sábado, 12 de agosto de 2023

9. 33. Que le Droict Civil des Romains, compilé par l' Ordonnance de l' Empereur Justinian, fut longuement perdu, & quelques centaines d' ans apres retrouvé.

Que le Droict Civil des Romains, compilé par l' Ordonnance de l' Empereur Justinian, fut longuement perdu, & quelques centaines d' ans apres retrouvé.

CHAPITRE XXXIII.

Puisque nous avons naturalizé en nostre France le Droict Civil des Romains, qui du commencement nous estoit Aubain, & basty sur les ruines plusieurs polices non cognuës, ny sous la premiere famille de nos Roys, ny sous la seconde, ny bien avant sous la troisiesme, je ne pense faire œuvre esloignee de mon projet, si je discours de quelle façon, ayant esté perdu, il fut retrouvé, & comme depuis par succession de temps il se vint loger en ce Royaume, dont nos Universitez de Loix prindrent leur origine. Histoire si je ne m' abuse, non aucunement traictée par aucun en son tout. En la deduction de laquelle si je passe les Monts, pour puis me trouver dedans nostre France, je ne me fourvoyeray non plus, que quand du commencement de cet œuvre, j' ay passé le Rhin pour recognoistre l' ancienneté de nos premiers Roys. D' une chose sans plus prié-je le Lecteur, vouloir recevoir de moy cette mienne estude d' un aussi favorable accueil, comme je luy en fais present.

L' Empereur Justinian ayant faict reduire les Ordonnances de ses devanciers en douze livres soubs le tiltre du Code, & les Advis des Jurisconsultes, soubs les noms de Pandectes, & Digestes en cinquante, & à tout cecy annexé ses nouvelles Constitutions, & les quatre livres des Institutes, abregé de tout le Droict en forme d' Art, prohiba tres-estroitement que nul ne fust si ozé d' y faire aucuns Commentaires de longue haleine, ains seulement des Paratitles, c' est à dire de briefs argumens sur les tiltres. Prevoyant la confusion qui pourroit advenir, & ne voulant qu' on tombast au mesme desarroy qui s' estoit auparavant trouvé par le nombre innombrable des livres faicts par les Jurisconsultes. On ne peut dérober à ce nouveau mesnage de Droict, qu' il n' y ait une infinité de belles Decisions, & singulierement que les Pandectes ne soient escrites en beau Latin, encore que de fois à autres on y trouve des paroles & manieres de parler esloignées du temps de Ciceron & Cesar. 

Et ne fais aucune doute que Tribonian principal entrepreneur de cette tasche, n' en envoyast des coppies & exemplaires par les Provinces sujettes à l' Empire, tant pour contenter l' opinion de l' Empereur son Maistre, que la sienne propre. Toutesfois la question n' est pas petite de sçavoir s' il fut tout aussi tost observé; d' autant que quelques esprits hardis se mettans à l' essor soustiennent, que l' execution de cet ouvrage fut seulement un souhait (tout ainsi comme il nous en prend en ces longues Ordonnances Royaux, qui sont faites & assemblees, & sur les Remonstrances des trois Estats) & que jamais il n' eut cours, ny du vivant de Justinian ny depuis.

Long temps auparavant sa venuë (disent-ils) & apres, l' Empire fut non seulement troublé, ains amorcelé par les Huns, Alains, Vandales, Visigots, Ostrogots, Bourguignons, François, Pictes, Escossois, Anglosaxons, Lombards; le son de leurs tabours, clairons, & trompettes, fit que ce Droict ne peut estre oüy. L' Allemagne non jamais sujette au Romain, l' Italie, la Gaule, l' Espagne, & la grand Bretagne, voüees à autres Saincts; la ville de Rome estoit, si non escaue, pour le moins espaue de celuy qui premier s' en emparoit, tantost d' un Odoacre Roy des Heruliens, tantost d' un Theodoric Roy des Ostrogots. Et quant à Constantinople, sejour ordinaire du Prince, encore que Justinian fut tres-heureux hors sa ville contre les estrangers, par la conduite de son grand Belissaire, toutesfois il se trouvoit au dedans malheureux de la part de ses citoyens. Une infinité de bourasques, revoltes & seditions, dont sourdirent meurtres à tas, ruines des maisons & Eglises, mesme de celle de Se. Sophie, miracle de tout l' Univers, qui fut arse. Un Tribonian parrain de cette nouvelle oeconomie de Droict, ores banny de la Cour de son Prince, pour contenter la populace, ores restably. Sa fortune estoit lors bastie sur une boule. Et vrayement tant de particularitez concurrantes ensemble, me contraignent de croire que ce Droict nouveau mis en ordre, fut un avorton d' Estat aussi tost esteint comme né. Dont la memoire fut ensevelie l' espace de cinq ou six cens ans, & non renouvelée; sinon lors que la plus part des Provinces Occidentales, & Septentrionales, s' estoient eschangees en nouveaux visages. Car pour le regard des Provinces Orientales, je ne m' en donne pas grand peine, pour y estre aujourd'huy ce Droict totalement incogneu: Mais je parle de celles, ausquelles il est infiniement honoré & respecté, ores que lors de sa naissance, vilipendé le possible: Et neantmoins s' il vous plaist de repasser sur celles du Levant, combien que je n' aye aucun advis de l' ancienneté, si ce Droict y fut en usage; toutes-fois à discourir de ce faict par conjectures non impertinentes, s' il y fut autres-fois observé, cela dura jusques au temps de l' Empereur Basile, par le commandement duquel tout ce qui estoit en usage, tant de la part de Justinian, que des Empereurs subsequents, commença d' estre recueilly. Oeuvre depuis parachevé par l' Empereur Leon son fils: Auquel il donna le tiltre de Basilicon. A ce faire induit, ou pour favoriser la memoire de l' Empereur son pere, qui en avoit esté le premier promoteur, ou bien parce que le mot signifie en langue Grecque ce que nous disons en nostre vulgaire, Ordonnances Royaux, sur lesquelles il vouloit que son Estat fust reiglé. Tellement que je puis dire, comme chose vraye, qu' ores que ce Droict y eust regné quelque temps, si est-ce que ce regne fut de petite duree, & non de longue estenduë.

C' est ainsi que quelques uns se joüent de leurs esprits, non paravanture sans cause: Et toutes-fois il faut croire qu' ores qu' il ne fust observé par forme de Loy és provinces par moy cy-dessus touchees; si est-ce qu' il estoit pour sa valeur logé en quelques Bibliotheques signalees, dont les doctes plumes sçavoient bien faire leur profit. Ainsi le voyez vous dedans Yves Evesque de Chartres en ses Epistres, sur les questions qui luy estoient proposees, pour la resolution desquelles, il s' aidoit premierement de l' authorité des vieux Peres de nostre Eglise, & incidemment par forme d' appenty, des Pandectes, Code, Constitutions nouvelles & des Institutes. Ainsi en ses lieux communs qu' il intitula Decret; & specialement en sa seiziesme partie qui en est pleine: ainsi dedans Gratian: Quoy plus? les Papes mesmes en ont ainsi par fois usé, non qu' ils pensassent leur authorité despendre des Loix par eux alleguées. mais pour donner plus de fueille à leurs Constitutions Decretales. Et vous diray que sous nostre bon Roy S. Louys nous eusmes un Pierre de Fontaine, qui composa en nostre vulgaire la Practique Judiciaire, qui lors estoit en vogue, pour monstrer en quoy nous symbolizions avec les Loix de Justinian, & en quoy nous estions discordans. Livre par luy dedié à la Roine Blanche mere de S. Louys.

Ny pour tout cela nous n' avions Universitez de Loix authorisées par le Magistrat. Advint l' an 1100. (cela s' appelle 500. ans & plus apres le decez de Justinian) que les Pisans ayans pris d' emblee, & pillé la ville de Melfe, au Royaume de Naples, ils y trouverent casuellement en un Tome, les 50. livres des Pandectes, qu' ils firent transporter à Pise, & garder tres-soigneusement, comme un bien grand & riche butin.

L' opinion de quelques uns est, que ces cinquante livres avoient esté auparavant pour la commodité du Lecteur, divisez en trois Tomes (si vray ou non, je m' en rapporte à ce qui en est) & qu' au premier on avoit mis vingt-quatre livres, au second quatorze, au troisiesme douze. Et sur cela font des comptes à perte de veuë, ou bien pour demeurer dedans les termes du vieux proverbe François, font des comptes de la peau d' asne; ausquels il n' y a rien que de l' asnerie. Disans que le premier ayant esté retrouvé, & quelque temps apres le second, celuy-là fut appellé le Digeste vieux, & cestuy-cy Infortiat, comme un renfort du premier. Et finalement le troisiesme avoir esté intitulé Digeste nove, comme celuy qui avoit esté retrouvé de plus fraische memoire que les deux autres grotesques, qui ne meritoient de vous estre representees: mais pour telles qu' elles m' ont esté debitees je vous en fais part. L' ignorance a produit cette distinction de livres, & ces trois mots goffes, & la mesme ignorance fait que nous ne sçavons quand elle fut introduite. Bien vous puis-je dire qu' elle est d' une bien longue ancienneté: car en nostre Chambre des Comptes de Paris nous trouvons au Memorial cotté C, que le 17. Janvier 1358. (c' estoit sous le regne de nostre Roy Jean) quoddam Digestum novum quod erat in armario Camerae Computorum Regis, & fuerat ibi diu custoditum, fuit traditum Magistro Iacobo de Passiaco, Magistro Camerae Computorum sub precio octo denariorum auri ad scutum, appreciatum per Fiderandum Librarium iuratum Parisiensem, morantem in Vico novo (c' estoit la ruë neufve nostre Dame, où lors une bonne partie des Libraires faisoit son habitation) praesentibus Magistris de Sancto Iusto, & Ioanne de Hiscomino. Passage lourd & grossier, duquel toutesfois je recueille, que ce Digeste avoit esté dés pieça mis és anciennes armoires de la Chambre, comme piece de merite, & que deslors il estoit appellé Digeste nove. Particularité que je ne vous ay pas touchee sans cause. D' autant que les 50. livres des Pandectes ayans esté trouvez dedans Melfe en un seul Volume, on commença de le respecter, comme une venerable & correcte ancienneté; c' est ce que depuis nous avons appellé Pandectes. Parce que les Florentins s' estans faicts Maistres de la ville de Pise, voulurent aussi que ce beau joyau fist son sejour en leur ville.

9. 32. Des differens d' entre les Chirurgiens & Barbiers.

Des differens d' entre les Chirurgiens & Barbiers.

CHAPITRE XXXII.

Ayant par quelques livres precedans discouru des premieres & plus grandes dignitez de la France, d' amuser maintenant ma plume aux differens du Chirurgien & Barbier, c' est proprement un soubresaut de Phaëton, du haut en bas: mais puis que j' ay baptizé cet œuvre du nom de Recherches, je ne me pense fourvoyer de mon entreprise, repassant ores sur les choses hautes, ores sur les basses. Tant y a que ce sont  tousjours Recherches, les unes de plus fort, les autres de plus foible alloy. Comme aussi n' est-il pas dit que tout ce dont je feray part au Lecteur se trouve d' une mesme trempe; & à la mienne volonté que tout ainsi que le Chirurgien & le Barbier se meslent de guerir les playes, je pense aussi estancher le sang de la leur, dont je sçay qui en fut l' Autheur sans le dire.

Je pense vous avoir fidelement deduit par le precedant Chapitre, les differens qui furent, & sont encores entre la Faculté de Medecine & le College des Chirurgiens. Maintenant vous veux-je faire part de ceux qui sont & ont esté entre les Chirurgiens & Barbiers. En quoy je puis remarquer pour chose tres-vraye, que de toute ancienneté il y a eu deux ambitions qui ont couru: L' une dedans l' ame du Chirurgien, a fin que sa compagnie fust incorporee en l' Université: Et l' autre en celle du Barbier, que sa Confrairie fist part de celle des Chirurgiens. Chose à quoy ny l' un, ny l' autre n' ont peu atteindre, quelques artifices qu' ils y ayent diversement apportez.

Et neantmoins entant que touche les Barbiers, il ne faut faire doubte, que c' est une envie qui les a touchez d' une bien longue ancienneté: comme ceux qui firent dés pieça estat de guerir les playes. A quoy s' opposerent fort & ferme les Chirurgiens. Au livre blanc des Mestiers de Paris, qui est en la Chambre du Procureur du Roy au Chastelet, se trouvent ces deffenses souscrites.

L' an mil trois cens & un, le Lundy apres la my-Aoust furent semons tous les Barbiers, qui s' entremettent de Chirurgie, dont les noms sont cy-dessous escrits: & leur est deffendu sur peine de corps & d' amende; que ceux qui se disent Barbiers n' ouvrent de l' Art de Chirurgie, devant ce qu' ils soient examinez des Maistres Chirurgiens, à sçavoir mon se ils sont souffisans au dict mestier faire.

Item que nul Barbier, si ce n' est en aucun besoin d' estancher le blessé, ne se pourra entremettre du dit mestier: & si tost qu' il l' aura estanché, & affaité, il le fera à sçavoir à justice. C' est à sçavoir au Prevost de Paris ou son Lieutenant sur la peine dessus dite.

Et au dessous sont les noms de vingt-six Barbiers, ausquels ces deffenses sont faites, soit, ou qu' il n' y eust lors dedans Paris que vingt-six Barbiers, ou bien qu' il y en eust plus: mais qu' entre ce plus, il n' y eust que ces vingt-six qui voulussent enjamber sur l' Estat des Chirurgiens. Tant y a que cela tesmoigne que dés lors il y avoit des Barbiers qui s' en vouloyent faire croire. Et en plus forts termes dedans les anciens Statuts des Chirurgiens, il estoit porté par le quatorziesme article.

Item quod nullus, sive Magister, sive Baccalorius, patientem quemcumque cum Barbitonsoribus, nisi semel, aut bis ad summum visitabit, praenominati in Chirurgia Magistri iuraverunt. Et quelques destourbiers que les Barbiers receussent des Chirurgiens, en fin il leur fut permis par lettres patentes du Roy Charles cinquiesme en date du mois de Decembre mil trois cens septante deux, de penser les clouds, bosses, & playes ouvertes non mortelles, mais estans en peril eminent par faute de secours prompt & present.

Et comme depuis les Chirurgiens eussent obtenu commission du Prevost de Paris du quatriesme jour de May mil quatre cens vingt-trois, portant deffences generalement à toutes personnes de quelque estat & condition qu' ils fussent, non Chirurgiens, mesme aux Barbiers d' exercer, ou eux entremettre au faict de la Chirurgie. Et que cela eust esté proclamé à son de trompe & cry public par les carrefours de Paris, les Barbiers s' y estans opposez, l' instance prit traict pardevant le Prevost de Paris: Et par sentence du quatriesme jour de Novembre l' an mil quatre cens vingt-quatre, fut permis aux Barbiers de joüir du Privilege à eux octroyé par les lettres du Roy Charles cinquiesme cy-dessus mentionnees. De laquelle sentence Maistres Henry de Troyes, & Jean de Soulfour Chirurgiens jurez du Roy au Chastelet de Paris, & Maistre Jean Gilbert Prevost de la confrairie, appellerent, & releverent leur appel en la Cour de Parlement qui lors seoit sous l' authorité du jeune Henry sixiesme, soy disant Roy de France & d' Angleterre, & par Arrest du septiesme jour de Septembre mil quatre cens vingt-cinq, il fut dit qu' il avoit esté bien jugé, mal & sans grief appellé, & les appellans condamnez en l' amende du fol appel, & és despens: L' arrest fut prononcé en Latin, ainsi que portoit la commune usance.

Par cet Arrest il estoit permis de penser clouds, bosses & playes de la nature que dessus, & par l' Ordonnance du Prevost de Paris de l' an mil trois cens un, deffendu aux Barbiers d' exercer le fait de la Chirurgie, qu' ils n' eussent esté prealablement examinez, & jugez suffisans par les Maistres Chirurgiens: Voicy un autre placard que je trouve au Registre de la Police du Chastelet de Paris du 16. jour d' Aoust 1545.

Nous Philippes Flesselles Docteur Regent en la Faculté de Medecine, & Medecin juré du Roy nostre Sire audit Chastelet de Paris, & Jean Maillard Docteur Regent en la dite Faculté, substitut en l' absence du dit de Flesselles: & Pascal Bazin Chirurgien juré du Roy nostre Sire au dit Chastelet, & Sebastian Danisy Prevost des dits Chirurgiens à Paris, & François Bourlon Chirurgien juré à Paris, & le dit Bourlon commis par Guillaume Roger Chirurgien juré du Roy nostre Sire au dit Chastelet, parce que le dit Roger estoit detenu au lict malade d' une fievre tierce. Certifions qu' en vertu de certaine Ordonnance donnee en la chambre de la Police, datee du sixiesme jour d' Aoust, & signee Valet, nous avons procedé à l' audition, examen, & experience des dessous nommez sur le fait de la cognition & curation des clouds, bosses, antrax, & charbons, tant sur les differences d' iceux, que sur les phlebotomies & saignees, diversions qui en tels cas convient, & se devoient faire, & aussi pour la parfaicte curation d' icelles; & tout veu & consideré, les responces des dessous nommez, tant en Theorique, que Pratique, les disons estre idoines & suffisans, pour guerir les dits clouds, antrax, bosses & charbons: & le tout certifions estre vray: Tesmoins nos seings manuels icy mis le vingt-sixiesme jour du mois d' Aoust l' an mil cinq cens quarante cinq. Noms & surnoms, Jean Becquet, Pierre Gresle, Jean Pean, Estienne Bizeret, Jean Fremin, Simon Chesneau, Sulpice Pilors, Hugues Maillard, Jean Bigot, Benjamin Gasson, Guillaume Dibon, Jean Daqueu,  Baltazard le Chien, Raulequin Robillard, Jean Tabusso, Signé Maillard, de Flesselles, Danisy, Bazin, & Bourlon. Dont & desquelles choses les dits denommez & supplians, à sçavoir les dits Dibon, Becquet, & consorts, nous ont requis ces presentes, esquelles en tesmoin de ce nous avons faict mettre le seel de la dite Prevosté. Ce fut fait & extrait l' an mil cinq cens quarante-cinq, le Lundy 19. Octobre. Ainsi signé Goyer, & au dessous Fouques.

Je vous ay representé cette piece tout de son long, pour vous monstrer comme les choses alloient lors entre les Chirurgiens & Barbiers, & à vray dire c' estoit au temps qu' il y avoit surseance d' armes entre les Medecins & Chirurgiens: mais depuis que les armes furent reprises entr'eux, ils se liurerent toute autre chance. Depuis ce temps les Barbiers assistez de l' authorité des Medecins provignerent grandement leur estat au prejudice des Chirurgiens: Et specialement pendant les Troubles qui commencerent en cette France vers l' an mil cinq cens quatre-vingts cinq, & continuerent quelques ans. Qui fut cause que les choses estans aucunement racoisees, & le Roy Henry le Grand estant r' entré dedans Paris, les Chirurgiens obtindrent nouvelle commission du Prevost de Paris ou son Lieutenant du septiesme Fevrier mil cinq cens nonante six, par laquelle estoit deffendu à toute personne de quelque estat & qualité qu' elle fust de s' entremettre en appert (c' est le terme porté par icelle) ou en secret, en quelque place, jurisdiction, ou terre que ce fust, de la ville, Prevosté & Vicomté de Paris, de faire ou exercer chose qui appartint au dit art & science de Chirurgie: si auparavant ceux qui useroient, ou voudroient user du dit art & science de Chirurgie n'  estoient examinez par les deux Chirurgiens du Roy jurez au Chastelet: Avecques eux & par eux appellez & convoquez les autres Maistres experts & jurez, & par iceux trouvez capables & suffisans pour exercer le dit art & science, & qu' ils eussent esté rapportez tels, fait & presté le serment pardevant le Prevost de Paris ou son Lieutenant, de bien & loyalement practiquer le dit art & science, avecques permission de joüir des Privileges octroyez au corps & College des Maistres Chirurgiens jurez à Paris, & avoir pour marque les bannieres de S. Cosme & S. Damien, avec trois boëttes au devant de leurs maisons & fenestres.

Exceptez toutesfois les Barbiers tenans ouvroirs & boutiques à Paris, lesquels se pourroient entremettre si bon leur sembloit de curer & guerir clouds bosses, & playes ouvertes en cas de peril, si les playes n' estoient mortelles, le peril d' icelles premierement rapporté à justice, toutes les fois qu' ils seroient appellez à ce. Et pour ce faire pourroient iceux Barbiers bailler & administrer emplastres, oignemens, & autres medicamens necessaires pour la guerison d' iceux clouds, bosses, & playes ouvertes, au dit cas de peril: si les dites playes n' estoient mortelles, lesquelles seroient pensees & medicamentees par les dits Maistres Chirurgiens, & non d' autres, le peril d' icelles premierement rapporté à Justice: Et ayans esté au prealable les dits Barbiers sur les dits clouds, bosses, & playes ouvertes, interrogez par les dits deux Maistres Chirurgiens jurez du Roy au Chastelet, avecques eux les dits Maistres Chirurgiens jurez appellez; ainsi qu' il estoit porté par les Chartres des Roys de France, Sainct Louys, Philippes le Bel, & autres leurs successeurs, confirmez de Roy en Roy, & par le Roy tres-Chrestien Henry IV. lors regnant.

Item estoit deffendu de par le Roy, & le dit sieur Prevost de Paris, à tous les Maistres Barbiers tenans ouvroirs en la ville, Prevosté, & Vicomté de Paris, que doresnavant ils ne s' entremissent du dit art & science de Chirurgie autrement, & plus avant que permis leur estoit, & qu' ils n' eussent esté au prealable examinez, sur peine d' amende arbitraire. 

Ordonnance qui fut leuë & publiee à son de trompe & cry public par les carrefours de la ville de Paris, & lieux à ce accoustumez, par Robert Keruet crieur juré pour le Roy, accompagné de Pierre Gilbert, & Mathurin Noiret Trompettes jurez le 25. Septembre 1600.

Je vous ay couché tout au long les deffences faictes par le Prevost de Paris, comme fondement des nouvelles querelles: car encores qu' il semblast n' estre rien par icelles attenté au prejudice de l' ancienneté; toutesfois les Barbiers en appellerent, & la cause plaidee au Parlement, les Medecins joints avecques, appointee au Conseil: En fin par Arrest du vingt-sixiesme Juillet mil trois cens trois, la Cour mit les appellations, & ce dont avoit esté appellé au neant, & ordonne que les Maistres Barbiers Chirurgiens (ainsi sont-ils appellez par cet Arrest) ne seroient à l' advenir compris aux affiches & proclamations des Chirurgiens. Et leur permet de se dire & nommer Maistres Barbiers Chirurgiens, curer & penser toutes sortes de playes & blesseures comme ils avoient cy-devant faict, apres qu' ils avroient fait le chef-d'oeuvre accoustumé, & esté interrogé par les Maistres Barbiers Chirurgiens en la presence de quatre Docteurs en Medecine, & deux du College des Maistres Chirurgiens. A la charge que suivant l' Arrest du 10. Novembre 1554. iceux Barbiers Chirurgiens de cette ville & faux-bourgs serviroient chacun à leur tour trois mois sans gages à la Police des pauvres: deux en l' Université, un en la Cité, & deux du costé de la ville, selon le departement des Commissaires du Bureau des pauvres. Et comme les Barbiers voulussent aucunement intervertir la qualité nouvelle à eux baillee, & qu' ils se voulussent qualifier Chirurgiens Barbiers, la Cour par autre Arrest du vingt-cinquiesme Avril 1525. leur deffendit de ce faire; ains qu' ils se nommassent Barbiers Chirurgiens suivant l' Arrest de l' an 1603.

Par l' observation que j' ay faite des procedures qui se sont passees entr'eux, je trouve que les Barbiers ont tousjours gaigné quelque pied au desadvantage des Chirurgiens: Car ainsi le vois-je estre advenu premierement par l' Arrest de l' an 1425. Et combien que depuis par tous les autres Arrests subsequents, ils ne fussent nommés que Barbiers, ou si on les nommoit Barbiers Chirurgiens, c' estoit sous cette protestation qu' on y adjoustoit tout d' une suite que les qualitez ne prejudicieroient aux parties; toutesfois par l' Arrest de 1603. ils sont declarez Barbiers Chirurgiens. Qualité qui leur est depuis demeuree.

Et qui plus est, ores que par l' Arrest de l' an 1425. l'  exercice de la Chirurgie leur eust esté permis à certain genre de maux, toutesfois par ce dernier, la porte leur est ouverte à toutes sortes de playes, tout ainsi qu' au Chirurgien sans aucune limitation. Comme aussi est-ce la verité que devant l' Arrest, les Barbiers favorisez de la Faculté de Medecine s' en estoient fait grandement accroire. Et à vray dire, si les Chirurgiens n' eussent du commencement conillé en leur faict, ains se fussent vivement opposez aux entreprises des Barbiers, je ne fais aucune doute qu' ils eussent obtenu en tout & par tout gain de cause; car il est certain que l'  estat du Barbier est un mestier mechanique, tel recogneu par le cent vingt-septiesme article de la Coustume de Paris, & celuy de Chirurgie fait part & portion de l' Art de la Medecine, comme nous voyons par le cent vingt cinquiesme art de la mesme Coustume sous le titre de Prescription. Mais l' opiniastreté du Barbier l' ayant gaigné par long usage, & une infinité de tant de Maistres que compagnons Barbiers, ayans assigné leurs vies sur cet exercice, on a esté contrainct d' acquiescer en partie à leurs volontez sous les modifications portees par l' Arrest. Ainsi pour bannir la confusion passe-l'on souvent plusieurs choses par tolerance, qui d' ailleurs ne seroient aucunement tolerables.

Or est-ce une chose qu' il faut remarquer, que quelque different qu' il y ait entre le Medecin & Chirurgien, la Faculté de Medecine n' a doubte de recevoir les Maistres Chirurgiens Barbiers en leur Faculté, quand d' ailleurs ils se sont trouvez capables & suffisans. Aussi avons nous veus autresfois un Maistre Jean le Gay, & apres luy un Maistre François d' Amboise, tous deux Maistres jurez en la Chirurgie avoir esté passez Docteurs en la Medecine. Ny le nouveau titre de Medecin par eux acquis, ne leur fit oublier celuy de Chirurgien, & de comparoir comme tels aux actes publics de la Chirurgie. En cas semblable, nonobstant les anciens differens qui estoient entre les Chirurgiens & Barbiers, si on voyoit un Barbier qui par longue traicte de temps eust acquis nom au fait de la guerison des playes, encore qu' il ne fust versé en la langue Latine, on ne laissoit pas de l' en dispenser, moyennant qu' en la langue Françoise, il sceust fort bien respondre aux actes de Bachelerie & Licence; supleant le deffaut de la langue Latine, par la longue pratique & experience. A la charge toutesfois qu' entrant en ce College il fust tenu de quitter les bassins, & tout ce qui dependoit de la Barberie, que les Chirurgiens estiment barbarie, non compatible avecques leur profession: Et ainsi furent receuz en leur Ordre, Maistres Estienne de la Riviere, & Ambroise Paré: Celuy-là du depuis Chirurgien du Roy juré au Chastelet: & cestuy-cy premier Chirurgien de deux & trois Roys; grand personnage au fait de la Chirurgie, comme nous voyons par les vingt & cinq livres que nous avons de luy pour cet effect. Et se faict cette renonciation pardevant Notaires par le Barbier, les premiers & principaux des Chirurgiens, ce stipulans & acceptans. Suivant cette ancienne police les Chirurgiens receurent és annees mil six cens dix & mil six cens unze en leur College Nicolas Habicot, Jacques Marque, & Isaac d' Allemagne Maistres Barbiers, apres avoir esté examinez sous la condition que dessus, d' oster les bassins de leurs enseignes, & de quitter le mestier de Barbier. 

A quoy toutesfois ils n' obeïrent: car comme ils eussent apposé à leurs enseignes uns sainct Cosme & sainct Damien, & au dessous trois boëttes (enseigne ordinaire des Chirurgiens, ils ne fermerent leurs boutiques de Barbiers, & comme les Chirurgiens leurs en eussent faict instance au Parlement: au contraire que la communauté des Barbiers se fust jointe avecques leurs trois compagnons, en laquelle il n' y avoit pas moyen de subsister, finalement ils s' aviserent d' obtenir lettres patentes du Roy au mois d' Aoust l' an 1613. adressées à la Cour de Parlement, sous l' humble supplication du College des Chirurgiens, & des Lieutenant, Sindic, Jurez, & gardes de la Communauté des Maistres Barbiers Chirurgiens. Par lesquelles lettres le Roy presupposant sous un faux donner à entendre, que ces deux compagnies fussent d' accord, les incorpore ensemblément, pour joüir doresnavant concurremment des droits, libertez, & franchises appartenans aux uns & autres; sans qu' à l' advenir ils se peussent separer, à la charge de garder par chacun d' eux les Ordonnances & Statuts de l' Art de Chirurgie, & empescher les abus, à peine de privation de leurs privileges, & que nul n' y peust estre à l' advenir receu, sinon en subissant l' examen porté par l' Arrest du 12. Aoust 1606. sans toutesfois y abstreindre les Maistres Barbiers ja receus. Ces lettres verifiees en la Cour sans aucun obstacle; d' autant que l' on estimoit qu' il n' y eust rien de malefaçon: ains qu' elles eussent esté obtenuës par un vœu commun & general des deux compagnies. A la verité, ainsi que j' ay entendu, deux ou trois Chirurgiens abusans du nom de leur College s' estoient mis de cette partie: Mais le corps general estant adverty de cette publication de lettres s' y oppose, & pour rendre son opposition plus forte & asseuree, obtient lettres le 20. Decembre 1613. en forme de Requeste civile, par lesquelles ils desauoüent tout ce qui avoit esté fait, remonstrans que le mestier de Barbier, par ses Statuts anciens, & le College des Chirurgiens par les siens, ne pouvoient compatir ensemble: Tellement qu' on vouloit faire d' une impossibilité un possible. Or avant que la cause fust plaidee, les Barbiers chantans entr'eux un Te Deum, comme s' ils eussent obtenu pleine victoire, commencent de prendre la qualité de Chirurgiens, sans y adjouster celle de Barbiers, & neantmoins comme corps mety, bigarrent (au moins la plus part d' eux) leurs enseignes de boëttes, & de bassins, quittent l' Eglise du Sepulchre, retraicte ancienne de leur Confrairie, se veulent aggreger en celle des Chirurgiens, prennent le bonnet quarré & la robbe longue le jour & feste S. Cosme, & veulent quelques uns des principaux y avoir place avec les Chirurgiens, qui les en empeschent fort & ferme. En fin la cause plaidee par Galand pour les Chirurgiens, & par la Martheliere pour les Barbiers, fut la Requeste civile entherinee, & par Arrest du 23. Janvier 1614. les parties remises en tel estat qu' elles estoient auparavant. De maniere qu' ils ont esté contraints de despendre les nouvelles enseignes qu' ils avoient mises devant leurs maisons. Jusques icy je ne vous ay compté que noises & altercations entre personnes de basse estoffe; je vous diray maintenant quelle a esté la fin & catastrophe de cette comedie, qui vous apprestera peut estre à rire. Depuis l' Arrest, les Barbiers voulans reprendre leur anciennes brisees du Sepulchre, pour y continuer leur Confrairie comme auparavant, j' entens qu' ils en ont esté empeschez; parce que les Chapeliers y avoient esté surrogez en leur lieu, & comme les Barbiers insistassent au contraire, il avint à quelque gausseur de leur dire: Qu' ils n' avoient besoin de Sepulchre puis qu' ils estoient encore vivans: Sur quoy un autre le voulut renvier disant. Vous vous abusez: car ayans perdu leur cause, ils s' estiment comme morts & dignes du tombeau: Si ce compte n' est vray, pour le moins est-il bien trouvé. J' ay esté long en la deduction des differens du Medecin, Chirurgien, & Barbier, comme desireux que les discours que j' en ay faits, puissent empescher que la Cour de Parlement ne soit plus empeschee à les terminer, ains que chacun d' eux mettent les mains sur leurs consciences pour n' entreprendre les uns sur les autres. Ce dont je me deffie grandement. Parce que je les voy tous diversement ourdir la toile de Penelope, & estre deffait en une nuit, ce qui avoit esté par eux tissu en un jour.

9. 31. Du different ancien, qui a esté & est entre la Faculté de Medecine de Paris, & le College des Chirurgiens.

Du different ancien, qui a esté & est entre la Faculté de Medecine de Paris, & le College des Chirurgiens.

CHAPITRE XXXI.

Anciennement la profession du Medecin gisoit en l' exercice de trois points. Au Conseil selon les preceptes de l' Art pour les maladies interieures du corps humain; au razoüer & oignemens pour les exterieures: & finalement, en la confection des potions & medicamens.

Je veux dire qu' il estoit Medecin, Chirurgien, & Apoticaire tout ensemble: Ainsi en usa le grand Hippocrat, & long entreject de temps apres, Galien. Chose dont encores nous pouvons trouver des remarques tres-asseurées. Car Ulpian le Jurisconsulte disoit. Proculus ait,  si medicus servum imperite secuerit, vel ex locato, vet ex lege Aquilia competere actionem. Idem iuris est si medicamentis perperam factis usus fuerit. Sed & qui bene secuerit, & dereliquit curaturum securus non erit, sed culpae reus intelligetur. Passages par lesquels on voit que le Medecin exerçoit l' Art de Chirurgie, & encores faisoit les potions qui estoient par luy ordonnées. Or qu' il fust Apoticaire nous l' apprenons encores de deux passages d' Apuleie au dixiesme livre de son Asne d' Or. Par l' un desquels vous voyez un valet s' adresser au Medecin, affin qu' il eust à luy vendre de la poison, pour faire mourir promptement un homme, lequel pour le tromper luy debita un brevuage dormitif. Venenum soporiferum. Et en l' autre, une meschante femme, voulant haster les jours de son mary malade, Medicum convenit quemdam notae perfidiae, qui tam multarum palmarum spectatus praemijs, magna doctrinae suae trophaea numerabat, ut illi venderet momentaneum venenum, illa autem emeret mariti sui mortem, iamque aegroto marito, medicus poculum probe temperatum manu sua porrigebat. Je vous laisse le demeurant, me contentant que vous voyez par ces deux passages que le Medecin avecques sa profession exerçoit ce qui appartenoit à l' Estat d' Apoticaire. Et de cette ancienneté encores en avons nous je ne sçay quelle remarque par le cent vingt & cinquiesme Article de nostre coustume de Paris, qui fait marcher d' un mesme pas les Medecins, Chirurgiens, & Apoticaires au fait des prescriptions: & neantmoins par ce qu' en cest exercice il y avoit je ne scay quoy de vieil, cela fut cause que l' usage de la Medecine Gregeoise estant arrivé dedans Rome, les Gentils-hommes Romains faisoient apprendre cest Art à leurs valets & esclaves, affin d' estre par eux secourus avenant qu' ils fussent malades. Cela fut pareillement cause, qu' en ce nouveau mesnage d' Université, les Medecins pour la necessité de leur charge, ayans trouvé une place entre les quatre Facultez, on estima qu' il la falloit recognoistre en sa pure naïfveté, & luy oster la manufacture du razoüer, pilon & mortier

Et deslors furent formez trois estats distinct du Medecin, Chirurgien, & Apoticaire. Ancienneté doctement remarquée par nostre Fernel sur le commencement du septiesme livre de sa Medecine universelle. Chirurgia (dit il) primum medicinae pars est habita, & ambae eisdem sunt natae authoribus. Nec Chirurgiae alia, quam Medicinae principia, nec aliae demonstrandi sunt leges: postea vero ut unius Medicinae dignitas splendidior praestabiliorque foret, rationis, consilijque facultatem, ut pote liberalem assumentes Medici, ac suo quodammodo iure sibi vendicantes, quicquid manuum opera geri solet, id omne ad Chirurgos, & Pharmacopolas transtulerit. Distinction de Medecin, & Chirurgien, qui estoit des le temps mesme du Roy Philippes Auguste en cette France, ainsi que nous apprenons du cinquiesme livre de la Philippide de Guillaume le Breton, parlant comme Richard Roy d' Angleterre au siege du Chasteau en Limosin, ayant esté feru dedans les espaules d' une fleche, le Roy fut porté en sa maison.

Interea (dit le Poëte) Regem circunstant undique mixtim, 

Apponunt Medici fomenta; secantque Chirurgi

Vulnus, ut inde trahant ferrum leviore periclo. 

Guillaume le Breton estoit du temps de Philippes Auguste, dont il escrivit la vie, duquelle Roy Richard estoit contemporain. Or par ces trois vers vous voyez les fonctions du Medecin, & Chirurgien, distinctes; mais de telle façon que le Medecin ordonnoit les fomentations pour guerir la playe, & le Chirurgien le ministere de ses mains pour tirer la fleche du corps. Car ainsi n' estoit lors le College des Chirurgiens ouvert, comme j' ay plus amplement monstré par le precedant Chapitre. Mais depuis qu' il fut ouvert, ils voulurent en leur Art, aucunement contrecarer la Faculté de Medecine, soustenans que leur charge gisoit non seulement en ce qui estoit de leurs mains, mais aussi de l' Art, ne pouvant l' un subsister sans l' autre. Et tout d' une suite que leur profession estoit plus certaine que celle des Medecins. Comme ainsi fut que leur vacation consistoit en la cure exterieure des maladies du corps, que l' on cognoissoit au doigt & à l' œil, & celle du Medecin aux interieures, auxquelles le plus du temps il y procede plus à taton, & par jugement imaginaire tiré d' un poux inegal, de la veine, inspection des urines, & matieres fecales, jugeant bien souvent d' un, ores que ce soit un autre mal, comme on descouvre en apres par l' ouverture du corps mort. Ce qui a esté depuis representé en peu de vers par le Palingene en son Zodiaque sous le signe du Lyon.

Consule item si opus est Medicum, vel Clynicus ille,

Vel sit Chirurgus, Chirurgi certior est Ars. 

Nam quid agat certum est, & aperta luce videtur, 

Clynicus ipse autem qui nunc Physicus quoque fertur, 

Dum lotium infelix spectans, inde omnia captat, 

Dum tentat pulsum venae, dum stercora versat, 

Fallitur, & fallit.

Adjoustoient les Chirurgiens qu' ores que par un long progres & succession de temps le Medecin exerçast tant en la Grece que Rome, les trois charges de Medecin, Chirurgien & Apothicaire, toutesfois que la Chirurgie avoit esté du commencement plus en credit. Qu'  ainsi apprenions nous de Pline, qu' Esculape, qui depuis fut canonizé par les Payens entre leurs Dieux imaginaires, se rendit au siege de Troye plus recommandable par la guerison des playes, que des autres maladies

Et que dedans la ville de Rome, comme nous enseigne le mesme Pline, le premier Medecin qui y arriva nommé Archagathus, fut appellé Vulnerarius, comme celuy qui guerissoit seulement les playes. Tellement que sur ces persuasions ils introduisirent entr'eux un College, tel que je vous ay discouru par le precedant Chapitre, à l' instar presque de celuy des Medecins. Et estimerent qu' à eux seuls en consequence de leur razouër appartenoit l' anatomie, & dissection des corps, & le pensement des playes: & qu' en ce pensement ils pouvoient avecques leurs oignemens, selon que la necessité l' exigeoit, ordonner à leurs patiens, aposumes clysteres, potions, saignées, comme remedes annexez à leur profession. Menage que les Medecins ne peurent jamais approuvez (approuver), disans qu' encores que le mot Grec de Chirurgien portast quant & soy quelque prerogative chez nous: toutesfois rendu François, il ne signifioit que Manoeuvre. Parole que nous employons à toutes personnes de basse condition qui vivent au jour la journée: & au surplus, soit que nous considerions le mot Grec ou François en sa naïfve signification, il ne vise qu' à l' ouvrage de la main, & non plus.

Et à peu dire les Medecins pensent que le Chirurgien ne peut rien operer sans leur ordonnance. Au contraire le Chirurgien estime que les Medecins ne luy peuvent rien commander sur le fait qui despend de la Chirurgie; si ce n' est qu' il y ait danger de la vie en un malade: auquel cas il estimoit que pour obvier à tout blasme il n' estoit mat seant aux Medecin & Chirurgien, de concurrer ensemblement. A quoy j' adjousteray par forme de commentaire, que plus facilement deux hommes peuvent porter un corps mort en terre, qu' un seul.

Quelque different qu' il y eust entr'eux, le Medecin estant tousjours le superieur du Chirurgien, voicy un nouvel ingredient qu' il meit en œuvre contre cette maladie. Nous avons eu de tout temps les Barbiers, gens destinez par leur mestier pour accommoder les barbes, & cheveux. Et par ce que nos ancestres se faisoient ordinairement, non tondre, ains raire leurs barbes, comme pareillement de fois à autres leurs cheveux, en quoy le razoüer estoit necessaire aux Barbiers, aussi commencerent ils de s' aprivoiser du Medecin par les saignées qu' il ordonnoit, & en apres d' enjamber petit à petit sur l' Estat du Chirurgien, comme je verifieray en son lieu. Et neantmoins sans aller maintenant foüiller plus avant dedans une longue ancienneté precedante, vous entendrez, que les Medecins ont accoustumé d' eslire de deux en deux ans, un Doyen qui manie tout leur mesnage, & est tenu leur en rendre compte, sa charge finie. Je trouve sous le Doyenné de Maistre Michel de Colonia, que le 19. de Novembre 1491. la Faculté de Medecine fut assemblée en l' Eglise S. Yves, qui lors estoit son rendez-vous ordinaire en telles affaires, pour ouïr la plainte qui leur estoit faite par Messieurs les Chirurgiens, ainsi que porte le Registre. Ad audiendam querimoniam Dominorum Chirurgicorum, ut ipsa dignaretur eis praestare favorem in suis Privilegijs, & signanter contra Barbitonsores, sicuti proviserat eis. Et quod graviter ferebant, quod aliqui Magistri eiusdem Facultatis exposuerant & declaraverant dictis Barbitonsoribus: anatomiam quamdam legebant etiam dicti Magistri, Barbitonsoribus lingua vernacula super quibus deliberatum, & conclusum extitit, quod praefatae anatomiae factae sunt praeter mentem, & ordinationem eiusdem Facultatis, veruntamen credebant quod dicti Magistri sic fecerant ad evitandum maius malum, scilicet ne aliquis extraneus facisset: & addidit etiam ipsa Facultas, & praecepit ne supra dicti Magistri amplius dictis Barbitonsoribus legerent, quousque aliàs providisset.

Voila la premiere escarmouche, & depuis ils s' attaquerent diversemenz, les Medecins se donnans tousjours quelque advantage sur les Chirurgiens. L' unziesme Janvier mil quatre cens nonante trois sous le Doyenné de Maistre Jean Lucas: Placuit Facultati (porte le Registre) quod Barbitonsores haberent unum de Magistris Facultatis qui leget eis Guidonem, & alios authores verbis Latinis, eis exponendo aliquando verbis familiaribus & Gallicis secundum suam voluntatem. Et permet aux Barbiers d' acheter un corps exposé au gibet pour l' anatomiser, moyennant que l' anatomie fust faite par l' un des Docteurs en Medecine. Vous voyez comme pied à pied les Medecins prenoient terre sur les marches des Chirurgiens. Au moyen de quoy sous le Doyenné de Maistre Thierry le Cirier le dixhuictiesme de Novembre mil cinq cens nonante quatre. Supplicavit Magister Philippus Roger Chirurgicus, ut Magistri Facultatis de caetero non legerent Bartitonsoribus in lingua materna

Cui respondit Facultas, quod placebat sibi suspendere pro nunc illas lectiones, non tamen volebat absolute acquiescere petitioni illi, nisi etiam Domini Chirurgici desisterent ab ordinationibus receptarum ad Magistros Facultatis, & non ipsos Chirurgicos spectantibus. C' estoit (comme j' ay touché cy dessus) que les Medecins pretendoient que d' ordonner quelque Medecine à celuy qui estoit nauré, cela devoit sortir de leur boutique, & non de celle des Chirurgiens. Cette querelle depuis fut diversement promenée. Parce que sous le Doyenné de Maistre Bernard de la Vaugiere 1498. les compagnons Barbiers presenterent leur Requeste, à ce qu' il pleust à la Faculté commettre quelque Docteur, pour leur enseigner l' anatomie d' un corps qui leur avoit esté promis par le Lieutenant Criminel. A quoy s' opposerent les Chirurgiens, soustenans que cela estoit de leur gibier, & estoient pres d' y vacquer. Sur cette opposition fut ordonné le 13. Decembre, que l' anatomie seroit faite par un Docteur Medecin, qui l' expliqueroit, tant en Latin que François. Qui estoit tousjours autant esbrecher l' authorité des Chirurgiens.

Le dixhuictiesme Octobre mil quatre cens nonante neuf sur autre Requeste presentée par les Barbiers, il est permis de leur lire tous les livres de Chirurgie, Dummodo id fieret sermone Latino, & non alàs. Cum Magistri non soleant aliter libros suos legere. Une chose sans plus me desplaist, que l' avarice se vint loger au milieu de ces contrastes & altercations. Parce que sous le premier Doyenné de Maistre Richard Gassian mil cinq cens deux fut arresté: Quod Domini Chirurgici facerent anatomias, si vellent obedire Facultati, solvendo tertiam partem, & ut praeferrentur Tonsoribus, aliàs Facultas privat eos. La premiere recepte qui est faicte en consequence de cette ordonnance, est au compte de Gassian portant ces mots. Alia recepta pro anatomia à studentibus Chirurgicis Tonsoribus, & his qui voluerint interesse. A communitate Chirurgicorum qui solverunt tertiam partem expensa-sarum (expensarum) quadraginta duos solidos Parisienses. Sous le deuxiesme Doyenné de Maistre Jean Avis, la Faculté estant assemblée en l' Eglise sainct Yves, le troisiesme Janvier mil cinq cens cinq, se presenterent tous les Chirurgiens de Paris ayans tous le bonnet aux poings (ainsi que porte le Registre) & declarerent par l' organe de Maistre Philippes Roger, qu' ils estoient Escoliers de la Faculté: dont elle demanda acte à deux Notaires de la conservation en Cour d' Eglise, Maistre Martin Menart, & Jean Maioris. Ce fait Roger remonstra que les Maistres Chirurgiens estoient fondez en plusieurs Privileges Royaux, au prejudice desquels la Faculté avoit besongné, en donnant permission à un François Bourlon d' exercer la Chirurgie, la suppliant que de là en avant on n' entreprist plus sur leurs anciennes prerogatives. A quoy Helin, comme le plus ancien des Medecins, respondit que ces pretendus privileges avoient esté obtenus par subreption, & sous le faux donner à entendre des Chirurgiens, les Medecins non ouis ny defendus. Et neantmoins fut advisé qu' on en delibereroit plus amplement, mesme sur la requeste presentée par les Barbiers. Et quelque peu apres fut passé un contract le troisiesme Janvier mil cinq cens cinq pardevant Calais & Coste, Notaires au Chastelet de Paris, entre Giraut Tougaut Maistre Barbier à Paris, & garde des Chartres du mestier de Barbier, Pierre Cerisay, Jean Courroye, Guillaume Alain, Jean le Fort jurez, tant en leurs noms, que comme stipulans pour les autres Maistres Barbiers de cette ville de Paris d' une part, & Maistre Jean Avis natif de la ville de Beauvois, Docteur Regent en la Faculté de Medecine, Doyen d' icelle, tant en son nom, que comme stipulant pour la dite Faculté. Par lequel contract est narré que depuis quelque temps en là quelques Docteurs de leur Faculté avoient esté commis, pour declarer & exposer la science de la Chirurgie aux supplians. Pour ces causes estoit entr'eux passé ce contract portant les articles qui s' ensuivent. C' est à sçavoir que ces lectures se continuëroient, quoy faisant, les Barbiers jureroient estre vrais Escoliers de la Faculté, se feroient par chacun an inscrire au papier du Decanat, & pour leur inscription seroient tenus de payer deux sous parisis; jureroient de non administrer Medecine laxative, ains seulement ordonneroient ce qui appartiendroit à l' execution de la Chirurgie manuelle: Mais quand il seroit question de Medecine, ils avroient recours à l' un des Maistres de la Faculté. Que pour recevoir un Barbier à la Maistrise, on y appelleroit deux Docteurs de la Faculté, lesquels apres la deliberation des Maistres Barbiers, concluroient sur la suffisance, ou insuffisance de l' examiné, & pour leur assistance, avroient chacun deux escus sol pour leur salaire; qu' ils n' exerceroient l' art de Chirurgie avecques autre Medecin, qui ne seroit de leur Faculté; qu' apres que l' examiné avroit esté trouvé suffisant, il seroit tenu de jurer, & faire le serment de ce que dessus, en la main de l' un des Maistres Docteurs Commissaires. Moyennant cela la Faculté promettoit leur faire leçon en Chirurgie, & de leur communiquer, & faire exposer les anatomies, en payant par eux les droits specifiez: & où quelques uns les voudroient troubler en l' exercice de la Chirurgie, en ce cas la Faculté seroit tenuë  de prendre le fait & cause pour eux, & les garentir, à la charge que les Barbiers seroient tenus de faire les fraiz. 

Par le moyen de ce contract les Medecins passerent le Rubicon, & voulurent introduire un nouvel ordre de Chirurgie au prejudice de l' ancien. Et de fait ores qu' auparavant dedans leurs memoriaux, parlans des Barbiers ils les appelassent simplement, tantost Barbitonsores, tantost Barbirasores, ils commencerent de les honorer de ce titre, Tonsores Chirurgici, pour ne desmentir leur contract: & ceux qui pensoient plus elegamment parler, Chirurgi à tonstrina. Et non contens de cela par une assemblée du septiesme Juillet mil cinq cens six, la Faculté arresta, Quod nullus Magistrorum compareret in artibus Chirurgicorum, sub poena privationis. Qui estoit faire une profession expresse d' inimitié encontre le College ancien des Chirurgiens. Je me donneray bien garde de controller ce contract, & d' examiner si les Medecins pouvoient introduire une loy nouvelle, au prejudice des anciens statuts de l' Université de Paris, qui veut que les Arts s' enseignent par les siens en langue Latine, ne s' ils pouvoient attenter chose aucune au desavantage de la compagnie des Chirurgiens, ny de se faire juges & parties en leur cause.

Je laisse cette tasche à ceux qui voudront faire les Critiques, me contentant, comme simple Historiographe, de vous avoir representé comme le fait s' estoit passé. Bien vous diray-je qu' en cette nouvelle entreprise je trouve je ne sçay quoy de sage-mondain aux Medecins, quand par la closture du contract ils promettent prendre la cause des Barbiers contre les Chirurgiens, mais à leurs despens, perils, & fortunes. Qui estoit se mettre à l' abry des coups.

La connivence que les Chirurgiens apporterent à ce contract, rendit les Medecins de là en avant plus hardis, qu' ils n' avoient esté par le passé. Car le 3. de May mil cinq cens sept les Chirurgiens furent citez pardevant la Faculté de Medecine à certain jour, sur ce qu' ils ordonnoient des clysteres, aposumes & medecines, tout ainsi que les Medecins. Le premier de Juin ils comparent, & sur les remonstrances à eux faictes, promirent par serment fait sur les sainctes Evangiles (ainsi le portent les memoriaux de la Faculté de Medecine) qu' à l' avenir ils ne tomberoient plus en cet accessoire. Ainsi trouvé-je que sous le Doyenné de Maistre Jean Bertoul le 18. Decembre 1507. Eadem Facultas per iuramentum convocata dedit concorditer adiunctionem iuratis tonsoribus, studentibus in Chirurgia, sub doctoribus dictae Facultatis in certo processu, contra eos intentato, per Iuratos Chirurgicos, expensis videlicet ipsorum tonsorum: Aux anciens Registres on les appelloit Dominos Chirurgicos,  comme mesnagers, & ministres d' une partie de la Medecine: Icy on les nomme seulement jurez à l' instar des mestiers mecaniques. Ce procez prit quelque traict, mais je ne voy point quelle en fut l' issuë. Quoy que soit sous le premier Doyenné de Maistre Jean Ruelle l' an 1508. le Doyen en pleine assemblee remonstra, Quod Chirurgici, iampridem inchoatum processum continuare contendebant, dederantque suas posseßiones & saisinas, quae lectae fuerunt. Quibus auditis dedit Facultas deputatos, quorum consilio, necnon consiliarorum, in hoc processu ageretur. Deputati autem fuerunt Magistri, Richardus Helin, Michaël de Colonia, Theodoricus Sirier, Ioannes Bertoul, & Ioannes Avis: Au second Doyenné de Ruelle le 12. Novembre en une congregation de l' Université: Petita est per Decanum adiunctio Universitatis in processu quem facultas habebat, eo quod Chirurgici actus Baccalaureorum, in gravißimum Universitatis detrimentum faciebant. Cui porrectae supplicationi se adiunxit Universitas. Et le 9. jour de Mars ensuivant fut advisé par la Faculté, qu' on chercheroit toutes les pieces & Arrests, qui pouvoient estre contre les Chirurgiens: & prendre Advocat, Procureur, & soliciteur. Le 28. de Decembre 1510. sous le Doyenné de Maistre Jean Guischard, fut la Faculté assemblee à S. Yves, pour le procez des Chirurgiens: & conclud que la Faculté soustiendroit fortement le procez: Et sustineret praefatum Clodoaldum, & communitatem tonsorum, adversus Chirurgos. Et tout d' une suite fut arresté que Requeste seroit presentee à la Cour, pour contraindre les Chirurgiens de frequenter les leçons ordinaires des Docteurs en medecine, & de se soubsigner tous les ans au livre du Doyen, a fin qu' on fust suffisamment informé du temps de leurs Estudes, lors qu' ils se voudroient passer Maistres en leur Art. Au demeurant que les Barbiers seroient adjournez, sur les malversations qu' on pretendoit avoir esté par eux commises au desadvantage de la Faculté. Conclusion capitulaire, qui n' estoit ce me semble hors de propos. Or comme ce procez se poursuivoit chaudement, le dernier jour de Janvier comparuerunt in Burello Facultatis sponte sua Domini Chirurgi (en cet acte de Pacification le mot de Domini eschappe) quaerentes pacem cum Facultate, ut aiebant, & finem processus contra eos, similiter inter eos & tonsores. Quibus Facultas bene convocata congratulata est, & cum gaudio benigne suscepit: Et leur declara (porte le passage) qu' ils estoient les mieux que bien venus, moyennant qu' ils la voulussent recognoistre comme leur mere en cet Art; & pour trouver moyen de concorde entr'eux, elle deputa Helin, le Cirier, de Colonia, Bertoul, & Rozee: qui s' assemblerent plusieurs fois avec les Chirurgiens: mais je ne voy quelle fin eut leur procez. Que si je ne m' abuse ce fut une surseance d' armes, dont les Chirurgiens sceurent fort bien faire leur profit: car ayans fait cette declaration eh Janvier 1510. en plein bureau de vouloir nourrir paix & amitié avec la Faculté de Medecine, & ayans esté par elle embrassez: Aussi trouvez vous que le 5. Avril 1515. le Recteur & Université de Paris, en une congregation generale declara que les Chirurgiens devoient estre estimez Escoliers de l' Université. Et par acte emané de la Faculté de Medecine du 17. Novembre au mesme an, ils furent aussi declarez Escoliers de la Faculté de Medecine, & que comme tels ils devoient estre declarez francs & exempts de tous imposts & aydes: le tout comme vous avez peu plus amplement entendre par le precedent Chapitre. Depuis ce temps je ne voy nulle guerre ouverte entre le Medecin & le Chirurgien, ny pareillement entre le Chirurgien & le Barbier, ains une longue trefve dura jusques en l' an 1582. qui estoit temps suffisant pour leur faire mettre en oubly leurs anciens maltalens. Toutesfois voicy comme la memoire s' en renouvela. Les Chirurgiens d' un costé n' avoient autre plus grande ambition en leurs ames, que d' estre estimez enfans de l' Université de Paris: & les Barbiers d' un autre que d' estre incorporez au College des Chirurgiens. 

Pour le regard du premier point, je vous ay cy-dessus discouru en combien de manieres ils y voulurent donner quelque atteinte. En fin se voyans assistez de deux declarations par moy presentement touchees, & d' unes longues trefves qu' ils estimoient equipoller à une ferme paix, ils obtindrent unes lettres patentes du Roy François I. de ce nom en Janvier 1544. par lesquelles il vouloit qu' ils joüissent de mesmes Privileges, franchises, & immunitez que l' Université de Paris. A la charge que ceux qui voudroient estre Bacheliers, puis Licenciez en Chirurgie, seroient tenus de respondre en Latin pardevant les Examinateurs, qui seroient commis pour s' informer de leurs suffissances: Et au surplus qu' ils se trouveroient en l' Eglise S. Cosme, & S. Damien tous les premiers Lundis de chaque mois, & en ce lieu seroient tenus de visiter & penser, depuis dix heures du matin jusques à douze, tous les pauvres malades affligez en leurs membres qui se presenteroient à eux. Ces lettres adressees à la Cour de Parlement, Chambre des Comptes; Generaux des Aydes pour y estre verifiees; toutesfois je ne voy point qu' elles y eussent passé. Bien voy-je que la derniere clause d' icelles, concernant les malades, a esté pour eux, & est encores plainement executee: Et neantmoins je ne sçay si auparavant ces patentes cette charge estoit annexee à leur fonction: car je n' en ay rien veu ny appris par les tiltres qui sont passez par mes mains. Plusieurs annees s' escoulerent du depuis, pendant lesquelles les Chirurgiens se tindrent clos & couverts, sans remuer aucun nouveau mesnage jusques au 1. de Janvier 1579. qu' ils obtindrent un Indult du Pape Gregoire XIII. par lequel en entherinant leur requeste il voulut conformément aux termes portez par icelle: Ut omnes & singuli Chirurgi, tam coniugati, quam non coniugati, qui prius Grammatici, & postea in eadem Universitate Magistri artium recepti, ac ut moris est, eorumdem Chirurgorum examinati & approbati fuerint, ut à pro tempore existente dictae Universitatis Cancellario, postquam profeßionem fidei iuxta formam descriptam in eius manibus emiserint, benedictionem Apostolicam, quemadmodum caeteri Magistri, & Licentiati eiusdem Universitatis consueverunt cum debitis reverentia & humilitate recipiant.

Ce sont les propres mots de l' Indult, lequel mit aucunement en cervelle les Medecins, qui implorerent l' aide du Recteur & supposts de l' Université: & eux tous se joignans ensemble, appellerent comme d' abus de la fulmination de ces bulles. Cause qui fut plaidee au Parlement par Maistre Jacques Chouard pour l' Université, par Maistre René Chopin pour la Faculté de Medecine, par Maistre Barnabé Vest pour celle des Chirurgiens: trois Advocats de marque, & de nom: & par Messire Augustin de Thou pour Monsieur le Procureur general: qui n' oublia rien de ce qu' il pensoit faire à l' avantage des Chirurgiens: comme j' ay apris par son plaidoyé qui est tout au long inseré par l' arrest que l' on a levé: car quant aux plaidoyez des 3. autres, ils y sont couchez en blanc. Et neantmoins nonobstant les conclusions par luy prises, la cause fut appointee au Conseil par Arrest du Mardy 21. Mars 1582. Appointement qui dormit plusieurs annees: toutesfois en fin resveillé de cette façon. Maistres Jean Philippes, Guillaume Poulet, & Estienne Bizeret ayans suby l' examen à ce accoustumé par les Maistres Chirurgiens, & esté Licenciez en Chirurgie, s' estans presentez au Chancelier de l' Université, apres avoir fait la profession de foy prescrite, & receu de la benediction portee par les Bulles, l' Université de Paris, & la Faculté de Medecine en appellerent comme d' abus, pretendans que c' estoit un attentat expres commis au prejudice de l' appointé au Conseil de l' an 1582. Cause qui fut pareillement appointee au Conseil, & jointe avec la premiere, par Arrest du 24. Mars 1609. Esquelles deux causes les parties ont respectivement escrit & produit. Et adhuc sub iudice lis est.

Je ne veux par ce mien Chapitre estre un composeur d' Almanachs, & prognostiquer quel je pense devoir estre le succés de toute cette poursuite. Toutesfois si les souhaits ont lieu (comme il est mal-aisé de commander à nos premiers mouvemens) je vous diray franchement que je souhaite les Chirurgiens obtenir gain de leur cause; mais sous les conditions que je vous diray cy-apres, & non autrement. Que si desirez sçavoir qui fait naistre en moy ce souhait, je le vous diray franchement. Il est certain & sans doute que la Chirurgie fait part & portion de la Medecine. Partant semble y avoir grande raison d' aggreger au corps de l' Université le Chirurgien, tout ainsi que le Medecin. N' y ayant rien qui l' en ait cy-devant forclos, que la cruauté que l' on estime se trouver en l' exercice de son estat. Et comme l' Eglise n' abhorre rien tant que le sang; aussi ne faict l' Université sa fille par son premier institut: qui est la cause pour laquelle le Medecin mesme ordonnant une saignee à son patient, se donne bien garde d' y employer sa main; ains celle du Barbier: chose qui devoit appartenir au Chirurgien. Tout de ce mesme fonds l' Université de son originaire & premiere institution, ne permettoit qu' aucun de ses ministres fust marié, & pour cette cause, ny celuy qui vouloit passer Maistre és Arts, ny le Docteur en Medecine, ny le Docteur Regent en Decret, ne pouvoient estre mariez (car pour le regard du Docteur en Theologie, le celibat est une charge fonciere, annexee à sa profession sans exception & reserve,) & combien que le mariage fust prohibé & deffendu aux enfans de l' Université, toutesfois le Cardinal d' Estouteville Legat en France, ne douta de passer dessus ces deffenses, & de permettre aux Docteurs en Medecine d' estre mariez. Ce qui ne fut jamais trouvé de mauvaise digestion par nos ancestres: voire en plus forts termes les Docteurs en Decret s' en sont dispensez de nostre temps, sans qu' on leur ait imputé à faute, ny qu' on leur ait fait perdre leurs chaires, ores que contre leur ancienne institution ils fussent mariez. Que si un simple Cardinal Legat en France peut favoriser la famille des Medecins, & leur permettre d' estre mariez au prejudice des anciens statuts de l' Université, sans que l' on ait revoqué son Decret en aucun scandale, bien que ce fust un grand coup d' Estat, serions nous si osez de revoquer la puissance du S. Pere en doute, & de vouloir soustenir qu' il ne puisse authoriser le serment du nouveau Chirurgien, qui sera fait és mains du Chancelier de l' Université? Singulierement eu esgard que la Faculté de Chirurgie fut declaree faire partie de l' Université par deux congregations du Recteur, faictes aux Mathurins en l' an 1436. & l' an 1515. & encore par une autre des Medecins du mesme an. Je l' appelle Faculté, de mesme façon que celle de la Medecine, car ainsi la voy-je estre qualifiee par l' arrest de 1351. donné sous le regne du Roy Jean: par un autre sous le regne de Henry II. donné entre Maistre Charles Estienne Docteur en Medecine, & Maistre Estienne de la Riviere Chirurgien en l' an 1541. & finalement par l' arrest du 26. Juillet 1603. dont sera parlé cy-apres, donné entré les Chirurgiens, Barbiers, & Medecins intervenans. Voila le premier souhait que je fais en faveur des Chirurgiens: mais pour le rendre de toutes façons accomply, & que l' on sçache qu' il ne m' entre en l' ame sous faux gages, je desire que celuy qui veut prendre les degrez de la Chirurgie soit Chirurgien, non à petit semblant, ains à bon escient. Premierement qu' il soit bien & deüement instruit en la langue Latine, comme veulent les anciens Statuts de leur ordre: que comme les Medecins; aussi ceux-cy soient passez Maistres és Arts, avant que d' entrer au corps de la Chirurgie, le tout ainsi qu' il est porté par les Bulles du Pape Gregoire, & aussi est-ce la verité qu' aux deux actes qui se passerent entr'eux & l' Université l' an 1436. & 1515. & le 3. au mesme an, avec la Faculté de Medecine: ceux qui porterent les paroles pour la Faculté de Chirurgie nommez, Jean de Soulfour, Claude Vanif, Estienne Barat, prindrent qualité de Maistres és Arts & en Chirurgie. Je desire qu' ils facent leurs premieres estudes de Chirurgie en l' escole de Medecine: ainsi qu' il leur est enjoint par l' acte de l' an 1436. par lequel ils sont advoüez enfans de l' Université: Proviso tamen (dict le texte) quod ipsi lectiones Magistrorum actu Parisius in Facultate Medicinae Regentium, ut moris est, frequentent. Et apres qu' ils avront passé par tous ces alambics, qu' il leur soit permis d' entrer au cours de deux ans de la Chirurgie (rapportans bonnes & seures testimoniales de tout ce que dessus) & de se choisir tel Maistre qu' il leur plaira des Docteurs en la Chirurgie, pour se rendre plus capables de cet art, & subir les examens à ce requis & accoustumez, pour le degré premierement de Bachelerie, puis de Licence: car autrement quelques rolles qu' ils vueillent joüer sous ces dignitez Scholastiques, je ne les estime faire vrais actes de Chirurgie, ains de cingerie, moulez sur ce qu' ils voyent estre praticqué doctement aux Escoles de Medecine, par les Medecins.