lunes, 7 de agosto de 2023

8. 52. De ce mot Tintamarre.

De ce mot Tintamarre.

CHAPITRE LII.

Nous usons de cette diction Tintamarre, pour signifier un grand bruit & rumeur, & sembleroit de prime face qu' elle eust esté inventee à plaisir, & non pour autre raison que pour contenter le son de l' aureille: & par ce que cette parole en soy represente je ne sçay quoy de grand bruit, de mesme façon comme nous appellons le jeu de tablier Tric trac, pour autant que ce mot semble aucunement se raporter au son des dez: Toutesfois la derivaison en cest autre est digne d' estre remarquee en ce lieu. L' on trouve és vieilles Chartres de Berry en la sainte Chappelle de Bourges que Jean Duc fondateur d' icelle allant un jour à la Chasse, trouva grande quantité de vignerons qui estoient en un grand vignoble non esloigné de la ville de Bourges, lequel voyant ce pauvre peuple gaigner sa vie à tres-grand sueur de son corps, il se voulut informer de l' un d' eux ce qu' ils pouvoient gaigner par jour, & combien d' heures ils travailloient, & plusieurs autres particularitez, esquelles il prenoit plaisir à les escouter: A quoy luy fut entre autres choses respondu que quand c' estoit és grands jours d' Esté ils estoient tenus de prester pied à boule à leur besongne depuis les quatre heures du matin, jusques à huict & neuf heures du soir, c' est à sçavoir tant que le Ciel les favorisoit de clarté, & és plus courts jours de l' Hyver, depuis six heures du matin, jusques à sept ou huict heures du soir: estans mesmes contraints pour cest effect porter chandelles & lanternes quant & eux pour les esclairer. Le Duc prenant ce peuple à compassion, & estimant que la rigueur des maistres estoit en cela trop tyrannique en voulut effacer la coustume, & pour cette cause ordonna que de là en avant le Vigneron ne seroit tenu de s' acheminer à sa besongne devant six heures en quelque temps que ce fust, & qu' en Esté toute besongne cesseroit à six heures du soir, & en Hyver à cinq: Et pour ne rendre cette ordonnance illusoire, il commanda que ceux qui estoient plus proches de la ville, & consequemment devoient entendre plus à leur aise le son de la cloche, en donnassent advertissement en criant aux autres qui estoient plus prochains, lesquels seroient tenus de rendre le semblable aux autres & ainsi de main en main. Cecy depuis fut tres-estroittement observé en tout le pays de Berry, auquel le premier vigneron ayant sur les cinq ou six heures du soir faict la premiere clameur, il excitoit son voysin a en faire autant, & luy pareillement aux autres: Tellement qu' en toute la contree s' entendoit une grande huee, & clameur, par laquelle chacun estoit finalement adverty qu' il falloit faire retraite en sa maison: & cette mesme coustume s' observa autresfois, ainsi que j' ay ouy dire és environs de la ville de Blois en un grand cousteau de vignobles qui en est prés, où les plus proches vignerons de la ville ayans ouy l' orloge avoient accoustumé pour signal de retraitte de crier à haute voix, Dieu pardoint au Comte Thibault, s' estant le peuple fait accroire par un long succés de temps que ce fut un Comte Thibaut de Blois qui en introduisit entre eux la premiere loy & coustume. Or disent les bonnes gens du pays qu' ils avoient ouy qu' autresfois le premier qui donnoit advertissement aux autres avoit accoustumé de tinter dessus ses marres avec une pierre, & tout d' une suite commençoit à huer apres ses autres compagnons: Car Marre, comme vous sçavez, est un instrument de labour emprunté mesmement du Latin. Ainsi que nous pouvons recueillir de deux passages, du 10. de Columelle en sa maison rustique, dont est venu que presque en la plus part de cette France nous appellons marrer les vignes, ce qu' és autres endroits Labourer. Parquoy ce ne sera point à mon jugement mal deviner d' estimer que d' autant que au son du tint qui se faisoit sur la Marre, s' excitoit une grande huee entre vignerons, quelques uns du peuple François advertis de cette façon ayent appellé Tintamarre à la similitude de cecy, tout grand bruit & clameur qui se faisoit.

8. 51. Du mot de Bande, dont les François usent pour Assemblee.

Du mot de Bande, dont les François usent pour Assemblee.

CHAPITRE LI.

Le mot de Bande semble avoir quatre diverses significations entre nous: car quelquesfois nous le prenons pour lier, comme bander une playe, quelquesfois pour tendre, comme bander une arbaleste, & se prend encores d' une autre façon entre ceux qui habitent les jeux de paulme lors qu' ils veulent joüer à bander, qui est de perdre l' esteuf de celuy-là qui l' a ramené soubs la corde: outre toutes lesquelles significations il y en a une autre beaucoup plus noble & authorisee que toutes celles-cy, quand nous disons qu' un homme se bande, c' est à dire se ligue encontre un autre, & de mesme mot vient que nous disons Bandes pour Compagnies, & troupes de guerre: Signification à mon jugement qui a pris sa source des querelles des maisons d' Orleans, & de Bourgongne sous le regne de Charles sixiesme: Car s' estans ces deux maisons opiniastrees en la ruine de toute la France, en se pourchassant la leur propre, elles s' estoient bigarrees en diversité de liurees. Le Bourguignon portoit une Croix rouge de sainct André, dont est venu que depuis on a appellé telles Croix Bourguinonnes: Et l' Orleannois portoit des escharpes que le peuple appelloit, comme il faict encores maintenant, Bandes. Or fut la fortune telle, que combien que le bon endroict fust du costé de ceux d' Orleans, si est-ce que Jean Duc de Bourgongne sur le commencement des factions, possedoit le Roy, & le Royaume à sa devotion, & speciallement estoit en toutes ses affaires favorisé grandement des Parisiens: Tellement que son ordinaire retraicte estoit à Paris, & y avoit mesmement assis le principal sejour de ses affaires. Au moyen dequoy les Orleannois qui desiroient luy faire deguerpir ce lieu, donnerent plusieurs assauts & escarmouches à la ville: qui augmenta encontre eux grandement la haine commune. Tellement que le peuple de là en avant en appelloit ceux qui suyvoient le party des Ducs d' Orleans, & de Berry, & Comte d' Armegnac qui avoient fait ligue ensemble, les Bandez: par ce qu' ils portoient cette escharpe, ny plus ny moins que sous Godeffroy de Boüillon on appelloit Croisez ceux qui allerent avec luy au voyage de Hierusalem, par ce qu' ils portoient tous la Croix: & semblablement quand on parloit de leurs compagnies qui estoient grandes, les aucuns les appelloient ceux des Bandes, prenans ce neantmoins ces mots en mauvaise part, & quasi comme pour conspirateurs contre le repos public: Chose qui a depuis eu vogue entre nous: Car lors qu' il eschet que plusieurs machinent une conspiration, nous disons qu' ils se bandent à faire telle entreprise: Et depuis par succés de temps nous avons rapporté ce mot de Bandes aux compagnies de gens d'armes. Ce que je dis se trouve dans les livres anciens esquels sont escrites les calamitez qui couroient lors par la France. Mon ancien papier journal en un lieu où il descrit le siege que les Orleannois avoient mis devant Paris: Les Ducs d' Orleans & Berry (dit-il) portoient une bande, & tous ceux de par eux se tenoient à celle bande. Et peu apres parlant des mesmes Orleannois. Aucuns de la Bande cuidoient de certain qu' on deust piller Paris, & tout mal qui se faisoit de delà, chacun disoit que ce faisoit le Comte d' Armignac, tant estoit de male volonté plein: Et pour certain on avoit autant de pitié de tuer ses gens, comme des chiens, & quiconque estoit tué de delà, on disoit, c' est un Armignac, & certes ceux de la Bande eussent fait du mal plus largement, ce ne fut le froid, & la famine, & peu apres: L' an 1411. recommencerent ceux de la Bande leur mauvaise vie. Car en Aoust devers la fin vindrent devant Paris du costé de devers sainct Denis, & fit chacun son assemblee vers Montdidier: mais quand les Bandez sçeurent la belle compagnie que Bourgongne avoit, ils ne l' oserent oncques assaillir. Quand le Duc vit la chose, il dit qu' ils n' avoient guerre qu' au Roy, & à la bonne ville de Paris: Si renvoya ses Communes, & convoya grand pays.

Et les faux Bandez Armignacs commencerent à faire tout du pis qu' ils pouvoient. Qui nous peut presque enseigner la derivaison de cette diction prise de la façon que nous la practiquons en ce sens.

8. 50. Beau pere, & autres mots concernans tant la Parenté, qu' Affinité,

Beau pere, & autres mots concernans tant la Parenté, qu' Affinité, ensemble de quelques autres mots, dont l' usage ne seroit peut estre hors propos.

CHAPITRE L.

Ceux qui ont espousé nos enfans, nous appellent leurs Beaux peres. Nous appellons encores les Religieux Beaux peres.

Mes beaux peres Religieux

Vous disnez pour un grand mercy.

O gens heureux! Ô demy Dieux!

Pleust à Dieu que je fusse ainsi.

Disoit Victor de Brodeau en ce huictain qui fut tant solemnizé sous le regne de François I. Mais dont est procedé que nous honorons d' un mesme mot, & ceux qui font profession du Celibat, & les autres qui ont enfans? Davantage que nous appellons seulement Peres ceux qui ont des enfans non mariez, & Beaux peres ceux qui ont des enfans mariez? Quant à moy je ne doute point qu' il ne faille appeller les uns & les autres Beats peres, au lieu de Beaux peres, les Religieux parce qu' ils semblent avoir espousé une vie saincte: Et les Peres, d' autant qu' en marians leurs enfans, ils semblent se moyenner une vie immortelle en ce mortel estre par une subrogation de l' un à l' autre. Si ma divination est bonne, ou mauvaise, je m' en rapporté à ce qui en est. Bien sçay-je que Rabelais en son troisiesme livre de Pantagruel appelle Beats peres les Moines que nous appellons Beaux peres: Toutesfois comme un erreur en ame ne fort aisément un autre, aussi avec le temps le peuple estimant qu' il fallut dire Beau pere, & non Beat pere, appella les meres Belles meres, & les gendres & brus, Beaux fils & Belles filles. Or puis que ce mot de Beau pere s' est presenté en ce lieu, il m' est tombé en memoire que nos ancestres par une honneste licence furent trop plus copieux és paroles de consanguinité, & affinité que nous autres, qui par une superstitieuse ignorance avons en cet endroit appauvri nostre vulgaire: Car ils userent du mot de Parastre, comme de Marastre, pour descouvrir celuy que nostre mere avoit espousé en secondes nopces, & semblablement de fillastre pour nommer le fils de nostre mary ou femme qui estoit issu d' autre mariage, ils appellerent Serourge celuy qui avoit espousé nostre Soeur, qui venoit de Sereur. Car ainsi appelloient-ils une Soeur de la diction Latine Soror, & depuis par abbreviation Soeur. Aussi fut à nos anciens fort familier & frequent, pour la proximité de parentage le mot de Nepueu, non pour le regard de l' oncle, ains de l' ayeul, c' est à dire pour ce que nous disons par un contour de langage Petit fils. De toutes lesquelles paroles vous verrez fort frequente mention dedans les grandes Croniques de France dediees au Roy Charles huictiesme. Mots toutesfois que nous ne mettons gueres pour le jourd'huy en usage, horsmis que le mot de Nepueu a commencé de reprendre petit à petit ses anciennes racines en nous par la liberté des Poëtes de nostre temps: Et à la mienne volonté qu' il se perpetuë en cette signification, a fin que tout ainsi que le Latin, nous puissions assortir nostre langue d' une enumeration graduelle des parens en ligne directe, de laquelle nous sommes mancques pour le jourd'huy: Car apres que vous avez nommé ayeul, pere, fils, & petit fils, vous demeurez court, & si vous aviez restably le mot de Nepueu en sa primitive, & plus vieille signification, il vous seroit loisible de dire pour les ascendans, pere, ayeul, bisayeul, & peut estre trisayeul, & pour les descendans, fils, nepueu, & arriere nepueu, ou tel autre mot dont l' oreille plus delicate se pourroit adviser. Et sçay bon gré à Denis Sauvage, Seigneur du Parc, lequel en sa traduction des Histoires de Paule Jove livre trente-septiesme, appelle Mahommet bisayeul, Amurath trisayeul de Solyman Empereur de Constantinople. Et devant luy celuy qui soubs le nom de Feal serviteur, fit imprimer la vie du Chevalier de Bayard en l' an mil cinq cens vingt sept, n' avoit usé du mot de Trisayeul, ains Terayeul au premier chapitre de son livre. A faute de quoy des Essars (homme qui toutesfois faisoit grande profession de bien escrire entre les courtisans de son temps) fut contrainct de dire au huictiesme livre de son Amadis, parlant de quelque Chevalier, qu' il estoit fils du fils de son fils, par une pauvreté qu' il sentoit estre pour cest égard en nostre langue. Nous voyons dans cette ville de Paris au Cimetiere de sainct Innocent un Epitaphe d' Yoland de Bailly veufve de Maistre Denis Capel, Procureur au Chastelet, portant qu' elle avoit vescu quatre vingt huict ans, & avoit peu voir deux cens quatre vingt huict siens enfans, & trespassa le dixseptiesme Avril mil cinq cens quatorze. Imaginez combien elle eust esté empeschee s' il luy eust convenu appeller d' un vray mot ceux qui estoient distans d' elle en la quatre ou cinquiesme generation & lignee.

Je diray cecy en passant, car peut estre ailleurs ne se presenteroit-il occasion d' en parler si à propos. Je voy nostre langue aujourd'huy mandier des mots du Latin, qui pourroient se trouver en elle mesme, quoy que soit qui n' en approcheroient comme ils en approchent. Nos Praticiens appellent une Procuration ad lites, celle qu' on envoye à Procureur pour occuper en une cause pour nous. Jean Bouteiller en son Somme Rural l' appelle Procuration à litige. Nous disons qu' un homme a esté pris en flagrant delict, quand il a esté surpris sur le fait, il le dit Estre pris en present mesfaict. Moindres d' ans peuvent comparoir par Tuteur, les soubs aagez par Curateur: Nous appellons les premiers Pupilles, & les seconds mineurs. Parastres, Marastres, Fillastres, fort frequens en cest autheur. Nous, suyvans les termes du Latin, divisons les obligations en contracts, & quasi contracts: Les obligations se divisent par contract, ou en obligation, si comme par contract. Dedans la coustume de Meaux & Vitry mainmettre, pour ce que nous disons ordinairement Manu mettre. Parastre, coustume de Meaux, & ancienne de Melun article cent quarante neuf. Nous disons quelquesfois au feur, c' est à dire au prix, & peu de personnes sçavent pourquoy. Mais le mot d' affeurer signifioit acheter. Dedans le vieux Coustumier de Normandie, chapitre vingt, titre des Usuriers. Tel a affeuré son cheval au feur, c' est à dire qu' il a acheté son cheval au prix &c. Nous appellons freres puisnez, ceux qui sont nez apres leurs aisnez. Et par adventure nous pourrions appeller non improprement Puisnez ceux qui sont nez apres le decés de leurs peres, qui furent par les Romains appellez Posthumes, & Mainez ou Mainnez ceux qui secondent ou tiercent en aages leurs aisnez, quasi moins nez. Car pour le regard du mot d' aisné, il est composé de deux, ores que de prime face, il ne le semble pas. Aisné, ains né, c' est devant né: Parce que ce mot de Ains se prend souvent en cette signification de Devant. Nos ancestres userent du mot d' anoutrie pour celuy d' adultere dont nous usons. Nos Coustumes appellent les serfs gens de mortemain, ou main morte par une Metaphore hardie. Particularitez par moy cy dessus touchees, non que je ne recognoisse fort bien que les anciennes paroles viennent d' un mesme fonds, que les modernes: Mais je souhaiterois volontiers s' il y avoit moyen de ce faire, de nous rendre les mots naturels & qu' ils semblassent prendre leur estoc de nous, ores qu' ils fussent transplantez. Toutesfois puis que le peuple s' est faict Juge Souverain des paroles de toute ancienneté, je m' en remettray à son usage, me contentant de sçavoir ce que je pense devoir estre faict.