viernes, 4 de agosto de 2023

8. 10. Du Proverbe, Faire la barbe à quelqu'un.

Du Proverbe, Faire (bien) la barbe à quelqu'un.  

CHAPITRE X.

Nous usons de ce Proverbe quand nous voulons dire que nous avons bravé quelqu'un. Proverbe qui eust esté ridicule lors que nous portions barbes razes, tout ainsi que maintenant celuy dont j' ay discouru au precedant chapitre: Toutesfois il ne faut point faire de doute qu' autresfois cela se tournoit en une bien grande injure. Dedans les anciennes loix d' Allemagne, au tiltre 66. il estoit deffendu de tondre un homme libre, ou luy raire sa barbe, contre sa volonté, sous les peines qui y sont portees. Nous lisons dedans nos Annales, que Dagobert jeune Prince se voulant venger d' un sien Gouverneur, luy fit raire sa barbe, pour un despit qu' il avoit conceu contre luy: Chose qui se descouvre avoir esté en usage par un autre exemple autant & plus exprés que cestuy-là, en un vieux Roman intitulé La jeunesse d' Ogier le Danois, où parlant des Ambassadeurs que Charlemagne avoit envoyez en Dannemarc, vers Geofroy pere d' Ogier, pour recevoir le tribut qui estoit deu à l' Empereur, & deduisant l' indignité dont la femme de Geofroy avoit usé envers eux.

Advise soy de grand diversité

De mes Charlons n' anessum honoré, 

Chacun fait raire sa barbe outre son gré,

Pource que Charles qui tant a de fierté, 

Ait si son cuer de despit allumé, 

Quand li Mes Charles furent à ce mené, 

Qu' ils se veirent ainsi defiguré, 

Bien pouvez croire que ce leur a grevé.

Et les Ambassadeurs de retour vers Charlemagne, luy dirent.

En voz despit feumes si mal tenus, 

Que sans noz barbes sommes cy revenus.

Et de là faict un discours que Charlemagne vouloit entreprendre contre Geofroy une forte guerre. Qui nous est une leçon, soit que ce compte soit vray ou non, que pour le moins l' autheur du Roman estimoit estre grande injure, de faire la barbe à quelqu'un contre sa volonté, & paravanture de cela est procedé que par un commun Proverbe nous disons, Faire la barbe à quelqu'un, quand on l' a bravé de parole, ou d' effect.

8. 9. Du Proverbe, Je veux qu' on me tonde, dont userent anciennement nos Peres, & ayeuls, pour signifier une peine.

Du Proverbe, Je veux qu' on me tonde, dont userent anciennement nos Peres, & ayeuls, pour signifier une peine.

CHAPITRE IX.

Ce n' est pas chose de petite recommandation que la longue chevelure, & mesmement entre les Gaulois. Pour le moins le pouvons nous recueillir de ce que l' une partie de nos Gaules estoit appellee Comata, à la difference de celle que l' on appelloit Togata: & encores en ce que nos premiers Roys de la France, par un commun vœu remarquoient leurs Majestez par une bien longue perruque, voire qu' il y eut un Gondovault, qui faillit de se faire declarer Prince du sang soubs la premiere lignee de nos Roys soubs une fause remarque des longs cheveux. Herodote au premier livre recite une Histoire fort notable pour cest effect, quand il dit que les Lacedemoniens avoient accoustumé d' estre tondus, & les Argives autre peuple de la Grece de porter longue chevelure: Toutesfois depuis une bataille entre eux donnee, par laquelle les Lacedemoniens eurent du bon, gaignans sur les autres l' Isle de Tyrce, les victorieux commencerent de porter longs cheveux contre leur ancienne coustume, & les vaincus les tondre avec un ferme propos de ne les laisser croistre, jusques à ce qu' ils eussent recoux leur Isle. De ma part je ne fais point de doute que l' ancienneté tira à gloire & honneur la cheveleure, & estime que cela fut cause que ceux qui quittoient le monde pour se renger aux Cloistres, furent raiz, pour monstrer qu' ils renonçoient à toute mondanité, & aussi paravanture pour tesmoigner toute soubmission & obeyssance envers leurs Superieurs. Nos plus vieilles Croniques parlans d' un homme que l' on rendoit Moine, disoient qu' il avoit esté tondu, & dans le quatriesme livre des Loix de Charlemagne, article vingtdeuxiesme. Si quis puerum invitis parentibus totunderit, aut puellam velaverit. Nous usons encores d' une autre signification de ce mot de Tondre contre celuy qui a perdu sa brigue, ou est descheu de son entreprise, quand nous disons qu' il a esté tondu de sa brigue, ou de son entreprise. Comme si le contraire fust un signe de la victoire, tout ainsi qu' aux Lacedemoniens contre les Argives. Si vous croyez Nicolas Gilles en ses Annales de France, Clodion le Chevelu fut ainsi surnommé: par ce qu' ayant conquis quelque partie des Gaules sur les confins du Rhin, il restablit les cheveux aux Gaulois, que Jules Cesar en signe de victoire leur avoit faict abbatre: Au contraire si à l' Abbé Triteme, il dit que ce surnom luy fut donné, d' autant qu' apres avoir vaincu une partie des Gaulois, il les fit tondre: à fin de les discerner d' avec les François qui avoient participé à ses victoires. Tant y a que soit l' une ou l' autre opinion veritable, le tondre estoit imposé au vaincu, & à vray dire, il semble par ce Distique que le Romain estant victorieux fit tondre les pays par luy subjuguez, pour magnifier leurs victoires: quand Ovide dans ses Amours escrivant à sa Maistresse qui commençoit d' user de faulse Perruque: dit ainsi:

Nunc tibi captivos mittet Germania crines, 

Culta Triumphatae munere gentis eris.

Maintenant tout le Germain 

Fait Romain 

T' envoyera ses cheveux, 

Aux despens de ce pays 

Nouveau pris, 

Cointe seras si tu veux.

Mais dont peut estre provenu que nos predecesseurs passans plus outre denoterent en ce mot de tondre une maniere de peine? François de Villon ce bon fripon en ses Repuës franches parlant du temps qu' il alla à Paris.

Pource que chacun maintenoit 

Que c' estoit la ville du monde, 

Qui plus de monde soustenoit, 

Et où maint estranger abonde, 

Pour la grand science profonde 

Renommee en icelle ville, 

Je partis & veux qu' on me tonde,

S' à l' entree avois croix, ou pille.

Et moy-mesme en ma jeunesse ay veu ce Proverbe fort familierement tomber en nos bouches: maintenant que nous ne nourrissons plus les longs cheveux, on se mocqueroit de celuy qui en useroit. Car nous souhaiterions une peine que nous tournons à honneur. Et certes il ne faut point faire de doute que ce fut anciennement une remarque de peine. Dedans le troisiesme livre des loix de Charlemagne, article 9. De conspirationibus quicunque facere praesumpserunt, & sacramento quamcunque conspirationem firmaverunt, ut triplici ratione iudicentur, Primò ut ubicunque aliquod malum per hoc perpetratum fuit, authores facti interficiantur: Adiutores verò eorum singuli alter ab altero flagellentur, & nares sibi invicem procidant, ubi verò nihil mali perpetratum, similiter quidam inter se flagellentur, & capillos sibi invicem tondeant. C' estoit que celuy qui estoit d' une conjuration, si elle estoit arrivee à quelque effect, devoit estre puny de mort, & ses complices condamnez à s' entrefoüeter, & couper les nez les uns aux autres: Et s' il n' y avoit eu que la simple conjuration, sans passer plus outre, encores se devoient ils fustiger, & couper les cheveux les uns aux autres. Et au 4. livre, art. 17. Qui Epistolam nostram quocunque modo despexerit, iussu nostro ad palatium veniat, & iuxta voluntatem nostram, congruam stultitiiae castigationem accipiat. Et si homo liber aut ministerialis comitis hoc fecerit, honorem qualemcunque, sive beneficium amittat, & si servus, nudus ad palum vapulet, & caput ei tondeatur. En l' un & l' autre article avec le fouët on ordonne l' abatis des cheveux, comme peine extraordinaire. Quelques uns disent que soubs ce mot de tondre on entendoit rendre Moine. Qui est une inepte explication. Parce que les esclaves ne pouvoient en France estre rendus Moynes.

Le jugement que je fais de cecy est, que le commun peuple voyant nos Roys faire profession expresse de porter longues perruques, tira tellement cela à honneur, qu' il estima n' y avoir plus grand signe d' ignominie que d' estre tondu: Car naturellement les sujets desirent se composer aux mœurs de leur Roy. Lors de mon jeune aage nul n' estoit tondu, fors les Moines. Advint par mesme adventure que le Roy François premier de ce nom, ayant esté fortuitement blessé à la teste d' un tizon, par le Capitaine Lorges, sieur de Montgoumery, les medecins furent d' advis de le tondre. Depuis il ne porta plus longs cheveux, estant le premier de nos Roys, qui par un sinistre augure degenera de cette venerable ancienneté. Sur son exemple, les Princes premierement, puis les Gentils-hommes & finalement tous les subjects se voulurent former, il ne fut pas que les Prestres ne se meissent de cette partie. Ce qui eust esté auparavant trouvé plein de mauvais exemple. Sur la plus grande partie du regne de François premier, & devant chacun portoit longue chevelure, & barbe raze, où maintenant chacun est tondu, & porte longue barbe. Accordez je vous supplye la bien seance des deux temps. Cela mesme est autresfois advenu dans Rome, voire aux Empereurs: Parce que les quatorze premiers porterent barbe raze, comme l' on voit par leurs effigies, jusques à l' Empereur Adrian, qui premier enseigna à ses successeurs de nourrir leurs barbes.

jueves, 3 de agosto de 2023

8. 8. Apprendre, ou dire quelque chose par Coeur.

Apprendre, ou dire quelque chose par Coeur.

CHAPITRE VIII.

Nous disons apprendre quelque chose par Coeur, lors que nous exerçons nostre memoire. Mais je vous prie dites moy quelle rencontre a le Coeur avecques nostre memoire? Car si vous parlez aux Medecins, ils vous diront que nostre cerveau est composé de trois ventricules, dont le premier siege de l' imaginative occupe la partie devanciere: au second qui est celuy du milieu se loge le Jugement: & celuy qui est au derriere, qu' ils appellent le Cerebelle, est l' hebergement de nostre Memoire. Chose mesme qui se verifie par des demonstrations oculaires, parce que nous voyons tel affligé en son Jugement qui ne l' est en sa Memoire, & l' autre perdre la Memoire, & non pourtant le Jugement. De cette façon veismes nous sur nos jeunes ans un Nigonius en nostre Université de Paris qui fut d' une prodigieuse Memoire, & neantmoins du tout despourveu de Jugement. Et qu' un Messala sous l' Empereur Auguste, & George Trapezonce du temps de nos ayeuls, tous deux personnages de marque perdirent tout à fait leurs Memoires, sans que leurs Jugemens fussent aucunement alterez, qui ne sont pas petits exemples, pour monstrer que le theoreme soustenu par l' escole des Medecins est tres-veritable. Ce neantmoins il ne faut point faire de doute, que plusieurs ont estime que nostre esprit residoit au Coeur. Je m' en raporte premierement à Momus, lequel au jugement qu' il donna entre Neptune, Minerve, & Vulcain des ouvrages par eux composez, reprist particulierement l' homme forgé par Vulcain, en ce qu' il ne luy avoit fait une fenestre au Coeur, par laquelle on eust peu descouvrir ses pensees. Opinion dont ne s' esloigne pas grandement le commun parler de nos

quatre Evangelistes, quand ils disent que nos pensees gisent au Coeur. Arioste au 19. chant de son Roland le Furieux.

Se, come il viso, si monstrasse il Cuore,

Tel ne la corte è grande & gli altri preme,

E ta l' e en poca gratia al suo Signore,

Che la sorte mut ariono insieme.

Et pour ne m' esloigner du suject qui s' offre, les Romains semblent avoir

esté d' advis aussi bien que nous, que le siege de nostre Memoire estoit au Coeur, quand ils meirent en avant ce mot de Recordor, qui semble avoir pris son origine de Cor: & en plus forts termes estimerent que la Sagesse provenoit du Coeur, lors qu' ils appellerent un homme Sage Cordatum, comme nous recueillons du vers d' Ennius solemnizé par Ciceron en plusieurs endroits.

Egregiè cordatus homo, catus Aeliu' Sextus.

Et disoit Pline en son septiesme livre chap. 31. Corculos apud Romanos fuisse cognominatos qui sapientia praestarent. Comme au contraire la verité est que l' on appelloit Excordes & Vecordes, ceux qui estoient du tout sans entendement. Et à ce propos Ciceron en sa premiere Tusculane disoit: Quid porro ipse animus, aut ubi, aut unde, magna dissensio est:  Alijs cor ipsum animus videtur, ex quo excordes, vecordes, concordesque dicuntur. Et certes toutes & quantesfois que je voy ces Sages Romains avoir estably les principales parties de nostre esprit au Coeur, je ne puis trouver estrange, que cette mesme opinion se soit logee en nostre France, pour le regard de la Memoire. Je ne pense point qu' apres Hippocrat & Galien, il y ait jamais eu un plus grand Medecin que nostre Fernel, lequel en ce docte livre qu' il intitula, la Medecine ramenant à effect l' ancienne opinion des Arabes, se mocque de trois ventricules que l' on dit resider au cerveau, & estime que ces communes fonctions de nostre esprit, je veux dire imaginative, judicative & memoriale y estoient confuses, faisans chacune d' elles leurs operations à leur rang, selon que chacun de nous tend les nerfs de son esprit à l' imagination, jugement, ou memoire. Il vouloit en peu de paroles dire que nostre esprit ne travaille que là où nostre cœur est fiché. J' en parleray comme un aveugle de couleurs, mais si vous me permettez de commenter ce grand personnage, croyez que si son opinion n' est bonne, si est-elle assistee de tres-grands pretextes: car si dans nostre cerveau il y a trois ventricules separez, il faudroit en l' imaginative autant de cellules distinctes, comme il y a de divers effets. Nous avons veu un Tulenus plain de doctrine & sçavoir, qui ne failloit en l' imaginative que de deux poincts, c' est à sçavoir, en l' amour d' une grande Princesse qui estoit long-temps auparavant decedee, & en l' opinion, qu' il estoit Evesque de Cambray. En toutes autres choses, plein de doctrine, & bon suject: Soudain que l' on le mettoit sur l' un ou l' autre de ces poincts, vous le voyez traverser & sortir hors de soy-mesme. Voire qu' à la premiere rencontre de Damoiselle, soudain il se donnoit à la pensee que c' estoit celle pour laquelle il estoit tant esperdu. Et auparavant luy, sous le regne du grand Roy François, nous eusmes un Villemanoche qui ne pechoit en toutes les fonctions de son entendement, sinon lors qu' il entroit sur l' espoir de ses mariages: estimant qu' il n' y avoit grande Princesse qui ne fust enamouree de luy. Au regard de la partie Memoriale, je ne trouve qu' elle face ses operations en moy, sinon és poincts qui me sont plus recommandez, & approchans de mes premieres notions. Suis-je doncques du tout sans memoire? Non, car les impressions que je faits de mes maximes, & de ce qui en despend, me font croire tout le rebours. Au contraire diray-je que j' ay un siege particulier de memoire dans mon cerveau, si je ne me souviens que des choses que j' ay en recommandation? Bref pourquoy ne retiens-je indifferemment toutes choses? D' ailleurs s' il y a dans nostre cerveau une cellule de jugement separee, dont vient que nous ne jugeons indifferemment aussi bien des unes, que des autres choses? Mesme qu' il adviendra qu' un homme qui aura employé, pour complaire à ses pere & mere, tout le temps de sa jeunesse aux lettres, y sera rude & grossier, & ayant tourné sa pensee aux armes, deviendra quelquesfois en moins de rien tres grand Capitaine. Qui est cause de cela? Pour autant qu' il n' avoit son cœur, c' est à dire, son affection aux lettres, ains seulement aux armes. Ny pour cela je ne veux pas soustenir qu' au cœur resident les fonctions de nostre esprit, mais bien nos volontez & affections. Et de faict en commun langage nous disons: Il a eu le cœur de ce faire, il a eu le cœur aux lettres ou aux armes, pour signifier la volonté. Je veux doncques conclurre, & paravanture le concluant ne seray-je desavoüé, qu' il y a tel rapport des fonctions du cœur, au cerveau, & du cerveau au cœur, que nous ne les pouvons considerer separément, & que nostre cerveau ne faict ses operations en nous, sinon de tant & en tant que nostre cœur (fontaine de nos volontez) l' y convie: C' est proprement comme un Horologe: voire ce que l' on dit en commun Proverbe. Ubi intenderis animum, valet. Cela fut cause que quelques uns penserent qu' au cœur residoient les principales parties de nostre esprit, mais principalement de nostre memoire, dont est venuë la maniere de parler, que nous nous sommes proposez au present chapitre.