lunes, 7 de agosto de 2023

8. 46. Mestayer, Moitoyen, Mien, & Tien.

Mestayer, Moitoyen, Mien, & Tien. 

CHAPITRE XLVI.

Encores que les Romains peussent en diverses façons affermer leurs terres tantost en argent, tantost à certaine quantité de grain, selon que les volontez des contractans les admonestoient de faire, si avoient-ils en tres-grande recommandation le loüage qui se faisoit de leurs terres, à moitié: Pour cette cause voyons nous estre faicte en leurs loix si frequente mention d' un Colon partiaire. (Les Latins l' appellent Colonum partiarium) & sur le declin mesme de l' Empire y eut une loy de l' Empereur Valentinian, par laquelle il estoit deffendu à tous Maistres d' affermer leurs terres en argent, ains de soy contenter de ce qu' elles rapporteroient, laquelle loy tout ainsi qu' elle a receu diverses significations par les Commentateurs de droict, pour ne la rendre point contrevenante à quelques autres; aussi ne suis-je point exposé en ce lieu pour discourir, si elle a esté en tout, & par tout entretenuë selon sa forme & teneur; ains me contenteray de l' avoir alleguee, pour monstrer que c' estoit chose assez familiere en la ville de Rome d' affermer ses terres à moitié de grain. Cette mesme coustume semble s' estre insinuee entre nos anciens: Car à bien dire le mot de Metayer nous est aussi propre pour cest effect que le Partiaire en Latin, l' un prenant sa derivation de Partiri, & l' autre du mot de moitié. Pour laquelle cause mesmement vous trouverez en quelques vieux contracts qui sont reduits en Latin tel que l' infelicité du temps portoit lors, que tels fermiers sont appellez d' un mot Barbare Medietarij, qui vaut autant que s' ils eussent esté appellez Partiarij. Depuis comme toutes choses prennent divers plis, aussi s' est ceste particularité de coustume changee: De maniere que soit que l' on baille en argent, ou en bled, ou à moitié, nous les appellons tous Metayers; Tout ainsi que nous avons veu de nostre temps en cette France toutes sortes d' heretiques avoir esté appellez Lutheriens, bien qu' ils eussent quelque opinion separee de Martin Luther: Mais parce que les affaires de l' Eglise estans bien composees, Luther avoit esté le premier, qui du temps de nos peres remüa l' Estat de nostre Religion. L' origine de cette diction Metayer fera peut estre juger que d' un mesme tige soit aussi procedé le mot de Moitoyen, pour autant qu' il semble avoir quelque affinité avecques l' autre: Toutesfois qui voudra rechercher cette ancienneté à son vray point, il trouvera à mon jugement que les choses vont tout autrement, & que sous une proximité, & rencontre de dictions il y a diversité de sources: Car aussi le Metayer, comme j' ay dit, signifie celuy qui partit à moitié avec son Maistre, & le Moitoyen signifie une chose commune, & que l' on ne divise: Mais au contraire que l' on tient, & possede par indivis. Parquoy pour entendre en peu de paroles dont vient ce mot, la verité est que ces deux mots Mien & tien, & aussi Mienne & tienne, furent incogneus à nos anciens: Mais comme ainsi soit que tels mots soient derivez de moy & toy, aussi au lieu de mienne & tienne ils disoient moye & toye, & au lieu de mien, & tien, moyen, & toyen. Guillaume de Lorris en son Roman de la Rose faisant hommage à Cupidon.

Quand sa bouche toucha la moye,

Ce fut ce dont au cœur j' eus joye.

Et Jean de Mehun apres luy, au mesme livre, en quelque lieu, où il faict mention d' un jugement donné à Rome:

Sire Juge donnez sentence 

Pour moy, car la pucelle est moye. 

Et en un autre endroict:

Apprenez moy donc en vos voyes

Lesquelles choses seront moyes.

En la vieille histoire de sainct Denis livre second, chapitre troisiesme, Bellissaire escrivant à l' Empereur Justinian: Ceux qui avoient envie de ta santé, & de la moye. Je sçay bien que l' on trouvera en plusieurs endroits du Roman de la Rose, qui est imprimé, Mien & tien: Mais il ne faut faire aucune doubte que ces passages sont corrompus par ceux qui de nostre temps ont pensé beaucoup meriter de la langue Françoise, en reduisant ce bon vieux livre au langage qui court à present: En quoy je ne puis que je n' accuse à bon droict la miserable diligence de tels gaste-tout, lesquels estimans faire quelque brave traict de leurs plumes, nous ont en la plus part eschangé, & ce bon vieux Roman de la Roze, & la vie de sainct Louys du Sire Jean de Joinville, & encores par une impression recente l' Histoire de Jean Froissard, ne considerans pas toutes-fois qu' en ce faisant ils nous frustroient entierement de la cognoissance de l' ancienneté de nostre langue, laquelle nous ne pouvons remarquer, singulierement dans le Roman, sinon par la fin, & cadance du vers, que l' on n' a peu changer à cause de la rime. Or que les anciens usassent de Moyen, & toyen, je l' ay mesmes appris de Maistre Raoul de Presles (qui fut long temps apres Guillaume de Lorris, & Jean de Mehun) au Livre par lequel il pretend monstrer, que la Monarchie de France ne recognoist en rien pour temporel l' authorité du Sainct Siege: Cette antiquité me faict penser que de Moyen, & Toyen, vient le mot de Moitoyen, dont nous usons par une elision de la derniere syllabe de Moyen, comme si nous eussions voulu dire que ce mur estoit Mien & Tien.

8. 45. Capet & Hutin.

Capet & Hutin.

CHAPITRE XLV.

Vrayement je ne puis que je ne me plaigne de l' injure que nous faisons à la memoire de nostre Hugue qui a esté l' un des plus grands Roys de la France, Roy dis-je qui a donné vogue à la troisiesme lignee de nos Rois, lequel nous avons surnommé Capet: Et neantmoins je n' en trouve presque un tout seul, qui nous enseigne pourquoy luy ait esté baillé ce surnom. Quelques uns (comme Nicolas Gilles en ses Annales) disent que ce fut par forme de sobriquet: D' autant que luy jeune avoit accoustumé de jetter en folastrant, les chappeaux des jeunes Princes & Seigneurs qui le suivoient: Mais si les Chaperons estoient lors, & long temps apres, plus en usage que les chappeaux, je ne voy point sur quel pied nous puissions fonder cette divination: joint que la grandeur de ses gestes, sur laquelle il establit avec le progrez de temps sa fortune, pouvoit faire oublier toutes ces jeunesses, & folastries. C' est pourquoy j' ayme mieux adherer avec le bon homme Cenalis Evesque d' Auranches, qui en ses Perioques dit que tout ainsi que Charles fils de Pepin fut par aucuns appellé Charles le Grand, & des autres Charlemagne, d' un mot corrompu du Latin, pour la grandeur de ses Chevaleries: Aussi Hugue pour le grand sens qu' il apporta en la conduite de ses affaires, fut appellé Capet, d' un mot à demy Latin qui signifie le Chef: Car aussi à vray parler, vous trouverez en toutes ses actions plus de conseil, que de hauts faits d' armes.

Cecy me fait tomber de luy à Louys Hutin, duquel messire Jean du Tillet Evesque de Meaux en son abbregé des Croniques de France, dit en deux mots, Louys Hutin, quasi Mutin. En quoy la rime se trouvera bonne & riche: Mais quelques uns pourroient douter que la raison ne soit de mesme parure, & neantmoins nostre Paule Aemile est de mesme advis. Il est certain que le mot de Hutin à nos anciens signifioit noise, pour le moins ainsi le trouvé-je dans Froissard, au 15. chap. du I. Tome de son histoire, où racontant l' appareil que le Roy Edoüard faisoit en Angleterre contre Robert Roy d' Escosse, & les allegresses que l' on fit à la venuë de sire Jean de Hainaut. Là pouvoit-on voir (dit-il) Dames noblement parees & richement, qui eust eu le loisir de danser, ou de plus festoyer. Mais nenny. Car tantost apres disner un grand Hutin commença entre aucuns garçons des Hannuyers, & des Archers d' Angleterre. Et peu apres. Quand les nostres eurent nouvelles de ce Hutin. Lequel mot il repete encore au 45. chap. & Jean Moulinet en quelque passage de ses œuvres dit Hutiner pour noiser ou quereller. Mais pourquoy appellerons nous ce Roy Hutin pour noiseux? Car je ne recognois rien de querelleux en luy par tout le discours de sa vie. Un autre que moy le devinera. Parce que l' histoire de son regne est si courte, que nous n' avons le moyen de juger quelle fut sa vie. Car de luy attribuer (comme quelques uns le pensent) l' establissement du Parlement de Paris, c' est errer.

domingo, 6 de agosto de 2023

8. 44. Ribaux, Ribaudes, Roy des Ribaux.

Ribaux, Ribaudes, Roy des Ribaux.

CHAPITRE XLIV.

Il n' y a dignité temporelle en France, qui entre en comparaison avecques celle du Roy: & neantmoins il n' y a parole en laquelle nos devanciers se soyent tant licentieusement desbordez qu' en cette cy, en subjects, les uns plus ravalez, les autres plus relevez. Roy des Merciers, Roy des Barbiers, Roy des Poëtes, Roy des Arbalestiers, Roy d' armes, Roy des Ribaux. Je vous laisse celuy de la Bazoche qui a lieu entre les Clercs du Palais. Et seroit tresmalaisé, voire impossible de dire pourquoy on honora les superieurs de ces six ordres du nom de Roy, au desavantage de tous les autres, & plus encores de deviner en quels temps ces Royautez imaginaires feurent introduites, fors celle des Arbalestiers, en laquelle nous trouvons lettres patentes de Charles

VI. du 26. Avril 1411. portans que le Roy avoit receu la suplication des Roy, Connestable, & Maistres de la Confrairie des soixante Arbalestiers de Paris: Le Roy des Merciers avoit l' œil sur les poids, aulnes, & mesures des Marchands: Le Roy des Barbiers, sur tous les autres Barbiers, ores qu' ils fussent passez Maistres en leur mestier & pouvoient l' un & l' autre, chachun endroit soy, proceder par amendes contre ceux esquels ils trouvoient quelque defaut.

Le Roy des Poëtes estoit celuy qui és jeux floraux de nostre Poësie ancienne se trouvoit avoir mieux besongne que tous les autres fatistes, & des lors l' année ensuivant jugeoit des Poësie (Poësies) de ses compagnons, ainsi que j' ay monstré au cinquiesme Chapitre du sixiesme livre de ces miennes Recherches: Le Roy des Arbalestiers, celuy qui avoit gaigné le prix sur ses Confreres au jeu de l' Arbaleste: & à vray dire les deux premiers visoient au gain sous le pretexte de leurs visitations, & les deux derniers à l' honneur. Quant aux Roys d' armes ou des armes, c' estoient les Heraux, lesquels comme messagers de paix ou de la guerre revestus de leurs cottes de velours pers pourfilées devant & derriere des armoiries d' or de la France, pouvoient aller trouver l' ennemy avec toute asseurance de leurs personnes pour executer ce qui estoit de leur charge.

Le dernier fut le Roy des Ribaux auquel j' ay dedié ce present Chapitre. De tous les autres nous sommes asseurez quelles estoient leurs fonctions; de cettuy cy on en doubte.

Si vous parlez à du Tillet, voicy quel en feut son advis, que je vous transcriray mot pour mot du tiltre du Prevost de l' Hostel du Roy.

Es Estats des Roys Philippes nommez au Chapitre precedant est faicte mention du Roy des Ribaux officier domestique, lequel se devoit tousjours tenir hors de la porte de l' Hostel du Roy, par l' ordonnance du Roy Philippe le long faite à Lorry en Gastinois le Jeudy 17. Novembre 1317. nommant Crasse Ire qui tenoit le dit office, ainsi appellé pour ce que les mauvais garçons estoient deslors appellez Ribaux, comme les filles, ou femmes abandonnées Ribaudes. Le mot de Roy estoit appliqué au superieur ou Juge, tout ainsi qu' au grand Chambrier le Roy des Merciers, à la Bazoche leur Roy, aux Arbalestiers leur Roy, & semblables. La charge du dit Roy des Ribaux estoit de faire Justice des crimes commis à la suite du Roy hors son Hostel. De ceux faits dedans, le grand & autres Maistres du dit hostel avoient la cognoissance. Le dit Roy des Ribaux avoit Varlets, ou Archers pour la force, & execution de son office, qui ne portoient verges au dit Hostel, & estoient de la jurisdiction des Maistres des Requestes de l' Hostel, lesquels anciennement avoient leur siege à la porte du dit Hostel, pour ouïr les Requestes, & plaintes de ceux de dehors, ainsi qu' il sera plus amplement deduit en leur Chapitre. Est ce que dessus concernant les Varlets du Roy des Ribaux recité au plaidoyé de la cause de I. Iunet le 16. Mars 1404. és Arrests de la Pentecoste 1270. est escrit Poincard Prevost des Ribaux. Car longues années apres, & le 22. Fevrier 1353. au second Arrest de Jean de Beauleem, le Roy des Ribaux est nommé pour chef de l' office, qui a depuis changé de nom, & regnant Charles VI. se trouve intitulé Prevost de l' Hostel du Roy. Les filles de joye suivantes la Cour font sous sa charge, & tous les mois de May sont subjettes aller faire sa Chambre.

Tout le reste du Chapitre concerne le fait, & charge du Prevost de l' Hostel. Et vrayement cette opinion n' est pas de petit effect, tant pour estre assistée d' un tel parrein, que le parrein des Arrests par luy alleguez, que je veux croire avoir esté par luy veus, puis qu' il en a cotté les dates, & noms des parties. Vray que j' eusse desiré qu' il eust particularizé le cas de l' un des Arrests pour en estre plus esclaircy.

Si vous vous adressez au President Fauchet vous le trouverez formellement de contraire advis au Chapitre du Roy des Ribaux premier livre des dignitez, & Magistrats de la France.

Celuy (dit-il) qu' on appelloit Roy des Ribaux ne faisoit pas l' Estat du grand Prevost de l' Hostel, comme aucuns ont cuidé, ains estoit celuy qui avoit la charge de bouter hors de la maison du Roy ceux qui n' y devoient manger, ou coucher. Car au temps passé ceux qui estoient deliurez de viandes (qui est ce que depuis on a dit avoir bouche en Cour) aprés la cloche sonnée se trouvoient au tinel, ou salle commune pour manger, & les autres estoient contraints de vuider la maison, & la porte fermée, les clefs estoient apportées sur la table du grand Maistre, & parce qu' il estoit defendu à ceux qui n' avoient leurs femmes de coucher en l' Hostel du Roy, & aussi pour voir si aucuns estrangers s' estoient cachez, ou avoient amené des garces, ce Roy des Ribaux, une torche au poing alloit par tous les coings, & lieux secrets de l' Hostel chercher ces estrangers soit larrons, ou autres de la qualité susdite.

En ces mots finit l' opinion de Fauchet sans toutesfois la fortifier d' autre authorité que de la sienne, luy qui d' ailleurs en tout son œuvre est prodigue en alleguation d' uns & autres Autheurs anciens, pour le soustenement de ses opinions; Vray qu' une page apres, sur la fin du Chapitre il adjouste ces mots. C' est trop s' asseurer de l' antiquité, de dire que le Roy des Ribaux faisoit l' Estat du Prevost de l' Hostel. Car dés le temps mesme de Charlemagne, il y avoit un Comes Palatij, qui jugeoit des differens des gens de la suite de sa Cour. Ainsi qu' on voit dans Eginard qui a escrit la vie de cest Empereur.

Je ne suis pas si mal apris que je vueille entreprendre jurisdiction & cognoissance sur ces deux personnages: Chacun d' eux porte son saufconduit sur le front; toutesfois si vous en croyez la voix commune du peuple, elle adhere plus à l' opinion du premier que du second, nonobstant son Comes Palatij, qui sous la troisiesme lignee de nos Rois a esté attribué à celuy qu' on appella grand Maistre. Et est certain que tout ainsi que le grand Maistre a pretendu estre fondé en jurisdiction des crimes qui estoient commis dedans la maison du Roy, aussi faisoit le semblable celuy qui sous la premiere, & seconde lignée, s' appelloit Comes Palatij, horsmis qu' en ce qui concernoit les Grands, il falloit en passer par le jugement du Roy. Et neantmoins si l' on me permet franchir le pas, & passer outre, je m' advantureray de dire que je treuve beaucoup à redire au premier: Car si le Ribaud estoit de son premier estre tel qu' il presuppose, je veux dire celuy qui abuse effrontément de son corps envers les femmes: Et la Ribaude celle qui fait le semblable à l' endroit des hommes. Pour à quoy remedier fut trouvé la jurisdiction du Roy des Ribaux, comme il dit. Hé vrayement nos ancestres ne furent guere sages, quand voulans designer celuy qui cognoissoit des causes criminelles en Cour, il fut par eux appellé, non Prevost, non Baillif, non Seneschal, ains Roy, & encore Roy des Ribaux, comme si la paillardise eust fait son principal & ordinaire sejour en la Cour de nos Rois. Chose fausse: car nous voyons par l' Ordonnance de sainct Louys de l' an 1254. qu' il chassa non seulement des villes, ains des champs, & consequemment de sa Cour, toutes garces & filles de joye. Et quand bien il s' y fust trouvé quelque abus, il falloit chastier ce vice sous le mot general de juge, comme l' on fait en toutes les autres jurisdictions de la France, & non le designer particulierement sous ce nom honteux du Roy des Ribaux. C' est pourquoy je veux deschifrer cette ancienneté tout d' un autre sens, qui n' a encore esté fait par aucun des nostres, & vous dire que du temps de Philippe Auguste, Ribaud n' estoit un mot de pudeur, ains d' honneur. Je ne doute point que dés cette premiere demarche je ne reçoive diverses atteintes, non seulement de la populace, ains de ceux qui font profession de bien entendre nostre langue Françoise. Le mot de Ribaud en France, ou de Ribaldi dans l' Italie, ne se peut prendre en bonne part, dit Nicot en son Dictionaire François. Adjoustez y le mot de Ribaude, encore y trouverez vous plus de honte; ce sont deux paroles pleines de vergongne. C' est pourquoy je supplie le Lecteur de suspendre son jugement jusques à la fin de ce mien discours, dedans lequel il verra une metamorphose admirable. Le mot de Ribaud sous le regne de Philippe Auguste estoit baillé à des soldats, ausquels il avoit tres-grande creance, en ses exploits militaires. Guillaume le Breton au troisiesme Livre de sa Philippide, dit que ce Roy estant venu pour donner confort & aide à la ville de Mante, que le Roy Henry d' Angleterre tenoit assiegee, soudain apres son arrivee, le Seigneur de Bar brave cavalier, avec ceux de sa banniere, & les Ribaux, attacqua chaudement l' escarmouche, & logea la spavente au camp de l' Anglois.

Hi, paucique aiij stimulante cupidine laudis,

Eminus admisso post Barrica signa feruntur, 

Armigerique suis dominis, qui deesse nequibant,

Et Ribaldorum nihilominus agmen inerme, 

Qui nunquam dubitant in quaevis ire pericla:

Et quelques vers apres, les nostres ayans vaillamment combatu & batu l' ennemy.

Nec munus armigeri, Ribaldorúmque manipli,

Ditati spolijs, & rebus, equisque subibant; 

Nec mora, Rex, & caetus ouans rediere Medonta, 

Et laeti somno se curavere, ciboque: 

Anglicus ex illo tunc tempore non fuit ausus 

Armato, nostros adoriri, milite fines.

Vous voyez qu' entre toutes les compagnies, il fait un singulier estat de celle des Ribaux. Le Roy Philippe apres avoir subjugué le Poitou, voulant assieger la ville de Tours, & trouvant la riviere de Loire luy faire obstacle. il choisit un Capitaine Ribaud pour la gayer.

Rex quodam duce Ribaldo vada tentat ubique,

Donec inundantis medio se fluminis, hasta

Appodians, ripa subito stetit ulteriori, 

Inventoque vado quasi per miracula, contra

Spem, contra fluvij naturam, transit absque

Remigis officio.

Et sur l' exemple de son Roy, toute l' armee ne douta de passer à gay la Loire, dont le Capitaine Ribaud leur avoit ouvert le premier chemin. Le Roy ayant mis le siege devant Tours: Ribaldi Regis (dit Rigord) qui primos impetus in expugnandis munitionibus facere consueverunt, eo vidente, in ipsam civitatem impetum fecerunt, & per muros cum schalis ascendentes ex improviso ceperunt. Quo audito Rex & exercitus, integram civitatem accepit, positis ibi custodibus, & ibidem aliquot dies gratias Deo agentes, solemnizaverunt.

Vous pouvez recueillir de ces passages, & specialement du dernier, que la compagnie des Ribaux estoit ordinairement à la suitte du Roy Philippe, tout ainsi que la Pretoriane dedans Rome à celle des Empereurs. J' ay repassé tout au long sur les dix livres de la Philippide du Breton, je ne trouve point en tout son œuvre qu' il donne nom expres à aucune autre compagnie qu' à celle-cy. Qui me fait dire que c' estoit la compagnie ordinaire de la garde du Roy; Et comme ainsi fust que l' on n' y enrolast que soldats d' eslite: aussi est-il advenu que depuis ce temps là jusques à huy, nous avons appellé puissans Ribaux, non les putassiers, ains tous hommes forts & membrus. Il leur falloit un Capitaine pour les conduire. Or tout ainsi que le Heraut qui estoit pres du Roy, fut appellé Roy d' armes, aussi fut ce Capitaine appellé Roy des Ribaux, non pour leur faire le procez ainsi qu' un Prevost de l' Hostel; ains pour les conduire à la guerre quand les occasions se presentoient. Ainsi le recueillay-je du Roman de la Rose, quand le Dieu d' Amours assemblant son ost, pour deliurer Bel-accueil de la prison en laquelle il estoit detenu, le dessus du Chapitre porte:

Comment le Dieu d' Amours retient,

Faux semblant qui des siens devient, 

Dont ses gens sont joyeux & baux,

Car il le fait Roy des Ribaux.

Et dans le discours du Chapitre.

Faux semblant par tel convenant, 

Tu seras à moy maintenant, 

Et à nos amis aideras, 

Et point tu ne les greveras:

Ains penseras les enlever, 

Et tous nos ennemis grever,

Tien soit le pouvoir & le baux 

Car le Roy seras de Ribaux.

Il est certain qu' en l' un & en l' autre vers le Roy des Ribaux est pris, non pour Juge; ains pour Capitaine. Tout de la mesme façon que depuis nous appellasmes Coronal de l' Infanterie celuy qui la conduisoit, mot qui approche de la Royauté. Et d' autant que cette compagnie estoit voüée à la garde du Corps du Roy, il falloit que son Capitaine tint pied à boule à la porte du chasteau. Le plus ancien Estat de la Maison du Roy, est celuy qui se trouve au plus vieux Memorial de la Chambre des Comptes de Paris cotté Croix, de l' an 1285. c' estoit la derniere annee du Roy Philippes le tiers fils de S. Louys, portant entr'autres ces deux articles.

Item ils seront deux portiers en Parlement quand le Roy n' y est, Philippot le Camus & un autre, & aura chacun 2. sols de gages, pour toute chose, & on leur defendra que par leur serment ils ne prennent rien de Prelat, ne d' aucuns, & qu' ils ne laissent nulli entrer en la chambre des Prelats, sans commandement des Maistres.

Item le Roy des Ribaux a six deniers de gages, & une provende, & un valet à gages, soixante sols pour robbe par an.

Le Parlement n' estoit lors resseant en la ville de Paris, ains suivoit la Cour du Roy. Au moyen dequoy il y avoit sa chambre pour juger les procez, & deux portiers, avec expresses inhibitions & deffences de prendre argent des Prelats pour y entrer. Et on y met apres le Roy des Ribaux que j' explique pour la garde du Corps du Roy. Chose qui se descouvre bien amplement par un autre Estat fait sous le Roy Philippes le Long, qui est au mesme Memorial.

C' est l' Ordonnance de l' Hostel du Roy Philippes le Grand, faite à Lorry en Gastinois le Jeudy dix-septiesme jour de Novembre mil trois cens dix-sept. Quand on vient à parler de ceux qui devoient avoir la garde des portes de la Maison du Roy.

Les Huissiers de Salle cinq. C' est à sçavoir Thiebaut, Olivier, Philippe, Jean le Clerc, & Geoffroy. Dont il y en aura tousjours 3. en Cour, & s' aideront pour servir par temps, & aura chacun une provende d' avoine, & XIX. deniers de gages pour toutes choses, & liuraison de chandelles, IX. quayer, & VI. conistres, & non point liuraison de vin.

Item portiers quatre, dont les trois seront tousjours en Cour, & aura chacun une provende d' avoine, & XIII. deniers de gages pour toutes choses, ils doivent avoir conistres, & aura la porte 9. cinquain, 9. quayer, & 12. chandelles courtes, & aura pour tout demie moule de busches.

Item trois varlets de porte qui mangeront à Cour, & n' avront autre chose, mais qu' eux trois ensemble avront 9. quayer pour esveiller, & chacun une conistre, & une bote de feurre. 

Item Crasse Joé Roy des Ribaux ne mangera point à Cour: mais il aura six deniers tournois de pain, & deux quartes de vin, une piece de chair, & une poule, & une provende d' avoine, & 13. deniers de gages, & sera monté par l' Escurie, & se doit tousjours tenir hors la porte, & garder qu' il n' y entre que ceux qui y doivent entrer. 

Du Tillet s' est aidé de cet article pour verifier son intention, & dit que l' on recueille de luy que le Crasse Joé qui y est nommé Roy des Ribaux estoit comme le Prevost de l' Hostel. Je voudrois sçavoir sur quel tiltre il voulut faire ce commentaire: Car nulle mention de juger, au contraire prenez l' Ordonnance tout de son long, vous verrez estre question seulement de la garde de l' Hostel du Roy. Et à cet effect elle commence par cinq Huissiers, puis passe à quatre Portiers, puis à trois varlets des portiers, declarant quelles estoient leurs charges, & en fin aboutit au Roy des Ribaux, auquel vous voyez estre aussi enjoint de garder la porte, mais avec plus d' appointement que tous les autres, luy assignant mesme un cheval de l' escurie du Roy; Qui est celuy qui ne voye que par cet article on n' entendit jamais parler d' un qui representast le Prevost de l' Hostel, lequel ne fut jamais commis à la garde des portes de la Maison du Roy: Mais bien que ce Roy des Ribaux avoit la charge de garder la porte, comme celuy qui estoit Capitaine des gardes du Roy. Je sçay bien que depuis ces Ribaux degenererent de leur ancienne vertu: comme je toucheray cy-apres. Ny pour cela ne fut ceste Capitainerie supreme, dont on voyoit l' image, non l' effect. Parce que l' on trouve au Memorial de la Chambre des Comptes cotté C. une Ordonnance du Roy Philippes de Valois sur son Hostel, & sur celuy de Monsieur le Duc d' Orleans son fils du 28. May 1350. par laquelle apres avoir compris sous un general article, Tailleur, Cordonnier, une Guette, un Huissier de la Salle, deux Portiers, deux Varlets de porte, quatre Varlets servans du vin, on adjouste immediatement cet article. Le Roy des Ribaux cinq sols par jour pour toutes choses. Qui estoit garder la mesme police que celle de Philippes le Long, mais avec un retranchement de sa pension ancienne. Jusques à ce qu' en fin pour monstrer combien cette charge estoit venuë avec le temps en nonchaloir, je trouve au Memorial cotté E, une Ordonnance du Roy Charles VI. du mois de Janvier 1386. portant ces mots. Le Roy des Ribaux 4. sols parisis par jour quand il sera à Cour pour toutes choses. Toutes les autres Ordonnances ne portoient point cette restriction de Cour. A la verité Fauchet avoit eu quelque ressentiment de cette ancienneté, quand il disoit que le Roy des Ribaux avoit la charge de fermer la porte à ceux qui ne devoient entrer en l' Hostel, mais de la particulariser de la façon comme il fait, je voudrois pour m' en rendre capable, avoir un autre garand que de luy seul.

Et pour m' estancher de ce long discours, & monstrer en peu de paroles, qu' il n' y avoit aucune communauté entre le Roy des Ribaux, & celuy que depuis nous appellasmes Prevost de l' Hostei, je prens droit (permettez moy de faire icy l' Advocat pour le soustenement de mon opinion) sur ce que du Tillet dit en la fin de son Chapitre. Des sentences du Prevost de l' Hostel (dit-il) en matiere civile les appellations ressortissent du Parlement, comme appert par les Registres d' iceluy des 21. Avril, & 29. Decembre 1486. Or est-il qu' en ce mesme temps il y avoit un Roy des Ribaux couché en l' Estat de l' Hostel du Roy, comme je vous ay cy-dessus touché: Il est donc vray de dire que c' estoient offices distincts. Ny pour ce que j' en discours je n' entens m' advantager au desadvantage de la memoire de du Tillet, ausquels la France a tres-grande obligation. En ces douteuses anciennetez je laisse la liberté aux plumes de me contredire, & au Lecteur de suivre telle opinion qu' il luy plaira: Sauf aux ans de juger des coups.

Quelqu'un paravanture desirera sçavoir de moy dont ce nom de Ribaud a esté emprunté, qui prendra cy-apres un autre visage. Cette compagnie de Ribaux, n' est, ny la premiere, ny la derniere, qui ont eu noms particuliers dont on ne sçait l' origine, desquelles les unes reüssirent avec le temps à honneur, & les autres à deshonneur. Amian Marcellin nous tesmoigne que vers le declin de l' Empire il y eut deux braves compagnies guerrieres, l' outrepasse de toutes les autres, dont l' une estoit appellee Gentilium, & l' autre Scutariorum, sans que sçachions comment, ny pourquoy leur furent baillez ces deux noms. Et de ma partie veux croire, comme j' ay traité ailleurs, que d' elles vindrent en usage ceux que depuis nous appellasmes en France Gentilshommes & Escuyers: Car il est certain que nostre Noblesse Françoise prist son commencement par les armes, & qu' entre toutes les nations estrangeres, qui se firent riches de la despoüille de l' Empire, il n' y en eut pas une des autres, qui emprunta tant des mœurs, & discipline des Romains que la Françoise, comme nous tesmoigne Procope.

Ces deux compagnies de Gentils & Escuyers prospererent. Au contraire deux autres qui avoient tenu dedans la France, lieu de primauté entre les guerriers, s' abastardirent avec le temps, & par un mesme moyen tomberent en l' opprobre de tout le monde. Pendant la prison de nostre Roy Jean, les Anglois s' estans emparez de la ville de Melun fermoient la porte aux basteaux & marchandises qui descendoient du haut de la riviere de Seine à Paris. Au moyen dequoy Charles son fils lors Regent en France, pour faciliter la descente ordonna certain nombre de Soldats, Brigands, Paluoisiens, Archers, & Arbalestiers qui seroient continuellement en basteaux couverts, pour servir d' escorte aux autres basteaux. Par cela vous voyez que la compagnie des Brigands estoit lors mise la premiere en ordre, comme estant de plus grand respect que les autres. Le semblable avoit il esté auparavant en celle des Ribaux: Et neantmoins l' une & l' autre forlignans par succession de temps, des Brigands on feit des Voleurs & guetteurs de chemins en nostre commun langage, & des Ribaux une je ne sçay quelle enjance de putassiers. Deux vices assez familiers aux soldats, si par une discipline estroite ils ne sont tenus en bride par leurs Capitaines. Or commença cette desbauche bien avant sous le regne du Roy Philippes le Bel, comme vous pouvez descouvrir par le Roman de la Rose, dedans lequel vous trouvez, Ribaux & Ribaudes estre pris pour personnes qui mettent indifferemment leurs corps à l' abandon, sans aucun soin de leur honneur. Et signamment quand vous voyez le Dieu d' Amours faire Faux semblant Roy des Ribaux: Car la beauté de ce passage est, que Jean de Mehun Autheur du Roman, qui vivoit sous Philippes le Bel, nous ayant representé quelle estoit la nature du Roy des Ribaux de son temps, qui ne signifioit autre chose que Capitaine, il represente aussi quel estoit le vice des Ribaux de son temps, ausquels il baille pour Capitaine Faux semblant. Et est une chose esmerveillable qu' avec le temps l' Estat de ce Roy des Ribaux alla tellement au raval, que je le voy avoir esté pris pour executeur de haute Justice. Jean Boutillier dedans son livre intitulé Somme Rurale, qui commença d' estre mis en lumiere le 22. Juillet 1490. Cela s' appelle la derniere annee du regne de nostre Roy Charles VII. Ce docte praticien (dis-je) discourant les droits qui appartenoient aux 2. Mareschaux de France: car lors il n' y en avoit d' avantage. Ces 2. Mareschaux (poursuit-il) peuvent faire & accoustrer un Prevost, qui peut & doit avoir pouvoir d' eux deux, où soient empraintes les armes des dits Mareschaux, & premieres du premier Mareschal. Par devant lequel Prevost peuvent estre ventilees toutes les causes qui au droit des dits Mareschaux appartiennent en la Judicature, & doit avoir de chacune commission 2. sols: de chacune amende 60. sols, en quoy il commande, il doit avoir 17. sols. Et pareillement si l' amende estoit de 60. liures, en quoy enqueurt toute personne qui fait ou vient contre les Estats des dits Mareschaux, il a aussi 17. liures. Item a le dit Prevost le jugement de tous les cas advenus en l' ost, ou chevauchie du Roy, & le Roy des Ribaux en a l' execution. Et s' il advenoit qu' aucun forface de corps, qui soit mis à execution criminelle, le Prevost de son droict a l' or & l' argent de la cheinture au malfaicteur: & les Mareschaux ont le cheval, & le harnois, & tous outils se ils sont; reservé le droict, & les habillemens quels qu' ils soient & dont ils sont vestus, qui sont au Roy des Ribaux qui en fait l' execution. Le Roy des Ribaux se fait toutes-fois que le Roy va en ost, ou en chevauchie: appellez l' executeur de ses sentences, & commandement des Mareschaux, & de leur Prevost. Le Roy des Ribaux a son droict à cause de son office, & cognoissance sur tous jeux de dez & de berlans, & d' autres qui se font en l' ost & chevauchee du Roy. Item sur tous les logis de bourdeaux & femmes bourdelieres doit avoir 2. sols la semaine.

Je ne feray aucun commentaire sur cet article; car le texte est assez clair, pour cognoistre quelle estoit la charge du Roy des Ribaux du temps de Jean Boutillier. Mais je vous prie de considerer en quel desarroy est en cet endroit nostre histoire: Car du Tillet estime que les filles de joye sont aujourd'huy sous la charge du Prevost de l' Hostel en Cour, comme ayant emprunté cette belle dignité du Roy des Ribaux lors qu' il estoit en pleine vogue: Au contraire Boutillier la luy attribuë, lors que de grand Capitaine, on luy veit faire la charge d' executeur de la haute Justice. Au demeurant pour ne laisser en ce sujet rien en arriere: Je sçay qu' il y a quelques vieux exemplaires de l' Ordonnance du Roy S. Louys de l' an 1254. qui parle des femmes folles & Ribaudes, en l' article auquel il bannit du Royaume tous les bordeaux. Chose qui pourroit apprester à penser que deslors le mot de Ribaud fut pris de mauvaise part. Cette Ordonnance fut faite en Latin (ainsi que l' usage commun de la France le portoit lors, & auparavant) & depuis traduite par diverses plumes, chacune desquelles approprioit sa version au langage commun de son temps. Et de fait je vous puis dire avoir veu une version plus ancienne que celle-là, portant au lieu de Ribaudes, femmes follieuses. Pareille faute trouvons nous aux anciens manuscrits de nostre Roman de la Rose: en chacun desquels le langage François est tel qu' il estoit lors qu' ils furent copiez, horsmis la ruine des vers, ausquels ils ne peuvent donner aucun ordre. Voire y trouverez vous je ne sçay quoy du ravage de ceux qui en furent copistes, je veux dire de leur Picard, Normand, Champenois. Qui sont choses ausquelles le Lecteur doit avoir grand esgard premier que d' y interposer son jugement.