viernes, 4 de agosto de 2023

8. 9. Du Proverbe, Je veux qu' on me tonde, dont userent anciennement nos Peres, & ayeuls, pour signifier une peine.

Du Proverbe, Je veux qu' on me tonde, dont userent anciennement nos Peres, & ayeuls, pour signifier une peine.

CHAPITRE IX.

Ce n' est pas chose de petite recommandation que la longue chevelure, & mesmement entre les Gaulois. Pour le moins le pouvons nous recueillir de ce que l' une partie de nos Gaules estoit appellee Comata, à la difference de celle que l' on appelloit Togata: & encores en ce que nos premiers Roys de la France, par un commun vœu remarquoient leurs Majestez par une bien longue perruque, voire qu' il y eut un Gondovault, qui faillit de se faire declarer Prince du sang soubs la premiere lignee de nos Roys soubs une fause remarque des longs cheveux. Herodote au premier livre recite une Histoire fort notable pour cest effect, quand il dit que les Lacedemoniens avoient accoustumé d' estre tondus, & les Argives autre peuple de la Grece de porter longue chevelure: Toutesfois depuis une bataille entre eux donnee, par laquelle les Lacedemoniens eurent du bon, gaignans sur les autres l' Isle de Tyrce, les victorieux commencerent de porter longs cheveux contre leur ancienne coustume, & les vaincus les tondre avec un ferme propos de ne les laisser croistre, jusques à ce qu' ils eussent recoux leur Isle. De ma part je ne fais point de doute que l' ancienneté tira à gloire & honneur la cheveleure, & estime que cela fut cause que ceux qui quittoient le monde pour se renger aux Cloistres, furent raiz, pour monstrer qu' ils renonçoient à toute mondanité, & aussi paravanture pour tesmoigner toute soubmission & obeyssance envers leurs Superieurs. Nos plus vieilles Croniques parlans d' un homme que l' on rendoit Moine, disoient qu' il avoit esté tondu, & dans le quatriesme livre des Loix de Charlemagne, article vingtdeuxiesme. Si quis puerum invitis parentibus totunderit, aut puellam velaverit. Nous usons encores d' une autre signification de ce mot de Tondre contre celuy qui a perdu sa brigue, ou est descheu de son entreprise, quand nous disons qu' il a esté tondu de sa brigue, ou de son entreprise. Comme si le contraire fust un signe de la victoire, tout ainsi qu' aux Lacedemoniens contre les Argives. Si vous croyez Nicolas Gilles en ses Annales de France, Clodion le Chevelu fut ainsi surnommé: par ce qu' ayant conquis quelque partie des Gaules sur les confins du Rhin, il restablit les cheveux aux Gaulois, que Jules Cesar en signe de victoire leur avoit faict abbatre: Au contraire si à l' Abbé Triteme, il dit que ce surnom luy fut donné, d' autant qu' apres avoir vaincu une partie des Gaulois, il les fit tondre: à fin de les discerner d' avec les François qui avoient participé à ses victoires. Tant y a que soit l' une ou l' autre opinion veritable, le tondre estoit imposé au vaincu, & à vray dire, il semble par ce Distique que le Romain estant victorieux fit tondre les pays par luy subjuguez, pour magnifier leurs victoires: quand Ovide dans ses Amours escrivant à sa Maistresse qui commençoit d' user de faulse Perruque: dit ainsi:

Nunc tibi captivos mittet Germania crines, 

Culta Triumphatae munere gentis eris.

Maintenant tout le Germain 

Fait Romain 

T' envoyera ses cheveux, 

Aux despens de ce pays 

Nouveau pris, 

Cointe seras si tu veux.

Mais dont peut estre provenu que nos predecesseurs passans plus outre denoterent en ce mot de tondre une maniere de peine? François de Villon ce bon fripon en ses Repuës franches parlant du temps qu' il alla à Paris.

Pource que chacun maintenoit 

Que c' estoit la ville du monde, 

Qui plus de monde soustenoit, 

Et où maint estranger abonde, 

Pour la grand science profonde 

Renommee en icelle ville, 

Je partis & veux qu' on me tonde,

S' à l' entree avois croix, ou pille.

Et moy-mesme en ma jeunesse ay veu ce Proverbe fort familierement tomber en nos bouches: maintenant que nous ne nourrissons plus les longs cheveux, on se mocqueroit de celuy qui en useroit. Car nous souhaiterions une peine que nous tournons à honneur. Et certes il ne faut point faire de doute que ce fut anciennement une remarque de peine. Dedans le troisiesme livre des loix de Charlemagne, article 9. De conspirationibus quicunque facere praesumpserunt, & sacramento quamcunque conspirationem firmaverunt, ut triplici ratione iudicentur, Primò ut ubicunque aliquod malum per hoc perpetratum fuit, authores facti interficiantur: Adiutores verò eorum singuli alter ab altero flagellentur, & nares sibi invicem procidant, ubi verò nihil mali perpetratum, similiter quidam inter se flagellentur, & capillos sibi invicem tondeant. C' estoit que celuy qui estoit d' une conjuration, si elle estoit arrivee à quelque effect, devoit estre puny de mort, & ses complices condamnez à s' entrefoüeter, & couper les nez les uns aux autres: Et s' il n' y avoit eu que la simple conjuration, sans passer plus outre, encores se devoient ils fustiger, & couper les cheveux les uns aux autres. Et au 4. livre, art. 17. Qui Epistolam nostram quocunque modo despexerit, iussu nostro ad palatium veniat, & iuxta voluntatem nostram, congruam stultitiiae castigationem accipiat. Et si homo liber aut ministerialis comitis hoc fecerit, honorem qualemcunque, sive beneficium amittat, & si servus, nudus ad palum vapulet, & caput ei tondeatur. En l' un & l' autre article avec le fouët on ordonne l' abatis des cheveux, comme peine extraordinaire. Quelques uns disent que soubs ce mot de tondre on entendoit rendre Moine. Qui est une inepte explication. Parce que les esclaves ne pouvoient en France estre rendus Moynes.

Le jugement que je fais de cecy est, que le commun peuple voyant nos Roys faire profession expresse de porter longues perruques, tira tellement cela à honneur, qu' il estima n' y avoir plus grand signe d' ignominie que d' estre tondu: Car naturellement les sujets desirent se composer aux mœurs de leur Roy. Lors de mon jeune aage nul n' estoit tondu, fors les Moines. Advint par mesme adventure que le Roy François premier de ce nom, ayant esté fortuitement blessé à la teste d' un tizon, par le Capitaine Lorges, sieur de Montgoumery, les medecins furent d' advis de le tondre. Depuis il ne porta plus longs cheveux, estant le premier de nos Roys, qui par un sinistre augure degenera de cette venerable ancienneté. Sur son exemple, les Princes premierement, puis les Gentils-hommes & finalement tous les subjects se voulurent former, il ne fut pas que les Prestres ne se meissent de cette partie. Ce qui eust esté auparavant trouvé plein de mauvais exemple. Sur la plus grande partie du regne de François premier, & devant chacun portoit longue chevelure, & barbe raze, où maintenant chacun est tondu, & porte longue barbe. Accordez je vous supplye la bien seance des deux temps. Cela mesme est autresfois advenu dans Rome, voire aux Empereurs: Parce que les quatorze premiers porterent barbe raze, comme l' on voit par leurs effigies, jusques à l' Empereur Adrian, qui premier enseigna à ses successeurs de nourrir leurs barbes.

jueves, 3 de agosto de 2023

8. 8. Apprendre, ou dire quelque chose par Coeur.

Apprendre, ou dire quelque chose par Coeur.

CHAPITRE VIII.

Nous disons apprendre quelque chose par Coeur, lors que nous exerçons nostre memoire. Mais je vous prie dites moy quelle rencontre a le Coeur avecques nostre memoire? Car si vous parlez aux Medecins, ils vous diront que nostre cerveau est composé de trois ventricules, dont le premier siege de l' imaginative occupe la partie devanciere: au second qui est celuy du milieu se loge le Jugement: & celuy qui est au derriere, qu' ils appellent le Cerebelle, est l' hebergement de nostre Memoire. Chose mesme qui se verifie par des demonstrations oculaires, parce que nous voyons tel affligé en son Jugement qui ne l' est en sa Memoire, & l' autre perdre la Memoire, & non pourtant le Jugement. De cette façon veismes nous sur nos jeunes ans un Nigonius en nostre Université de Paris qui fut d' une prodigieuse Memoire, & neantmoins du tout despourveu de Jugement. Et qu' un Messala sous l' Empereur Auguste, & George Trapezonce du temps de nos ayeuls, tous deux personnages de marque perdirent tout à fait leurs Memoires, sans que leurs Jugemens fussent aucunement alterez, qui ne sont pas petits exemples, pour monstrer que le theoreme soustenu par l' escole des Medecins est tres-veritable. Ce neantmoins il ne faut point faire de doute, que plusieurs ont estime que nostre esprit residoit au Coeur. Je m' en raporte premierement à Momus, lequel au jugement qu' il donna entre Neptune, Minerve, & Vulcain des ouvrages par eux composez, reprist particulierement l' homme forgé par Vulcain, en ce qu' il ne luy avoit fait une fenestre au Coeur, par laquelle on eust peu descouvrir ses pensees. Opinion dont ne s' esloigne pas grandement le commun parler de nos

quatre Evangelistes, quand ils disent que nos pensees gisent au Coeur. Arioste au 19. chant de son Roland le Furieux.

Se, come il viso, si monstrasse il Cuore,

Tel ne la corte è grande & gli altri preme,

E ta l' e en poca gratia al suo Signore,

Che la sorte mut ariono insieme.

Et pour ne m' esloigner du suject qui s' offre, les Romains semblent avoir

esté d' advis aussi bien que nous, que le siege de nostre Memoire estoit au Coeur, quand ils meirent en avant ce mot de Recordor, qui semble avoir pris son origine de Cor: & en plus forts termes estimerent que la Sagesse provenoit du Coeur, lors qu' ils appellerent un homme Sage Cordatum, comme nous recueillons du vers d' Ennius solemnizé par Ciceron en plusieurs endroits.

Egregiè cordatus homo, catus Aeliu' Sextus.

Et disoit Pline en son septiesme livre chap. 31. Corculos apud Romanos fuisse cognominatos qui sapientia praestarent. Comme au contraire la verité est que l' on appelloit Excordes & Vecordes, ceux qui estoient du tout sans entendement. Et à ce propos Ciceron en sa premiere Tusculane disoit: Quid porro ipse animus, aut ubi, aut unde, magna dissensio est:  Alijs cor ipsum animus videtur, ex quo excordes, vecordes, concordesque dicuntur. Et certes toutes & quantesfois que je voy ces Sages Romains avoir estably les principales parties de nostre esprit au Coeur, je ne puis trouver estrange, que cette mesme opinion se soit logee en nostre France, pour le regard de la Memoire. Je ne pense point qu' apres Hippocrat & Galien, il y ait jamais eu un plus grand Medecin que nostre Fernel, lequel en ce docte livre qu' il intitula, la Medecine ramenant à effect l' ancienne opinion des Arabes, se mocque de trois ventricules que l' on dit resider au cerveau, & estime que ces communes fonctions de nostre esprit, je veux dire imaginative, judicative & memoriale y estoient confuses, faisans chacune d' elles leurs operations à leur rang, selon que chacun de nous tend les nerfs de son esprit à l' imagination, jugement, ou memoire. Il vouloit en peu de paroles dire que nostre esprit ne travaille que là où nostre cœur est fiché. J' en parleray comme un aveugle de couleurs, mais si vous me permettez de commenter ce grand personnage, croyez que si son opinion n' est bonne, si est-elle assistee de tres-grands pretextes: car si dans nostre cerveau il y a trois ventricules separez, il faudroit en l' imaginative autant de cellules distinctes, comme il y a de divers effets. Nous avons veu un Tulenus plain de doctrine & sçavoir, qui ne failloit en l' imaginative que de deux poincts, c' est à sçavoir, en l' amour d' une grande Princesse qui estoit long-temps auparavant decedee, & en l' opinion, qu' il estoit Evesque de Cambray. En toutes autres choses, plein de doctrine, & bon suject: Soudain que l' on le mettoit sur l' un ou l' autre de ces poincts, vous le voyez traverser & sortir hors de soy-mesme. Voire qu' à la premiere rencontre de Damoiselle, soudain il se donnoit à la pensee que c' estoit celle pour laquelle il estoit tant esperdu. Et auparavant luy, sous le regne du grand Roy François, nous eusmes un Villemanoche qui ne pechoit en toutes les fonctions de son entendement, sinon lors qu' il entroit sur l' espoir de ses mariages: estimant qu' il n' y avoit grande Princesse qui ne fust enamouree de luy. Au regard de la partie Memoriale, je ne trouve qu' elle face ses operations en moy, sinon és poincts qui me sont plus recommandez, & approchans de mes premieres notions. Suis-je doncques du tout sans memoire? Non, car les impressions que je faits de mes maximes, & de ce qui en despend, me font croire tout le rebours. Au contraire diray-je que j' ay un siege particulier de memoire dans mon cerveau, si je ne me souviens que des choses que j' ay en recommandation? Bref pourquoy ne retiens-je indifferemment toutes choses? D' ailleurs s' il y a dans nostre cerveau une cellule de jugement separee, dont vient que nous ne jugeons indifferemment aussi bien des unes, que des autres choses? Mesme qu' il adviendra qu' un homme qui aura employé, pour complaire à ses pere & mere, tout le temps de sa jeunesse aux lettres, y sera rude & grossier, & ayant tourné sa pensee aux armes, deviendra quelquesfois en moins de rien tres grand Capitaine. Qui est cause de cela? Pour autant qu' il n' avoit son cœur, c' est à dire, son affection aux lettres, ains seulement aux armes. Ny pour cela je ne veux pas soustenir qu' au cœur resident les fonctions de nostre esprit, mais bien nos volontez & affections. Et de faict en commun langage nous disons: Il a eu le cœur de ce faire, il a eu le cœur aux lettres ou aux armes, pour signifier la volonté. Je veux doncques conclurre, & paravanture le concluant ne seray-je desavoüé, qu' il y a tel rapport des fonctions du cœur, au cerveau, & du cerveau au cœur, que nous ne les pouvons considerer separément, & que nostre cerveau ne faict ses operations en nous, sinon de tant & en tant que nostre cœur (fontaine de nos volontez) l' y convie: C' est proprement comme un Horologe: voire ce que l' on dit en commun Proverbe. Ubi intenderis animum, valet. Cela fut cause que quelques uns penserent qu' au cœur residoient les principales parties de nostre esprit, mais principalement de nostre memoire, dont est venuë la maniere de parler, que nous nous sommes proposez au present chapitre.

8. 7. Sales à faire Festes, dances, banquets, festins, festoyer.

De ce que nous appellons Sales à faire Festes, les Sales ordonnees pour faire dances, & banquets, & de ces mots, festins & festoyer.

CHAPITRE VII.

Les mots, aussi bien que les Republiques, ont leurs histoires à part, je veux dire leurs origines, progrés & changemens, selon la diversité des temps, & faisons: Bien est vray que nous couvrons les histoires qui leur sont deuës sous le nom de Grammaire. De ma part je suis d' opinion que la congruité, ou incongruité des paroles se doit emprunter de cet art: Mais de sçavoir comme par traicte de temps, l' usage des paroles s' est changé, comme elles ont pris divers plis, encores que le subject ne se trouve peut estre de grand merite, si est-ce histoire apportant aussi bien plaisir au lecteur, comme quand on luy devise de l' ancienneté d' une Republique, voire que les proverbes, ou paroles, ont quelquesfois ce privilege, de recevoir non seulement changement, comme toutes autres choses: Mais qui plus est ce changement nous donne le plus du temps un taisible advertissement des affaires, qui se sont passees entre nos predecesseurs. Je le vous representeray par exemple. Quand en nostre jeunesse nous usions du mot de tondre pour peine, disans que voulions estre tonduz, si ce que nous disions n' estoit vray, cela ne nous enseignoit il pas qu' anciennement le tondre tournoit entre les nostres à des-honneur? Ce que toutesfois aujourd'huy chacun de nous tourne à honneur, ainsi que je deduiray en son lieu. D' ailleurs quand aussi en nostre jeunesse nous appellions tous ennemis communs de France, Bourguignons, de quelque nation qu' ils fussent: Qui est celuy tant soit peu nourry en nostre histoire, qui ne juge que cela estoit provenu des longues guerres, que les Ducs de Bourgogne avoient diversement entretenues contre nous, sous les regnes de Charles sixiesme, septiesme, & Louys unziesme? En cas semblable quand le peuple pour un creancier appelle un homme Anglois, qui est celuy auquel il ne tombe soudain en l' entendement, que l' Anglois pretendoit avoir faict plusieurs convenances d' argent avec nous, qui ne luy avoient esté acquitees? Paradvanture adviendra-il qu' à nos survivans ce terme ne sera plus en usage: mais tant y a qu' il a esté de nostre temps, & devant.

Je puis doncques dire à bonnes enseignes, que la cognoissance tant des mots que des proverbes, nous apporte le plus du temps certaine cognoissance del' histoire, comme aussi la cognoissance de l' histoire nous apporte certaine information des mots: chose qui se verifiera amplement en ces mots de festes, festins, festoyer, que nous avons par long usage de temps appropriez à jeux, & banquets, combien que le mot de feste en sa vraye & naïfve signification doive estre pris pour un jour dedié par exprés au service divin: Corruption qui s' est insinuee entre nous par un ancien paganisme, dont je vous diray la cause. Encores que nos premiers peres Chrestiens eussent banny de nostre Eglise toutes les superstitions des Ethniques, toutesfois comme ainsi soit que tout peuple de quelque religion qu' il soit, est tousjours peuple qui se delecte plus du contentement exterieur des sens, que de l' interieur; aussi ne s' estans tout d' un coup espanduës les semences de la doctrine de Jesus-Christ par tout l' Univers, ains ayans pris petit à petit leurs racines, nous empruntasmes plusieurs choses des payens par une mutuelle conversation, les unes par la prudence de nos bons vieux peres pour les allecher à se rendre nostres, les autres par une dispence particuliere du peuple: Comme de faict nous voyons qu' au lieu des anciennes Bacchanales, nous avons introduit un Carnaval plein d' insolence, & mauvais exemple: & au lieu des Saturnales, les desbauches que nous faisons à la feste des Roys. Or estoit ce une coustume generale, & infailliblement observée par les Romains en toutes leurs festes de marque, de faire jeux, dances, & theatres publicques pour le contentement du peuple: Ainsi lisons nous que la Venerie estoit dediée à Saturne, les jeux Sceniques au Dieu Liber, les Circenses à Consus Dieu du Conseil. Et y avoit mesmes un ancien Decret du Senat de Rome, qui vouloit que les jeux publiques fussent non seulement honorez de la musique, & hautbois, mais aussi qu' ils fussent consacrez & unis avec le service divin. C' est pourquoy Seneque en son traicté de la Tranquillité de nostre vie, disoit, Legum conditores festos instituerunt dies, ut ad hilaritatem homines publicè cogerentur, tanquam necessarium laboribus imponeretur temperamentum. A ce propos disoit Labeon le Jurisconsulte, ainsi que nous apprenons de S. Augustin en son I. livre de la Cité de Dieu, chap. 12. que les fascheux Dieux s' appaisoient par sacrifices, & morts, & les bons par danses, banquets, & jeux. A cette occasion lisons nous, que pour appaiser l' ire du temps, sur les premiers jours du mois de May, ils avoient accoustumé de celebrer la feste de Flora Deesse des fruits, en laquelle ils se debordoient infiniment: Car d' un costé la jeunesse alloit au bois, & rapportoit une infinité de rameaux dans la ville, dont elle reparoit les maisons: d' un autre costé les filles de joye couroient nuës au milieu des ruës, ayans seulement les parties honteuses couvertes: Et lors se donnoient puissance de brocarder impunément tous ceux qui se rencontroient devant elles. Il ne faut point faire de doute qu' en telles joyes publicques l' on ne fist plusieurs grands banquets, mesmes avoient lors de coustume de s' entreenvoyer des tartres, & gasteaux, comme nous apprenons du Poëte Ovide dans ses Fastes. Ce que j' ay veu aussi avoir esté autresfois pratiqué dans Paris au jour de la feste d' une paroisse. Les Chrestiens qui vivoient au milieu des payens ne se pouvoient bonnement garder de se trouver en tels jeux publics, bien que ce ne fust par devotion, ains seulement pour se recreer. Qui appresta suject aux anciens Censeurs de nostre Eglise, comme à uns Tertullian, S. Cyprian, & S. Augustin, de crier aigrement encontre eux, comme tombans par ce moyen en une vraye idolatrie. Ceux cy se deffendoient au contraire de quelques passages de la saincte Escriture, qu' ils tiroient mal à propos à leur advantage, pour monstrer que ce n' estoit point chose repugnante à la Religion Chrestienne, que les jours de festes fussent solemnisez par dances, & joyeusetez, contre lesquels S. Cyprian fit la cent troisiesme Epistre qu' il escrit aux fideles Chrestiens: Eo usque (dit-il) enervatus est Ecclesiasticae disciplinae vigor, & ita omni langòre vitiorum paecipitatur in peius, ut iam non vitius excusatio, sed authoritas detur. Et peu apres, Non pudet, non pudet (inquam) fideles homines, & Christiani nominis authoritatem sibi vendicantes, superstitiones vanas gentilium, cum spectaculis mixtas, de scripturis coelestibus vendiadre, & authoritatem idololatriae conferre. Nam quando id quod in honore alicuius idoli ab Ethnicis agitur, à fidelibus Christianis spectaculo frequentatur, & idololatria gentilis asseritur, & in contumeliam Dei, vera & divina religio calcatur, pudor me tenet, praescriptiones eorum in hac caussa, nec patrocinia referre. Ubi (inquiunt) scripta sunt ista? ubi prohibita? alioqui & auriga est Israël, Helias, & ante arcam David ipse salutavit. Nalba, aera, tympana, tibias, citharas, & choros legimus. Cur ergo homini Christiano non liceat spectare quod licuit divinis scribere? Hoc loco dixerim longè melius fuisse istis nullas litteras nosse, quam sic litteras legere. Verba enim, & exempla, quae ad exhortationem Evangelicae virtutis posita sunt, ad vitiorum patrocinia transferuntur. 

Là il dit que ce que David faisoit, estoit en l' honneur de Dieu, & non des idoles, & à peu dire, il ne se scandalize point des spectacles sinon de tant qu' ils estoient faicts en faveur des idoles: Cela fut cause, si je ne m' abuse, que pour contenir aucunement le peuple, qui estoit fort en bride, & a fin de l' empescher de se trouver en la solennité des festes payennes, on tolera en nostre Religion les danses, banquets, & allegresses, souffrant aucunement un mal, pour empescher un pire: Et de là, si y prenez garde, il n' y a feste de village, je veux dire où l' on celebre la feste du sainct Parrochial, que par mesme moyen on ne l' accompagne de danses, & banquets: Et dans les villes mesmes en temps de pleine paix j' y ay veu autresfois pratiquer le semblable, au moins en celle de Paris. Il n' est pas qu' en quelques villes, & nommément en celle de Lagny, on n' ait voulut representer les jeux Floraux le jour de la Pentecoste: Car lors dés le matin le commun peuple au lieu d' aller à l' Eglise, va au bois cueillir des rameaux, & l' appresdinee (apresdinee) fait une infinité d' exercices de corps plaisans, voire y a certains paysans en chemise qui courent un jeu de prix. Coustume qui fut deffenduë par Arrest de la Cour de Parlement de Paris, moy playdant pour les Religieux, Abbé, & Convent de Lagny: Arrest toutesfois que je pense n' avoir sorty effect pour les Troubles depuis survenus en cette France. Et a fin que l' on ne pense que cecy vienne d' une coustume moderne seulement, les anciens Concils ne se plaignent d' autre chose que de telles folastries. Au quatriesme Concil de Cartage celuy est excommunié, qui au lieu d' assister à l' Eglise va aux jours de Festes, aux spectacles & farces publiques. Et au 4. Concil de Tolede il est porté en tels termes. Que c' est une coustume abusive usurpee par la populace, aux jours & festes des Saincts, de s' amuser aux dances vilaines, au lieu de vacquer au service divin. De là à mon advis est venu que nous usons indifferemment du mot de Feste, tantost pour signifier un jour dedié à la commemoration d' un Sainct, tantost pour un lieu destiné à faire dances, comme nous voyons que l' on appelle une Sale à faire Festes, en laquelle on reçoit les personnes pour rire, sauter, & dancer aux nopces des nouveaux mariez. De là quand nous oyons par la ruë quelque Instrument de Musique, nous disons à nos petits enfans que c' est la feste. De là, que nous ne mettons aucune difference entre Festins, & Banquets, Festoyer & Banqueter: voire qu' avec terme plus propre nous ne pouvons nommer celuy qui faict le Banquet, que Festivant. Toutes choses vrayement qui sont ainsi dites par abus, mais abus qui ne se cognoistroit sans la cognoissance de l' ancienneté & l' Histoire.