martes, 8 de agosto de 2023

9. 10. Faculté de Theologie.

Faculté de Theologie.

CHAPITRE X.

Nous eusmes diverses reformations faites pour l' Université de Paris: entre autres celle du Cardinal de Touteville, en laquelle il traicta premier du fait concernant la Theologie, puis le Decret, la Medecine, les Arts; l' autre de nostre temps par messire Jacques Auguste de Tou President, par laquelle d' un autre visage il traicte premierement des Arts, puis de la Medecine, Decret, Theologie. Je suivray l' ordre du Cardinal. Jugemens divers, soustenables toutesfois, chacun endroict soy pour diverses considerations. Car le Cardinal commença par la Theologie, tant pour la dignité qui y reside, que pour estre la premiere piece, & fondamentale de nostre Université, puis fit sa suite du plus au moins jusques aux Arts: & le Seigneur de Tou au rebours voulut commencer par la Faculté des Arts, sans laquelle la porte nous est fermée à toutes les autres, & poursuit par mesme moyen sa pointe graduelle és autres, y procedant par accroissement de leurs dignitez jusques à la Theologie, qui excede toutes les autres d' un long entrejet.

Maistre Jean Gerson, duquel j' honore infiniment la memoire, preschant en Avignon devant Benoist, qui se disoit treiziesme Pape de ce nom, comparoit l' Université de Paris à nostre Paradis terrestre, auquel estoit l' Arbre de science du bien & du mal, & dedans ce sainct lieu un grand fleuve, dont sourdoient quatre autres grandes rivieres par lesquelles l' Univers estoit diversement abreuvé: aussi dedans Paris y avoit une Université, source & fontaine des sciences desquelles despendoient les quatre Facultez, dont la plus grande partie du monde estoit abreuvée: Entendant par ces Facultez parler de la Theologie, Decret, Medecine, & Arts.

Or suivrons nous icy l' ordre observé par le Cardinal. Car il ne faut point faire de doubte que lors que l' Université fut esclose, son premier & principal but fut la Theologie: & de ce ne veux-je meilleur garand que nostre Roy Philippes quatriesme, dit le Bel, lequel en ses lettres Patentes de l' an 1312. confirmatives de l' erection de l' Université d' Orleans en loix, faite par le Pape Clement cinquiesme, qui siegeoit en Avignon; luy (dy-je) recitant sur le commencement de ses lettres, les causes pour lesquelles ils desirent estre dressée à Orleans une Université de loix, prend sur cela subject de parler comme le fondement de celle de Paris avoit esté la Theologie, & qu' il y avoit grande apparence d' en establir une aux loix. Hinc progenitores nostri (dit-il) Parisius studium Theologiae principale, liberalium etiam artium, quae sunt praeparationes ad ipsam, Privilegijs pluribus muniverunt, & per sedem Apostolicam muniri curaverunt: hoc enim studium, fidei Catholicae lumen stabiliens, id archa foederis testamentis conservavit: hortus vere conclusus, sua germina, fons signatus, scientia Dei fluenta per totum orbem emittens, & propter hoc, studium fovere ampliusque stabilire proponimus. Et adjouste que ce fut en partie qu' on y defendit la lecture des loix, & du droict civil, affin que ce ne fust un divertissement de l' estude de la Theologie. Et par les mesmes lettres y a clause expresse, qu' en authorizant cette nouvelle Université d' Orleans il est porté. Hoc salvo quod Theologiae Magistri nullatenus creentur ibidem, ne detrahatur Privilegijs Romanae sedis studio Parisiensi conceßis. Et auparavant ces lettres patentes, la Royne Jeanne femme de Philippes le Bel par son testament fait l' an 1304. fondant un College Royal que depuis nous avons appellé College de Navarre, il y avoit cest article, & ordonnance faite aux Escoliers par elle instituez & entretenus. Item nullus medicinam audiat aut Decretales, quamdiu bursas recipit. C' estoit que cette sage & devote princesse recognoissant le vray but de l' Université de Paris estre la Theologie, elle ne vouloit que ses boursiers & escoliers estudiassent en Decret, ou en la Medecine. Ne defendoit ce pendant l' estude des Arts, comme estans le premier acheminement à la Theologie. Qui est tousjours pour vous confirmer ce que je vous ay cy devant deduit discourant du premier plant de nos Escoles, qui furent depuis tournées en nostre Université.

Ayant doncques à vous parler maintenant de nostre Faculté de Theologie, je vous diray que sur le premier bers de nostre Religion Chrestienne nous ne sçavions que c' estoit de la Theologie Scolastique, ains seulement de la Morale, je veux dire de croire à nostre Religion Chrestienne sans entrer en aucune dispute. Et à ce propos disoit Tertulian en son traicté. De praescript. adver. haereticos. Ea est materia sapientiae saecularis, temeraria interpres divinae materiae, & dispositionis: ipsae denique haereses à Philosophia subornantur. 

Et quelques fueillets apres. Cedat curiositas fidei, cedat gloria saluti. Toutesfois comme l' homme se glorifie avoir esté particulierement doüé de l' intellect, non commun à tous les autres animaux, aussi s' est il voulu avecques le temps donner plusieurs advantages, les uns bons, les autres mauvais au prejudice de l' ancienneté & à elle incognus. Et pour cette cause fut introduite la dispute en haine de l' heresie. Qui estoit non de permettre à tous d' en disputer, ains de croire, autrement c' eust esté introduire un seminaire d' heresie, & comme disoit l' ancien proverbe. Quam quisque norit artem in hac se exerceat. Mais au lieu de ce, nos ancestres trouverent bon que nos Theologiens en croyant fermement ce qui estoit de nostre vraye foy Chrestienne, ny plus ny moins que nos bons & premiers peres, peussent convaincre les nouvelles ergoteries de ceux, qui sous une vaine fiance de leurs esprits nous voudroient faire accroire le contraire. Et de fait quelque peu auparavant la venuë de Lombard nous avions eu dedans Paris un Pierre Abelard, qui par un livre expres par luy fait avoit mis en avant, qu' il ne nous falloit rien croire que ce qui nous estoit ordonné vray par bonnes & valables raisons, livre generalement condamné par un Concil tenu à Soissons, & particulierement par sainct Bernard qui estoit de ce mesme temps en ses Epistres.

Dieu nous envoya quelque peu apres sur cette querelle Pierre Lombard personnage de grande estude, & bien versé és sainctes lettres. Pour laquelle cause Philippes frere de nostre Roy Louys VII. ayant esté esleu Evesque de Paris luy resigna son droit. Au moyen dequoy il fut depuis pourveu de cest Evesché. C' est luy qui a depuis esté surnommé le Maistre des Sentences, à cause des quatre livres de Sentences par luy composé, qui contient sommairement toute nostre doctrine Chrestienne. Livre qui fut embrassé par nos Theologiens avecques un grandissime applaudissement, & mourut l' Autheur en l' an 1164.

De maniere que vous pouvez penser que lors la Faculté de la Theologie scolastique n' estoit en usage chez nous. Et neantmoins ce grand personnage decedant fut tant estimé par les nostres, que depuis nostre Theologie luy fait tous les ans un service avecques ses chappes en l' Eglise de sainct Marcel en laquelle il est enterré, & devons tenir pour proposition infaillible, que le vray & premier fondement de nostre Université fut la Theologie, de laquelle nous pouvons dire, que combien qu' elle eust vescu sous deux Prelats, toutesfois par miraculeux effect c' a tousjours esté un mesme ply, se trouvant l' œuvre de Lombard accomply de tant de doctes & devotes parties, que depuis ça esté l' accomplissement des estudes de nos Theologiens, estimans que ce livre bien entendu contenoit l' encyclopedie de nostre Theologie. Et combien que l' ordinaire en attribue la premiere invention à Messire Pierre Lombard, toutesfois quelques personnages de marque disent que telle maniere de Theologie avoit esté premierement pratiquée par sainct Augustin, non toutesfois depuis continuée, sinon par le moyen de Lombard, lequel sans y penser introduisit apres son decez la Faculté de Theologie scolastique, quand nostre Université fut formée. Une chose vous puis-je dire, que le commentaire que sainct Thomas d' Aquin fit sur ce livre des Sentences, se trouva de telle recommandation qu' il fut depuis commenté par quatre vingts Theologiens, dont vous trouverez les noms & la liste, dedans le laborieux livre de Gesnherus, portant le titre de Bibliotheque. Ce grand Evesque a produit avecques le temps une infinité de braves Theologiens, tant seculiers, que reguliers, dont le denombrement seroit trop long à vous faire. C' est pourquoy je me contenteray de vous en toucher deux seulement, sainct Thomas d' Aquin de l' Ordre de sainct Dominique, qui fit ses premieres estudes sous Albert le grand à Cologne, & ses dernieres en cette ville de Paris où il mourut: & l' autre Fut Maistre Jean Gerson Chancelier de nostre Université. Tous deux parangons en ce sainct & devot subjet. Cette pepiniere de Chevaliers spirituels a tousjours combatu vaillamment pour la Foy, & abbatu les adversaires. Je dy non seulement les adversaires estrangers, ains ceux là mesmes de leur compagnie qui se trouverent fourvoyez du droict chemin, voire ne pardonna pas mesmes au Recteur premier Magistrat de l' Université. A ce propos ay-je trouvé dedans un vieux Registre que le 19. de Novembre 1535. le Recteur se plaignit en pleine congregation de ce que quelques Cordeliers avoient extraict de son sermon quelques propositions qu' il avoit tenuës le jour & Feste de la Toussaint, lesquelles il desavoüoit hormis une, & l' avoient fait apeller ad superiorem iudicem omisso medio, id est neglecta prima Universitatis iurisdictione. Partant prioit l' Université de vouloir prendre la cause pour luy. Ce qu' on luy promit. Le 12. jour de Decembre ensuivant s' estant absenté pour estre accusé d' heresie par ces Cordeliers, Fuerat namque vocatus ad Senatum, & ob ia latebat, & neantmoins estant question de faire la procession generale du Recteur, & sur la difficulté si on la pourroit faire sans chef, elle fut faite dedans le Cloistre des Mathurins. Videbatur enim satis absurdum & monstrosum, ut tot viri absque capite per urbem progrederentur. Je vous ay representé le passage en son naturel pour vous monstrer le zele que l' on apporta lors d' un costé pour la manutention de nostre Eglise, & d' un autre costé la prudence, pour eviter le scandale de l' Université envers le commun peuple. Ces Cordeliers estoient enfans de la Sorbonne, comme sont les quatres ordres des Mendians, qui par leurs estudes ne butent qu' à se faire Docteurs en Theologie. Or estoient nos Docteurs anciennement appellez tantost Docteurs en Theologie, tantost Maistres en divinité. Ainsi le trouverez vous en Froissart tome premier Chap. 211. & au testament fait l' an 1304. par Jeanne Royne de Navarre Comtesse de Champagne & Brie, femme du dit Roy Philippes le Bel. Un poinct seulement desiré je en cette venerable compagnie, c' est que comme hommes ils ne se partializent en brigues, pour contenter l' opinion des grands, ains demeurent tousjours en eux mesmes.

9. 8. Paris, Université, Philippes Auguste

Que ce n' est pas un petit honneur à la ville de Paris, d' avoir esté premierement nommee Université souz le regne de Philippes Auguste.

CHAPITRE VIII.

Quand je vous ay recité ce que dessus, je ne pense pas faire moins d' honneur à nostre Université de Paris, que ceux qui attribuent son origine à l' Empereur Charlemagne. Nous avons trois familles de nos Roys qui produisirent trois grands Roys sur tous les autres. La premiere le grand Clovis; la seconde l' Empereur Charlemagne, & la troisiesme, Philippes second surnommé Auguste, qui eut plusieurs belles correspondances avecques Clovis. Ils furent tous deux faits Roys en l' aage de quinze ans, & deslors par un taisible instinct de leurs natures se trouverent disposez à plusieurs grands exploits de guerre. Clovis combatit l' heresie Arrienne qui lors estoit en vogue par la Gaule, depuis appellee France: Et Philippes l' heresie Albigeoise, qui en avoit de son temps infecté une bonne partie. Clovis rendit les Roys Bourguignons à soy tributaires, Philippes reduisit au baise-main Eudes Duc de Bourgongne, s' estant contre luy revolté, Clovis en la journee de Tolbiac, obtint contre les Allemans une victoire espouventable, dont long temps apres ils ne se peurent relever: Et l' autre en un mesme jour en obtint deux, l' une à Bouines contre Othon Empereur d' Allemagne, Ferrand Comte de Flandres, Hugues Comte de Boulongne conducteur des sujets rebelles. 

L' autre à la Roche-dumaine, par Louys fils de Philippes contre Jean Roy d' Angleterre, avec une telle cheute qu' il ne s' en peut relever, quelque masque que depuis il voulust emprunter de l' authorité du Sainct Siege, quand il se mit sous son vasselage. Et qui est une chose grandement remarquable, c' est qu' en la bataille de Bouines, il y avoit trois soldats ennemis contre un des nostres. Et pour finir ce discours par où je l' ay commencé, je veux dire par la Religion: tout ainsi que Clovis, auparavant que d' estre Chrestien, ayant entendu que Sainct Denis estoit l' Apostre titulaire des Gaules, eut son recours vers luy en la journee de Tolbiac, se voyant pressé par son ennemy en ces mots (Sainct Denis mon joye) pour ma joye, par une parole de Prince qui n' estoit pas bonnement nourry en nostre vulgaire, voulant dire que s' il pouvoit estre garanty du peril qui l' assiegeoit, il se feroit de là en avant Chrestien. Parole qui servit depuis longuement à nos Roys de mot de Guet en leurs affaires militaires. Aussi le Roy Philippes d' une non moins forte devotion, jamais n' entreprit guerre, qu' il ne se presentast avecques tres-humbles prieres à Dieu dedans l' Eglise de Sainct Denis, & apres la Messe dite, ne prit par les mains de l' Abbé son estendard, que depuis nous appellasmes Auriflambe, qui servit par plusieurs siecles à nos Roys, pour leur estre comme une estoile qui les conduisoit en toutes les entreprises qu' ils faisoient contre leurs ennemis. Quand je vous fais cette comparaison du Roy Philippes, avecques le Roy Clovis, je ne pense faire peu de chose pour luy: Car je n' estime qu' il y ait eu jamais en France, un si grand Roy que Clovis, & n' en excepte pas Charlemagne, quelque grandeur que l' ancienneté luy ait voulu attribuer.

Mais encore veux-je passer plus outre. Le Roy Philippes dont je parle, fut deslors de sa naissance, appellé par la voix commune du peuple, Dieu-donné. D' autant que le Roy Louys son pere n' avoit eu de ses deux premieres femmes que des filles, & de sa troisiesme sur son vieux aage Dieu luy envoya ce Prince masle, pour luy succeder à sa Couronne: Et depuis pour les grandes conquestes qu' il fit, fut par sa posterité surnommé le Conquerant, & encore dés son vivant appellé par les siens Auguste, sur le moule d' Auguste premier Empereur de Rome: Et veritablement non sans cause, pour les familieres rencontres qui se trouverent entre ces deux Princes. Ils regnerent tous deux quarante & trois ans: Tous deux prindrent plaisir d' embellir de plusieurs ouvrages signalez, le premier la ville de Rome, le second celle de Paris, toutes deux villes capitales de leurs Empire & Royaume. L' Empereur Auguste bastit le Temple de Mars le Vainqueur, celuy d' Apollon au Palais, & de Jupiter foudroyant au Capitole: Nostre Roy Philippes Auguste fit paver toute nostre ville de Paris, auparavant comblee de fanges, clorre de murailles tout le quartier, qui deslors prit le nom d' Université, comme pareillement le grand Cimetiere de Sainct Innocent, fonda l' Abbaïe de Nonnains joignant Paris, souz le nom de Sainct Antoine des Champs, environna de murailles le Bois de Vincennes, distant de Paris d' une lieuë, qu' il peupla de plusieurs bestes sauvages pour servir de plaisir à luy, & à ses successeurs. L' Empereur Auguste divisa la ville de Rome en divers quartiers. Nostre Roy Auguste ordonna la police del' Eschevinage dedans Paris, & en outre y establit les Hales, magasin pour y debiter toutes sortes de marchandises. L' autre conquit la Cantabrie, Aquitaine, Pannonie, Dalmatie, Illirie. Nostre Philippes le Vermandois, la Normandie, Guyenne, Poictou, Anjou, le Maine, Touraine. D' une chose furent-ils en cecy difformes. Car celuy-là se fit grand par l' induë usurpation de sa Republique sur les siens. Au contraire cestuy-cy s' agrandit des despoüilles de ceux qui s' estoient induëment enrichis des nostres. Parce que toutes les Provinces par luy conquises, estoient de l' ancien estoc de nostre Couronne. Tellement que ce ne fut point tant conqueste, que reünion à sa premiere nature.

Le corps d' Auguste fut apres son decez porté sur les espaules des Senateurs, au lieu où il devoit estre bruslé, suivant l' ancien Paganisme, & ses cendres recueillies par les premiers de l' Ordre de Chevalerie, nuds pieds, pour estre d' une main mises en un magnifique cercueil; faveur qui ne fut jamais depuis faicte à aucun de ses successeurs. Aux obseques de nostre Philippes Auguste se trouverent l' Evesque de Portueuse Legat du Sainct Siege, deux Archevesques de Reims, & Sens, & vingt Evesques, sans y comprendre la fleur de la Noblesse de France, & avecques cette devote, & noble procession il fut inhumé en l' Eglise de sainct Denys, ancien & ordinaire tombeau de nos Roys. Honneur qui ne s' est jamais trouvé aux funerailles d' aucuns d' eux, ny devant ny apres luy. Honneur toutesfois à luy procuré, non par une vaine ambition mondaine reparée du manteau de devotion, ains par mystere caché de Dieu. Car lors le Roy deliberant d' aller guerroyer les heretiques Albigeois à toute outrance, s' estoit faite cette grande assemblee dedans Paris, sous l' authorité du Pape, pour sçavoir quel ordre on devoit tenir au deffroy de cette guerre. Et adoncques il pleut à Dieu de l' appeller à soy, voulant que la fin & catastrophe de sa vie fust couronnée d' une si belle assemblée, tant de Prelats, que Princes, Barons, & braves Chevaliers. Et pour me retrouver à mon but, ainsi que sous l' Empereur Auguste, la Poësie fut en plus grand credit qu' elle n' avoit esté auparavant dedans Rome, aussi advint il le semblable à nostre France sous Philippes Auguste. Car lors nous eusmes Guillaume de Lorry, & Helinan Poëtes François, & uns Leoninus Galterus, & Gulielmus Brito, qui en vers heroïques Latins meirent les mains à la plume. Le premier en la version d' une grande partie de la Bible, le second en la vie du Roy Alexandre sous le titre d' Alexandreide, & le dernier en celle de nostre Philippes son Maistre sous le nom de Philippide. Bien recognoistray-je qu' en ce subject Auguste emporta un grand advantage sur nostre Philippes. Mais il s' en sçeut fort bien revanger. Car sous luy fut plantee dedans Paris, l' Université des bonnes lettres, & sciences: Ce qui n' estoit advenu à Auguste dedans Rome.

Mais à quel propos tout cecy? Pour vous dire que si Charlemagne, fut à bonne raison surnommé le grand, dont nous avons forgé en nostre vulgaire celuy de Charlemagne, par une corruption de langage, Philippes second ne fut pas à moindre, des uns surnommé Auguste, des autres le conquerant, & de tous Dieu-donné. Et ceux qui attribuent l' origine de l' Université à Charles s' abusent, tout ainsi qu' en celle des douze Pairs, qui ne sont pas deux petits ordres en nostre France: Et neantmoins la verité est, que tout ainsi que l' Université prit son origine, puis croissant de la façon que dessus, & sous Philippes commença d' estre dite Université: Ainsi fit elle le semblable au fait des Pairs: car cest ordre ayant pris sa source & progrés, comme j' ay deduit par mon second livre, en fin le premier sacre de nos Roys, auquel est faite mention des Pairs qui s' y trouve, fut en celuy de Philippes Auguste. Tellement qu' il faut attribuer la verité de ces deux grandes polices bien & deuëment formées à Philippes, & le commun bruit au Roy Charles.

9. 7. Vers quel temps les Estudes de Paris prindrent le nom & titre d' Université.

Vers quel temps les Estudes de Paris prindrent le nom & titre d' Université. 

Chapitre VII.

Par les choses par moy cy-dessus deduites, je voy aux regnes de Louys le Gros, & Louys le jeune son fils un commencement d' Escoles dedans Paris, & sous celuy de Philippes Auguste fils de Louys le Jeune, le nom & tiltre d' Université y estre planté. Louys le Jeune fut apres le decez de Louys le Gros son pere appellé à la Couronne l' an mil cent trente & sept, & mourut l' an mil cent quatre-vingts. Alexandre troisiesme fut fait Pape l' an mil cent cinquante neuf, & deceda l' an mil cent quatre-vingts un, pendant tout lequel entrejet de temps souvenez vous qu' il n' y avoit aucune ville en ce Royaume, qui portast nom & titre d' Université, ains estoient seulement preparatifs de ce que nous avons depuis appellé Université. Le Pape Alexandre troisiesme eut pour successeurs Lucius, Urbain, Celestin troisiesme, Innocent, Honoré troisiesme, & Gregoire neufiesme, dont je feray cy-apres mon profit, selon que les occasions se presenteront. De tous lesquels le premier auquel vous commencez de recognoistre particulierement les estudes qui commençoient de s' exercer dedans Paris, vous le trouvez en un escrit de Celestin, depuis inseré dedans les Decretales de Gregoire neufiesme in cap. Quod Clerici. De foro compet. Ext. Mandamus quatenus si quas caussas pecuniarias, Clerici Parisius commorantes habent contra aliquos, vel aliqui contra illos, ipsas iure Canonico decidatis. Voyla un privilege expres que le Pape Celestin leur baille. Qui monstre qu' ils commençoient de faire corps general d' Estuste (Estude); Nulle mention d' Université. Mais Innocent troisiesme son successeur immediat, qui fut faict Pape en l' annee mil cent quatre-vingts dix-huict, & mourut l' an 1217. voulut suppleer ce deffaut, par un autre escrit par luy decerné pareillement du depuis couché dedans les Decretales, recueillies par l' authorité de Gregoire: In cap. Quae. de procurat. Ext. Quia in caußis, quae pro vobis, & contra vos moventur, vestra Universitas, ad agendum & respondendum commodè interesse non potest: postulastis à nobis, ut procuratorem instituere super hoc vobis de nostra permissione liceret. Licet igitur de iure communi hoc facere non valeatis, instituendi tamen procuratorem super his, authoritate praesentium vobis concedimus facultatem: Philippes Auguste fut Roy l' an mil cent quatrevingts, & mourut l' an mil deux cens vingt & trois. Innocent fut fait Pape l' an mil cent nonante & huict, & mourut l' an mil deux cens & seize. Doncques sous son regne fut faite expresse mention de cette Université, dont auparavant je n' en trouve nulle.

Aussi est-ce luy qui premier de tous nos autres Rois donna ordre de faire paver la ville de Paris, & signamment de ceindre de murailles, depuis la Tournelle, jusques vers l' autre part de riviere, comme nous apprenons de Rigord, qui est l' endroit de ville que depuis nous appellasmes Université. Aussi trouvons nous en ses Archifs lettres de luy de l' an mil deux cens, dans lesquelles vous ne trouverez pas le mot d' Université y estre porté, ains la valeur d' iceluy. Car comme ainsi fust que cinq Escoliers de Paris eussent esté occis par quelques matois & hommes malgisans, & que Thomas Prevost de Paris se fust nonchalamment porté à la vindicte publique de ce delit, il en fut demis de sa charge: Et par les mesmes lettres, le Roy deffend à ses Juges de prendre jurisdiction des delits communs, qui seroient commis par les Escoliers de Paris, dont il veut la cognoissance appartenir à l' Evesque, ains seulement qu' ils cognoissent des crimes atroces. Qui est ce que depuis nous avons appellé, cas privilegiez, Actum apud Bestiliacum (porte le texte des lettres) Anno Incarnationis Verbi, millesimo ducentesimo, regni nostri anno quadragesimo primo, adstantibus in Palatio, quorum nomina sub posita sunt & signa. Dapifero nullo, signum Guidonis buticularij, S. Matthaei Camerarij. Signum Droconis Constabularij: & au dessous est le nom de Philippes: Cancellaria Vacante.

Philippes Auguste, Cancellaria Vacante, Signum

Qui estoit le formulaire que nos premiers Rois observoient sous la troisiesme lignee: & tels estoient les seings de nos Rois, chacun en leur endroit selon leurs noms. Qui est le premier & plus ancien titre de tous nos Rois que nous trouvions concernant les privileges de l' Université de Paris, & combien que ces mots n' y soient en paroles expresses apposés, si est-ce qu' ils sont amplement suppleez par Rigordus, & Gulielmus Brito, lesquels apres le decez de ce Roy firent l' Histoire de sa vie, le premier en prose, le second en vers, dont je fais grand estat, pour recognoistre la verité des choses qui se passerent lors. Quant à Rigord, je le voy par tout le discours de son histoire, celebrer les Escoles qui estoient à Paris. Louys fils de Philippes estant grandement malade, on fit une procession generale de sainct Denis à sainct Lazare lez Paris, où les autres Eglises les allerent trouver, Et infinita scholarium, & populi multitudo nudis pedibus, porte le texte. Au retour de la victoire obtenuë  par Philippes en la journee de Bouines, l' Autheur recitant avec quelle joye ce Prince fut accueilly par les Parisiens, il adjouste: Maxime vero Scholares cum maximo quidem sumptu, convivia, choreas, tripudia, cantus indefesse agere non cessabant. Et qui est la piece de plus belle marque de cet Historiographe, c' est cette cy. In diebus illis (dit-il) studium litterarum florebat Parisiis, nec legimus tantam aliquando fuisse Scholarium frequentiam Athenis, vel Aegypti, vel in qualibet parte mundi, quanta locum praedictum studendi gratia incolebat. Quod non solum fiebat propter loci illius admirabilem amoenitatem, ad bonorum omnium superabundantem affluentiam, sed etiam propter libertatem, & specialem praerogativam deffensionis, quam Philippus Rex, & Pater eius ante ipsum ipsis scholaribus impendebant.

De là vient que Guillaume le Breton, parlant de cette ville de Paris au premier livre de sa Philippide disoit qu' elle estoit: Doctrix totius orbis: Et au dixiesme parlant du retour de Philippes à Paris, apres sa grande & inesperee victoire de Bouines, & comme chacun à l' envy le congratuloit.

Praecipuè (dit-il) quos Palladiae dulcedo laborum 

Allicit, alma sequi vitae documenta beatae.

Le premier des Papes que je voy avoir fait mention expresse des estudes de Paris, est Celestin troisiesme, ainsi que je vous ay cy-dessus cotté. Ce Pape siegea depuis le jour de son eslection, qui fut l' an 1185. jusques au jour de son decez 1198. En tous les passages cy-dessus cottez vous voyez estre parlé des Estudes, & des Escoliers de Paris souz Philippes Auguste: Nulle parole de l' Université. Celuy qui supplea ce deffaut fut Innocent III. successeur immediat de Celestin, qui fut creé Pape l' an 1198. & mourut l' an 1216. pendant le regne de nostre Philippes, sept ans auparavant son decez. Le semblable trouverez vous dedans Rigord, parlant de l' heresie d' Amaury, où vous verrez estre faite mention de l' Université à cœur ouvert. 

Cum igitur in hoc ab omnibus Catholicis Universitatis contradiceretur, de neceßitate acceßit ad summum Pontificem, qui audita eius propositione, Universitatis Scholarium contradictione, sententiavit contra ipsum.  Redijt ergo Parisius, & compellitur ab universitate confiteri ore, quod in contrarium opinioni suae praedictae sentiret: ore dico, quia corde nunquam consensit. En ce passage le mot d' Université Latin est pris en deux divers sens. Le premier en ces paroles, Quod Universitati Scholarum, &c. vouloit dire la plus grande & meilleure part des Escoliers. Au second, le mot de Universitas est pris, pour ce que nous avons appellé Université dans Paris. Je vous represente cecy par exprés, pour vous dire qu' avant le regne de Philippes Auguste, la ville de Paris ne recognoissoit l' usage des lettres sous le nom d' Université, par nous depuis tant respecté, encore que le Roy Louys VII. auparavant favorisast les gens doctes. Rigord parle long passage que j' ay cy-dessus emprunté de luy, dit que le Roy Philippes, & Louys son pere avoient honoré les Escoliers estudians à Paris de certains Privileges: Toutesfois vous ne trouvez en nostre Université, titre plus ancien que celuy de Philippes Auguste.