lunes, 7 de agosto de 2023

8. 47. De ce que le peuple dit un homme estre bon, riche, ou vertueux par dessus l' espaule, lors qu' il se mocque.

De ce que le peuple dit un homme estre bon, riche, ou vertueux par dessus l' espaule, lors qu' il se mocque.

CHAPITRE XLVII.

J' appresteray à quelques uns, non à rire, ains à se mocquer de moy, me voyant si curieusement perdre quelques bonnes heures en des chetives Recherches. Cecy me fait souvenir d' un sage conseil que donna Pline second, l' un des premiers Orateurs de son temps, à un sien compagnon, qui se vantoit de n' employer jamais dans ses plaidoyez qu' argumens forts, & poignans: A quoy Pline luy respondit, Mon amy tu penses quelquesfois frapper droict à la visiere, & tu ne donnes qu' au talon

C' est pourquoy je mets en œuvre toutes sortes de pieces qui se presentent: Car en la diversité des jugemens, à tel plaist un argument, qui desplaist à l' autre: Ainsi est il des discours que je me suis icy proposez, l' un trouvera un sujet bon, qui ne sera aggreable à l' autre, & cet autre approuvera l' un de mes chapitres, qui sera bafoüé par son compagnon: en un mot, s' il se trouve quelque Censeur, auquel ces petites Recherches ne plaisent, comme chose de non valeur, tout ainsi que je me suis dispensé de les escrire, aussi se pourra-il dispenser de les lire. Je dy cecy par exprés, non seulement pour la matiere du present chapitre, mais aussi de toutes les autres, qui pourront estre trouvees de foible alloy: Et cependant je vous diray qu' il y a plusieurs proverbes en nostre langue qui semblent estre de soy ineptes, mais toutesfois encores doivent-ils avoir nom de proverbes, sinon entre gens de discours, pour le moins entre ceux qui sont de plus lourd, & grossier entendement, comme moy: Tel pouvons nous estimer ce commun propos, Quand nous disons un homme estre riche, ou vertueux par dessus l' espaule, nous mocquans de luy, & voulans signifier n' y avoir pas grands traicts de vertu, ou richesse en luy. Lequel dire tout ainsi que je l' ay quelquesfois estime evolé, aussi en appris-je depuis l' origine & derivaison, par quelques joüeurs de Flux: Car comme ainsi fust qu' en ce jeu l' As soit la principale carte (qui est celle en laquelle il y a une unité au milieu) il advint qu' un quidam en se riant, dist qu' il avoit deux As en son jeu, & les exhibans sur la table fut trouvé que c' estoient deux Varlets, chacun desquels comme l' on sçait porte une unité sur l' espaule: A quoy ayant appresté par son mensonge à rire à la compagnie, il respondit que veritablement il avoit deux As, mais que c' estoit par dessus l' espaule. Qui est prendre ce propos (dont nous faisons un proverbe) en sa vraye signification: Car comme je disois maintenant chaque teste soit de Coeurs, Careaux, Trefle, & Picque a un As dessus l' espaule, pour faire cognoistre de quel jeu ils sont Rois, Roines, ou Varlets, & toutesfois cette unité ne represente pas un As. Parquoy si nous voulons rapporter ce commun proverbe à ce jeu, nous le trouverons estre dit avec quelque fondement de raison, combien qu' autrement il semble avoir esté inventé à credit, & par une temerité populaire. J' adjousterois volontiers à la suite de cestuy-cy un autre, quand voyant un homme au dessous de toutes affaires, nous le disons estre reduit au tapis. Maniere de parler que nous empruntasmes des joüeurs, lesquels joüans sur un tapis verd, quand ils n' ont plus d' argent devant eux pour mestier mener, & ils sont contraints desemparer la table, on les dit estre reduits au tapis.

8. 46. Mestayer, Moitoyen, Mien, & Tien.

Mestayer, Moitoyen, Mien, & Tien. 

CHAPITRE XLVI.

Encores que les Romains peussent en diverses façons affermer leurs terres tantost en argent, tantost à certaine quantité de grain, selon que les volontez des contractans les admonestoient de faire, si avoient-ils en tres-grande recommandation le loüage qui se faisoit de leurs terres, à moitié: Pour cette cause voyons nous estre faicte en leurs loix si frequente mention d' un Colon partiaire. (Les Latins l' appellent Colonum partiarium) & sur le declin mesme de l' Empire y eut une loy de l' Empereur Valentinian, par laquelle il estoit deffendu à tous Maistres d' affermer leurs terres en argent, ains de soy contenter de ce qu' elles rapporteroient, laquelle loy tout ainsi qu' elle a receu diverses significations par les Commentateurs de droict, pour ne la rendre point contrevenante à quelques autres; aussi ne suis-je point exposé en ce lieu pour discourir, si elle a esté en tout, & par tout entretenuë selon sa forme & teneur; ains me contenteray de l' avoir alleguee, pour monstrer que c' estoit chose assez familiere en la ville de Rome d' affermer ses terres à moitié de grain. Cette mesme coustume semble s' estre insinuee entre nos anciens: Car à bien dire le mot de Metayer nous est aussi propre pour cest effect que le Partiaire en Latin, l' un prenant sa derivation de Partiri, & l' autre du mot de moitié. Pour laquelle cause mesmement vous trouverez en quelques vieux contracts qui sont reduits en Latin tel que l' infelicité du temps portoit lors, que tels fermiers sont appellez d' un mot Barbare Medietarij, qui vaut autant que s' ils eussent esté appellez Partiarij. Depuis comme toutes choses prennent divers plis, aussi s' est ceste particularité de coustume changee: De maniere que soit que l' on baille en argent, ou en bled, ou à moitié, nous les appellons tous Metayers; Tout ainsi que nous avons veu de nostre temps en cette France toutes sortes d' heretiques avoir esté appellez Lutheriens, bien qu' ils eussent quelque opinion separee de Martin Luther: Mais parce que les affaires de l' Eglise estans bien composees, Luther avoit esté le premier, qui du temps de nos peres remüa l' Estat de nostre Religion. L' origine de cette diction Metayer fera peut estre juger que d' un mesme tige soit aussi procedé le mot de Moitoyen, pour autant qu' il semble avoir quelque affinité avecques l' autre: Toutesfois qui voudra rechercher cette ancienneté à son vray point, il trouvera à mon jugement que les choses vont tout autrement, & que sous une proximité, & rencontre de dictions il y a diversité de sources: Car aussi le Metayer, comme j' ay dit, signifie celuy qui partit à moitié avec son Maistre, & le Moitoyen signifie une chose commune, & que l' on ne divise: Mais au contraire que l' on tient, & possede par indivis. Parquoy pour entendre en peu de paroles dont vient ce mot, la verité est que ces deux mots Mien & tien, & aussi Mienne & tienne, furent incogneus à nos anciens: Mais comme ainsi soit que tels mots soient derivez de moy & toy, aussi au lieu de mienne & tienne ils disoient moye & toye, & au lieu de mien, & tien, moyen, & toyen. Guillaume de Lorris en son Roman de la Rose faisant hommage à Cupidon.

Quand sa bouche toucha la moye,

Ce fut ce dont au cœur j' eus joye.

Et Jean de Mehun apres luy, au mesme livre, en quelque lieu, où il faict mention d' un jugement donné à Rome:

Sire Juge donnez sentence 

Pour moy, car la pucelle est moye. 

Et en un autre endroict:

Apprenez moy donc en vos voyes

Lesquelles choses seront moyes.

En la vieille histoire de sainct Denis livre second, chapitre troisiesme, Bellissaire escrivant à l' Empereur Justinian: Ceux qui avoient envie de ta santé, & de la moye. Je sçay bien que l' on trouvera en plusieurs endroits du Roman de la Rose, qui est imprimé, Mien & tien: Mais il ne faut faire aucune doubte que ces passages sont corrompus par ceux qui de nostre temps ont pensé beaucoup meriter de la langue Françoise, en reduisant ce bon vieux livre au langage qui court à present: En quoy je ne puis que je n' accuse à bon droict la miserable diligence de tels gaste-tout, lesquels estimans faire quelque brave traict de leurs plumes, nous ont en la plus part eschangé, & ce bon vieux Roman de la Roze, & la vie de sainct Louys du Sire Jean de Joinville, & encores par une impression recente l' Histoire de Jean Froissard, ne considerans pas toutes-fois qu' en ce faisant ils nous frustroient entierement de la cognoissance de l' ancienneté de nostre langue, laquelle nous ne pouvons remarquer, singulierement dans le Roman, sinon par la fin, & cadance du vers, que l' on n' a peu changer à cause de la rime. Or que les anciens usassent de Moyen, & toyen, je l' ay mesmes appris de Maistre Raoul de Presles (qui fut long temps apres Guillaume de Lorris, & Jean de Mehun) au Livre par lequel il pretend monstrer, que la Monarchie de France ne recognoist en rien pour temporel l' authorité du Sainct Siege: Cette antiquité me faict penser que de Moyen, & Toyen, vient le mot de Moitoyen, dont nous usons par une elision de la derniere syllabe de Moyen, comme si nous eussions voulu dire que ce mur estoit Mien & Tien.

8. 45. Capet & Hutin.

Capet & Hutin.

CHAPITRE XLV.

Vrayement je ne puis que je ne me plaigne de l' injure que nous faisons à la memoire de nostre Hugue qui a esté l' un des plus grands Roys de la France, Roy dis-je qui a donné vogue à la troisiesme lignee de nos Rois, lequel nous avons surnommé Capet: Et neantmoins je n' en trouve presque un tout seul, qui nous enseigne pourquoy luy ait esté baillé ce surnom. Quelques uns (comme Nicolas Gilles en ses Annales) disent que ce fut par forme de sobriquet: D' autant que luy jeune avoit accoustumé de jetter en folastrant, les chappeaux des jeunes Princes & Seigneurs qui le suivoient: Mais si les Chaperons estoient lors, & long temps apres, plus en usage que les chappeaux, je ne voy point sur quel pied nous puissions fonder cette divination: joint que la grandeur de ses gestes, sur laquelle il establit avec le progrez de temps sa fortune, pouvoit faire oublier toutes ces jeunesses, & folastries. C' est pourquoy j' ayme mieux adherer avec le bon homme Cenalis Evesque d' Auranches, qui en ses Perioques dit que tout ainsi que Charles fils de Pepin fut par aucuns appellé Charles le Grand, & des autres Charlemagne, d' un mot corrompu du Latin, pour la grandeur de ses Chevaleries: Aussi Hugue pour le grand sens qu' il apporta en la conduite de ses affaires, fut appellé Capet, d' un mot à demy Latin qui signifie le Chef: Car aussi à vray parler, vous trouverez en toutes ses actions plus de conseil, que de hauts faits d' armes.

Cecy me fait tomber de luy à Louys Hutin, duquel messire Jean du Tillet Evesque de Meaux en son abbregé des Croniques de France, dit en deux mots, Louys Hutin, quasi Mutin. En quoy la rime se trouvera bonne & riche: Mais quelques uns pourroient douter que la raison ne soit de mesme parure, & neantmoins nostre Paule Aemile est de mesme advis. Il est certain que le mot de Hutin à nos anciens signifioit noise, pour le moins ainsi le trouvé-je dans Froissard, au 15. chap. du I. Tome de son histoire, où racontant l' appareil que le Roy Edoüard faisoit en Angleterre contre Robert Roy d' Escosse, & les allegresses que l' on fit à la venuë de sire Jean de Hainaut. Là pouvoit-on voir (dit-il) Dames noblement parees & richement, qui eust eu le loisir de danser, ou de plus festoyer. Mais nenny. Car tantost apres disner un grand Hutin commença entre aucuns garçons des Hannuyers, & des Archers d' Angleterre. Et peu apres. Quand les nostres eurent nouvelles de ce Hutin. Lequel mot il repete encore au 45. chap. & Jean Moulinet en quelque passage de ses œuvres dit Hutiner pour noiser ou quereller. Mais pourquoy appellerons nous ce Roy Hutin pour noiseux? Car je ne recognois rien de querelleux en luy par tout le discours de sa vie. Un autre que moy le devinera. Parce que l' histoire de son regne est si courte, que nous n' avons le moyen de juger quelle fut sa vie. Car de luy attribuer (comme quelques uns le pensent) l' establissement du Parlement de Paris, c' est errer.