domingo, 13 de agosto de 2023

10. 2. Deportemens extraordinaires tant bons que mauvais, de la Royne Fredegonde, selon la commune leçon de nos Historiographes.

Deportemens extraordinaires tant bons que mauvais, de la Royne Fredegonde, selon la commune leçon de nos Historiographes.

CHAPITRE II.

Je donneray par ce Chapitre & le suivant, lieu à la commune leçon de nos Histoires, pour vous deduire puis apres ce qu' il m' en semble. Car combien que j' y adhere en plusieurs parcelles, si n' ay-je peu tant gaigner sur moy de la recognoistre pour vraye en tout: cependant je vous serviray icy de la commune opinion.

Le Roy Clotaire premier decedé delaissa quatre enfans qui partagerent entr'eux le Royaume sur le mesme pied que les quatre du grand Roy Clovis leur ayeul. Et ayans jetté au lot (car ainsi trouvé-je que les partages se faisoient lors entre les enfans de nos Roys) à Charibert escheut le Royaume de Paris, à Gontran celuy d' Orleans, à Chilperic celuy de Soissons, & à Sigebert celuy de Mets, autrement d' Austrasie. Cestuy-cy espousa Brunechilde, autrement appellee Brunehaud, ainsi que du nom de Mathilde, nos ancestres firent une Mahaut. Chilperic Prince mal né espousa trois femmes, la premiere fut Audoüere extraicte de bas lieu: mais une tres-preude Princesse, avecques laquelle il entretenoit une jeune Damoiselle nommee Fredegonde dont il abusa. Advint qu' estant allé en quelque expedition sa femme pendant son absence acoucha d' une fille, & sur l' obscurité de trouver marreine de marque, Fredegonde artificieuse luy remonstra qu' elle se travailloit en vain: portant quant & soy ce qu' elle desiroit en une autre, parce qu' elle pouvoit tenir sur les Fonds Baptismaux son enfant: Ce que ceste bonne & simple Princesse fit. Conseil donné expressément par cette Damoiselle malicieuse, pour mettre la Royne en mauvais mesnage avecques le Roy, ainsi que l' evenement le manifesta: car luy retournant, Fredegonde vint au devant; & comme si elle eust esté bien marrie, luy raconte le malheureux accident qui luy estoit advenu par l' imprudence de la Royne, & comme il ne pouvoit plus cohabiter avecques elle, par les Constitutions de l' Eglise. La Royne d' un autre costé pensant bien-veigner son mary, luy faict present de sa fille: mais il luy tourne visage, & luy reprochant la faute par elle faite, la relegue en la ville du Mans, apportionnée de quelque pension annuelle pour son viure, & quant à l' enfant l' envoye à Poictiers vers Radegonde Abbesse, a fin d' en faire une Nonnain: Quelques uns disent, & telle est l' opinion d' Aimoïn, que deslors Chilperic espousa Fredegonde, les autres non; De ma part j' adhere à cette seconde opinion. On luy improperoit, qu' il avoit en premieres nopces espousé une fille de bas lieu. Au moyen dequoy pour reparer cette faute, il poursuit en secondes Galsonde sœur aisnee de Brunehaud, avecques promesses & sermens sur les Evangiles par ses Ambassadeurs, qu' il garderoit inviolablement foy maritale à sa future espouse, laquelle sur ces promesses luy est envoyee par le Roy d' Espagne son pere (Athanagilde), avecques plusieurs beaux joyaux dignes d' elle. Les premiers embrassemens de ce mariage passez, cette Princesse en vient bien tost apres au repentir. D' autant qu' elle trouva une compagne de lict, qui non seulement la mesprisoit, ains maistrisoit; Au moyen dequoy elle prie tres-instamment son mary de la renvoyer à son pere, & de vouloir retenir par devers soy toutes les bagues & precieux joyaux qu' elle luy avoit apportez. Chilperic à l' instigation de Fredegonde la renvoye pardevers son vray pere: mais par un renvoy tres-funeste; car elle se trouva en un matin estranglee dedans son lict.

Ce fait il espousa Fredegonde qui commandoit absolument à ses opinions. Advient la mort de Charibert (autrement Cherebert, ou Aribert) Roy de Paris, qui deceda sans enfans, sa succession escheant par ce moyen à ses enfans. Pour laquelle Gontran Roy d' Orleans & de Bourgongne, qui estoit d' un esprit calme, ne fit grande instance. Ce gasteau se devoit partir entre les deux autres freres, mais chacun d' eux desiroit de gaigner la febue sur son compagnon. Grosse guerre s' esmeut entr'eux, Sigebert estoit plus rude joüeur, Chilperic sçavoit plus de tours de souplesse: Et ainsi l' un & l' autre joüans leurs personnages à leurs advantages, selon que les occasions les portoient, Sigebert chassa Chilperic de Soissons, & se fit proclamer Roy dedans Paris, où ayant laissé la Royne Brunehaut sa femme avecques Childebert leur fils, aagé seulement de cinq ans, il reprend ses premiers arrhemens contre Chilperic, qui fut contraint de se blotir dedans la ville de Tournay avecques sa femme & ses enfans: où Sigebert le tint si estroitement assiegé, qu' estant reduit aux termes de desespoir, Fredegonde s' adresse à deux soldats determinez, les somme, les adjure, les prie de se vouloir defaire du tyran, qui les tenoit en tel destroit; œuvre lequel par eux mis à effect seroit pour un tousjours mais solemnizé dedans la posterité, leur promettans monts & merveiles s' ils revenoient sains & saufs de cette saincte entreprise: & que si par malheur ils y mouroient, elle leur procureroit un grand heur, & feroit dire tant de services en l' Eglise pour leurs ames, qu' indubitablement ils se pouvoient asseurer d' un Paradis en l' autre monde. Jamais conseil ne fut mieux pris, ny ne reüssit plus à souhait que cestuy. Et quand je vous en fais part, ce n' est pour faire le procez à la memoire de Fredegonde: car en telles craintes de mort, tous expediens pour sauver sa vie sont estimez bons & valables. Les soldats executent ce qui leur estoit commandé, & sur le champ furent mis en pieces. Brunehaud advertie du meurtre de son mary, fait sagement & à petit bruit descendre dedans une corbeille Childebert son enfant sur les murs de la ville: Qui est en seureté conduit en la ville de Mets, par l' entremise de Gondoubaut l' un des Capitaines du deffunct: où il fut tout aussi tost proclamé Roy d' Austrasie. Chilperic voyant lors sa fortune au large, prend la route de Paris, où les portes luy furent non seulement ouvertes, mais en outre plusieurs Seigneurs Austrasiens se jetterent entre ses bras craignans pis, pour estre tombez sous la domination d' un enfant. Il estimoit entrant dans Paris se saisir, & de la mere & de l' enfant ensemblément, & par mesme moyen s' impatroniser de l' Estat d' Austrasie, mais se trouvant deceu de son opinion d' outre moitié de juste prix par la sage conduite de la mere, il l' envoya sur le champ à la chaude colle à Rouen pour y finir le reste de ses jours. Mais il comptoit sans son hoste; il avoit eu de sa premiere femme trois enfans, Childebert, Meroüee, & Clovis, desquels le premier avoit esté occis à quatre lieuës d' Angoulesme en bataille rangee par les gens du Roy Sigebert quelque temps avant sa mort. Tellement que luy restans les deux autres, il depesche tout aussi tost Meroüee avecques gens, pour en cette nouvelle peur reduire sous son obeïssance le Poictou, & autres provinces qui avoient appartenu à Sigebert: Mais ce jeune Prince qui avoit envisagé d' un bon œil Brunehaud avant son partement de Paris, & trouvée agreable à ses yeux, apres avoir salüé sa mere en la ville du Mans, rebrousse chemin, & s' en vient à Rouen, où sans marchander longuement ensemble l' espouse: Ayans pour principal Ministre de leur mariage Pretextat Evesque du lieu. Chose qui apporta nouveaux tintoins en la teste du pere: lequel tout aussi tost s' y transporte, & les separant l' un de l' autre faict mettre la Princesse en une plus estroite garde qu' auparavant; & quant à son fils le fait tondre & reclurre en un Monastere: Mais quelque temps apres les Austrasiens sous le nom de leur jeune Roy Childebert, envoyent Ambassades pardevers Chilperic, à ce qu' il eust à leur rendre & mettre en pleine liberté leur Royne mere, autrement qu' il en faudroit venir aux mains. Chilperic estimant que la prison d' une seule femme ne devoit causer tant de maux la rendit. Cette Princesse restablie, les cheveux creurent au jeune Prince Meroüee, & par un mesme moyen l' opinion de rentrer en sa premiere principauté. Voila comment Chilperic, Meroüee & Brunehaud joüoient diversement leurs personnages, quand Fredegonde estima devoir estre de la partie. Elle importune à toute reste son mary, à ce que le procez soit fait à Pretextat, en assemblee Conciliaire de Prelats dedans Paris, ce qu' elle obtint. Pour le vous faire court ce Prelat fut non degradé de sa dignité; ains banny en une isle non lonig (loing) de la ville de Coutance, & estimant qu' elle devoit asseurer l' Estat à ses enfans, elle fait soubs main tuer Meroüee, & pour donner couleur à ce meurtre, fait courir un bruict que luy mesme s' estoit fait tuer par un des siens, qui luy estoit un autre soy-mesme, & ce pour ne tomber sous la fureur de son pere qu' il voyoit presente. Passant outre fait pareillement poignarder Clovis son frere puisné, & donne ordre que le poignard luy fust laissé dans ses flancs; a fin qu' on eust opinion que luy mesme s' estoit meffait, & qu' affoibly il n' avoit peu le retirer. Et non assouvie de ces deux cruels assassinats, fit tout d' une suitte mettre à mort la pauvre Royne Audoüere leur mere, pour effacer du tout la memoire de cette famille. Elle pensoit par ces sinistres moyens asseurer l' Estat aux enfans qu' elle avoit lors eus de Chilperic: Mais Dieu spectateur de ces meschantes & malheureuses actions, par une juste vengeance les luy osta tous. Rendant par ce moyen toutes ses esperances affamees, illusoires & sans effect: mais elle pour ne demeurer en friche & suppleer ce deffaut, voulut mettre un nouvel ouvrier en besongne. Ce fut Landry Maire du Palais, avecques lequel elle abusa licencieusement de son corps & de son honneur, & se conduisirent les affaires de telle maniere, que Fredegonde acoucha d' un enfant qui fut nommé Clotaire, avant que d' estre porté sur les fonds, par une grande fatalité: car apres avoir couru diverses rencontres de fortune, desquelles il fut garenty, tant par les astuces de sa mere, que benignité de l' astre sous lequel il estoit né, il se veit en fin Monarque & Roy des deux Frances. A sa naissance furent les prisons ouvertes à tous prisonniers attaints de crimes, & les debtes du Roy remises à ses debiteurs. Mais ceste joye ne fut de longue duree; parce que le Roy au village de Chelles non loing de Paris s' esbattant au deduit de la chace, un matin y voulant aller, soit ou que ses chevaux ne fussent prests, ou bien poussé de l' amour qu' il portoit à sa Fredegonde; ainsi qu' elle lavoit en son cabinet ses cheveux, la vint trouver avant que partir, & par maniere de mignardise la frappa doucement sur l' espaule d' une baguette. Mais elle sans tourner la teste, estimant que ce fust son mignon de couche, luy dit: Vous n' estes pas sage Landry; car le Roy est à peine party, & estes si mal advisé de me venir voir. Cette parole n' estoit pas encore achevee, que le Roy grommelant sort: Et lors la Royne tournant sa face, cogneut qu' elle s' estoit grandement mesprise. Au moyen dequoy elle mande quelque heure apres Landry, & luy compte le malheur qui sans y penser luy estoit advenu; auquel il avroit bonne part, s' il n' y estoit par eux promptement remedié. Partant fut entr'eux conclud de faire massacrer le Roy au retour de la chace. Ce qui fut dextrement executé par les meurtriers, favorisez de l' obscurité de la nuict, qui commencerent à s' escrier que c' estoient gens apostez par Childebert, & d' une mesme main se mettent à poursuivre dedans la forest ceux qu' ils sçavoient n' y estre point. Deslors du coup quelques Thresoriers de la Maison du Roy, se transportent avecques leurs deniers en Austrasie; & d' un autre costé Fredegonde trousse aussi tost bagage, & se loge dedans l' Eglise de Paris pour s' asseurer de sa personne, & lors Raguemonde Evesque la prit en sa garde & protection, non pour amitié particuliere qu' il luy portast; ains pour la conservation des privileges de son Eglise, commun à toutes grandes Eglises qui servoient de franchises à ceux qui s' y refugioient. On fait divers commentaires sur cette retraite: car quelques uns estiment que cette Princesse vaincuë d' un remords de sa conscience, d' une crainte esperduë se jetta entre les bras de l' Eglise. Et les autres (qui n' est pas sans apparence) qu' elle s' estoit fait sage aux despens de la Royne Brunehaud, laquelle pour n' avoir fait le semblable apres la mort du Roy Sigebert son mary, fut faite prisonniere de guerre par Chilperic, & comme telle envoyee en la ville de Rouen. Par ainsi ayant Fredegonde le Roy Childebert pour son ennemy mortel, qui pourroit survenir, elle ne vouloit tomber en ses mains.

Or s' estant de cette façon asseuree de sa personne, & son petit enfant, elle depesche tout aussi tost vers le Roy Gontran son beau-frere, pour luy donner avis de son nouveau desastre, le suppliant en l' honneur de Dieu de vouloir prendre en sa protection la mere, l' enfant, & son Royaume. A cette semonce ce Roy debonnaire vient à Paris bien accompagné, & favorablement accueilly, où ne voulant remuer aucun mesnage au desadvantage de l' enfant, promet de prendre la deffense de luy, de sa mere, & de tout ce qui les concernoit. A peine estoit-il entré par l' une des portes de la ville, que Childebert bien suivy voulut entrer par une autre, pour y faire ses jeux contre la mere & l' enfant: mais il trouva visage de bois. Je vous laisse plusieurs entremets de cette histoire, pour lesquels je vous renvoye à nos autres historiographes, voulant principalement toucher à mon but, concernant les cruautez de Fredegonde premierement, puis de Brunehaud. Bien vous diray-je que Fredegonde ayant receu quelques algarades de Gontran, sceut à la longue si bien mesnager son fait, qu' en fin ce bon Roy se remit sur la mere, du gouvernement de l' enfant, & sur Landry, du Royaume. Estant Fredegonde de cette façon affranchie de sa premiere peur, ne pensez pas que selon les occasions elle ne voulust de fois à autres attenter, tant sur la vie du Roy Gontran (mettant sous pieds l' obligation qu' elle luy avoit) que sur celles de Brunehaud & du Roy Childebert son fils: voire dedans les Eglises; pensant que ces Princes & Princesse s' y tiendroient moins sur leurs gardes pour l' asseurance du lieu: Mais Dieu voulut que ses desseins s' esvanoüirent en fumee, & que les entrepreneurs descouverts furent diversement chastiez selon leurs demerites.

Entre tous il me plaist vous faire part de cestuy-cy: Elle avoit attitré un Oleric, homme pratic en matiere de trahisons, luy commande de se retirer vers Brunehaud, luy enseignant l' ordre qu' il devoit tenir pour la surprendre. Ce qu' il fait, & s' estant presenté à elle luy dit qu' il avoit quitté le service de la Royne Fredegonde pour ses fascheux deportemens; suppliant tres-humblement la Royne Brunehaud le vouloir recevoir au sien. Il estoit homme bien emparlé, & sceut de telle façon chevaler cette Dame, qu' elle luy enterina sa requeste, & la gouvernoit de fois à autre, espiant l' occasion pour executer ce qui estoit commencé: Mais ne s' estant presentee, comme cette trahison se trainoit en longueur, on eut quelque sentiment de la verité de son fait qu' il confessa, puis apres estant exposé à la question: mais il sceut si bien joüer du plat de la langue, qu' il fut renvoyé à sa premiere Maistresse sain & sauf. A laquelle ayant representé comme le tout s' estoit passé, elle luy fit coupper pieds & mains pour avoir failly à une si noble entreprise. Pretextat avoit esté envoyé en exil, & depuis r'appellé par la debonnaireté du Roy Gontran: R'appel que Fredegonde tourna en injure. Au moyen dequoy un jour de Pasques comme on celebroit le service divin en l' Eglise de Rouen, où estoit l' Evesque, il fut par le commandement d' elle tué. Je vous laisse le demeurant de l' Histoire, qui fut pleine de pitié & compassion. Bref, rien ne luy estoit impossible pour mettre en execution tous ses desseins, & pour faillir à quelques uns, elle ne mettoit en surseance les autres.

Advient la mort du bon Roy Gontran qui delaissa deux neueux. Clotaire Roy de Paris & Soissons: Childebert Roy d' Austrasie & de Bourgongne. Adoncques fut veu un nouveau visage d' affaires. N' estans plus les deux jeunes Princes retenus (ou pour mieux dire leurs meres) de la venerable ancienneté de ce bon Roy leur oncle: Childebert rongeoit en soy la vengeance du meurtre proditoirement commis en la personne du Roy Sigebert son pere. Davantage tenoit pour arresté que Clotaire estoit seulement enfant putatif du Roy Chilperic son oncle: Comme de faict il l' avoit souvent soustenu, tant par lettres que de bouche, au Roy Gontran, lequel y avoit presté sourde oreille. Sous cette opinion Childebert armé à face ouverte, mais il trouva chausseure à son pied, je veux dire une Princesse qui par une magnanimité de courage luy fit teste, estant son armee conduite par Landry. Et pour monstrer qu' elle ne manquoit non plus d' esprit que de cœur, elle harangua ses gens en plein champ, accostee du Roy son fils, qui sans parler, parloit par sa presence beaucoup. Leur remonstrant l' obligation naturelle qu' ils luy avoient, non seulement pour estre leur Roy; ains meschamment affligé par une Brunehaud sa tante, & Childebert son cousin germain, n' ayans autre titre de leur nouvelle querelle, que la foiblesse de son aage: Dont elle esperoit que Dieu par sa saincte grace le garentiroit, avec le support & aide de ses bons sujets: Que de sa part elle avoit porté le Roy son fils neuf mois avec les douleurs & trenchees des meres pendant leurs grossesses, & depuis sa naissance senty neuf ans entiers une infinité de bourasques dont il estoit traversé, & neantmoins elle en estoit venu à chef; mais maintenant elle se deliberoit pousser de sa reste, & entrer pesle-mesle avecques le Roy son fils au milieu des troupes pour avoir part aux coups tout ainsi comme les autres, & par ce moyen leur servir à tous de miroir.

Chilperic, Fredegonde

10. 1. Admirables secrets de la toute-puissance de Dieu, qui se trouve en la premiere famille de nos Roys.

LIVRE DIXIESME

Admirables secrets de la toute-puissance de Dieu, qui se trouve en la premiere famille de nos Roys.

CHAPITRE I.

Encore ne me puis-je estancher aux discours de cette premiere famille, en laquelle j' observe deux particularitez merveilleusement contraires; En ses affaires domestiques de grands vices: és autres esquelles il falloit faire teste à l' Estranger, de grandes vertus. un Meroüée tuteur & curateur supplanter la benediction des mineurs, qui luy avoient esté baillez en garde par le Roy Clodion son parent. Un Childeric son fils abuser de la femme du Roy de Turinge son hoste, qui le conserva contre tous les assauts de fortune pendant son affliction de huit ans, & en apres l' avoir espousee. Un Clovis issu de ce mariage massacrer tout ce qu' il pensoit rester de la lignee de Clodion, ores qu' elle luy attouchast de proximité de lignage, & eust receu d' elle plusieurs bons offices, quand les occasions de guerre s' estoient presentees: n' ayant autre sujet de cette nouvelle querelle, que sa demesuree ambition. Uns Childebert & Clotaire ses enfans, assassiner leurs deux jeunes nepueux, enfans de feu Clodomir leur frere, presque dedans le sein de la Royne Clotilde mere des assassins, & ayeule des assassinez. Veites vous jamais en Histoire une suite & liaison d' actes si inhumains que ceux-cy? Es autres nous voyons quelques grands guerriers avoir fait voye à leur grandeur par la sceleratesse & meschanceté, mais s' estans investis d' un Estat, soudain apres leurs decez, leurs enfans avoir reduit leurs vies, au train ordinaire des autres.

Icy vous voyez quatre generations successives de Roys avoir mis toutes pieces en œuvre pour parvenir à leurs malheureuses intentions: Mais pendant que ils se caressoient de cette façon dedans leurs maisons, Dieu permit qu' ils prosperassent avecques tant d' heur & d' honneur contre les Estrangers, qu' ils se mirent en bute, qu' apres plusieurs grands exploits d' armes ils exterminerent tout à fait de la Gaule, le Romain, le Visigot, le Bourguignon, rendirent l' Allemagne á eux tributaire, firent trembler à diverses fois l' Italie, & l' Espagne. Bref de toutes les nations qui s' agrandirent des despoüilles de l' Empire Romain, il n' y en eut une seule qui vint au parangon de cette-cy.

Et qui est une chose, je ne diray plus esmerveillable, ains espouvantable, ces quatre generations fondirent en la personne de Clotaire; qui est celuy des deux oncles meurtriers, qui soüilla ses mains dedans le sang de ses deux pauvres nepueux, ores que Childebert son coadjuteur espoint d' un nouveau remords de sa conscience, apres le meurdre du premier, le priast de vouloir pardonner au second. C' est celuy qui pour n' avoir autre Dieu en son ame, que ses desordonnees volontez, lascha toute bride à ses paillardises incestueuses, les revestans d' un faux manteau de mariage: car il repudia Radegonde sa premiere femme, (depuis canonizee par l' Eglise) pour espouser Ingonde veufve de Clodomir son frere, mere des deux petits Princes par luy impiteusement mis à mort, & d' elle eut Charibert, Gontran & Sigebert. Et comme cette Princesse l' eut de bonne foy supplié de vouloir trouver à sa sœur Arigonde party sortable, ayant jetté sur elle ses yeux, feru de son amour l' espousa: alleguant pour ses excuses qu' il n' avoit peu plus à propos condescendre à la requeste de sa femme, que par ce mariage pour le grade & rang qu' il tenoit dedans cette France. De sorte que par cette escorne la pauvre Royne fut contrainte de quitter son lict à sa sœur, de laquelle il eut Chilperic. Et pour n' oublier aucune maniere d' incestes, estant las de cette troisiesme, il convola en quatriesme nopces avecques Waldradre veufve de Theodoric Roy d' Austrasie son arriere-nepueu. J' adjouste qu' il eut un autre fils nommé Cran de Crousene, que quelques uns luy donnent pour femme & espouse, les autres pour concubine: Veit-on jamais tant d' incestes eshontement desbordez, ny Prince qui si licencieusement abusast du sacré nom de mariage, que cestuy? & non contant de ses beaux traits il les voulut couronner d' une cruauté barbaresque. Car comme ainsi soit que Cran mal conseillé se fust revolté contre luy, & puis tombé entre ses mains, il le fit dedans la cassine d' un pastre attacher sur un banc, avecques sa femme & deux petites filles innocentes, & commanda que à la veuë de tous la cassine, le mary, la femme & les enfans fussent bruslez. Je sçay bien qu' un homme d' estat me dira que le fils s' estant de telle façon oublié contre son pere, on ne peut imputer au pere qu' il se soit contre luy oublié, & ce pour la consequence: & je luy respondray comme escolier, qu' en toute l' ancienneté vous ne trouverez une punition si execrable que cette-cy. Aussi est-ce la cause pour laquelle nostre Gregoire remarque fort sagement que l' annee d' apres jour pour jour Clotaire estoit decedé, comme si se fust une vangeance exemplaire que Dieu eust voulu prendre de luy. Que si ce Roy fut en plusieurs rencontres desvoyé, entendez maintenant comme les affaires de France se passerent en la premiere, seconde, & troisiesme generations de luy, vous verrez des Histoires non moins hideuses; Mais sur tout vous trouverez deux Princesses avoir sur ce grand theatre de la France joüé leurs rolles pleins d' effroy & de lamantation (: lamentation). Histoires vrayement paradoxes, & contre le sens commun: mais premier que de passer outre, je prie le Lecteur de surseoir son jugement, jusques à la closture finale du compte, dedans laquelle il verra un grand jugement de Dieu, qui est le vray & principal but de ces miens discours, encore qu' en cette narration les faux-bourgs se trouveront beaucoup plus grands que la ville.

9. 42. Fiertre de sainct Romain de Rouen & de son ancien Privilege. // Fin du Neufiesme Livre des Recherches.

Fiertre de sainct Romain de Rouen & de son ancien Privilege.

CHAPITRE XLII.

La rencontre qu' il y a entre la Religion & les lettres, ayans l' une & l' autre pour leurs instrumens, la langue, & la plume pour les enseigner, fait qu' apres avoir discouru sur le fait des Universitez par ce livre, je vueille maintenant voüer ce dernier Chapitre à la fiertre sainct Romain de Rouen, & à son Privilege. Histoire vrayement admirable & unique en son espece, & qui pour cette cause merite d' estre recognuë de tous, mesmement en cette France.

Mandez moy je vous prie (disois-je escrivant au sieur de Tibermeuil President au Parlement de Rouen) dont procede le Privilege de vostre fiertre sainct Romain: & quelle en a esté l' ancienneté & continuation, ne me pouvant bonnement resoudre comme il se peut faire qu' un si homme de bien que luy produise un effect contraire à sa saincteté, je veux dire que sa saincteté soit comme une franchise des meurtres les plus detestables. S' il vous plaist me mander comme cela est arrivé en vostre ville, & l' ordre que vous y tenez, j' en feray un embleme en quelque endroict de mes Recherches. Mon mal-heur voulut que ce mien amy prevenu de mort ne me fit response. Mais maintenant j' en suis esclaircy. Qui fait que je vous en veux faire part.

Pendant les troubles derniers nous eusmes le Seigneur de Hallot de la maison de Montmorency, brave Cavalier le possible, & singulierement du tout voué au service du Roy, qui conserva plusieurs villes de la Normandie soubs son obeïssance. Et pour cette cause obtint de luy la qualité de Lieutenant general en ce pays, non par forme de gratification & faveur, ains pour son merite. Nous eusmes aussi lors le seigneur d' Alegre extraict d' une tres-noble & ancienne famille, qui possedoit plusieurs grands biens & seigneuries en la Normandie, & ne s' estoit distrait de l' obeissance du Roy. La fortune de guerre voulut que Hallot ayant esté grandement blecé au siege de Rouen, se retire en la ville de Vernon pour y estre pensé de ses playes, en laquelle il commandoit. D' Alegre accompagné de treize chevaux entre en la ville, & le lendemain matin faisant contenance de le vouloir visiter demande s' il luy permettoit de monter à sa Chambre. Hallot tres-malaisé de sa personne, ne le veut permettre, ains soustenu de ses potences, avecques une courtoisie admirable, descend au moins mal qu' il peut de sa Chambre, & comme il le pensoit accueillir il est salüé par d' Alegre & les siens de plusieurs coups de poignards & d' espée, dont il rendit l' ame sur le champ à Dieu. De vous dire que ce coup fut fait pour inimitié particuliere qui estoit conceuë entre eux, si ainsi eust esté, Hallot sage seigneur & accort n' eust fait si bon marché de sa personne. D' estimer aussi que ce fut en intention de s' emparer de la place, l' evenement monstra le contraire. Ceux qui pensent mieux approfondir ce fait, disent que c' estoit une jalouzie que l' autre couvroit dedans sa poitrine. Et moy je l' impute au mal heur que l' un & l' autre ne pouvoient eviter; l' un par sa mort inopinee, l' autre par sa miserable ruine, dedans laquelle il a esté depuis plongé menant une vie beaucoup plus penible que dix mille morts. Dés l' instant mesme du meurtre, d' Alegre sort de la ville & se retire en l' une de ses maisons. Mais quelques jours apres voyant que ce ne luy estoit lieu d' asseurance, il se retire vers la Ligue, où il trouva quelque respit de sa peur. Toutesfois combatu d' un remords de sa conscience, qui jour & nuit luy faisoit son procez, il s' advise d' employer à son affaire le Privilege de la fiertre de sainct Romain, mais encores avecques un conseil plain de crainte. Car il se donna bien garde d' entrer en la prison, ains fit joüer ce rollet à un jeune Gentil-homme nommé Pehu seigneur de la Mote, qui luy avoit esté Page. Cettuy leve & porte la fiertre le jour de l' Ascension 1593 par le choix que le Chapitre fait de luy entre tous les prisonniers pour l' enormitié du delit. Et par mesme moyen luy d' Alegre, & tous les complices sont par Arrest du Parlement absous de cest execrable assassinat. Deslors la Dame de Hallot & sa fille ont recours au Roy, qui par Arrest donné en son Conseil declare l' assassinat commis en la personne du sieur de Hallot, estre crime de leze Majesté, & ne pouvoir estre compris sous le Privilege de la fiertre. Arrest suivy d' un autre rendu au Parlement de Rouen seant à Caen, portant pareille declaration le dixneufiesme Janvier 1594. & le sieur d' Alegre condamné en si grandes reparations, que tous ses biens n' estoient suffisans d' y fournir, si vous en croyez la commune renommée.

Nos troubles estans depuis rappaisez, advient que les deux Dames, mere & fille, ayans eu advis que Pehu estoit en la ville de Paris (ores qu' il se pensast targer de quelques grands seigneurs) donnent si bon ordre à leur fait qu' ils le firent coffrer és prisons du grand Chastelet. La cognoissance de leur different est renvoyée par le Roy à son grand Conseil. Adoncques Pehu obtient lettres d' abolition. Et combien que devant le Chapitre de Rouen, il se fust rendu infiniment coulpable, pour se rendre plus capable du Privilege de la fiertre, toutesfois par ses nouvelles lettres, il change de note, articule faits nouveaux, & couche de minima. Ces lettres par luy presentées au Conseil, pour n' obmettre rien en sa cause qui peust servir à la conservation de sa vie, les seigneurs qui luy servoient de parreins moyennerent, que Monsieur le Cardinal de Joyeuse Archevesque de Rouen, & les Doyen, Chanoines, & Chapitre presenterent leur Requeste, affin d' estre receus parties, pour la defense de leur Privilege. Grande cause certes, qui fut diversement bien soustenuë par quatre braves Advocats. Un Cerisay pour Pehu, Monstrueil pour le Chapitre, Boutillier pour les deux Dames, & Monsieur Foulé Advocat du Roy, pour Monsieur le Procureur general. Et Dieu sçait si ce fut à beau jeu, beau retour. Cerizay pallia son faict avec plusieurs belles dexteritez d' esprit & d' exemples. Monstrueil monstra que S. Romain Archevesque de Rouen sous le regne de Clotaire second; suivy d' un prisonnier condamné à mort, ayant avecques son estole dompté un Dragon, (qui depuis fut appellé Gargoüille) sainct Ouin son successeur en commemoration de ce grand ouvrage obtint du Roy Dagobert fils de Clotaire, que les Doyen, Chanoines, & Chapitre de l' Eglise de Rouen, pourroient tous les ans elargir des prisons de la ville le plus sceleré & meschant qu' il s' y trouveroit, & apres avoir discouru tout au long l' une & l' autre ancienneté, s' armant d' une grande hardiesse: Nostre Privilege (dit-il) a pour son fondement la saincteté, pour son establissement l' Antiquité, pour son entretenement la possession tesmoignée par les arrests du Parlement de Rouen, & outre ce n' est sans exemple & sans raison. Et en un autre endroit ensuivant parlant du fait dont il s' agissoit. Je demeure d' accord que c' est un meschant acte, un assassinat, un guet à pens qu' on ne sçavroit assez blasmer. Mais aussi nostre Privilege n' est pour les fautes legeres, pour les cas remissibles, pour les delits communs; c' est un remede extraordinaire, une grace du Ciel, dont la grandeur n' esclate, sinon par l' opposition de l' enormité des crimes qui sont esteints & abolis par icelle. En somme vous apprenez par son plaidoyé, que plus le delit est damnable & irremissible, plus il trouve de recommandation & merite dedans le Privilege. Apres Monstrueil parla, Boutillier pour les deux Dames, faisant paroistre qu' il n' estoit apprenty, ains grand Maistre en sa profession d' Advocat, & avec une singuliere doctrine s' estendit en discours, pour monstrer, non que le miracle du Dragon Gargoüille, attribué à sainct Romain, n' eust peu estre fait, ny le Privilege octroyé par le Roy Dagobert: mais bien que du tout ils n' avoient esté faits, ny octroyez. En fin Monsieur l' Advocat Foulé se joignant avec luy, il seroit impossible de dire, combien en peu de paroles il dit beaucoup de belles choses. Les Advocats s' estans tous acquitez des leurs devoirs, il fut dit par arrest du vingt-deuxiesme Decembre 1607. qu' avant que faire droict sur les Requestes presentées par Pehu, & par le Chapitre, les tesmoins ouys, & examinez à la Requeste des deux Dames, seroient recolez & confrontez à Pehu, & à elles permis d' en produire d' autres dedans certain temps prefix. Le procez ayant eu toutes ses façons, s' ensuit Arrest du 16. Mars 1608. par lequel le Conseil ayant aucunement esgard aux lettres d' abolition pour les cas resultans du procez, bannit Pehu de la suite de la Cour dix lieuës à la ronde, pays de Normandie & Picardie, pour le temps & espace de neuf ans, luy enjoint de garder son ban à peine de la vie, pendant lequel temps il serviroit le Roy à ses despens en tel lieu qu' il luy plairoit. Et en outre le condamne en quinze cens liures de reparation envers les deux Dames, & quinze cens envers les pauvres, & encores en pareille somme appliquable à la discretion du Conseil, & aux despens.

Cest arrest ainsi prononcé, comme s' il eust fait quelque breche au Privilege de la fiertre, on fait sous le nom du Chapitre un livre portant sur le frontispice: Defense du Privilege de la fiertre de sainct Romain dans lequel l' autheur sans nom ne pardonne en aucune façon à la reputation de Boutillier, lequel voyant que ce n' estoit plus la cause des Dames de Hallot & de la Veronne, ains la sienne propre, aiguise sa plume & son esprit, & fait une ample & docte response. A la suite de laquelle Rigaut Advocat au Parlement de Paris, grandement nourry en l' ancienneté, expose en lumiere la vie de sainct Romain, extraite d' un vieux manuscrit Latin trouvé en la Bretagne, pour monstrer que le pretendu miracle estoit faux & supposé. Contre ces assaux d' honneur le Chapitre ne demeure muet. Car le sieur Behot grand Archidiacre escrit en langage Latin une Apologie contre Rigaut. Et un autre fait un livre contre la response de Boutillier sous le titre de refutation. N' ayant chacun d' eux en leur endroit rien laissé de reserve dedans leurs estudes, pour faire paroistre de leurs suffisances. Grande pitié certes que du miracle fait contre la Gargoüille, soit issu une nouvelle gargoüille; je veux dire un fascheux different & mauvais mesnage entre ces personnages d' honneur. Car ainsi voy-je souvent estre mis en usage ce mot de gargoüille. Je me donneray bien garde de vouloir juger de leurs coups. Et vitula tu dignus, & hic. Bien vous diray-je que si le mot de miracle en Latin est dit pour une chose qui engendre en nos ames des merveilles extraordinaires; je ne puis certes ne m' esmerveiller dont vient que Messieurs du Chapitre pretendans estre fondez en plusieurs grandes marques, pour tesmoigner l' ancienneté, tant du miracle que de leur privilege; toutesfois que ny Greg. de Tours, ny Beda, ny Isuard, ny Aimoïn, ny Adon de Vienne, ny Sigebert, ny Vincent l' Historial, ny Mathieu d' Westmonstier, ny Molanus, ny Demochares, ny le grand Cardinal Baronius, bref nul des Autheurs tant anciens que modernes, n' en ayent parlé par leurs livres, ores que les aucuns ayent fait une digne commemoration de sainct Romain, & que nul d' eux en leur general, n' ait esté avaricieux au recit des miracles des Saincts.

J' adjousteray que les Rituels mesmes de l' Eglise de Rouen, ny leur Breviaire n' en font aucune mention, dedans lequel toutesfois est fait un sommaire denombrement des miracles de S. Romain, & singulierement d' un auquel avant que de le faire luy apparut un dragon: mais nulle mention du dragon Gargoüille. Chose qui a esté le motif du different de Gargoüille qui est entre ces beaux esprits. Auquel si j' en suis creu, je dirois volontiers qu' il y a double regard: l' un du miracle, l' autre du privilege. Miracle qui a esté fait par la grace expresse de Dieu, prieres & intercession de S. Romain: privilege par l' octroy d' un Prince, par entremise de S. Oüin. Entant que touche le miracle, je seray tousjours d' avis qu' on ne doit sourciller contre la venerable ancienneté. Nous sommes enseignez par plusieurs doctes personnages Catholiques, qu' il y a beaucoup de miracles faux & supposez, ausquels il ne faut adjouster foy (ja à Dieu ne plaise que j' estime cestuy estre tel) & neantmoins pour les croire on ne l' impute à impieté, mais pour excuser ceste faute provenant de la simplicité d' une ame timoree, nos sages Theologiens disent que sans s' en informer d' avantage, il les faut pie credere; & nous autres rendans cette sentence Latine en nostre vulgaire François, avons dit, non croire piement ou pieusement; ains croire piteusement, comme si en cette creance il y avoit plus de pitié que de pieté. Mais quant au privilege qu' on dit avoir esté octroyé par nostre Roy Dagobert de le croire ou mescroire, il n' y va rien de nos consciences; sinon de tant que ne le croyant, le Chapitre de Rouen estime luy estre fait grand tort, qui a basty plusieurs ceremonies dedans son Eglise pour authoriser la foy de cette pretenduë histoire.

Or comme je suis grandement desireux de me rendre capable des anciennetez de nostre France, & recognoistre dedans mes Recherches ceux dont je les tiens en foy & hommage; aussi vous puis-je dire que de toutes ces doctes plumes j' ay recueilly l' antiquité du privilege de la Fiertre S. Romain, dont je vous veux faire part, pour m' acquiter de la promesse que j' avois faite au Seigneur de Tibermeuil, laquelle vous trouverez au 8. livre de mes lettres.

Vous entendrez doncques s' il vous plaist que les Doyen, Chanoines & Chapitre de l' Eglise de Rouen tiennent pour histoire tres-veritable, qu' ils ont apprise de main en main, de tout temps immemorial, que sous le regne de Clotaire II. il y eut un Dragon du depuis appellé Gargoüille, qui faisoit une infinité de maux és environs de la ville, aux hommes, femmes, petits enfans, ne pardonnant pas mesmes aux vaisseaux & navires qui estoient sur la riviere de Seine, lesquels il bouleversoit: Que S. Romain lors Archevesque de Rouen meu d' une charité tres-ardente, se meit en prieres & oraisons, & armé d' un surplis & estole, mais beaucoup plus de la foy & asseurance qu' il avoit en Dieu, ne doubta de s' acheminer en la caverne où cette hideuse beste faisoit son repaire: Qu' en ce grand & mysterieux exploit, avant que partir, il se fit deliurer par la Justice, un prisonnier condamné à mort, comme il estoit sur le poinct d' estre envoyé au gibet: Que là il dompta cette beste indomtable, luy meit son estole au col, & la baille à mener au prisonnier. A quoy elle devenuë douce, comme un agneau, obeït, jusques à ce que menee en laisse dedans la ville, elle fut arse & bruslee devant tout le peuple. Victoire dont Sainct Romain ne voulut rapporter autre trophee, que la pleine deliurance du prisonnier qui estoit condamné à mort, qui luy fut liberalement accordee. Mais Sainct Oüin son successeur (les Nonnains l' appellent S. Oüan) le voulant r'envier sur luy, pour immortalizer ce miracle, obtint du Roy Dagobert fils de Clotaire second, que de là en avant les Doyen, Chanoines & Chapitre pourroient tous les ans, au jour & Feste de l' Ascension faire congedier des prisons, celuy qui se trouveroit avoir commis le plus execrable crime, à la charge de lever, & porter la Fiertre & Chasse sainct Romain, en une procession solemnelle qui se feroit tous les ans. Auquel cas il obtiendroit une abolition generale, tant pour luy, que pour tous ses complices (voire pour le plus sceleré de la troupe) ores qu' ils ne fussent entrez aux prisons. Que ce privilege avoit esté continué de temps en temps jusques au regne du Roy Philippes Auguste, lequel ayant reüny à sa Couronne toute la Normandie, dont auparavant l' Anglois joüissoit, pour l' esclaircir de tout ce que dessus, decerna sa commission à Robert Archevesque de Rouen, & Guillaume de la Chappelle, Chastelain de l' Arche (c' est ce que depuis nous avons nommé Pont de l' Arche) qui firent appeller devant eux, le jour & Feste sainct Pierre & sainct Paul, en l' Eglise de sainct Oüan trois Ecclesiastiques, Henry Chantre, Raoul Archidiacre, Guillaume de Castenoy Chanoine, trois Gentils-hommes, Jean des Prez, Luc son fils, Robert de Fleches: trois Citoyens de la ville de Rouen, Jean Froissart, Laurent Turrelieu, & Jean Luce: Tous lesquels apres serment par eux fait, declarerent sur l' obscurité qui lors se presentoit, que du temps de Henry & Richard Roys d' Angleterre, & Ducs de Normandie, ils n' avoient jamais veu ce privilege revoqué en doubte: mesme que pendant l' an de la prison de Richard en Allemagne, n' ayant esté aucun prisonnier deliuré, soudain apres qu' il eut mainlevee de sa personne, on en deliura deux au Chapitre pour suppleer le defaut de la precedante annee.

L' Autheur de la refutation cotte depuis ce temps là plusieurs actes qu' il dit estre aux Archifs du Chapitre, dont il a fait estat confusement, que je vous representeray selon l' ordre des ans: Et neantmoins je tiens de luy ce que je diray. Une Chartre de l' an 1214. portant que l' an 1210. un Richard Gendarme recogneut qu' estant prisonnier és prisons de Rouen, pour un meurtre par luy commis, il en avoit esté deschargé par le Chapitre, suivant le privilege à luy octroyé de tout temps & ancienneté. Qu' en l' an 1299. le Chapitre ayant fait deffence à Maistre Pierre Simel Baillif de Rouen, & Maistre Geoffroy Avice Vicomte, de n' enlever aucun des prisonniers des prisons, ny condamner à mort aucun, auparavant l' Ascension, suivant la coustume; ce nonobstant le Baillif ne laissa de condamner à mort un nommé Robert d' Auberbo Gendarme, ensemble d' estre trainé avant que de mourir à la queuë d' un cheval. Qui donna occasion au Chapitre de se plaindre à Messieurs de l' Eschiquier, de la contravention faite à leur privilege par le Baillif: Et pour cet effect deputerent Maistres Rigaud Doyen, Philippes de Flavacour Thresorier, & plusieurs autres Chanoines. Apres la remonstrance desquels fut ordonné que le criminel seroit ramené aux prisons, qui lors estoit ja proche du gibet. Que comme l' an 1302. le mesme Simel Baillif de Rouen eut enlevé des prisons un criminel nommé Nicolas le Tonnelier, detenu pour un meurtre par luy commis, nonobstant les remonstrances à luy faites, & l' eut fait transporter aux prisons du Pont de l' Arche, & quelques prieres qu' on luy eust faites, ne le voulut restablir aux prisons de Rouen. Nonobstant ce refus le Chapitre ne laissa d' aller en procession à la vieille Tour, avec resolution de la laisser, jusques à ce que le Baillif eust ramené le prisonnier à Rouen. Tellement que la Chasse demeura là jusques au Samedy ensuivant, auquel le prisonnier fut representé. Et fut esleu ce mesme jour un nommé Guillaume de Montguerra. Actes que j' ay voulu copier, comme tres signalez. Le I. ayant sorty son effect, le prisonnier estant au gibet sur le point d' estre exposé au supplice. Le 2. pour monstrer que dés ce temps-là, soudain apres la sommation faite par le Chapitre aux Juges, il leur fermoit les mains. Comme vous voyez que le Baillif de Rouen fut contraint de reintegrer en ses prisons Nicolas Tonnelier criminel, qui ne fut toutesfois depuis esleu pour estre deliuré, ains Montguerra. Et n' est pas moindre cestuy de l' an 1327. que un nommé Pierre Dantueil apres le retour de son bannissement, ayant fait un meurtre, pour lequel il fut emprisonné au chasteau de Rouen, supposant qu' il s' appelloit Guillaume de Valles, arriva qu' interrogé par les deputez du Chapitre, il se nomma selon son vray nom: Et comme apres son eslection, les Chappelains le voulussent enlever du chasteau selon la ceremonie du jour, on leur eust fait response, qu' il n' y avoit aucun prisonnier portant le nom de Piere Dantueil. Nonobstant ce refus les Doyen, Chanoines & Chapitre ne laisserent de marcher en Procession, soustenans qu' ils n' en demandoient autre que celuy qu' ils avoient esleu, lequel leur fut en fin deliuré; auquel y avoit trois qualitez de delits concurrantes ensemble, infraction de bannissement, meurtre, & falsification de son nom: mais sur tous autres actes est cestuy tres-remarquable, par lequel on presuppose que sur la requeste presentee par le Chapitre, au Roy Charles huictiesme seant en son Eschiquier de Rouen apres Pasques, sur la manutention & entretenement de ce privilege. Apres que son Procureur general eut esté oüy, & declaré qu' il n' entendoit l' empescher, fut dit par la Cour qu' elle n' entendoit aussi le contredire, & de ce leur fut donné acte le 27. Avril 1485. pour leur servir ce que de raison. A la suite de cela le Roy Louys XII. par ses lettres patentes du mois de Novemb. 1512. narration faite de l' acte du Roy Charles VIII. cy-dessus mentionnee (non toutesfois de celuy du regne de Philippes Auguste) confirme ce privilege en tout & par tout selon sa forme & teneur. Et depuis sur les obstacles qui leur estoient faits de fois à autres par le Parlement de Rouen, encore obtindrent-ils autres lettres de confirmation de Henry II. en l' an 1537. & de Charles IX. l' an 1561. Que si j' ay quelque sentiment en cette Histoire; mon avis est que tout ainsi qu' on attribuë l' origine de ce privilege à deux grands Archevesques de Rouen, S. Romain, & S. Oüen, aussi veux-je croire que deux autres grands Archevesques luy donnerent depuis la plus grande vogue: George Cardinal d' Amboise, qui gouvernoit paisiblement le cœur & oreille de Louys XII. son Maistre, & Charles Prince du Sang, Cardinal de Bourbon, qui pendant la minorité de Charles IX. & de Henry III. son successeur, fit depuis son propre faict de ce privilege envers & contre tous. Non toutesfois sans murmure: car le docte Bodin sur le commencement du 10. livre de sa Republique ne s' en peut taire. Ce n' est pas à nous de juger des coups. Je veux avec toute humilité croire le miracle pour tres-veritable; tout ainsi que le Clergé de Rouen. Mais estant tel; le miracle n' est pas moindre que nul des anciens Autheurs ou modernes n' en ait fait aucune mention, ores que quelques uns ayent avec tout honneur solemnizé la memoire de ce grand sainct. J' adjousteray que non seulement ces Autheurs, mais qui plus est leur Rituel, & leur Breviaire, bien qu' ils discourent plusieurs miracles de luy; toutesfois ne parlent aucunement de cestuy. Chose vrayement merveilleuse: mais encore plus miraculeuse que nul n' en ayant parlé ou escrit, ce neantmoins leurs nonchalances, negligences, inadvertances, bref l' ingratitude des ans n' ayent peu ensevelir la memoire, ny du miracle, ny du privilege par luy produit, exhorbitant neantmoins du sens commun de la Justice: Parce que je puis dire, & en petille qui voudra, qu' en toute l' ancienneté vous n' en trouverez un semblable. Dispute toutesfois qui est maintenant vaine & frustratoire: D' autant que deffunct nostre grand Roy Henry IV. l' outrepasse de ses devanciers, tant au fait de guerre que de la paix, y a mis fin par son Edit fait en l' assemblee des trois Estats de Normandie l' an 1607. confirma ce privilege pour avoir lieu à perpetuité, fors toutesfois és crimes de leze Majesté divine & humaine, assassinat & guet-apen, rapt & violement de filles. Adjoustant que nul n' en peust joüyr sinon qu' il se rendist prisonnier. Et vrayment plus belle closture ne pouvoit advenir à ce grand privilege que celle de ce grand Roy. Qui me fait dire que tous les discours qui ont esté depuis faits pour & contre, sont non seulement oiseux; ains noiseux. Jamais plus belle loy ne fut que celle de l' Empereur Constantin: Consuetudinis ususve longaevi non vilis est authoritas, verum non eo valitura momento, ut legem vincat, vel rationem.

A la suite de cet Edit a esté donné un Arrest au Conseil d' Estat en l' annee 1612. au rapport du Seigneur de Chanlay Feudriac, Conseiller & Maistre des Requestes ordinaire du Roy. Il estoit advenu que le Seigneur de l' Archie assisté de quelques siens parens & amis avoit de guet-apen assassiné Messire Jacques de Vandosmois Seigneur de Valleray. Du depuis Anne de Voye Seigneur de l' Espiciere, oncle de l' Archie entre aux prisons de Rouen, & se presente devant les deputez du Chapitre, confessant avoir esté de la partie lors que l' assassinat fut commis. 

Il est esleu par le Chapitre pour lever & porter la Fiertre, & par mesme moyen est donné Arrest le douziesme de May mil six cens unze, par le Parlement, vray qu' il portoit cette particularité, pour joüyr par luy seul du privilege. Les prisons luy estant ouvertes, & la ceremonie accomplie le jour & Feste de l' Ascension, Dame Marguerite de Marescot veufve du deffunt presente sa requeste au Roy en son Conseil d' Estat contre Voye; a fin de faire casser l' Arrest, comme donné contre, & au prejudice de l' Edit du Roy Henry le Grand. A mesme instant le Chapitre pareillement presente une autre requeste le premier jour du mois d' Aoust mil six cens unze contre la veufve, aux fins de la mesme cassation, en ce que par l' Arrest on n' y avoit compris tous les complices du delict, selon leur ancien privilege. Les parties ayans produit d' une part & d' autre; en fin par Arrest la requeste de la veufve fut entherinee, & en ce faisant l' Arrest cassé, & annullé; & pour le regard de la requeste des Doyen, Chanoines, & Chapitre de Rouen, les parties mises hors de Cour & de procez sans despens. Le premier chef de l' Arrest fondé sur ce que c' estoit un guet-apen, duquel consequemment ny le meurtrier, ny ceux qui l' avoient assisté ne pouvoient estre affranchis par le benefice de la Fiertre: Et le second d' autant que les complices n' en pouvoient estre absous, sinon se rendans prisonniers. Tres-belle execution & d' un fort bel edit, qui enseignera la leçon à tous les meurtriers, de ce qu' ils ont desormais à faire.

Voila ce que je pense appartenir à l' ancienneté du privilege de la Fiertre, jusques à huy; maintenant je vous veux discourir l' ordre que l' on y practique. Le treiziesme jour avant l' Ascension, quatre Chanoines suivis de quatre Chappelains, revestus de leurs surplis & aumusses, ayans le Bedeau de leur Chapitre devant eux, vont sommer les Officiers du Roy en la grand Chambre du Parlement, puis au Bailliage, & en la Cour des Aydes, de surseoir toutes procedures extraordinaires contre les criminels qui sont detenus en leurs prisons, jusques à ce que leur privilege ait sorty effect. Sommation qui produict la surseance par eux requise. Les Lundy, Mardy, & Mercredy des Rogations, l' Archevesque & les Chanoines ont accoustumé d' envoyer deux Chanoines, accompagnez de deux Chappelains, en l' habit de l' Eglise, avecques le Notaire & Tabellion du Chapitre, tous Prestres, en toutes les prisons de Rouen, où ils examinent les prisonniers, & redigent par escrit les confessions, qui doivent estre par eux tenuës secrettes, comme si elles estoient faites Sacramentellement (portent les lettres du Roy Louys XII.) Le jour de l' Ascension sur les sept heures du matin, tous les Chanoines Prestres capitulairement assemblez, invoquans la grace du S. Esprit, par l' Hymne de Veni Creator Spiritus, & autres suffrages de devotion, font serment sous le seel de Confession de ne reveler les depositions faites par les prisonniers. Oyent les deux de leurs confreres par eux commis, lisent leurs procez verbaux, puis le tout meurement calculé & consideré, ils choisissent celuy qu' ils trouvent chargé du crime le plus detestable, pour luy estre les prisons ouvertes. Ainsi estoient ils tenus de le faire auparavant l' Edit du Roy Henry le Grand, s' ils ne vouloient contrevenir à leur privilege; qui leur eust esté un grand forfait, voire une forme d' assassinat contre leur ancien institut. Cette eslection ainsi faite, le nom du prisonnier est escrit dedans un cartel bien cacheté du seel du Chapitre, & tout d' une main envoyé par un Prestre Chappelain avec son surplis & aumusse, à Messieurs du Parlement, qui l' attendent en la grand Chambre du Palais, revestus de leurs robbes d' escarlate. Le cartel par eux ouvert, adoncques sur la nomination qui a esté faite du prisonnier, ils ordonnent à l' instant, par leur Arrest, que les prisons luy seront ouvertes, & tous ses complices deschargez. Clause derniere ainsi apposee, auparavant le mesme Edit. Au retour du Chappelain, le Chapitre brusle sur l' Autel toutes les confessions des criminels, pour en ensevelir la memoire. Environ les deux ou trois heures apres midy, le prisonnier sort des prisons, passe par les ruës pleines de monde, la teste nuë, les fers aux pieds, jusques au mesme lieu où est la Chasse qu' il leve, apres avoir faict une confession auriculaire de ses fautes, & lors luy sont les fers ostez. Soudain apres la Procession commence à marcher, le prisonnier porte le bout da premier branquart de la Chasse, accompagné de sept autres, qui depuis les derniers sept ans ont joüy du mesme benefice, tenans tous en leurs mains des torches ardantes; & en cette procession la Gargoüille est levee au bout d' une perche sous les pieds de S. Romain, representation & image du grand miracle par luy fait contre le Dragon. La Procession arrivee en la grande Eglise, la Messe y est chantee, quelquesfois à cinq heures du soir. Pendant laquelle le prisonnier va à chacun des Chanoines demander pardon à genoux. Le service divin celebré, il est conduit en la maison du maistre de la Confrairie S. Romain, ou de quelque qualité & condition qu' il soit, voire tresbasse, il est treshonorablement traicté jusques au lendemain matin, qu' il se presente au Chapitre, où estant agenoüillé, l' un des Chanoines à ce delegué, luy fait une ample remonstrance sur la faute par luy commise, l' admonnestant d' amender sa vie, & de n' y recidiver plus. Entr'autres choses il jure pour conclusion qu' il ne sera jamais larron ny meurtrier.

En ce dernier acte gist la catastrophe & accomplissement de cette ceremonie: en laquelle (sans entrer au fonds de la conscience d' autruy) je ne voy rien que choses sainctes, & pleines de pieté, depuis le commencement jusques à la fin; non toutes-fois exemptes de calomnie. D' autant que les malignes langues & venimeuses, disent que cecy est un jeu couvert, revestu du masque de devotion, & que de tous ceux qui estoient annuellement esleus par le Chapitre, il n' y avoit celuy qui n' eust un Prince ou grand Seigneur pour parrein, & en ce deffaut qu' on mettoit de l' argent au jeu. Tellement que cette abolition s' octroyoit à l' enquant, au plus offrant & dernier encherisseur, & à peu dire, que c' estoit le S. Esprit qui operoit en cette ceremonie. Ce que les mesdisans veulent prouver par une demonstration qu' ils estiment infaillible: parce que nul n' entra jamais aux prisons pour cet effect, qu' il ne fust asseuré d' en sortir avant l' invocation du S. Esprit. Quant à moy je veux croire que cette mesdisance est une vraye imposture, & calomnie: mais parce que tout personnage d' honneur a non seulement interest d' estre franc & exempt de la coulpe, ains pareillement du soupçon, pour en estancher le venin, je souhaite en cette affaire deux choses. L' une, que ce privilege ne s' estende qu' en faveur des delits, qui de leur nature sont remissibles: L' autre, qu' il n' ait lieu que pour les crimes commis dedans la province de Normandie, & pour les prisonniers justiciables, soit en premiere ou seconde instance du Parlement de Rouen, qui se trouveront, ou casuellement, ou par dessein, és prisons de la ville de Rouen. J' estime qu' en ce faisant ce sera fermer la bouche à tous ceux qui en mesdisent, & par mesme moyen que Messieurs du Chapitre gens d' honneur, ne prendront de mauvaise part mon souhait.


Fin du Neufiesme Livre des Recherches.