fit Tanneguy du Chastel Gouverneur des villes qui luy obeïssoient en Brie & Champagne, & le Comte de Fouës, de celles de Languedoc, lequel en chassa le Prince d' Orenge qui en avoit occupé plusieurs. Tellement que le Dauphin possedoit le Languedoc, la Guyenne, le Dauphiné, Touraine, le Maine, Anjou, Poictou, Berry, la haulte & basse Marche, Angoulmois, Perigort, Limosin, l' Auvergne, & prenant tiltre & qualité de Regent, il establit du commencement son principal siege dans Tours, mais depuis il le divisa en deux, transferant son Parlement en la ville de Poictiers, & sa Chambre des Comptes dans Bourges. L' Anglois possedoit presque le demeurant de la France, car mesmement apres le partement du Dauphin, il reduisit sous sa puissance les villes de Sens, Melun, Meaux, Montereau & Moret, sans grand destourbier, jamais ne fut un plus grand chaos par la France. L' Anglois, le Bourguignon, & une partie des François symbolisoient à la ruine du Dauphin: luy d' un autre costé subsistoit aidé de la vraye Noblesse Françoise & de l' eslite de celle d' Escosse, qui commença lors d' apprendre le chemin de la France si heureusement, qu' en commemoration & recognoissance de ses bons & agreables services, est demeuree pres de nos Rois une garde Escossoise: Plusieurs & diverses rencontres: tantost du bon, tantost du mauvais. La veille de Pasques l' an mil quatre cens vingt & un, en une rencontre pres de Baugé furent tuez par les nostres le Comte de Clarence frere du Roy d' Angleterre, le Comte de Cam, les sieurs de Grey & de Ros, & plusieurs autres, jusques au nombre de quinze cens hommes, & fut lors le Comte de Bouquam Escossois pour ses braves exploicts fait Connestable de France: au contraire quelque temps apres ce Comte de Bouquam est pris & mis en route pres la ville de Creuam.

Mais pour n' enjamber sur l' ordre du temps, faut noter que Henry cinquiesme deceda le 29. Aoust 1422. delaissé Henry sixiesme son fils aagé seulement de seize mois, & ordonna Regent en France le Duc de Bethfort son frere: En Angleterre le Duc de Glocestre son autre frere, & au Duc de Waruith aussi son frere donna le gouvernement de la personne de Charles VI. lequel Duc ne le survesquit pas longuement, car il mourut le 21. d' Octobre ensuivant. Dés lors furent les deux Princes intitulez Rois de France, & au milieu de cette division ce n' estoient que feux, volleries, pilleries, carnage: Bref jamais au Royaume ne fut veu un plus piteux desarroy que cestuy: mais specialement toutes choses arrivoient à poinct nommé au Duc de Bethfort, qui premierement prit Compieigne, puis Crotoy, desconfit Poton de Xaintrailles pres Guyse, & le prit, d' une mesme furie obtint une grande victoire devant Vernueil au Perche, où il fit passer au fil de l' espee quatre ou cinq mil François, Bretons, Gascons, Dauphinois, Escossois, le Vicomte de Narbonne, le Comte d' Aumale, & les Ducs d' Alençon, & le Mareschal de la Fayette pris. Le bon-heur de l' Anglois commaença de s' arrester en l' an 426. au siege de Montargis, dont il ne peut venir à fin, ny pour cela ses affaires n' en empirerent de beaucoup, par ce que le Comte de Salbery luy ayant amené nouvelles forces d' Angleterre, il prit Jargeau & Join-ville. De là mit le siege devant Orleans, où encores quelques François voulans aller secourir la ville, furent defaicts pres de Rouvray. A maniere que le Roy Charles septiesme estoit presque reduit au desespoir de toutes choses, estant mesmement assiegé par les divisions de sa Cour (or voyez comme Dieu inesperément le regarda d' un œil de pitié) voicy Jeanne la Pucelle qui se presente à luy dans Chinon habillee en homme, laquelle choisit le Roy au milieu de tous les autres, ores qu' il se fust desguisé, & apres l' avoir salüé, luy declara qu' elle estoit envoyee de Dieu, pour remettre sus ses affaires. Au commencement chacun s' en mocquoit, pensant que ce fust une folle, & nul ne vouloit adjouster foy à ses promesses. Toutesfois par importunitez on luy baille gens & armes: Cela estoit en l' an mil quatre cens vingt huict, au mesme temps que l' Anglois tenoit estroittement assiegee la ville d' Orleans. Dés lors la Pucelle escrivit unes lettres de bravade aux Duc de Bethfort, Comte du Suffort, Talbot & autres, les exhortant de vuider la France, leur promettant que là où ils ne la voudroient croire d' amitié, elle les feroit sortir par force. Je suis icy envoyee (portoit une parcelle de la lettre) par Dieu le Roy du ciel, pour vous mettre hors de toute la France, & si voulez obeïr, je vous prendray à mercy. Et n' ayez point en vostre opinion que vous tiendrez le Royaume de France, ains le tiendra le Roy Charles vray heritier. Car Dieu le Roy du ciel, fils de saincte Marie le veut. Les Anglois n' en ayans fait compte, elle s' achemine avecques l' Ost du Roy à Orleans. Ce fut dés lors tout nouveau visage d' affaires, par ce que dés son arrivee elle renuitaille la ville, prend plusieurs forts qui la bloquoient. Là mourut le Comte de Salbery, sur lequel reposoit lors la premiere esperance des Anglois: & le Comte de Suffort, ayant pris sa place, fut quelque peu apres pris des nostres. Ce ne fut plus qu' un torrent de victoires. Par ce que l' ennemy ayant levé le siege d' Orleans, nous reprismes, si ainsi voulez que je le die, en moins d' un clin d' œil, Jargeau, Join-ville, Baugency, defismes en bataille rangee l' Anglois, où furent tuez quatre mille des leurs & plus, & signamment Talbo (Talbot), Reveston, & l' Estably leurs principaux Capitaines pris. Et d' une mesme route furent reduites sous l' obeïssance du Roy, les villes de Gien, Auxerre, Troyes, S. Florentin, Chaalons, Rheims, où le Roy fut sacré & couronné le vingt neufiesme Juillet ensuivant, & ce grand flot de bonne fortune guidé par la Pucelle, comme par la main de Dieu. Les villes lors que le Roy passoit, luy venoient apporter les clefs. Ainsi se rendirent à luy Compieigne, Creil, Beauvois, Soissons, Chasteau-Tierry, Provins, Crespy en Valois, Aumale, le Pont sainct Maixance, Choisy, Gournay sur Aronde, Senlis. Et dit Enguerrant de Monstrelet, que s' il fust lors allé vers sainct Quentin, Corbie, Amiens, Abbeville, la plus part des habitans estoient disposez de se rendre. Au sortir de Senlis il vint loger à sainct Denis, où la Pucelle luy conseilla d' assaillir la ville de Paris chaudement, se promettant qu' il l' emporteroit. Il liure l' assaut. A bien assailly, mieux deffendu, & est contraint de sonner la retraicte. Le Roy ayant failly à cette entreprise, reprend le chemin de Touraine & Berry, laissant garnisons aux villes par luy de nouveau reprises. En cet assaut de la ville de Paris commença la fortune de la Pucelle à s' arrester: parce qu' elle y fut blessee & quelque temps apres prise devant Compieigne, jusques à ce qu' elle fut executee à mort à Roüen: Et quant à celle du Duc de Bethfort, elle commença aussi grandement à ravaller, d' autant que les Parisiens se defians de ses forces, le confinerent au gouvernement de Normandie, & voulurent pour gouverneur le Duc de Bourgongne. Ce Duc Anglois se voyant en cette façon malmené, prend un advis fort convenable pour remettre sus ses affaires. Il donne ordre de faire venir en France le petit Roy (qui jusques là s' estoit tousjours tenu en Angleterre) esperant que par sa presence ses affaires seroient plus authorisees. Il arrive le quatriesme de May à Calais, & le vingt cinquiesme du mois la Pucelle fut prise faisant une saillie sur les Anglois qui avoient mis le siege devant Compieigne. Tellement que c' estoit un grand esclair qui sembloit estre en la fortune de ce jeune Roy, d' estre arrivé à poinct nommé en France lors que ce grand Daimon de nos affaires avoit esté pris & reduit dessous sa puissance. Pour la prise de la Pucelle on chante un Te Deum dedans l' Eglise de Paris, & se preparoient les Parisiens de recevoir en toute joye & allegresse leur Roy: Toutesfois il s' achemina premierement à Roüen pour commander (comme il est vraysemblable) que l' on tint soigneusement la main à faire mourir la Pucelle. Le jugement de mort estant depuis contre elle donné & executé, il sembloit que toutes choses favorisassent l' Anglois, toutesfois ce fut le commancement de ses mal-heurs: car au mesme an que cette pauvre fille innocente fut executee, soudain apres que l' on eut envoyé sa sentence de mort à Paris, pour y estre enregistree, Dieu par un juste jugement permist que le Parlement se mutina sur une question de ses gages, lequel s' en estoit aucunement remué dés l' an 1429. Mais la nouvelle arrivee du Roy luy en avoit faict entr'oublier le maltalent. Cette plainte recommença de plus beau l' an ensuivant, & fut conclud de n' entrer plus au Palais, si l' on n' estoit payé des gages, portant le registre du Greffe ces mots, & in hoc signaverunt indissolubile  vinculum charitatis, & societatis, ut sint socij constitutionis, & laboris. Cela fut du douziesme Fevrier, & le vingtseptiesme d' Avril cessation de plaidoirie, c' est vers le temps que la Pucelle fut condamnee, pour le moins sa sentence est du mois de May. Messire Louys de Luxembourg Chancelier adverty de cette extraordinaire desbauche, vient à toute bride à Paris pour y donner ordre, remonstre les necessitez urgentes du Roy, promet de les faire payer d' une partie de leurs gages, & de l' autre leur faire bailler des heritages en recompense. Apres qu' il fut sorty, on delibera de cette affaire, & fust arresté que s' ils n' estoient payez pour un an des arrerages, ils chommeroient tout à fait, & fut le premier President chargé d' en faire rapport au Chancelier: non contens de cela, ils depeschent encores quelques Conseillers par devers le Roy, qui en revindrent aussi peu contens qu' ils y estoient allez. En Novembre mil quatre cens trente & un, fut disputé de l' entree du Roy. Je veux icy coucher tout au long le registre du Parlement qui en fait mention, car il le merite bien, pour monstrer le peu de compte que l' on faisoit de ce Roy. Le vingt troisiesme Novembre l' entree du Roy à Paris où ceux de la Cour allerent au devant, & partirent entre neuf & dix, & trouverent le Roy au Moulin à vent en allant vers sainct Denis, & là proposa le premier President, & ce faict s' en retournerent comme ils estoient venus: au demeurant de l' entree neant par faute de parchemin. Car quant aux registres de la Chambre des Comptes, vray thresor des choses notables de la France, & specialement de Paris, ils n' en font aucune mention. Je vous ay voulu expres cotter ce passage, d' autant que soit ou que par faute de parchemin, ou de bonne volonté, il fut ainsi conceu, c' estoit un prognostic taisible que la puissance de l' Anglois prendroit bien tost fin dedans Paris. Ce neantmoins l' entree ne laissa d' estre assez pompeuse & pleine de ces feintes que l' on avoit accoustumé de faire lors. Et quelques jours apres Henry sixiesme fut couronné Roy dedans sainct Denis. Ny pour cela il n' avança de rien plus ses affaires, ains sa fortune declina tousjours de là en avant, comme estant lors arrivee au plus haut de son periode, & voicy comment. La colere du Duc de Bourgongne s' estoit avec le temps refroidie: & de fait quelque temps auparavant il avoit fait trefue de six mois avec le Roy Charles. Davantage vers le mesme temps que Henry fit son entree, Anne femme du Duc de Bethfort sœur du Duc de Bourgongne mourut, & par sa mort mourut par mesme moyen l' amitié qui estoit entre les deux Ducs. Poton, & la Hire, deffont, & tüent huict cens Anglois. En ce mesme temps le bastard d' Orleans s' empare de sainct Denis, Houdam, & du Pont sainct Maixant: & neantmoins pour tous ces advantages le Roy ne s' enfloit de rien plus: Car au Concile de Basle il offrit de laisser aux Anglois toute la Normandie, & toutes les villes, qu' ils possedoient en la Guyenne, moyennant qu' ils voulussent les recognoistre tenir de luy en foy & hommage. A quoy ils ne voulurent condescendre: de sorte que sur ce refus il prend sur eux les villes de Chartres, Dieppe, Fescam, Harfleu, Longue-ville, Tancarville, Corbeil, & Brie-Comte-Robert, sans destourbier, comme s' il eust envoyé ses fourriers seulement pour marquer ses logis. Les aproches d' une bonne paix commencent de se dresser entre les François & les Bourguignons. Premierement les Ducs de Bourgongne & Bourbon, & Comte de Richemont beaux freres la jurent ensemble à Nevers: Celle du Roy est remise en la ville d' Arras: la ville de Ruë prise sur les Anglois 1435. Au mesme an le Comte d' Arrondelle est deconfy devant Gerberoy par la Hire. En fin la paix concluë au mesme an dans la ville d' Arras, entre le Roy & le Duc de Bourgongne, à laquelle le Duc de Bethfort ne voulut entendre, quelque semonce que luy en fist le Cardinal de saincte Croix Legat en France. Quelque peu apres meurt Isabelle vefve du Roy Charles sixiesme, en son jeune aage l' une des premieres allumettes des guerres civiles, & quelques mois apres le Duc de Bethfort le plus fort arcboutant de Henry qui lors n' avoit que treize ou quatorze ans pour le plus, & n' y avoit plus que les Evesques de Terouenne, Paris, & Beauvais, qui conduisoient l' orne. Le Parlement mal content comme j' ay dit, en cet estrif les nostres ayans pris le pont de Charenton, les Parisiens se voyans sans chef, voulurent tirer des prisons messire Jean de la Haye pour le faire Capitaine general de la ville. Ce qui fut empesché par le Parlement pour la consequence. Tous ces divorses estant tels, & les Bourgeois de Paris se voyans esloignez de remedes, & proches de leur ruine, voicy sur ces entrefaictes ce qui advint. Le seigneur de l' Isle-Adam s' estoit de l' an mil quatre cens trente deux, rendu bon François, bien venu du Roy, & continué en son Estat de Mareschal de France. Le Vendredy d' apres les festes de Pasques l' an 1436 luy, le Comte de Richemont Connestable de France, & le bastard d' Orleans deffirent 800. Anglois, qui estoient sortis de Paris, pour aller faire un degast general en tous les villages d' alentour, pour couper chemin aux nostres de viures & munitions. De ce pas ils vindrent à la porte S. Jacques, & somment les portiers de la leur ouvrir. Ils avoient intelligence au dedans, de maniere que le seigneur de l' Isle-Adam y entra le premier par une grande eschelle qu' on luy avalla, & mit la banniere de France sur la porte, criant Ville gaignee. Lors estoit Prevost des Marchands Michel l' Allier Maistre des Comptes, qui fit armer le peuple pour le Roy. Le cœur ne failloit aux Anglois. En cette premiere esmeute ils se diviserent en trois batailles, dont la principale estoit conduite par l' Evesque de Terouenne, mais les chaisnes qu' on avoit tenduës par les ruës leur firent perdre toutes leurs forces. Joinct que le peuple par les fenestres les assommoit à coups de pierres, au moyen dequoy ils furent contraints de se retirer dedans la Bastille: Et combien que les François eussent deliberé de mettre à sac la ville de Paris, si est-ce qu' ils y entrerent avec tres-grande modestie, esmeus d' une compassion & pitié, parce qu' ils virent rompre à force la porte S. Jacques en leur faveur, & en entrant, les Parisiens furent remerciez de l' honneste soubmission, dont ils avoient usé envers leur Roy leur naturel & legitime Seigneur, & à l' instant mesme furent faictes defenses par les carrefours à son de trompe de loger és maisons des Bourgeois, ne d' y manger contre leur volonté, ny d' user d' aucun reproche, ou faire desplaisir à quelque homme de quelque qualité qu' il fust s' il n' estoit Anglois ou soldat. Voila comme Paris fut reduit: mais je vous supplie me permettre de faire icy une saillie, car en plus beau sujet ne sçavrois je employer ma plume, pour vous monstrer comme Dieu se joüa lors des cœurs de nos Princes: parce que s' il vous plaist y prendre garde de pres, vous trouverez qu' il employa les mesmes outils pour le restablissement de l' Estat qu' il avoit fait pour la ruine. Philippes Duc de Bourgongne, qui pour vanger la mort du Duc Jean son pere, avoit mis le Roy Charles, sa femme, sa fille, & à peu dire, la plus grande partie du Royaume entre les mains de l' Anglois, est celuy qui l' en retire, sinon en tout, pour le moins en la plus grande partie, par la paix & reconciliation qui fut entre luy & les nostres. En cas semblable l' Isle-Adam, qui avoit chassé de Paris Charles VII. en l' an 1418. quand il y entra en faveur du Duc Jean, est celuy qui y entre pour y establir le Roy. Mais avec des effets fort contraires: car y entrant la premiere fois en faveur d' un tyran, il traicta les sujets du Roy d' une façon tres-cruelle, & la seconde pour un Roy, il les traicta comme un pere fait ses enfans: & finalement Henry V. du commencement ne demandoit que la jouyssance de la Normandie & de la Guyenne sans souveraineté, ce dont il fut refusé par les nostres, qui agrandit ses affaires, de sorte qu' au lieu de ce qu' il avoit demandé, il se vit par le mariage de luy avecques Catherine de France, posseder le Roy, la Royne, & la plus grande partie du Royaume. Le semblable advint à Charles VII. car ayant offert la Normandie à l' Anglois, & ce qu' il tenoit en Guyenne, n' ayant l' Anglois voulu accepter cette offre, le Roy reconquist puis apres entierement tout son Royaume.

Or apres que Paris fut ainsi mis és mains du Roy, le Parlement delegua quelques seigneurs de la Cour pardevers le Connestable de Richemont, pour sçavoir de luy comme ils se devoient comporter. Ausquels il fit response qu' ils exerçassent leurs estats tout ainsi que devant, jusques à ce qu' ils eussent lettres du Roy. Les Anglois qui estoient dedans la Bastille, sortirent le 17. Avril, & depuis le Parlement & Chambre des Comptes de Paris interdits par lettres patentes du Roy du 15. de May, mais restablis le 16. Novembre ensuivant, c' estoit que le Roy vouloit donner loisir aux Officiers qu' il avoit pres de luy, de retrouver le chemin de leurs maisons: Et le Jeudy veille de sainct André fut crié à son de trompe que le Parlement qui avoit esté tenu à Poictiers, & sa Chambre des Comptes à Bourges, se tiendroient desormais au Palais Royal de Paris en la forme & maniere que ses predecesseurs Roys de France avoient accoustumé de faire: & commencer le jour sainct Eloy 1. de Decembre, & furent r'appellez par douceur quelques Bourgeois que l' on avoit mis hors apres la departie des Anglois, par ce qu' ils avoient trop favorisé leur party: Ainsi furent les compagnies tant de Paris que de Poictiers & Bourges reünies: & le lendemain sainct Martin d' Hyver, le Roy Charles & son fils Louys firent leur entree dans Paris (armez tout à blanc) par la porte sainct Denis, en laquelle ville le Roy n' avoit esté depuis le 29. de May, mil quatre cens dix-huict, lors qu' il fut contrainct la quitter par les gens du Duc de Bourgongne.

Pour s' estre faict Maistre de la ville de Paris, encores qu' il eust grand advantage sur la partie, si n' estoit-il paisible de plusieurs autres places & villes de son Royaume. Pour y donner ordre il fait son Lieutenant General par toute la France, le Comte de Dunois, par le moyen duquel il reconquit toute la Normandie, & la derniere ville de la conqueste fut Chierbourg le douziesme Aoust 1450. & l' an d' apres fut concluë & arrestee dans la ville de Tours la conqueste de la Guyenne, dont fut pareillement baillée la charge au Comte de Dunois, lequel pays il reduisit sous l' obeïssance du Roy, & la derniere ville qu' il prit fut Bayonne. Le huictiesme d' Aoust 1452. Talbot brave Capitaine entre les Anglois ne voulut pour cela quitter la partie: par intelligence qu' il avoit avecques quelques factieux citoyens, il reprend la ville de Bordeaux, & plusieurs autres. Le Roy retourne en Guyenne, pour le faire court, combat entre les François & Anglois devant Chastillon, où Talbot fut tué, & sa compagnie deconfite (desconfite): En la mort de ce grand guerrier finit toute la fortune des Anglois: parce que deslors Bordeaux & le demeurant de la Guyenne furent du tout faits François. Au demeurant j' ay dit sur le commencement de ce chapitre qu' il y eut du miracle tres-expres de Dieu au restablissement des affaires de la France. En ce que sous un Roy aucunement addonné à ses plaisirs, & qui par une foiblesse d' opinion se laissoit assez mal à propos gouverner par uns & autres favoris, Dieu luy envoya de bons & fideles Capitaines pour le secourir, mesme nostre Pucelle: Mais le miracle eust esté plus grand, si Henry V. nouveau conquesteur d' une grande partie de la France eust peu transmettre sa conqueste à sa posterité, laissant par sa mort pour successeur de ses Estats, un enfant aagé seulement de seize mois, encores que comme sage Prince il eust apporté par son testament tout ce que l' on pouvoit desirer pour la conservation de son fils & de ses deux Royaumes.

domingo, 2 de julio de 2023

6. 3. Des furieux Troubles qui advindrent en France sous le Regne de Charles sixiesme.

Des furieux Troubles qui advindrent en France sous le Regne de Charles sixiesme.

CHAPITRE III.

Ce que j' ay deduit au Chapitre precedent n' estoit que roze, au regard de ce que je deduiray maintenant. Mais parce que je veux donner toutes les façons que je pourray à sujet de si haute estoffe, je reprendray les choses de leur premier estre, & Dieu vueille que cecy puisse servir de leçons aux nostres, & qu' au milieu de nos Troubles, nous nous puissions faire sages aux despens de nos ancestres.

Comme le Roy faisoit un magnifique tournoy en son Hostel des Tournelles, qui commença l' apresdinee un jour de Feste-Dieu, le festin s' estant continué en banquets, & dances, jusques à une ou deux heures apres minuict, Messire Pierre de Craon, qui estoit aux aguets il y avoit quatre jours en une sienne maison pres le Cimetiere sainct Jean, se jette sur le Connestable de Clisson, son ennemy, retournant avec peu de compagnie en sa maison, lequel il blessa griefvement, & le pensant avoir tué, s' enfuit avec ses complices en la Bretagne. Soudain apres son partement, son procez luy est fait, & parfait, & par sentence de Folle-ville Prevost de Paris, du vingt-sixiesme Aoust, mil trois cens quatre-vingts douze, luy & tous ses adherans furent bannis de la France: Mais le Roy non satisfaict de cette condamnation, voulut en poursuivre la vangeance par voye de fait, deliberant d' assaillir la Bretagne, que Craon avoit choisie pour sa franchise: Mais comme il s' acheminoit à cette entreprise, avecques une puissante, & forte armee, Dieu permist que son esprit se troublast. Trouble qui apporta depuis de merveilleux Troubles en la France. Car deslors les Princes du Sang commencerent de vouloir donner voye à leur ambition, comme la bonde leur estant plainement ouverte. Clisson estoit l' un des principaux favoris du Roy, & de ce mesme party estoient le sire de la riviere, le Begue de Villenne, Jean le Mercier, sire de Montant, Jannet de Toute-ville, & Jean de Montagu. Le premier mets dont ils sont servis, fut par des lettres du vingt-cinquiesme Septembre mil cinq cens nonante deux, és presences des Ducs de Berry, Bourgongne, Orleans & Bourbon, par lesquelles le Roy leur oste tous les gages & pensions qu' ils avoient de luy. Et quelque peu apres firent emprisonner dans la Bastille les sieurs de la Riviere & Montant, puis eslargir en l' an ensuyvant, à la charge qu' ils seroient tenus de vuider le Royaume. Ayans les Princes nettoyé la Cour de tous les Mignons du Roy, ils commencerent de tramer une plus grande entreprise. Car pour bien dire ils n' avoient plus contre qui buter, que contr'eux mesmes. Chacun d' eux desiroit de manier les affaires à l' envy l' un de l' autre. Celuy qui attouchoit de plus pres de proximité de lignage le Roy, estoit Louys Duc d' Orleans son frere, le Roy ayant quelque relasche de son mal, le fit superintendant general de toutes les Finances de la France. De telle sorte qu' il n' estoit loisible d' en disposer sans son Ordonnance. Certainement c' estoit mettre par un furieux (si ainsi m' estoit permis de le dire) un glaive és mains d' un autre furieux. Parce que ce jeune Duc estoit un Seigneur volontaire, qui croyoit plus ses opinions qu' il ne devoit. Il n' y eut Prince du Sang qui ne fust grandement jaloux de cette grandeur extraordinaire. Mais sur tous, Philippes Duc de Bourgongne son oncle, & comme ce jeune Prince pensast estre au dessus du vent, aussi dés sa premiere desmarche il fit plusieurs pas de clerc: Car ne considerant qu' il estoit abbayé des autres, il voulut sous main affoiblir les monnoyes, & meit dés son arrivee une taille extraordinaire sur le peuple: Non content de ce, il voulut s' allier avecques Pierre de la Lune, qui siegeoit en Avignon, sous le nom de Benoist treiziesme, contre lequel quelques ans auparavant le Parlement, par l' advis de l' Université de Paris, avoit jugé la substraction de l' Eglise Gallicane. Et de faict il l' alla voir de propos deliberé jusques en Avignon, luy promettant tout confort & aide encontre l' Université. Cette puissance extraordinaire d' un costé avoit excité l' envie des grands encontre luy: Cette imposition nouvelle de taille, l' inimitié du commun peuple, & la conference avecques Benoist, la haine de l' Université de Paris. Le Duc de Bourgongne s' opposa à la taille que l' on avoit imposee dessus ses pays, & d' une mesme main trouvant le Roy à son appoinct en l' an mil quatre cens trois, se fit donner pareil pouvoir sur les Finances, que celuy du Duc d' Orleans. Deslors l' on veit deux partis formez par la France: Tellement que le Connestable & le Chancelier craignans que les choses s' acheminassent à pis, vindrent lors en la Cour de Parlement, puis en la Chambre des Comptes prendre le serment de fidelité de tous les officiers: Grande querelle entre ces deux Princes pour le gouvernement, prests d' en venir aux mains, grande assemblee de gens d' une part & d' autre: Toutesfois sur ce que Louys promist que le Royaume seroit gouverné par la Royne, & tous les Princes du Sang, les choses se pacifierent entr'eux pour quelque temps. Sur ces entrefaites meurt Philippes Duc de Bourgongne, qui delaisse Jean son fils, successeur tant de ses estats que de cette querelle intestine. Tout ce qui s' estoit passé estoit adoucir le mal & non le guerir. La Royne Isabelle de Baviere, & le Duc d' Orleans estans à Melun, envoyent querir le Dauphin à Paris. Le Duc de Bourgongne l' empesche, disant qu' on le vouloit enlever de la France, pour le transporter en Allemagne. En fin accord par l' entremise des autres grands Seigneurs, & specialement du sieur de Mont-agu Grand Maistre: Et pour penser les divertir de ces opinions, il fut advisé que ces deux Princes iroient guerroyer l' Anglois, l' un en Angleterre, l' autre à Calais, ce qu' ils firent: mais aussi tost reprindrent le chemin de Paris, où advint l' accomplissement de mal-heur: Parce qu' en mil quatre cens sept, deuxiesme de Novembre, le Duc d' Orleans estant party de son Hostel, prés sainct Paul sur les huict heures du soir, pour aller voir la Royne qui estoit en couche, à son retour il est meurdry pres la porte Barbette en la vieille ruë du Temple par dix assassins, conduits par Raoullet d' Orqueton-ville. Ils avoient esté seize jours cachez en une maison, lesquels à l' instant se retirerent en l' Hostel d' Artois, pour leur servir de franchise. Le Duc d' Orleans assassiné, ce meurtre produisit une grande rumeur parmy le peuple, d' autant que l' on sceut à l' instant mesme qu' il avoit esté procuré par le Duc Jean, lequel se trouvant estonné partit tout aussi tost de la ville, & prit la route de ses pays. Peu apres la Doüairiere d' Orleans demanda justice au Roy, lequel s' y disposa avec tout son Conseil. Quelques Princes parens & amis du Duc Jean luy conseilloient, ou de nier tout à plat qu' il eust esté participant du delict, ou s' il le vouloit recognoistre, pour le moins qu' il y procedast par humbles supplications, comme estant le vray moyen de pacifier toutes choses. Du commencement il fut en balance, mais apres avoir donné lieu à son second penser, il se resolut de soustenir devant le Roy, que non seulement il en avoit esté l' autheur & promoteur, mais qui plus est, que justement il l' avoit faict: Parce que le Duc d' Orleans avoit conspiré la mort du Roy par plusieurs voyes sinistres. Et sur cette resolution vint à Paris, pour ne donner occasion à ses ennemis de s' advantager prés du Roy par son absence, amenant avec luy Maistre Jean Petit Theologien, grand Prescheur, qui soustint cette proposition tant en la presence du Roy, que depuis au Parvy nostre Dame, devant tout le peuple. Cette cause plaidee devant le Roy en l' an mil quatre cens huict, la Doüairiere d' Orleans eut pour son Advocat Maistre Guillaume Cousinot. L' assassin commis en la personne du Duc d' Orleans estoit abominable devant Dieu & devant les hommes. Toutesfois la haine publique que la ville de Paris avoit acueillie contre luy, pour les raisons cy dessus touchees, fut de tel effect, que le Duc de Bourgongne non seulement fut excusé, mais qui plus est grandement loüé: Les Prescheurs de Paris se rendans protecteurs dans leurs chaires de ce cruel meurdre. Qui fut cause que la Duchesse d' Orleans voyant ses affaires ne luy succeder comme elle s' estoit promis, quitta la Cour du Roy, retournant en sa maison où elle mourut de dueil quelque temps apres, laissant trois enfans masles mineurs, Charles Duc d' Orleans, Philippes Comte de Vertus, & Jean Comte d' Angoulesme. Et par sa mort fut la cause grandement affoiblie. On commence d' adoucir les choses, plus par crainte que par Justice, dedans la ville de Chartres, où fut concluë une paix entr'eux, moyennant laquelle Louys Dauphin de France, & Duc de Guyenne espousoit la fille du Duc Jean, & Charles Duc d' Orleans, Isabelle fille de Charles VI. Le Cardinal de Bar apporta un Messel ouvert, sur lequel ils jurerent l' entretenement de cet accord: mais un bouffon qui là estoit present, fit un plaisant traict: Car à l' instant mesme il leur presenta une paix bordee de fourrure, & la leur fit baiser, disant, que c' estoit une paix fourree.

Dés lors le Bourguignon estimant estre au dessus du vent, commence d' empieter le gouvernement de toutes les affaires au prejudice de tous les autres Princes du Sang. Qui les occasionna de se joindre avec les Orleannois, lesquels couvuoient tousjours une vangeance dedans leurs poictrines. On faict une seconde paix au Chasteau de Vincestre en l' an mil quatre cens dix. Paix toutesfois qui fut si courte, que l' on ne la remarque point bonnement pour telle: parce que nonobstant icelle le Duc Jean fait decerner mandement sous le nom du Roy à tous Seneschaux & Baillifs de lever gens contre ces Princes: Eux d' un autre costé se voyans ainsi mal-menez, font entreprise sur Paris, laquelle n' ayant reüssy se retirerent au pays de Berry, & de Bourbon, les Comtes d' Alençon, d' Armignac, & d' Albret, Messire Jean de Bar frere du Duc de Bar, tous lesquels portoient la Bande pour remarque de leur association, & manderent à leur secours les Anglois contre le Duc Jean qui masquoit toutes ses actions de l' authorité du Roy, qu' il possedoit, assisté des Ducs de Guyenne, Lorraine, Baviere, de Bar, & Comte de S. Paul.

Dés lors on commença d' appeller les Orleannois, tantost Bandez à cause de la Bande qu' ils portoient, tantost Armignacs, d' autant que comme il est à croire le Comte d' Armignac estoit l' un de ceux qui se faisoit plus craindre aux Bourguignons. Le Duc Jean ne se voulut point seulement armer du pretexte du Roy, mais aussi fit estat des Bourgeois de Paris, & entr'eux des Bouchers, dont les plus signalez furent les Gois, les Saintions, les Tiberts, lesquels prindrent l' enseigne du Bourguignon, qui estoit la Croix sainct André, & sous la conduitte du Gois, ruinerent le Chasteau de Vincestre, appartenant au Duc de Berry, de la façon comme nous en voyons encores pour le jourd'huy les ruines. Le Duc de Bourgongne qui prenoit tous les advantages pour soy, faict courir un bruict, que tous ces Princes s' estoient assemblez au pays de Berry pour y creer un nouveau Roy. Le Roy le croyant, en escrit à l' Université, luy commandant de prescher pour luy, & d' une autre main on les declare en plain Parlement crimineux de leze Majesté, & tous leurs biens acquis & confisquez au Roy. Pour executer cet arrest plusieurs Capitaines sont depeschez pour lever gens, mesmes l' on charge l' Oriflambe, que l' on ne portoit à la guerre qu' aux extremes necessitez. Le siege est mis devant la ville de Bourges, qui prit long traict: pendant que les affaires se manioient de telle façon, jamais ne fut plus grande fureur dans Paris, où l' on excommunioit les Dimanches aux Prosnes les Armignacs, & en quelques lieux ils furent excommuniez à clochettes sonnans, & chandelles allumees que l' on esteignoit. On mettoit aux ornemens des Images la Croix sainct André, de laquelle plusieurs Prestres usoient en faisant les ceremonies de la Messe, ou baptizans, tant ils estoient acharnez à ce party: à peine osoit-on donner Baptesme aux enfans de ceux que l' on soupçonnoit estre des amis des Armignacs. Si un homme riche avoit un ennemy, il ne falloit que crier apres luy, voila un Armignac, & aussi tost estoit sa maison saccagee: Voila comme la ville de Paris se gouvernoit pendant le siege de Bourges, lequel se tirant à long traict, finalement Louys Dauphin Duc de Guyenne, ayant entendu que les Anglois venoient pour secourir leurs ennemis, fait parler de paix, qui est concluë & juree dans la ville de Bourges, & depuis confirmee dedans celle d' Auxerre par les Princes d' Orleans, qui estoient absens lors du traicté. Jamais paix ne fut plus solemnelle que cette-cy, parce que l' on y manda plusieurs Seigneurs du Parlement, de la Chambre des Comptes, de l' Université de Paris, le Prevost de Paris, le Prevost des Marchands, & Eschevins, & plusieurs deputez des autres villes, tous les Princes jurerent sur les Evangiles de l' entretenir, ils s' entrevoyoient & joüoyent ensemble, mesmes les Ducs d' Orleans & de Bourgongne furent veus se promener ensemblement sur leurs chevaux par la ville, qui sembloit promettre une asseurance de reconciliation entre eux, & par mesme moyen de repos general par toute la France: Mais le Diable qui s' estoit mis en possession de leurs cœurs, l' empescha. Par cette paix chacun devoit r'entrer dans tous ses biens, Offices, & Benefices. Cela demeura pour la plus grande partie inexecuté. Le Roy retourne dans Paris, suivy des Ducs de Berry, Bourgongne, Bourbon, & Comte de Vertus. Quant au Duc d' Orleans, il reprit le chemin de sa maison.

Jusques icy les affaires s' estoient menees de cette façon par l' ambition detestable du Duc de Bourgongne, qui pour empieter le gouvernement des affaires, avoit premierement fait tuer Louys Duc d' Orleans frere du Roy: Surquoy fut faite la premiere paix entre les Princes dedans Chartres: Depuis voulant enjamber sur l' authorité des Ducs de Berry, Bourbon, & autres Princes du Sang, il leur avoit fait quitter la place, lesquels s' estoient retirez avec le jeune Duc d' Orleans & ses freres. Qui causa puis apres la seconde paix de Bourges confirmee en la ville d' Auxerre. Restoit de s' attacher encores au haut point, c' estoit au Dauphin de France son gendre. Ce jeune Prince commençoit de croistre d' aage, & estant ordinairement assisté de tous les Princes du Sang, le Duc de Bar, le Duc Louys de Baviere, & Philippes Comte de Vertus luy conseillerent de prendre la charge des affaires, que son rang, son aage, sa suffisance luy commandoient de ce faire. A quoy il presta volontiers l' oreille, comme aussi y avoit il ja quelque temps que les deportemens du Duc de Bourgongne son beau-pere commençoient de luy desplaire. Tellement qu' il desapointa Maistre Jean de Nesle Seigneur de Olain son Chancelier, pour quelques paroles aigres qu' il avoit euës avec Messire Arnaut de Corbie Chancelier de France. Le Duc de Bourgongne voyoit que tous ces preparatifs se faisoient pour le desarçonner du credit qu' il avoit occupé pres du Roy, au moyen dequoy voyant une taisible ligue qui se faisoit contre luy par tous les princes du sang, mesmes par le fils aisné de France, il attacha toute sa fortune au peuple de Paris, je dy à ceux qu' il cognoissoit estre les plus seditieux de la ville: En cette nouvelle faction Lionnet de Jacqueville creature du Duc de Bourgongne prit tiltre de Lieutenant general de la ville, cestuy secondé d' un Jean Caboche escorcheur de Boeufs, de Maistre Jean de Troyes Chirurgien de Paris, Concierge du Palais, & Denys Chaumont, suivis d' une grande troupe de populace, viennent en la maison du Dauphin, là le somment pour le bien du Roy, de luy & du Royaume, qu' il eust à leur deliurer plusieurs traistres qui estoient chez luy. Et apres plusieurs contrastes, en fin fut contrainct de mettre en leurs mains, Messire Jean de Vailly son nouveau Chancelier, Edoüard Duc de Bar, cousin germain du Roy, Messire Jacques de la Riviere frere du Comte de Dampmartin, & plusieurs autres de ses favoris. A cette execution estoit present le Duc de Bourgongne, auquel le Dauphin se plaignit fort aigrement, luy imputant toute cette conjuration. Ces Seigneurs leur estant baillez, ils meirent gardes au logis du Dauphin, à ce qu' il ne peust deguerpir la ville, & en conduisans ces prisonniers firent trois ou quatre meurtres signalez de quelques uns qui se presenterent devant eux, comme estans du party contraire. Cela ne fut qu' un premier coup d' essay, car en apres fortifians leur dessein de plus en plus sous l' authorité du Duc Jean qui les instiguoit à ce faire, ils demanderent audience au Roy, suivis de dix ou douze mille Bourgeois, & presenterent un rolle au Dauphin, contenant les noms, & surnoms de ceux qu' ils vouloient leur estre liurez, entre lesquels estoit Louys de Baviere frere de la Royne Isabelle. Qui tous leur furent baillez & constituez prisonniers, tellement que la Bastille & le Louvre regorgeoient de la multitude des Seigneurs qui y estoient: On leur baille douze Commissaires pour faire & parfaire leurs procez, entre lesquels fut Messire Pierre des Essars, auquel je veux particulierement bailler un placart, pour servir de fidele exemple à tous ceux qui se rendent induëment ministres des passions des Princes. Cestuy avoit esté Gentil-homme de la maison du Duc de Bourgongne, qui le fit Prevost de Paris, par la destitution de Folle-ville, a fin d' avoir un Seigneur à sa devotion dans Paris, comme à la verité il l' eut, car l' espace de trois ou quatre ans les commandemens du Duc Jean son Maistre estoient la seule justice qu' il exerçoit: & de faict pour luy gratifier, il fit decapiter injustement, le grand Maistre de Montagu sans ordre judiciaire, apres l' avoir plusieurs fois exposé à la gesne, luy qui avoit auparavant tenu l' un des premiers rangs pres du Roy, & la principale faute dont on l' accusoit, estoit qu' il avoit abusé des Finances de France l' espace de dix ou douze ans. Or voyez je vous supplie, comme Dieu vengea puis apres cette injustice, mais avec une grande usure. Des Essars estoit arrivé aux grands honneurs, car il fut fait grand Bouteiller de France, Grand Maistre des Eaux & Forests, Superintendant general des Finances: Bref, toutes choses passoient par son entremise: Le Duc de Bourgongne eut opinion qu' au pourparler de paix de Bourges il avoit tourné sa robe, & donné advis aux Princes qu' il les vouloit faire mourir s' ils n' y prenoient garde: soit que cela fust veritable, ou non, ou bien qu' il fust las de son amitié, tant y a qu' il commença de l' esloigner de ses bonnes graces. Qui fut cause que des Essars se retira au Chasteau de Chierbourg, toutesfois depuis il revint dans Paris, sous l' asseurance que luy bailla le Dauphin, & se logea dans la Bastille, dont il estoit Capitaine: Si ne peut-il si bien faire, qu' en fin il n' en sortist par doux allechemens & belles promesses: A peine en estoit-il sorty, qu' il fut constitué prisonnier en la Conciergerie du Palais. Il y avoit douze Commissaires du tout voüez aux passions du Duc de Bourgongne, pour faire & parfaire le procez à tous ces nouveaux prisonniers, & specialement à Pierre des Essars, pour avoir mal manié les Finances du Roy: Cestuy recommandé par dessus les autres, fut aussi condamné des premiers, mais avec un Arrest fort estrange: Car les autres en furent quittes pour leurs testes sur un eschaffaut (qui n' est pas un petit gage de nos vies) mais à cestuy, on y adjousta quelques traits d' ignominie, avant que de le faire mourir, desquels Monstrelet n' a fait aucune mention: Mais dans les memoriaux de Maistre Nicole Baye Greffier au Parlement de Paris, je trouve qu' il fut trainé sur une claye, la teste raze depuis la Conciergerie du Palais, jusques aux Halles, où il fut decapité. Voyez combien les jugemens de Dieu sont grands. Cestuy pour gratifier au Duc de Bourgongne son Maistre, avoit fait mourir le sieur de Montagu, & maintenant à l' instigation du mesme Prince il meurt: l' autre fut condamné à mort sous un pretexte d' avoir mal mesnagé les Finances du Roy, & cestuy pour mesme raison, & finalement la verité est que Montagu fut mis en chemise lors qu' il fut decapité: icy la male fortune de des Essars r'envie sur cette honte, estant trainé sur une claye & razé devant sa maison, auparavant que d' arriver au lieu du dernier supplice. Quelques autres furent aussi executez. Messire Arnaut de Corbie, qui avoit avec toute integrité exercé l' Estat de Chancelier l' espace de vingt deux ans, fut desapointé, & en son lieu surrogé Maistre Eustache de Laistre President des Comptes, creature du Duc de Bourgongne. Tout cela se faisoit à la barbe des Ducs de Guyenne, Berry, & autres Princes, sans qu' ils osassent les contredire. L' Université estoit lors en grand credit, laquelle desauoüa tout ce qui avoit esté faict. Chose qui commença de leur faire reprendre leurs esprits, & de faict ils avoient adverty sous main les Ducs d' Orleans, Bretagne, & Bourbon, de s' armer pour secourir le Dauphin, que l' on tenoit en telle serre, qu' il estoit comme prisonnier en sa maison, & encores les sieurs de Baviere & de Bar, qui estoient en une tres-estroite prison. Ces Princes recommencent de lever gens à Vernueil, & depuis s' acheminent à Pontoise. Je vous supplie jetter vos yeux sur les mysteres de Dieu, & comme quand il veut il fait esvanoüir en fumee tous les conseils que nous pensions avoir bastis à chaux & à sable. Jamais Prince n' avoit gaigné tant d' authorité sur le peuple au prejudice du Roy, & des siens, comme le Duc de Bourgongne. La plus part des autres Princes s' estoient pour les deportemens extraordinaires de luy, bannis volontairement de la Cour & presence du Roy: & quant aux autres, les uns estoient prisonniers, qui avoient Juges pour leur faire leur procez, les autres bien qu' ils ne fussent proprement gardez, si estoient-ils tellement regardez par uns Jacqueville, Caboche, de Troyes, & autres seditieux de la populace, qu' il n' y avoit point grande difference entre les gardez & les regardez. Les Princes de Baviere & de Bar destinez à la mort, plusieurs autres pauvres Seigneurs se trouvoient de mesme party. Tout cecy se voyoit, les gens de bien lamentoient dans leurs ames, mais nul n' osoit lever seulement les *yeux pour faire contenance de le trouver mauvais. Comme les Juges estoient sur le point d' interposer leurs jugemens à l' apetit de leur Maistre: un seul homme de robe longue osa prendre la querelle du repos public en main: Histoire certes memorable.

Maistre Juvenal des Ursins Advocat du Roy au Parlement, personnage de singuliere recommandation avoit esté autresfois Prevost des Marchands de Paris, je dy lors que la Prevosté fut restablie: Car comme vous pouvez sçavoir, elle avoit esté supprimee pour la journee des Maillotins, advenuë contre les Daciers du Roy. Suppression qui dura plusieurs ans, estant cette authorité unie en la personne du garde de la Prevosté de Paris, & apres quelques annees remise pour l' exercice d' icelle fut choisi Maistre Juvenal, pour les singulieres vertus qui reluisoient en luy, Estat qu' il exerça plusieurs annees, pendant lesquelles il se rendit infiniment agreable au peuple, je luy ay voüé un chapitre à part, a fin de n' embarrasser cestuy-cy de conte sur conte. Il fut depuis appellé à l' Estat d' Advocat du Roy, & pour la necessité de sa charge avoit souvent l' oreille du Roy, lequel lors qu' il estoit en son bon sens portoit fort impatiemment tous les deportemens du Duc Jean: Mais les affaires estoient arrivees en tel desarroy qu' il n' en eust osé parler qu' à ses confidens, entre lesquels estoit le Seigneur des Ursins. Celuy estant en perpetuel pensement de remettre les affaires de sa ville sus, se presenta souventesfois au Duc Jean, le priant tres-instamment qu' il luy pleust assopir toutes ces seditions, & comme une fois entr'autres le Duc luy eust faict response qu' il ne tenoit pas à luy, & ne demandoit autre chose, Juvenal des Ursins avec une hardiesse inestimable, luy remonstra que pour y parvenir il falloit deux choses, l' une qu' il recogneust avoir mal fait, faisant mourir le Duc d' Orleans, & ne fust-ce que pour les maux qui en estoient depuis survenus, l' autre qu' il esloignast de soy cette vermine de Bouchers, & le faisant qu' il trouveroit cinq cens notables Bourgeois qui luy assisteroient en toutes ses affaires. A quoy le Duc respondit, que pour le regard du premier, il ne le vouloit, & quant au second il ne le pouvoit, ny ne devoit faire: Pour cela ce preud'homme ne se rend, mais ayant toute sa fiance en Dieu, advint une nuict entr'autres que comme il dormoit, il eut perpetuellement en sa bouche ce verset de David, quand il exhorte ceux qui mangent du pain de douleur & tristesse de se lever. Et à son resveil sa femme luy dit qu' il n' avoit fait toute la nuict que resuer & ravasser à ce Pseaume. Ce sage Seigneur prenant cela pour un bon & certain augure de ce qu' il devoit faire, s' advise de pratiquer quelques Quarteniers gens de bien, & les voyant disposez à son opinion, il s' achemine droict vers le Roy qui lors joüyssoit de quelques heures de son bon sens, luy remonstre que le Duc d' Orleans & ses partissans estoient au Pont de l' Arche, & que ce seroit une chose fort necessaire pour son service & conservation de son Estat, de pacifier toutes choses. Il ne falloit grandement hocher la bride aux autres Princes, parce qu' ils avoient esté cause que les Orleannois s' estoient remis sur les champs: C' est pourquoy le Roy commanda que l' on dressast des articles de paix: Ce que le Duc Jean voulant empescher, faict par les Cabochiens, qui soustiennent qu' il n' y falloit nullement entendre, sinon que l' on envoyast premierement aux autres une liste de tout ce qu' ils avoient meffait, a fin qu' ils entendissent la grace qu' ils recevroient du Roy en paix faisant. Qui estoit en bon langage une traverse pour rompre toute pacification. Des Ursins qui voyoit cela, ne fit pas grande instance au contraire, mais dist que le meilleur seroit de s' assembler pour cet effect en l' Hostel de ville. Cette proposition populaire ne peut estre par eux contredite. L' assemblee se fait, où le rolle est representé par les Cabochiens contenant un ample discours de tout ce qu' ils vouloient imputer aux Armignacs, ou Orleannois: Mais quelques uns suscitez par des Ursins, furent d' advis qu' il falloit communiquer cela par chaque quartier, où se feroit autre assemblee particuliere des dizaines, pour puis le tout rapporté au Bureau general de la ville, en estre ordonné ce que l' on trouveroit le meilleur. Chose qui estoit empeschee par les Gois, & Sanctions, & Tiberts Bouchers, avecques paroles de brauade. Les choses en arriverent à tel poinct, qu' un Guillaume Cicasse Charpentier, Quartenier, demeurant au Cimetiere sainct Jean leur respondit brusquement, Que s' ils pensoient d' une puissance absoluë maistriser la ville, il y avoit autant de frappeurs de Congnee, que d' assommeurs de Boeufs & Vaches dans la ville: Et sur cette parole, pour eviter plus grande noise, fut arresté que l' on en parleroit par les quartiers. Ce cartel depuis envoyé à tous les Quarteniers, voicy ce qui advint. Au quartier de la Cité estoit Jean de Troyes, cestuy estoit lors Eschevin & Quartenier en la Cité, Concierge du Palais, & à peu dire l' un des chefs de tous les Cabochiens, il assemble tous les principaux Bourgeois de son Quartier, toutesfois se donna bien garde d' y faire appeller le Seigneur des Ursins, qui y avoit sa demeure, sçachant que ce luy eust esté un destourbier à ce qu' il projettoit de faire. Pour cela des Ursins ne laisse de poursuivre sa premiere pointe & de s' y trouver. Chose que l' on ne pouvoit trouver mauvaise pour le rang qu' il tenoit. En cette assemblee Jean de Troyes s' advise de proposer un nouvel advis, non du tout sans apparence. Qui estoit qu' il seroit tresbon de presenter au Conseil du Roy ce cartel: s' asseurant que nul des Seigneurs n' eust osé desdire le Duc Jean: mais Juvenal des Ursins qui descouvrit cette embusche, soustint que pour parvenir à une bonne paix il falloit oublier tous les maltalens d' une part & d' autre, & fut passé par cette opinion qui courut depuis de bouche en bouche par tous les autres quartiers où la conclusion fut de mesme, nonobstant l' effort des Bouchers. C' estoit par un sage conseil combatre le peuple par le peuple, qui n' est pas un petit secret en matiere de seditions. Les choses luy estans de cette façon succedees à son desir, il s' achemine vers le Roy avec trente notables Bourgeois, & luy raconte comme le tout s' estoit passé, & qu' il ne restoit plus que d' y interposer son authorité, mais que le meilleur seroit qu' il s' en voulust reposer sur le Dauphin. Ce que le Roy trouva bon, & non le Duc de Bourgongne, auquel cet affaire pesoit, qui dist au sieur des Ursins que ce n' estoit pas la voye qu' il y falloit tenir, lequel avec une honneste hardiesse, luy respondit: Excusez moy mon Seigneur, vous en verrez bien tost l' issuë, & de ce pas, suyvant le commandement du Roy il va trouver le Dauphin, auquel apres avoir le tout discouru, il l' exhorte de se charger de cette affaire, & que s' il le faisoit, toutes choses s' achemineroient à une paix. L' ayant disposé à ce conseil, il luy donne advis de se saisir des clefs de la Bastille & du Louvre, qui estoient és mains du Duc Jean. Ce qu' il fit, & le lendemain il se promene par la ville, suivy du Duc de Berry, du Recteur, des supposts de l' Université, & de plusieurs autres Seigneurs, mesmes du Sieur des Ursins, qui tenoit le gouvernail de cette entreprise. La presence de ce Prince estonna tellement ces desesperez Bouchers, que le cœur leur faillit en un instant, & les portes tant de la Bastille, que du Louvre, furent, si ainsi le faut dire, ouvertes d' elles mesmes aux pauvres prisonniers, entre lesquels estoient les sieurs de Bar, & de Bavieres, le lendemain reservez à la mort, si Dieu ne les eust regardez d' un œil de pitié. A la suitte du Dauphin estoit Gervaisot Dionnois Tapissier, qui rencontra Jean de Troyes accompagné de plusieurs de sa faction, contre lequel il desgaina son espee, & luy dit: Paillard, à ce coup me vangeray-je de toy, & des tiens: A laquelle parole les Cabochiens furent si confus qu' en un tour de main ils se disparurent, sans plus oser lever la teste. Quelques uns estoient d' advis de les poursuivre, & de fermer les portes de la ville pour en faire un piteux massacre: mais le Seigneur des Ursins l' empescha, disant qu' il leur seroit mal-seant d' acquerir une paix par le sang de leurs concitoyens. De là ils s' en vont en l' Hostel de ville, où par le commandement du Dauphin, cet homme de bien fit un long discours des seditions qui s' estoient passees, & qu' il les falloit oublier. Pour conclusion il fut ordonné que André de Parnom Prevost des Marchands, & deux des Eschevins demeureroient. Mais quant à Jean de Troyes, & du Belloy, ils seroient ostez, & en leur lieu mis Guillaume Cicace, & Gervaisot Dionnois Quarteniers. Sur cela la paix est faite, & concluë   avec les Ducs d' Orleans, Bourbon, & autres Seigneurs, qui lors estoient dans Pontoise, c' est pourquoy on l' appella la paix de Pontoise. Le Duc de Bourgongne s' en fuit, le semblable firent Jacqueville de Laistre, de Troyes, Caboche, & les Bouchers, & aussi tous ces Juges qui avoient esté commis pour faire le procez aux Seigneurs de Baviere, & de Bar, & autres prisonniers, & commença l' on devoir une nouvelle face d' affaires: Parce qu' au lieu du Bourguignon, les Ducs d' Orleans, Berry, Bourbon, Alençon, Comtes de la Marche, Richemont, Armignac, & Vendosme commencerent de gouverner. Et quant aux offices de marque, il n' y eut que le Chancelier de Laistre desapointé, suppost du Duc de Bourgongne, & fut pourveu de son estat Messire Henry de Merle premier President, & du sien, Maistre Robert Mauger, qui aussi estoit President: De Celuy de Mauger, Maistre Jean Vailly Chancelier du Dauphin, en la place duquel fut mis Maistre Juvenal des Ursins: & là où auparavant dans Paris on avoit chargé la Croix sainct André en faveur du Duc de Bourgongne, on commença lors de porter la Bande, qui estoit le signal, & remarque des Orleannois.

Grande pitié, qu' il est plus mal-aisé de supporter sa bonne, que mauvaise fortune, jusques là tout s' estoit passé par une modestie admirable: Depuis le peuple commença petit à petit d' y vouloir apporter du sien, & par mesme moyen de l' insolence, qui gasta tout. Il n' y a animal plus farouche, & fort en bride qu' une populace enflammee, qui pense ne pouvoir estre controllee par le Magistrat. En l' an 1414. l' on fait une confrairie de S. Laurent dans les Blancs Manteaux, où se trouverent le 3. d' Aoust quatre cens hommes tous bandez: Car aussi portoit elle le nom des bandez. Le 4. Septembre il advint qu' un jeune homme ayant osté une bande qui avoit esté mise à l' image S. Eustache, & l' ayant mise en pieces, en despit de ceux qui la luy avoient baillee, fut aussi tost pris, & par sentence du Prevost de Paris, eut le poing couppé sur le Pont Alais devant l' Eglise S. Eustache. Le Roy leve l' Oriflambe, qu' il met és mains de Messire Guillaume Martel Seigneur de Baqueville, en deliberation de guerroyer le Duc de Bourgongne: Et comme les affaires se manioient en cette façon, Louys Dauphin, avec les Princes & Seigneurs, esloigne du Conseil la Royne Isabelle de Baviere sa mere, & luy amoindrissant son Estat, la confine en la ville de Tours. Le Duc Jean qui n' avoit autre chose en teste que de r'entrer par quelque moyen que ce fust, prenant cette disgrace à son advantage, s' empare des villes d' Amiens, Abbeville, Senlis, Montdidier, Montlehery, Corbeil, Pontoise, Chartres, Tours, Mante, Meulan, & Beauvais: Et en toutes ces villes deffendoit de payer aides, & subsides, fors du sel, qui estoit un moyen asseuré pour gaigner du commencement le peuple, & luy causer puis apres sa ruine. Et establit en la ville d' Amiens un Parlement, dont les Arrests se deliureroient sous le nom de la Royne Isabelle, prenant tiltre & qualité de Regente en France, & y establit pour premier President, Messire Philippe de Morvilliers.

Pendant cette grande desbauche l' Anglois, qui n' esperoit autre chose que de s' aggrandir par nostre ruine, vint descendre au pays de Normandie avecques une puissante armee, la premiere ville qu' il prit fut Harfleu. Toutesfois apres quelque sejour estant assiegé de la faim, il vouloit reprendre les brisees de son pays, moyennant que ce fust bagues sauves. Les jeunes Princes de France n' en furent d' advis, ils combattent pres d' Azincourt le vingtdeuxiesme jour d' Octobre 1415. & sont vaincus, & là demeurerent sur la place quatre mille des nostres: & entr' autres furent tuez les Ducs d' Alençon, de Bar, & Brabant, le Connestable d' Albret, les Comtes de Vendosme, de Merles, de Nevers, & une infinité de grands Seigneurs pris, mesmes les Ducs d' Orleans, & de Bourbon: apres cette victoire l' Anglois se rendit maistre de plusieurs villes de la Normandie. Jamais la France ne s' estoit veuë en un plus piteux desarroy. Le Dauphin s' estoit ligué contre sa mere, elle encontre son mary, plusieurs Princes qui tuez, qui pris, la fleur de nostre Noblesse perduë, & une bonne partie de la Normandie. A la suite de cela, Louys Dauphin meurt, & quelque peu apres, Jean son frere qui le secondoit d' aage, comme pareillement Jean Duc de Berry aagé de 90. ans. Le Roy mal disposé de son esprit, abandonné presque de tous les siens, fors de Charles Dauphin, qui luy restoit seul de ses enfans masles. Adoncques le Duc Jean conduit de son ambition ancienne, estimant qu' il avoit plus beau jeu que jamais, commence d' ourdir cette tresme. Il y avoit deux de ses freres tuez en la bataille d' Azincourt, il leve gens, disant qu' il vouloit vanger leur mort contre l' Anglois: mais les Seigneurs qui estoient prés du Roy voyans que c' estoit contr'eux qu' il vouloit descocher les flesches, firent decerner lettres Patentes, par lesquelles le Roy deffendoit à tous Princes de son Sang l' entree de Paris. Sur cela on ferme les portes de Meaux au Duc Jean, y voulant entrer. Le Roy depesche Maistre Simon de Nanterre, & Jean de Vailly Presidens, pour luy faire entendre sa volonté, qui estoit qu' il ne passast outre: Mais il leur respondit brusquement qu' il n' y obeyroit, sinon de tant, & entant que l' honneur, & profit du Roy le permettoit.

Ceux qui gouvernoient lors le Roy estoient en tres-mauvais mesnage avecques les Parisiens, tant pour l' amitié ancienne qu' ils avoient porté au Duc de Bourgongne, dont ils se voyoient frustrez, que pour le mauvais succez des affaires qui estoit advenu à Azincourt pendant leur gouvernement. On commence de brasser une conjuration encontr'eux, qui estoit telle. Il y avoit gens apostez qui devoient à certain jour courir par la ville, & crier, A l' aide au Roy, & au Dauphin. Et en cette esmeute tuer tous ceux qui estoient soupçonnez de porter le party des Bandez. Cecy estant descouvert, le Parlement y met ordre le 5. Decembre 1415. & l' unziesme ensuyvant l' on reçoit advis que Jean venoit à main armee, & fut pris un Paticier qui luy avoit mandé de se haster: Parce qu' il y avoit cinq cens hommes à sa devotion dans Paris. Maistre Almery d' Orgemont Conseiller au grand Conseil, & President des Comptes, fils du Chancelier, & frere du feu Evesque de Paris, se trouve des premiers de cette conjuration. Son procez luy est fait & parfait au Parlement. Et par Arrest du dernier jour d' Avril ensuivant 1416. il fut amené de la Bastille en l' Auditoire du Chapitre de Paris, & de là conduit en un Tumbereau aux Halles avec Robin le Geay, & Renaut Millet, lesquels en sa presence furent decapitez, & luy rendu à son Evesque pour le faire raire, & declaré attaint & convaincu du crime de leze Majesté, privé de tous Offices, & Benefices, & en outre condamné à perpetuelle prison, au pain & à l' eau, & en quatre mil escus d' amande envers le Roy. En haine de cette conjuration, les chaisnes des ruës sont ostees, & la grande Boucherie de la porte de Paris abbatuë, parce que les Bouchers se trouverent avoir esté des premiers complices. On met dans Paris quatre cens hommes d' armes en garnison, dont Tanneguy du Chastel Prevost de Paris estoit le Capitaine, & pour obvier à pareils inconveniens, fut deffendu à son de trompe, & cry public, de faire assemblee de nopces, sans l' authorité du Prevost de Paris, comme aussi d' avoir aux fenestres, jardins, pots, ny bouteilles de vinaigre: Et depuis par Arrest du Parlement, sur les remonstrances faites par l' Université de Paris, il est deffendu le seiziesme jour de Septembre 1416. de tuer, ny publier qu' il fust loisible de tuer sans authorité de Justice. Au mesme mois fut arresté que ceux de la Cour de Parlement iroient à la Couture sainct Martin des Champs, pour voir combien ils pouvoient estre de gens armez. Le 24. May ensuivant lettres du Duc de Bourgongne furent interceptees plaines de sedition. Le 21. Juillet il est dit par Arrest qu' elles seroient lacerees comme seditieuses, & scandaleuses contre le Roy: Commandement à tous les Baillifs & Seneschaux qui en avoient receu quelques unes, de les brusler, & deffenses à tous n' en retenir la coppie sur peine de la hard, & de non jamais les reciter. On renouvelle le serment des Officiers du Roy, & les fait-on jurer de demeurer feaux: & le seiziesme du mesme mois furent par Arrest du grand Conseil plusieurs Conseillers du Parlement envoyez hors la ville comme soupçonnez d' estre partissans du Duc Jean: combien que le Parlement asseurast le Roy de leur innocence, & le suppliast de ne les licencier: Chose qu' on ne peut obtenir de luy, ains fut advisé qu' ils avroient sauf-conduit, par lequel le Roy mandoit qu' il les envoyoit en autres lieux pour ses affaires. Entre lesquels fut le Procureur General nommé Aiguevin, au lieu duquel fut commis en l' exercice de son Estat Maistre Guillaume le Turc. Bref on y observa tout ce que l' on pouvoit de conseil humain pour contenir le peuple de Paris en obeïssance, & luy oster toute facilité de mesfaire.

Tout cecy estoit un avant-jeu de la tragedie qui depuis fut joüee dans la ville, & pouvez recognoistre par les choses cy-dessus discouruës, que combien que l' on voulust contenir les Parisiens en leur devoir par toutes voyes politiques, eu esgard à cette inesperee conspiration qui avoit esté descouverte, toutesfois le cœur du peuple n' y estoit aucunement disposé, & pour vray dire, il n' attendoit de jour à autre que l' occasion de pouvoir secoüer le joug, estant dés pieça voüé à un autre sainct. Cette occasion se trouva par le moyen que je vous diray: L' argent faillit pour souldoyer les gendarmes de Tanneguy du Chastel, on fait assemblee de ville, a fin de lever un emprunt pour la solde seulement d' un mois: A quoy nul ne voulut entendre. Qui fut cause qu' on fut contrainct de les envoyer en la Brie, pour viure sur le bon homme. En mesme temps quelques Officiers de la maison du Roy avoient offensé Perrinet le Clerc, fils de Pierre le Clerc, Marchand Ferronnier, & Quartenier de Paris, demeurant sur le petit Pont. Le Prevost de Paris n' en voulut faire justice. Messire Jean de Villiers, seigneur de l' Isle-Adam Capitaine de Pontoise, l' un des supposts du Duc de Bourgongne, estoit lors à Vaugirard avecques ses troupes, le Duc au village de Vanves: Pierre le Clerc, comme Quartenier avoit les clefs de la porte de Bussi en garde: Son fils donne le mot à l' Isle-Adam, & desrobe les clefs à son pere, comme il dormoit, & à l' instant vient ouvrir la porte à l' Isle-Adam, qui y entra la nuict du 19. May 1417. suivy de trois cens hommes: Qui estoit peu pour prendre une si grande ville, mais elle estoit ja prise d' elle mesme: Ceux-cy commencerent de crier, La paix mes amis, la paix, Vive Bourgongne. Ils entrerent sur les dix heures de nuict: & les conduisit Perrinet jusques au petit Chastelet, où ils furent accueillis de quatre cens hommes Bourgeois armez, tous lesquels portoient la Croix S. André, blanche, & s' acheminerent à l' Hostel de S. Paul, dont ils rompirent les portes, se saisirent du Roy, qu' ils firent monter sur un cheval, luy faisant faire une piteuse monstre par la ville: & comme ils estoient ententifs apres luy, Tanneguy du Chastel enleva Charles Dauphin en chemise, & le sauva dans la Bastille, & de là en la ville de Melun avec ses principaux serviteurs, où il fit depuis long sejour.

Ce temps pendant l' Isle-Adam, & les siens joüent leurs jeux. Dés leur arrivee ils meinent prisonniers Bernard Comte d' Armignac, Connestable, Henry de Merle Chancelier, & l' Evesque de Constance son fils, Jean Gaulde Maistre de l' Artillerie, Maistre Robert de Tuilliers, Oudart Baillet Maistre des Comptes, les Evesques de Clermont, & Senlis, l' Abbé sainct Denis: Bref une infinité de Seigneurs & Prelats. Il seroit impossible de dire combien de meurdres & larcins furent faits en cette esmeute. Quelques uns disent que l' on tua huict cens personnes, les autres quinze cens, & les autres seize cens, c' est à dire en cette diversité d' opinions qu' il en fut tué si grand nombre qu' il y avoit sujet d' erreur. Le bruit court dans Paris que le Dauphin qui estoit à Melun envoyoit forces pour recourre tous les Seigneurs prisonniers. A ce bruit chacun court aux portes, & mesmes les Parisiens creent sur eux Capitaine un Potier d' estain, homme audacieux, nommé Lambert, lequel avecques ses complices, vient aux prisons, & tire tous ces Seigneurs & Prelats des prisons, mesmes les Connestable, & Chancelier, qu' ils font tous passer par le trenchant de l' espee. De là ils se transporterent au petit Chastelet où ils meutrirent les Evesques de Constance, Clermont, & Senlis. Somme il ne fut pardonné à aucun.

Apres ce tragique exploict, pour remercier Dieu de la victoire qu' il leur avoit envoyee contre leurs ennemis, ils firent une confrairie en la paroisse sainct Eustache le neufiesme Juin ensuivant. Voyez comme ils transformoient leurs passions furieuses en une folle devotion. Celuy qui avoit esté puny par les Bandez, ce fut par ce qu' il avoit osté la bande qui estoit sur l' image de S. Eustache, & mesme eut le poing coupé en la paroisse S. Eustache. Maintenant pour se venger les Bourguignons font une confrairie dans la paroisse de S. Eustache, chacun qui estoit de cette confrairie avoit un chapeau de rozes vermeilles: Et tant s' y mit de gens (dit l' histoire) que les maistres de la confrairie disoient avoir fait faire plus de soixante douzaines de chappeaux, c' estoient sept cens tant de personnes: qui estoit renvié contre la confrairie des Bandez, où il n' y en avoit que 400.

Le Duc Jean arrivé dans Paris, remet Eustache de Laistre en son estat de Chancelier, fait deux Mareschaux de France, l' Isle-Adam & Charluz, met un Admiral, & un grand Veneur, à sa poste. En ceste extraordinaire esmeute le Parlement cessa depuis le 29. de May, jusques au 25. de Juin, qu' il commença de reprendre ses esprits, & presida à l' ouverture de Laistre Chancelier, secondé par Messire Philippes de Morviliers premier President. Le vingtiesme d' Aoust autre esmeute de populace mal gré le Duc Jean, sur ce que l' on ne faisoit justice de ceux qui avoient favorisé le party Armignac, & que l' on avoit eslargy quelques uns. De cette emotion nouvelle se fait chef Capeluche, bourreau de la ville: autresfois Caboche escorcheur de bœufs, avoit esté le Gonfanonnier, & maintenant voicy un bourreau. Ils vont aux prisons le 20. Aoust 1418. tuent & massacrent tout ce pauvre peuple qui y estoit sans acception, ou exception de personnes. Le Parlement s' en fit pour ce coup croire plus qu' il n' avoit faict contre Caboche: par ce que Capeluche estant pris, & quelques autres, ils sont condamnez à mort, & fut decapité le vingt-sixiesme du mesme mois, & le trentiesme tous les bouchers de Paris font le serment de fidelité au Duc de Bourgongne, s' excusans les uns envers les autres de ce qui estoit advenu.

Jusques là toutes les affaires avoient ry au Duc de Bourgongne, á la ruine & confusion de l' Estat. Il y avoit doncques lors trois partis dedans la France, celuy du Duc de Bourgongne fortifié de la presence du Roy, & de la devotion des Parisiens, & par special de la Royne, qui avoit juré une haine mortelle encontre son fils: celuy du Dauphin à Melun (assisté de plusieurs seigneurs, tant de l' espee que de robbe longue) qui avoit fait un tres-grand amas de gensdarmes, & le dernier de l' Anglois, lequel faisoit fort bien ses affaires, pendant que les deux autres estoient acharnez à se deffaire l' un l' autre: & de fait, sous ces arrhemens en l' an 1418. le 18. Janvier il prit la ville de Roüen. Deslors le Dauphin commença de s' intituler Regent de la France. Titre que le Parlement ne luy voulut accorder. Le Duc Jean n' ayant plus pour object son ancien ennemy le Duc d' Orleans, qui estoit prisonnier en Angleterre, & tous les principaux partissans de luy ayans esté mis à mort, ne desiroit autre chose qu' une paix avec le jeune Dauphin, se promettant qu' estant reconcilié avec luy, il gouverneroit autant & plus que jamais. Il jette plusieurs pourparlers de paix en avant. Le Dauphin n' y pouvoit bonnement condescendre pour l' injure qui luy avoit esté faicte par l' Isle-Adam. Ces deux Princes se voyent à Poully le fort pres Melun, où le Duc luy fit toutes les humbles soubmissions que l' on pouvoit desirer d' un suject: Et se departirent l' un de l' autre avec une asseurance de paix qui fut concluë entr'eux, dont fut chanté un Te Deum en l' Eglise de Paris, le douziesme de Juillet, & le dernier la ville de Pontoise prise par les Anglois, qui de là en avant venoient courir jusques aux portes de Paris sans destourbier: d' un autre costé le Dauphin se saisit vers le mesme temps de la ville de Tours. J' ay recueilly d' un registre du  Parlement du 9. Aoust 1419. ces paroles: Course des Anglois devant Paris, qui estoit une grande honte aux Princes: par ce que par leurs partialitez les inconveniens estoient si grands au Royaume, qu' oncques auparavant n' en avoient esté de pareils, & qui plus est l' un d' entr'eux avoit puissance assez suffisante pour resister à la force des Anglois: Mais ils aymoient mieux la ruine de l' un d' eux, que celle des Anglois, avec lesquels le Duc de Bourgongne avoit puis n' agueres de grandes intelligences, & promesses de donner l' une de ses filles en mariage à Henry V. de ce nom Roy d' Angleterre, lesquels unis ensemble devoient à moitié de profit conquerir le Royaume, & en priver le Dauphin: Toutesfois Henry n' avoit grande envie de rien traicter avec luy au cas que le Roy luy voulsist donner sa fille Catherine de France avec les Duchez de Normandie, & Guyenne à les tenir sans souveraineté. Ce que jamais le Roy ne voulut accorder, combien que pour cecy il y eust de grandes allees, & venuës. Passage que j' ay voulu transcrire tout du long, pour monstrer qu' encores au milieu de telles tempestes il y a tousjours quelque noble cœur, auquel il faut que la patience eschappe. Ce placart estoit tres dangereux au milieu de ces coupe gorges, & neantmoins je le voy enchassé au registre du Parlement par le Greffier de son propre instinct pour un juste creue-coeur du mal public qui l' affligeoit. Jean qui se cognoissoit trop foible pour faire un troisiesme party seul, balançoit de sçavoir s' il mettroit le Roy & la Royne en la puissance de l' Anglois, ou bien du Dauphin, & luy rendroit par un mesme moyen toutes les villes qu' il occupoit. La dame du Grat sa mignongne luy conseilla de parlementer avec le Dauphin à Montereau Faut-Yonne. Il depesche Ambassades pardevers luy le 8. Septembre, & le 10. ils s' abouchent sur le pont avec certaines barrieres qui estoient entr'eux a fin de ne se méfaire. Or estoit le Dauphin suivy de plusieurs Seigneurs, & Gentils-hommes anciens serviteurs du feu Duc d' Orleans: qui tous avoient juré la vengeance de sa mort. Comme de fait ils avoient failly à cette execution au Chasteau de Pouilly, mais ce ne fut qu' une surseance. En cette derniere entreveuë se trouverent Tanneguy du Chastel, Guillaume Batillier, François Granault, Amboise de Loré, Jean Louvet President de Provence, le Vicomte de Narbonne, tous compagnons de mesme escrime sous le feu Duc d' Orleans. Comme le Duc Jean se presente, Tanneguy du Chastel luy dresse une querelle d' Allemant, disant qu' il ne rendoit au Dauphin l' honneur qu' il luy devoit, & avec une hache luy donna tel horion sur la teste, qu' il en mourut. Cela fut le 10. du mois. J' ay leu que tout son conseil n' estoit d' advis qu' il y allast, mesme qu' un Juif, qui se mesloit d' Astrologie judiciaire, l' en voulut destourner, luy disant que s' il y alloit, il y mourroit: Toutesfois son heure estant lors venuë, le conseil de la Dame du Grat sa maistresse emporta le dessus de tous les autres, & luy advint ce que le Juif luy avoit predit.

Cette mort fut la consommation de nostre malheur, car le Duc Philippes son fils se faisant heritier de la vengeance qu' il devoit à la memoire de son pere, à face ouverte se fit Anglois. Dés la premiere nouvelle qui en arriva dans Paris, les Parisiens firent le serment au Comte de S. Paul, Lieutenant general de la ville. Le Duc Philippes commence de traicter une paix entre les deux Roys, & pour premiere desmarche sont faictes trefues entr'eux le 29. Fevrier. Et le 30. d' Avril traité de paix, lequel fut juré és mains de messire Philippes de Morvillier premier President, & le 20. de May, par tous les Officiers du Parlement en presence des Ambassadeurs d' Angleterre, & publié par les carrefours à son de trompe, & cry public, & le 21. du mois contract de mariage entre Henry d' Angleterre, & Catherine de France. Qui causa puis apres une meslange, & confusion generale par toute la France, dont je parleray au chapitre suivant.