sábado, 12 de agosto de 2023

9. 36. Des defenses faites par le Pape Honoré troisiesme, d' enseigner le droit des Romains en l' Université de Paris.

Des defenses faites par le Pape Honoré troisiesme, d' enseigner le droit des Romains en l' Université de Paris.

CHAPITRE XXXVI.

Le siecle de l' an 1100. jusques en l' an 1200. apporta quatre nouveaux menages d' estudes, en la Theologie scolastique, Decret, Medecine des Grecs, & droict Civil des Romains. J' y en adjousteray un cinquiesme qui concernoit les langues & les Arts, non veritablement nouveau, sinon en un cas, parce qu' au lieu qu' auparavant ceux qui pensoient avoir quelque asseurance de leurs capacitez, se presentoient aux Eglises Cathedrales pour y faire quelques leçons sans autre solemnité, de là en avant premier que d' y estre receuz, il falloit qu' ils fussent passez Maistres és Arts, tesmoignage de leurs suffisances. Or de ces cinq, les deux premieres esquelles il s' agissoit de l' edification de nos ames, furent receuës sans aucun destourbier, & pareillement la derniere, comme estant un passe par tout, & acheminement à toutes les autres.

Mais quant aux deux autres, concernans la Medecine des Grecs, & les loix de Rome, on y voulut apporter quelque bride. Dautant que par un Concil general tenu l' an 1163. en la ville de Tours, où le Pape Alexandre troisiesme presida, il fut nommément defendu aux Religieux profez d' y estudier. Et depuis Honoré troisiesme renviant sur ces defenses & passant plus outre, voulut qu' elles s' estendissent, adversus Archidiaconos, decanos, plebanos, praepositos, cantores, & alios clericos personatus habentes, necnon presbyteros (c' estoient ceux qui avoient charges d' ames que nous appellons Curez) Defenses faites à eux tous, d' autant que leur estude devoit estre en ce qui regardoit l' edification de nos ames, non de nos corps ny de nos biens. Ces inhibitions & defenses estoient faites non seulement pour le particulier de la France, ains de toute la Chrestienté és lieux où on enseignoit les bonnes lettres. Honoré depuis voulut passer outre, & fit particulieres defenses à l' Université de Paris d' enseigner le droict Civil des Romains. Chose que ne peurent bonnement gouster les nostres. Car le Docte Canoniste Rebuffy, estimant qu' il y eust quelques cas à redire en ces inhibitions, mais ne l' ozant à cœur ouvert descouvrir, fait gloire & se vante d' y avoir trouvé un nouvel intellect, & qu' elles avoient esté seulement faites contre les personnes Ecclesiastiques. Mais nostre grand Jurisconsulte François du Moulin, par une liberté qui estoit née avecques luy, pour la protection des droits de nostre Couronne, soustient de pied ferme en une apostille par luy faite sur la Decretale d' Honoré, qu' il n' estoit en sa puissance de ce faire. Car apres avoir en un mot allegué l' opinion de Rebuffy. Ego vero (fait-il) dico, quod Papa non habuit potestatem prohibendi in regno Franciae sive Laicis sive Clericis. Quia regnum Franciae nullo modo dependet à Papa. 

Il vouloit dire qu' en ce qui ne despendoit de nostre foy & Religion, ains appartenoit à la Police seculiere de nostre Estat, le Pape ne pouvoit rien ordonner que sous le bon plaisir de nos Roys. Qui est une proposition non jamais revoquée en doubte par les nostres. Vray que depuis quelques années en ça nous avons receu je ne sçay quels hostes chez nous qui n' y veulent acquiescer.

Laissons je vous prie, ces perplexitez de grandeur, tant des Papes, que de nos Roys, & recognoissons au moins mal qu' il nous sera possible, ce qui est de l' ancienneté de cette histoire. La maxime que je voy avoir regné en ce temps là dedans Rome, estoit qu' ils estimoient le fait de la plume, & par consequent des estudes, despendre du Pape, privativement de tous autres (permettez moy d' user d' un mot de pratique, voulant parler de la loy) & que ce qui concernoit l' espée appartenoit aux Roys & Princes seculiers. Proposition qu' ils croyoient devoir estre de plus grand merite & effect dedans cette France, en laquelle ceux qui faisoient profession des armes estoient ordinairement appellez pour chose dont nos Roys ne leur passerent jamais condamnation absoluë, ains estimerent qu' ils devoient contribuer avecques eux à cette belle devotion. Honoré troisiesme succeda immediatement à Innocent troisiesme, lequel entre tous les Papes avoit enseigné à ses successeurs d' empieter par une douce sagesse sur la puissance seculiere, tout ce qu' on pouvoit souhaiter de grandeur dans Rome. Car à vray dire ce fut l' unique en ce subject, & ne voy aucun Pape, ny devant, ny depuis luy, qui soit arrivé à son parangon. Honoré ayant ce miroüer devant ses yeux, estima pouvoir faire un coup de superiorité sur la France sans l' offenser. Qui estoit de prohiber à l' Université de Paris la lecture du droict Romain. Vous en entendrez cy apres la raison. Mettons doncques sur le tapis quelles furent ces prohibitions, & de quel artifice tissuës.

Sane (porte le texte) licet sancta Ecclesia legum secularium non respuat famulatum, quae aequitatis & iustitiae vestigia sequuntur. Quia tamen in Francia & nonnullis provincijs, Franci Romanorum imperatorum legibus non utuntur, occurrunt raro Ecclesiasticae caussae tales quae non poßint statutis canonicis expediri, ut plenius sacrae paginae insistatur &c. firmiter interdicimus, & districtius inhibemus, ne Parisius vel in civitatibus, & alijs locis vicinis quisquam docere, vel audire ius civile praesumat. Et qui contra fecerit, non solum ad caussarum patrocinium excludatur, verum etiam per episcopum excommunicationis vinculo innodetur.

Dechifrez cette Decretale de telle façon qu' il vous plaira, vous y trouverez un tel entrelas de paroles, que serez bien empesché de juger sur quel pied furent faites ces defenses. Parce que si vous jettez l' œil sur le commencement du Chapitre, il semble qu' il ait esté seulement conceu en consideration des causes qui concernoient la Cour d' Eglise. Autrement les quatre ou cinq premieres lignes seroient frustratoires. 

Et toutesfois s' il n' y avoit que cette seule consideration, en vain furent faites ces defenses à cette Université, veu que la lecture de ce droit pouvoit servir pour la vuidange d' autres causes, en faveur desquelles il devoit estre enseigné. Ambiguité ainsi artistement couchée pour laisser le Lecteur en doubte, & par mesme moyen n' apporter jalouzie à nos Roys, que le Pape Honoré voulust rien enjamber sur eux. Adjoustez qu' il defendoit ce qui n' estoit encores permis en France par l' authorité publique du Magistrat souverain. De maniere que c' estoit denfendre une chose de soy chez nous defenduë, n' ayant adoncques le droit Civil des Romains rien de commun avecques le droict commun de nostre France. Apres vous avoir representé ce que dessus pour fondement de ce mien discours, je veux passer outre, & vous dire que les defenses particulieres qui furent faites à l' Université de Paris se devoient estendre par tout le Royaume. Vous trouverez cette opinion paradoxe, toutesfois je la pense vraye. Pourquoy luy furent elles faites? par ce que ny elle ny les villes circonvoisines n' estoient subjettes au droict des Romains, ny ne le recognoissoient. Cette raison militoit par tout le Royaume. Partant les defenses ne devoient estre limitées. Je sçay bien que par cette Decretale, Honoré estimoit que la plus grande partie de la France vivoit sous le droict des Empereurs de Rome. En quoy il estoit tres-mal informé des affaires de nostre Royaume, & consequemment excusable. Nostre France est distincte & remarquée par deux manieres de pays, l' un que nous appellons Coustumier, l' autre de droict escrit. Quant au Coustumier je ne fais aucune doubte, qu' Honoré ne vouloit que le droict Romain n' y fust enseigné, comme ayant chaque Province sa coustume par laquelle elle estoit reglée. Mais au regard du pays de droict escrit, ce seul mot le pouvoit tenir en suspens. Toutesfois ceux qui habitoient en ce pays là usoient, non du droit compilé par le commandement de Justinian, ains de celuy de l' Empereur Theodose le jeune, qui avoit esté intitulé le Code Theodosian reformé par les Visigots, lequel par une ancienneté de cinq, & six cens ans s' estoit sous l' authorité de nos Roys tourné en coustume, dés & depuis qu' ils s' emparerent du Languedoc, & autres pays limitrophes. Par ainsi en concurrence de raison il falloit establir concurrence d' inhibitions, ou bien dire que les inhibitions portées par cette Decretale impliquoient en soy une contrarieté palpable de defendre à la ville de Paris & autres villes plus proches, la lecture du droict des Romains, par ce qu' elles n' y estoient subjectes, & neantmoins la permettre aux autres villes esloignées, ores qu' elles n' y fussent non plus subjectes. Qui seroit une absurdité, que nous ne devons aucunement croire.

Ceux qui pensent estre plus advisez sur le fait de cette ancienneté, disent que ces defenses furent faites expressement a l' Université de Paris, affin qu' elle qui lors estoit en grande vogue, ne s' advantageast au desavantage des Universitez de loix. Qui est une vraye asnerie. Car il est certain qu' il n' y avoit en ce temps là aucune Université de loix par la France: s' il y en avoit ce devoit estre au pays de droict escrit, & en iceluy dedans Toulouze ville Metropolitaine, laquelle de toute ancienneté avoit fait profession des bonnes lettres, comme nous apprenons de Martial, quand au neufiesme livre de ses Epigrammes, il dit.

Marcus, Palladiae non inficianda Tolosae 

Gloria.

Epithete qui luy fut de rechef baillé par nostre Poëte Ausone celebrant la memoire de Aemilius Magnus Arborius son Oncle.

Te sibi Palladiae antetulit toga docta Tolosae.

Et en un autre endroit voulant dire qu' il avoit fait ses premieres Escoles en la ville de Toulouse.

Non unquam altricem nostri reticebo Tolosam,

Innumeris cultam populis.

Qui monstre qu' il y avoit tousjours eu une continuation d' estudes publicques. Neantmoins ne faut faire aucune doubte que sous la Papauté d' Honoré troisiesme, non seulement l' Université de loix n' y estoit plantée, mais en plus forts termes qu' elle ne portoit le nom d' Université, ores qu' il y eust exercice d' estudes, ainsi que je vous verifieray par une demonstration oculaire. Le Pape Honoré troisiesme mourut l' an mil deux cens vint sept, & eut pour successeur Gregoire grand homme d' Estat, lequel trois ans apres son advenement annulla toutes les censures portées par le Concil General de Latran sous Innocent III. contre Raimond IV. du nom Comte de Toulouse, & le restabiit en ses dignitez, honneur & biens. Apres que ce Prince en presence de deux Cardinaux, & de tout le peuple, eut en pleine Eglise, la veille de Pasques, en chemise abjuré l' heresie Albigeoise, dont il avoit esté tout le temps de sa vie infecté, la capitulation qui fut lors faite, portoit plusieurs articles, entre lesquels estoit cettuy, comme nous apprenons de l' histoire Latine du Comte Simon de Montfort. Item quatuor millia marcharum deputabuntur pro decem annis ab ipso Comite, quatuor Magistris Theologicis, duobus Decretistis, sex Magistris artium liberalium, & duobus Grammaticis legentibus Tolosae, quae dividentur hoc modo. Singuli Magistri Theologiae habebunt singulis annis quinquaginta marchas usque ad decennium. Similiter annuatim uterque Decretista habebit triginta marchas, singuli Magistri artium viginti marchas, uterque Magistrorum Grammaticae habebit similiter decem marchas. Recueillez par parcelles toutes les sommes mentionnees par cest article, & les abutez avecques les dix ans, vous trouverez les quatre mille marcs assignez pour ceux qui lisoient en la Theologie, Decret, Philosophie (autrement appellee des Arts) & la Grammaire. Nulle mention que la Faculté de Loix y fust enseignée, non plus que la Medecine. Qui me fait tenir pour proposition infaillible, qu' il n' y avoit du temps du Pape Honoré troisiesme aucune Université de Loix en Toulouse. Et à tant que les deffenses portees par sa Decretale, n' estoient faites en faveur des Universitez de Loix, que lors on ne cognoissoit: ains s' estendoient ces deffenses generalement sur toute la France; au pays coustumier sans doubte, par les raisons contenuës dans le Chapitre, & le semblable à plus forte raison au pays auquel on tenoit le droict escrit pour coustume, veu qu' en la ville Metropolitaine la Faculté des Loix n' estoit mise au rang des autres. Voyons doncques quand & comment ces Universitez de Loix furent chez nous establies.

9. 35. Second aage de ceux qui commenterent le Droict.

Second aage de ceux qui commenterent le Droict.

CHAPITRE XXXV.

Voila quel fut le premier aage du Droict, retrouvé dedans la ville de Melfe, & avec quelle sobrieté il fut mesnagé par ces bons vieux peres. Ceux qui depuis leur succederent que je mets pour le second aage, furent par la populace des Escoles nommez Scribentes, paravanture non sans cause: car ils ne furent que trop prodigues de leurs plumes sur ce sujet. Je les veux à la difference des Glossateurs appeller d' un mot plus sortable, Docteurs de Droict: Lesquels enfraignirent tout à fait les inhibitions & deffences faites par Justinian. Et le premier qui leur enseigna ceste leçon fut Guillaume Durant: auquel je veux pour cette cause donner son Eloge particulier, ayant esté le premier de cette seconde chambree, tout ainsi que j' ay fait à Azon l' un des derniers de la premiere. Cestuy extraict du pays de Provence (quelques uns disent de Montpellier qui n' en est pas esloigné) fut un personnage doüé de plusieurs belles singularitez de nature, & entre autres d' une prodigieuse memoire. Parce qu' ayant leu quelque livre en prose, ou en vers, il le recitoit tout soudain mot pour mot par cœur. Qui occasionna quelques uns de luy improperer, que cela ne luy provenoit d' un benefice de sa nature, ains d' un esprit familier enchassé dedans une bague qu' il portoit au doigt. Comme si Dieu ne pouvoit espandre ses graces la part qu' il luy plaist, & qu' il fallust avoir recours au diable pour cest effect. Il ne fut pas pourveu de cette excellence d' esprit. Parce que depuis luy, Ludovicus Pontanus, vulgairement surnommé Romanus (d' autant qu' entre tous les Docteurs de Droict il avoit choisi son habitation dedans Rome) fut pareillement d' une si heureuse memoire, que jamais il n' allegua loy, & en alleguant infinies, quand les occasions s' y presentoient, que tout d' une suite il ne recitast tout au long sans livre le texte d' icelle. Ainsi l' appren-je d' Aeneas Sylvius son comtemporain. Cela soit par moy touché en passant.

Mais pour ne me destourner de ma route encommencée; on remarque; en Guillaume Durant quatre particularitez signalées. Grand Poëte en son vulgaire, & pour cette cause mis avec honneur au Catalogue des Poëtes Provençaux; grand Theologien, grand praticien, grand legiste, duquel toute la posterité de la seconde Chambrée apprit de commenter le droict par un nouveau formulaire. En tant que touche la Poësie, s' estant comme Poëte mis en bute une Damoiselle de la maison des Balbs, en l' honneur de laquelle il composa plusieurs beaux Poëmes en son vulgaire Provençal, advint que cette Damoiselle estant malade pendant l' absence de luy, tomba en telle pasmoison, que comme morte fut ensevelie, & portée en l' Eglise, dont nouvelles arrivées à son serviteur, surpris d' une demesurée douleur, il mourut quelques heures apres. Au contraire la Damoiselle ayant dedans sa grotte retrouvé ses esprits, fut par les Prestres reportée en sa maison, où apres avoir repris son embompoint, advertie de la mort de son bien-aimé, dont elle avoit esté le seul motif, choisit une autre mort pendant sa vie, se rendant Religieuse voilée, auquel estat elle demeura jusques en l' aage de soixante ans qu' elle alla de vie à trespas. Belle devotion remplie de follie. Or comme cest honneste homme diversifiast son esprit en autant de façons qu' il vouloit, aussi comme Theologien fit il un gros livre intitulé, Rationale divinorum officiorum, divisé en huit parties, qui n' avoit rien de commun avec ses folies d' amour. Ny pour cela ne laissa d' estre en la conduite du barreau grand praticien. Et comme tel, & fut par les siens appellé pere de pratique. C' est luy auquel nous devons en cette France dedans nos contracts les renonciations au Velleian benefice de division, & ordre de discussion, ores que ne soyons subjects au droit des Romains, comme je discourray en son lieu. Et finalement c' est luy qui fit ce grand & laborieux ouvrage par luy nommé Speculum iuris, divisé en trois grands Tomes, controllé & honoré par les additions de Jean André, & annotations de Balde, tous deux Docteurs en droict de grande recommandation & merite. Le mit en lumiere en l' an 1261. & mourut l' an 1270. aagé seulement de trente ans. Je le voy estre representé par Gesnherus en sa Bibliotheque comme Evesque, & quant à moy je le vous pleuvy comme miracle vraiment de nature au peu qu' il vesquit. Lequel ayant donné à son livre le nom & titre de Speculum, servit de miroüer au second aage des Docteurs, qui regnerent dés & depuis l' an 1300. jusques en l' an 1500. & quelques années suivantes. Car ayant esté la bonde par luy levée, ils se desborderent en torrens en l' explication du droict, faisans à Durant tous unanimement cest honneur, que tout ainsi qu' entre les Theologiens, quand on se veut aider de l' authorité de Pierre Lombard premier promoteur de la Theologie scolastique, on ne l' allegue point par son nom, ains sous celuy de Maistre des Sentences, pour honorer de plus en plus la memoire de son ouvrage. Aussi entre les Legistes fait on le semblable en cettuy. Car il n' est allegué par aucun sous le nom de Guillaume Durant, ains sous celuy du Speculator, comme estant par son Speculum, le premier autheur de cette nouvelle oeconomie en l' explication du Droict, du depuis tant, & outre mesure familiere à ceux qui se mirerent en luy. Dinus qui mourut dedans l' an 1303. Cinus son Disciple, Jean Andrée Bartole, Balde, Alberic, Salicet, Fulgosius, Barbatias Imola, Angelus, Anchoranus, Ludovicus Romanus, Lucas de Penna, Sosin l' Oncle, Alexander, Paul de Castre, Jason, Decius, Sosin le nepueu, & infinis autres furent de ce party, dont je n' ay entrepris de vous faire le denombrement, & ores que je le voulusse je ne pourrois, pour en estre le nombre infiny. Et ne vous cotte en ce faisant que les Docteurs Italiens. Or le plus beau que je trouve en ce jeu est, que combien que tous les livres de tous ces Messieurs soyent diversifiez en gros Tomes, chacun en son endroit non moins gros que les Digestes, & Code glossez qui passent par nos mains, toutesfois l' Abbé Triteme qui florit sous l' Empereur Maximilian, le Pape Alexandre sixiesme, & nostre Roy Louys douziesme, parlant en son livre des Autheurs Ecclesiastiques, de Balde, Paul de Castre, Jason, & leur donnant à chacun diversement son eloge particulier, dit qu' ils composerent chacun endroit soy quaedam opuscula, sur le droit. Parole qui me semble du tout digne de mocquerie & risee. Au demeurant je vous diray qu' en l' an 1583. Franco Zillet fit imprimer à Venise un recueil de tous les Traitez & Repetitions de droict, contenans vingt & cinq Tomes, chacun desquels n' est moins gros que le Code avecques ses glosses. Et par le repertoire de son œuvre il y a trois cens cinquante sept Docteurs ou Autheurs de diverses nations, entre lesquels vous n' en trouverez que sept ou huict de la grande bande. Et combien que leur nouvelle maniere d' enseigner sous ces mots bizerres & farouches de conclusions, ampliations, fallences, limitations, ensemble leur langage barbare & grossier, deust destourner le monde de cet estude du droict, qui avoit esté si long temps caché, toutesfois sous leurs bannieres il commença de s' espandre par diverses nations. Et ne faut point faire de doubte qu' ores qu' il ne fust approuvé par l' authorité du Magistrat souverain de la France, si est ce qu' en l' Université de Paris on se dispensoit de le lire. Qui fut cause que comme ainsi soit que les loix sont specialement introduites pour remedier aux fautes qui se trouvent en une Republique; aussi le Pape Honoré III. fit expresses inhibitions & defenses d' enseigner le droit Romain en cette Université, dont nous discourrons par le prochain Chapitre.

9. 34. Restablissement du Droict Civil des Romains, & premier aage de ceux qui le commenterent.

Restablissement du Droict Civil des Romains, & premier aage de ceux qui le commenterent.

CHAPITRE XXXIV.

Or pour n' enjamber sur les temps, le Pisan ayant ce Livre chez soy, permettoit en estre prises diverses coppies, l' original demeurant par devers luy. Le premier qui y meit la main sous meilleurs gages fut un Warnerius Alleman, appellé par quelques uns Garnerius, par une transformation des deux VV (W), en G, & finalement Irnerius, nom qui luy est demeuré jusques à huy. Cestuy enseignant les lettres Humaines en l' Université de Boulongne la Grasse, il luy prit opinion de fueilleter à Pise ces Pandectes, & en unes & autres Bibliotheques les autres Livres de Droict. Et non content de cette diligence, fit quelques extraits des nouvelles Constitutions de Justinian, les appropriant comme pieces de marqueterie, à certaines Loix anciennes du Code, que par ce moyen il modifia, amplifia, corrigea sur le modele de ces nouvelles. Et furent ces placards par luy nommez Authentiques. Tout d' une main fit quelques briefves annotations, tant sur les Pandectes, que Code: & non content de cette belle emploite, ayant empieté quelque faveur pres de l' Empereur Lothaire second, obtint de luy par l' intercession de la Princesse Mathilde, que ce Droit de Justinian fust enseigné en toutes les Universitez de son obeïssance. Ne dérobons point cette ancienneté à celuy qui nous en donna le premier advis, l' Abbé d' Uspergense en sa Chronique, apres nous avoir dit que sous l' Empire de Lothaire second, Gratian avoit fait son recueil des anciens Concils & Decrets, adjouste tout suivamment: Eisdem quoque temporibus Warnerius libros legum, qui dudum neglecti fuerant, nec quisquam in eis studuerat, ad petitionem Mathildis Comitissae renovavit, & secundum quod olim à Divae recordationis Imperatore Iustiniano compilatae fuerant, paucis forte verbis alicubi interpositis, eos distinxit. In quibus continentur instituta praefati Imperatoris, quasi principium & introductio Iuris Civilis. Edicta quoque Praetorum, & Aedilium Curulium, quae rationem, & firmitatem praestant Iuri Civili. Haec in Libris Pandectarum videlicet, & Digestis continentur: Additus his quoque liber Codicis, in quo Imperatorum statuta distribuuntur. Quartus quoque liber est Authenticorum, quem Praefatus Iustinianus, ad suppletionem & correctionem legum Imperialium superadcidit. Cet Abbé vivoit six ou sept vingts ans apres l' Empereur Lothaire second: & pour cette cause nous pouvoit bailler de certaines & fidelles instructions. Quant au surplus Lothaire fut fait Empereur en l' an 1226. & mourut l' an 1238. De maniere que cette nouvelle police d' estude introduite dedans cette douzaine d' ans de 26. à 38. Deslors commencerent plusieurs sous l' estendart d' Irnerius de s' employer à l' explication de ce Droict, dont je fais trois aages; Des premiers que l' on appella Glossateurs: des seconds qui se nommerent Docteurs en Droict: des troisiesmes qu' il me plaist appeller Humanistes, pour nous avoir meslé en beau langage Latin les lettres Humaines avecques le Droict.

Pour la premiere chambree je mets apres Irnerius uns Hugolinus, Martinus, Bulgarus, Aldericus, Pileus, Rogerius, Ioannes, Odofredus, Placentinus; dont la flotte dura jusques en l' annee mil trois cens, faisans à l' envy l' un de l' autre, & à qui mieux mieux, des Annotations (ainsi que leur premier pere) qui furent appellees Glosses. Mot que Quintilian en son premier Livre disoit signifier Linguae secretioris interpretationem. Et ainsi voulut-on peut estre dire que ces briefves touches & remarques, mettoient en evidence la moüelle du Droict Civil.

Tous ces premiers peres furent aucunement retenus, pour ne contrevenir aux prohibitions de Justinian: avecques lesquels j' adjouste Azon, qui acquit dedans Boulongne grande reputation par son Commentaire intitulé Summa Azonis: s' aydant en cecy du labeur de Placentinus; & merite l' Histoire de sa mort vous estre icy racontee, bien que ce soit une piece hors d' œuvre. Disputant du Droict avecques un quidam, il luy advint de le tuer à la chaudecole. Meurtre pour lequel il fut prevenu en justice: & comme quelques siens Escoliers le visitassent en la prison, & luy promissent tous bons offices, il leur dit brusquement, & en peu de paroles, qui luy furent depuis cher venduës, qu' ils allassent ad bestias, voulant dire qu' ils eussent recours à la Loy ad bestias, C. de poenis, qui veut que la peine soit moderee en faveur de celuy qui a delinqué, quand d' ailleurs il se trouve avoir bien merité du public, ou exceller par dessus les autres en quelque belle profession. Parole rapportee à ses Juges, & mal par eux entenduë, (estimans qu' elle eust esté par luy proferee à leur mespris) ils s' en aigrirent de telle façon qu' il fut condamné à mort, & executé. Et comme tel son corps ne fut ensevely en terre Saincte, mais aussi non jetté en la voirie; ains en contemplation de son excellence, luy fut dressé un tombeau de pierre haut eslevé dedans la ville de Boulongne, en une ruë non beaucoup esloignee de la grande place. De luy fut disciple Accurse, qui fit un Recueil general soubs le nom de Glosses de toutes les anciennes Annotations, y adjoustant plusieurs belles observations de son creu: dont il borda les textes de la façon que nous voyons. Ouvrage depuis grandement enrichy par François Accurse son fils: & en ces deux, pere & fils finit le nom de Glossateur.