jueves, 3 de agosto de 2023

8. 8. Apprendre, ou dire quelque chose par Coeur.

Apprendre, ou dire quelque chose par Coeur.

CHAPITRE VIII.

Nous disons apprendre quelque chose par Coeur, lors que nous exerçons nostre memoire. Mais je vous prie dites moy quelle rencontre a le Coeur avecques nostre memoire? Car si vous parlez aux Medecins, ils vous diront que nostre cerveau est composé de trois ventricules, dont le premier siege de l' imaginative occupe la partie devanciere: au second qui est celuy du milieu se loge le Jugement: & celuy qui est au derriere, qu' ils appellent le Cerebelle, est l' hebergement de nostre Memoire. Chose mesme qui se verifie par des demonstrations oculaires, parce que nous voyons tel affligé en son Jugement qui ne l' est en sa Memoire, & l' autre perdre la Memoire, & non pourtant le Jugement. De cette façon veismes nous sur nos jeunes ans un Nigonius en nostre Université de Paris qui fut d' une prodigieuse Memoire, & neantmoins du tout despourveu de Jugement. Et qu' un Messala sous l' Empereur Auguste, & George Trapezonce du temps de nos ayeuls, tous deux personnages de marque perdirent tout à fait leurs Memoires, sans que leurs Jugemens fussent aucunement alterez, qui ne sont pas petits exemples, pour monstrer que le theoreme soustenu par l' escole des Medecins est tres-veritable. Ce neantmoins il ne faut point faire de doute, que plusieurs ont estime que nostre esprit residoit au Coeur. Je m' en raporte premierement à Momus, lequel au jugement qu' il donna entre Neptune, Minerve, & Vulcain des ouvrages par eux composez, reprist particulierement l' homme forgé par Vulcain, en ce qu' il ne luy avoit fait une fenestre au Coeur, par laquelle on eust peu descouvrir ses pensees. Opinion dont ne s' esloigne pas grandement le commun parler de nos

quatre Evangelistes, quand ils disent que nos pensees gisent au Coeur. Arioste au 19. chant de son Roland le Furieux.

Se, come il viso, si monstrasse il Cuore,

Tel ne la corte è grande & gli altri preme,

E ta l' e en poca gratia al suo Signore,

Che la sorte mut ariono insieme.

Et pour ne m' esloigner du suject qui s' offre, les Romains semblent avoir

esté d' advis aussi bien que nous, que le siege de nostre Memoire estoit au Coeur, quand ils meirent en avant ce mot de Recordor, qui semble avoir pris son origine de Cor: & en plus forts termes estimerent que la Sagesse provenoit du Coeur, lors qu' ils appellerent un homme Sage Cordatum, comme nous recueillons du vers d' Ennius solemnizé par Ciceron en plusieurs endroits.

Egregiè cordatus homo, catus Aeliu' Sextus.

Et disoit Pline en son septiesme livre chap. 31. Corculos apud Romanos fuisse cognominatos qui sapientia praestarent. Comme au contraire la verité est que l' on appelloit Excordes & Vecordes, ceux qui estoient du tout sans entendement. Et à ce propos Ciceron en sa premiere Tusculane disoit: Quid porro ipse animus, aut ubi, aut unde, magna dissensio est:  Alijs cor ipsum animus videtur, ex quo excordes, vecordes, concordesque dicuntur. Et certes toutes & quantesfois que je voy ces Sages Romains avoir estably les principales parties de nostre esprit au Coeur, je ne puis trouver estrange, que cette mesme opinion se soit logee en nostre France, pour le regard de la Memoire. Je ne pense point qu' apres Hippocrat & Galien, il y ait jamais eu un plus grand Medecin que nostre Fernel, lequel en ce docte livre qu' il intitula, la Medecine ramenant à effect l' ancienne opinion des Arabes, se mocque de trois ventricules que l' on dit resider au cerveau, & estime que ces communes fonctions de nostre esprit, je veux dire imaginative, judicative & memoriale y estoient confuses, faisans chacune d' elles leurs operations à leur rang, selon que chacun de nous tend les nerfs de son esprit à l' imagination, jugement, ou memoire. Il vouloit en peu de paroles dire que nostre esprit ne travaille que là où nostre cœur est fiché. J' en parleray comme un aveugle de couleurs, mais si vous me permettez de commenter ce grand personnage, croyez que si son opinion n' est bonne, si est-elle assistee de tres-grands pretextes: car si dans nostre cerveau il y a trois ventricules separez, il faudroit en l' imaginative autant de cellules distinctes, comme il y a de divers effets. Nous avons veu un Tulenus plain de doctrine & sçavoir, qui ne failloit en l' imaginative que de deux poincts, c' est à sçavoir, en l' amour d' une grande Princesse qui estoit long-temps auparavant decedee, & en l' opinion, qu' il estoit Evesque de Cambray. En toutes autres choses, plein de doctrine, & bon suject: Soudain que l' on le mettoit sur l' un ou l' autre de ces poincts, vous le voyez traverser & sortir hors de soy-mesme. Voire qu' à la premiere rencontre de Damoiselle, soudain il se donnoit à la pensee que c' estoit celle pour laquelle il estoit tant esperdu. Et auparavant luy, sous le regne du grand Roy François, nous eusmes un Villemanoche qui ne pechoit en toutes les fonctions de son entendement, sinon lors qu' il entroit sur l' espoir de ses mariages: estimant qu' il n' y avoit grande Princesse qui ne fust enamouree de luy. Au regard de la partie Memoriale, je ne trouve qu' elle face ses operations en moy, sinon és poincts qui me sont plus recommandez, & approchans de mes premieres notions. Suis-je doncques du tout sans memoire? Non, car les impressions que je faits de mes maximes, & de ce qui en despend, me font croire tout le rebours. Au contraire diray-je que j' ay un siege particulier de memoire dans mon cerveau, si je ne me souviens que des choses que j' ay en recommandation? Bref pourquoy ne retiens-je indifferemment toutes choses? D' ailleurs s' il y a dans nostre cerveau une cellule de jugement separee, dont vient que nous ne jugeons indifferemment aussi bien des unes, que des autres choses? Mesme qu' il adviendra qu' un homme qui aura employé, pour complaire à ses pere & mere, tout le temps de sa jeunesse aux lettres, y sera rude & grossier, & ayant tourné sa pensee aux armes, deviendra quelquesfois en moins de rien tres grand Capitaine. Qui est cause de cela? Pour autant qu' il n' avoit son cœur, c' est à dire, son affection aux lettres, ains seulement aux armes. Ny pour cela je ne veux pas soustenir qu' au cœur resident les fonctions de nostre esprit, mais bien nos volontez & affections. Et de faict en commun langage nous disons: Il a eu le cœur de ce faire, il a eu le cœur aux lettres ou aux armes, pour signifier la volonté. Je veux doncques conclurre, & paravanture le concluant ne seray-je desavoüé, qu' il y a tel rapport des fonctions du cœur, au cerveau, & du cerveau au cœur, que nous ne les pouvons considerer separément, & que nostre cerveau ne faict ses operations en nous, sinon de tant & en tant que nostre cœur (fontaine de nos volontez) l' y convie: C' est proprement comme un Horologe: voire ce que l' on dit en commun Proverbe. Ubi intenderis animum, valet. Cela fut cause que quelques uns penserent qu' au cœur residoient les principales parties de nostre esprit, mais principalement de nostre memoire, dont est venuë la maniere de parler, que nous nous sommes proposez au present chapitre.

8. 7. Sales à faire Festes, dances, banquets, festins, festoyer.

De ce que nous appellons Sales à faire Festes, les Sales ordonnees pour faire dances, & banquets, & de ces mots, festins & festoyer.

CHAPITRE VII.

Les mots, aussi bien que les Republiques, ont leurs histoires à part, je veux dire leurs origines, progrés & changemens, selon la diversité des temps, & faisons: Bien est vray que nous couvrons les histoires qui leur sont deuës sous le nom de Grammaire. De ma part je suis d' opinion que la congruité, ou incongruité des paroles se doit emprunter de cet art: Mais de sçavoir comme par traicte de temps, l' usage des paroles s' est changé, comme elles ont pris divers plis, encores que le subject ne se trouve peut estre de grand merite, si est-ce histoire apportant aussi bien plaisir au lecteur, comme quand on luy devise de l' ancienneté d' une Republique, voire que les proverbes, ou paroles, ont quelquesfois ce privilege, de recevoir non seulement changement, comme toutes autres choses: Mais qui plus est ce changement nous donne le plus du temps un taisible advertissement des affaires, qui se sont passees entre nos predecesseurs. Je le vous representeray par exemple. Quand en nostre jeunesse nous usions du mot de tondre pour peine, disans que voulions estre tonduz, si ce que nous disions n' estoit vray, cela ne nous enseignoit il pas qu' anciennement le tondre tournoit entre les nostres à des-honneur? Ce que toutesfois aujourd'huy chacun de nous tourne à honneur, ainsi que je deduiray en son lieu. D' ailleurs quand aussi en nostre jeunesse nous appellions tous ennemis communs de France, Bourguignons, de quelque nation qu' ils fussent: Qui est celuy tant soit peu nourry en nostre histoire, qui ne juge que cela estoit provenu des longues guerres, que les Ducs de Bourgogne avoient diversement entretenues contre nous, sous les regnes de Charles sixiesme, septiesme, & Louys unziesme? En cas semblable quand le peuple pour un creancier appelle un homme Anglois, qui est celuy auquel il ne tombe soudain en l' entendement, que l' Anglois pretendoit avoir faict plusieurs convenances d' argent avec nous, qui ne luy avoient esté acquitees? Paradvanture adviendra-il qu' à nos survivans ce terme ne sera plus en usage: mais tant y a qu' il a esté de nostre temps, & devant.

Je puis doncques dire à bonnes enseignes, que la cognoissance tant des mots que des proverbes, nous apporte le plus du temps certaine cognoissance del' histoire, comme aussi la cognoissance de l' histoire nous apporte certaine information des mots: chose qui se verifiera amplement en ces mots de festes, festins, festoyer, que nous avons par long usage de temps appropriez à jeux, & banquets, combien que le mot de feste en sa vraye & naïfve signification doive estre pris pour un jour dedié par exprés au service divin: Corruption qui s' est insinuee entre nous par un ancien paganisme, dont je vous diray la cause. Encores que nos premiers peres Chrestiens eussent banny de nostre Eglise toutes les superstitions des Ethniques, toutesfois comme ainsi soit que tout peuple de quelque religion qu' il soit, est tousjours peuple qui se delecte plus du contentement exterieur des sens, que de l' interieur; aussi ne s' estans tout d' un coup espanduës les semences de la doctrine de Jesus-Christ par tout l' Univers, ains ayans pris petit à petit leurs racines, nous empruntasmes plusieurs choses des payens par une mutuelle conversation, les unes par la prudence de nos bons vieux peres pour les allecher à se rendre nostres, les autres par une dispence particuliere du peuple: Comme de faict nous voyons qu' au lieu des anciennes Bacchanales, nous avons introduit un Carnaval plein d' insolence, & mauvais exemple: & au lieu des Saturnales, les desbauches que nous faisons à la feste des Roys. Or estoit ce une coustume generale, & infailliblement observée par les Romains en toutes leurs festes de marque, de faire jeux, dances, & theatres publicques pour le contentement du peuple: Ainsi lisons nous que la Venerie estoit dediée à Saturne, les jeux Sceniques au Dieu Liber, les Circenses à Consus Dieu du Conseil. Et y avoit mesmes un ancien Decret du Senat de Rome, qui vouloit que les jeux publiques fussent non seulement honorez de la musique, & hautbois, mais aussi qu' ils fussent consacrez & unis avec le service divin. C' est pourquoy Seneque en son traicté de la Tranquillité de nostre vie, disoit, Legum conditores festos instituerunt dies, ut ad hilaritatem homines publicè cogerentur, tanquam necessarium laboribus imponeretur temperamentum. A ce propos disoit Labeon le Jurisconsulte, ainsi que nous apprenons de S. Augustin en son I. livre de la Cité de Dieu, chap. 12. que les fascheux Dieux s' appaisoient par sacrifices, & morts, & les bons par danses, banquets, & jeux. A cette occasion lisons nous, que pour appaiser l' ire du temps, sur les premiers jours du mois de May, ils avoient accoustumé de celebrer la feste de Flora Deesse des fruits, en laquelle ils se debordoient infiniment: Car d' un costé la jeunesse alloit au bois, & rapportoit une infinité de rameaux dans la ville, dont elle reparoit les maisons: d' un autre costé les filles de joye couroient nuës au milieu des ruës, ayans seulement les parties honteuses couvertes: Et lors se donnoient puissance de brocarder impunément tous ceux qui se rencontroient devant elles. Il ne faut point faire de doute qu' en telles joyes publicques l' on ne fist plusieurs grands banquets, mesmes avoient lors de coustume de s' entreenvoyer des tartres, & gasteaux, comme nous apprenons du Poëte Ovide dans ses Fastes. Ce que j' ay veu aussi avoir esté autresfois pratiqué dans Paris au jour de la feste d' une paroisse. Les Chrestiens qui vivoient au milieu des payens ne se pouvoient bonnement garder de se trouver en tels jeux publics, bien que ce ne fust par devotion, ains seulement pour se recreer. Qui appresta suject aux anciens Censeurs de nostre Eglise, comme à uns Tertullian, S. Cyprian, & S. Augustin, de crier aigrement encontre eux, comme tombans par ce moyen en une vraye idolatrie. Ceux cy se deffendoient au contraire de quelques passages de la saincte Escriture, qu' ils tiroient mal à propos à leur advantage, pour monstrer que ce n' estoit point chose repugnante à la Religion Chrestienne, que les jours de festes fussent solemnisez par dances, & joyeusetez, contre lesquels S. Cyprian fit la cent troisiesme Epistre qu' il escrit aux fideles Chrestiens: Eo usque (dit-il) enervatus est Ecclesiasticae disciplinae vigor, & ita omni langòre vitiorum paecipitatur in peius, ut iam non vitius excusatio, sed authoritas detur. Et peu apres, Non pudet, non pudet (inquam) fideles homines, & Christiani nominis authoritatem sibi vendicantes, superstitiones vanas gentilium, cum spectaculis mixtas, de scripturis coelestibus vendiadre, & authoritatem idololatriae conferre. Nam quando id quod in honore alicuius idoli ab Ethnicis agitur, à fidelibus Christianis spectaculo frequentatur, & idololatria gentilis asseritur, & in contumeliam Dei, vera & divina religio calcatur, pudor me tenet, praescriptiones eorum in hac caussa, nec patrocinia referre. Ubi (inquiunt) scripta sunt ista? ubi prohibita? alioqui & auriga est Israël, Helias, & ante arcam David ipse salutavit. Nalba, aera, tympana, tibias, citharas, & choros legimus. Cur ergo homini Christiano non liceat spectare quod licuit divinis scribere? Hoc loco dixerim longè melius fuisse istis nullas litteras nosse, quam sic litteras legere. Verba enim, & exempla, quae ad exhortationem Evangelicae virtutis posita sunt, ad vitiorum patrocinia transferuntur. 

Là il dit que ce que David faisoit, estoit en l' honneur de Dieu, & non des idoles, & à peu dire, il ne se scandalize point des spectacles sinon de tant qu' ils estoient faicts en faveur des idoles: Cela fut cause, si je ne m' abuse, que pour contenir aucunement le peuple, qui estoit fort en bride, & a fin de l' empescher de se trouver en la solennité des festes payennes, on tolera en nostre Religion les danses, banquets, & allegresses, souffrant aucunement un mal, pour empescher un pire: Et de là, si y prenez garde, il n' y a feste de village, je veux dire où l' on celebre la feste du sainct Parrochial, que par mesme moyen on ne l' accompagne de danses, & banquets: Et dans les villes mesmes en temps de pleine paix j' y ay veu autresfois pratiquer le semblable, au moins en celle de Paris. Il n' est pas qu' en quelques villes, & nommément en celle de Lagny, on n' ait voulut representer les jeux Floraux le jour de la Pentecoste: Car lors dés le matin le commun peuple au lieu d' aller à l' Eglise, va au bois cueillir des rameaux, & l' appresdinee (apresdinee) fait une infinité d' exercices de corps plaisans, voire y a certains paysans en chemise qui courent un jeu de prix. Coustume qui fut deffenduë par Arrest de la Cour de Parlement de Paris, moy playdant pour les Religieux, Abbé, & Convent de Lagny: Arrest toutesfois que je pense n' avoir sorty effect pour les Troubles depuis survenus en cette France. Et a fin que l' on ne pense que cecy vienne d' une coustume moderne seulement, les anciens Concils ne se plaignent d' autre chose que de telles folastries. Au quatriesme Concil de Cartage celuy est excommunié, qui au lieu d' assister à l' Eglise va aux jours de Festes, aux spectacles & farces publiques. Et au 4. Concil de Tolede il est porté en tels termes. Que c' est une coustume abusive usurpee par la populace, aux jours & festes des Saincts, de s' amuser aux dances vilaines, au lieu de vacquer au service divin. De là à mon advis est venu que nous usons indifferemment du mot de Feste, tantost pour signifier un jour dedié à la commemoration d' un Sainct, tantost pour un lieu destiné à faire dances, comme nous voyons que l' on appelle une Sale à faire Festes, en laquelle on reçoit les personnes pour rire, sauter, & dancer aux nopces des nouveaux mariez. De là quand nous oyons par la ruë quelque Instrument de Musique, nous disons à nos petits enfans que c' est la feste. De là, que nous ne mettons aucune difference entre Festins, & Banquets, Festoyer & Banqueter: voire qu' avec terme plus propre nous ne pouvons nommer celuy qui faict le Banquet, que Festivant. Toutes choses vrayement qui sont ainsi dites par abus, mais abus qui ne se cognoistroit sans la cognoissance de l' ancienneté & l' Histoire.

miércoles, 2 de agosto de 2023

8. 6. Onomatopeies, mots, son, Ahan, Ahanner

Des mots qui par leur prononciation representent le son de la chose signifiee; que les Grecs appellent Onomatopeies, & signamment des mots Ahan, & Ahanner.

CHAPITRE VI.

Il n' est pas dit que tous tableaux exposez en vente par les peintres, representent les beaux visages. Il y a tantost des grotesques, tantost des droleries, qui ne se rendent pas moins agreables à l' œil. Tels sont les discours du present chapitre. Ce me seront droleries, mais pourquoy droleries? Si les dictions dont je veux parler representent en leur naïf ce pourquoy elles sont introduites, il ne me faut mendier les origines du Grec, ou Latin, & moins encores l' Allemant: estans & meres, & filles d' elles mesmes. De celles cy les aucunes denotent le son des choses inanimees, & les autres la voix & jargon ordinaire des animaux. Entant que touche les premieres, je commenceray par nostre Eglise. Car les plus beaux commencemens de nos œuvres doivent se rapporter à Dieu. Quand nous sommes semonds par les Cloches d' aller à nos Paroisses prier Dieu, si à petit bruit nous l' appellons Tintin de la Cloche, si à tour de bras des Sonneurs, le son quin s' insinuë dans les aureilles de nos petits enfans, faict qu' ils l' appellent Dindan. Et ce petit moulinet dont nous usons le Jeudy, & le Vendredy de la sepmaine saincte au lieu des Cloches, que nous appellons Cresserelle, a emprunté ce nom du son qu' il produit. Ainsi le Palalalalan, du tambour des François. Ainsi le Colin tampon, de celuy des Soüisses: Ainsi le Fanfare, des Clairons, & le Trantrac, du cor des Chaseurs, que les Romains voulurent exprimer par un Taratentara. Des Essars en son huictiesme d' Amadis de Gaule, dit que la Royne des Amazones faisant son entree dedans la ville de Babylonne, les Damoiselles tiroyent si artistement de leurs arcs, que le Zin approchoit à l' harmonie d' un Luth. Tel est le Cliquetis des armes, tel le Craquetis, ou Claquetis de nos dents, quand nous tremblons de froid: Frit, dont nous avons fait frire, fricasser, & friture, ne prend selon mon advis sa source, que du son que le beurre, ou la graisse faict dans les poisles, quand elle commence de se fondre: Esclat, & Esclater, de la roupture violente du bois: Le trot, & le trotter des Chevaux: Mais sur tout il ne faut obmettre nostre jeu de Tric, & Trac: Car s' il vous plaist considerer le son que rapportent les dez estans jettez dans le tablier, il n' est autre que de Tric, & Trac. Le floflotter mis en usage par les Poëtes de nostre temps, pour representer le heurt tumultuaire des flots d' une mer, ou grande riviere courroucée. En cas semblable faisans jouër les marteaux de nos portes, ils font un Tactac.

Au regard de ce qui gist en la voix des animaux, nous pouvons nommer ceux qui s' ensuivent: Le hennir des Chevaux, groigner des Pourceaux, beesler des Moutons & Brebis, sur lequel se voulut jouër si à propos nostre Patelin, le mioller des petits Chats, clabauder des Mastins, japper des petits Chiens, heurler des Loups, bugler des Boeufs, & Vaches, courcaillet des Cailles, guillery du Passereau. Quelqu'un paraventure pensera que nous ayons emprunté plusieurs de ces mots du Romain, pour la rencontre qu' il y a eu de quelques uns d' eux, à nous: Mais ce sont les animaux mesmes, qui par leurs voix nous les ont enseignez. Et trouverez qu' en l' un d' iceux, qui est beesler, nous avons surmonté le Balare Latin, & aussi qu' il nous a surmontez en un autre, qui est le hinnitus du Cheval, que nous disons hennissement. Au moins si les aureilles ne me besgayent, je le pense ainsi. Je ne veux oublier le coqueter des Coqs, & Poules, qui est le langage dont ils nous rompent la teste, quand ils s' entrefont l' amour, & dont avons formé par une belle Metaphore caquetter, lors que quelques babillards nous repaissent de paroles vaines: & de là mesme, les mesdisans ont appellé le caquet des femmes. Mesmes que l' on appelle une femme coquette, qui parle beaucoup sans subject. Quelqu'un adjoustera par forme de supplément à ce chapitre tels autres mots, dont il se souviendra. Je me contenteray de le clorre par ce mot d' Ahan, est une voix qui sort sans art du profond des bucherons, ou autres maneuvres, quand avec toute force de bras, & de corps ils employent leurs cougnées à couper quelques pieces de bois, monstrans par cette voix qu' ils poussent de tout leur reste. Mot que nous avons mis en usage, pour denoter une grande peine, & travail de corps: & Ahanner pour travailler. Ronsard au deuxiesme livre de ses Odes.

Si quelqu'un esternuë

Nous sommes courroucez, si quelqu'un par la ruë

Passe plus grand que nous, nous tressuons d' Ahan,

Si nous oyons crier la nuict quelque Choan

Nous herissons d' effroy.

Du Bellay en ses jeux Rustiques tirez du Latin de Naugerius, introduisant le Vanneur de grain, il luy faict faire cette requeste aux vents:

De vostre douce haleine 

Esventez cette plaine, 

Esventez ce sejour, 

Ce pendant que j' ahanne

A mon blé que je vanne 

En la chaleur du jour.

Il n' est pas que le bon homme Jean Boutillier en sa Somme Rurale, n' ait faict un Ahanable, quand il appelle Terres gaignables ou Ahanables, celles qui sont de grand rapport, & se labourent à grand' peine.