lunes, 14 de agosto de 2023

10. 18. Quel jugement nous pouvons faire de la vie de Brunehaud, par le livre de l' Abbé Jonas,

Quel jugement nous pouvons faire de la vie de Brunehaud, par le livre de l' Abbé Jonas, qui escrivit la vie de S. Colombain, observation non à rejetter.

CHAPITRE XVIII.

Je n' ay pas entrepris de vous representer icy une Brunehaud franche & quitte de tout vice, mais bien des execrables cruautés dont les nostres la tiennent pour attainte & convaincuë sur les tesmoignages de Fredegaire & Aimoïn: c' est pourquoy j' ay recogneu deux Autheurs pour en esclaircir le Lecteur, Gregoire Evesque de Tours, qui en a escrit l' Histoire dés & depuis l' an cinq cens soixante cinq, que cette Princesse fut conjointe par mariage avec Sigebert Roy d' Austrasie, jusques en l' an cinq cens quatre-vingts dix-sept que Gontran Roy de Bourgongne deceda: qui est la fin du dixiesme livre de cet Autheur, le demeurant estant voüé non pour nos Roys; ains pour les Evesques de Tours: Et apres cet Autheur j' employe Gregoire premier Pape de ce nom depuis l' annee cinq cens quatre-vingts dix-sept jusques en l' an six cens quatre, qu' il alla de vie à trespas: A sa suite depuis ce temps jusques en l' an six cens quinze que le bon pere Colombain fut tout à fait banny & exterminé du pays de Bourgongne, je recognois les censures de ce grand preudhomme sur la vie & mœurs de cette Princesse. Ces trois personnages sont par nostre Eglise colloquez au Catalogue des Saincts, lesquels diversement, & selon la diversité des temps observerent ce qui estoit de bon & de mauvais en Brunehaud. Ceux-cy ne chargerent aucunement cette Dame des cruautez, dont les Histoires de Fredegaire & Aimoïn sont parsemees, desquelles ceux qui depuis meirent la main à la plume, enrichirent les leur. Or non content de tout ce que dessus, encore fais-je grand estat de l' Abbé Jonas. Cet homme fut le premier, & plus ancien de tous les disciples, du bon Colombain, qui vint avecques luy du pays d' Hibernie en la Bourgongne sous le regne de Theodoric. Dont ayant esté ce preudhomme tout à fait chassé par les indeües importunitez de Brunehaud, Jonas luy succeda en son Abbaïe de Luxüeil (Luxeüil), comme nous apprenons de l' Abbé Triteme, & encore apres son decez escrivit sa vie, comme tesmoin oculaire de ce qui s' estoit passé contre son Maistre. Qui me fait y adjouster plus de foy qu' à ceux qui n' en parlerent que par oüir dire. C' est luy duquel Fredegaire emprunta la plus grande partie du chapitre parlant de Colombain, que je vous ay cy-dessus traduit en François. En quoy neantmoins (je diray cecy premier que de passer plus outre) mon opinion est que le Lecteur doit apporter quelque prudence en lisant les Histoires, esquelles l' Autheur habille souvent la verité à sa guise. Ainsi ay-je observé en l' Histoire de Rome, un Empereur Constantin avoir esté grandement vilipendé par Zozime, Historiographe entre les Payens non de peu de merite; au contraire infiniment haut loüé, & honoré du surnom de Grand, par Eusebe, Socrate, Theodoric, & Sozomene, Historiens Ecclesiastiques: En cas semblable ces trois derniers faire littiere de l' Empereur Julian; & neantmoins Marcelin qui fut l' un de ses Capitaines, nous le pleuvit comme un autre Jules Cesar de son temps. Dont vint je vous supplie cette contrarieté, en mesme rencontre d' Histoires? Constantin favoriza à huis ouvert la Religion Chrestienne, au desadvantage du Paganisme: Et c' est pourquoy les payens le detesterent, & les nostres le respecterent. A l' opposite Julian ennemy formel de nostre Christianisme, l' offensa plus par sa plume sans effusion de sang, que Neron & Diocletian par leurs glaives sanglans. Qui fut cause aussi que les nostres s' armerent sanglantement de leurs plumes contre luy, & celuy qui estoit de sa folle Religion, le reblandit de flatterie.

Je ne sçay comment en cela je puis dire ce que dit anciennement Hypocrat, lequel estant mandé par un Roy de le venir secourir d' une maladie dont il estoit dés pieça affligé, pria Democrite son intime amy, que pendant son absence, il voulust avoir l' œil sur sa femme, non qu' il ne la recogneust pour pudique, & tres-preude femme, ains seulement d' autant qu' elle estoit femme. Le semblable veux-je dire des Historiographes, qui escrivent les Histoires de leur temps, je les pense tous buter à la verité: Mais tant y a qu' ils sont hommes, & comme tels l' habillent le plus souvent à leur guise, & luy baillent plus ou moins de couleur ainsi qu' il leur plaist. A quel propos tout ce propos? Pour vous dire que si Jonas qui escrivit la vie de Colombain son Abbé & precepteur, donna quelques atteintes à Brunehaud, vrayes ou non je les luy pardonne: il estoit à ce instigué par une juste douleur du mauvais traitement que son Maistre avoit receu d' elle? Que s' il en parla sobrement, je repute cela pour une piece justificative de l' innocence de cette Dame. Voyons donc de quelle façon il l' a bien ou mal traictee.

Le Roy Theodoric acquiesçant aux sainctes exhortations du pere Colombain, luy avoit promis de quitter toutes ses putains, & de se reduire sous le sainct lien de mariage avec quelque honneste Princesse. Cette promesse (dit Jonas) estonna Brunehaud son ayeule, une seconde Jezabel, & le vieux serpent se logeant en son ame, la transforma toute en gloire. Marrie que le Roy Theodoric obeïst aux sainctes exhortations de l' homme de Dieu; car elle craignoit que s' il abandonnoit ses paillardes, il prendroit une Princesse à espouse qui avroit toute superiorité & intendance d' honneur & de dignité dessus elle. Par ce mot de Jezabel vous voyez que Jonas estoit ulceré en son ame, & qu' il ne faut estimer qu' il espargna la reputation de cette Princesse quand l' occasion s' y presenta dedans son Histoire, laquelle j' ay voulu exactement fueilleter, & ay trouvé trois fautes seulement qu' il luy impute. La premiere, que Brunehaud jalouze de sa grandeur, & craignant qu' une nouvelle Royne n' empieta quelque authorité sur elle, empescha par tous moyens à elle possibles, que Theodoric ne se mariast. Les deux Autheurs mesdisans enrichissent cette faute d' une autre beaucoup moins supportable, que Theodoric ayant suivant ces sainctes exhortations espousé Hermemberge fille du Roy d' Espagne, il fut empesché charnellement par les charmes & sorceleries de son ayeule, Jonas sur ce subject de continuation de paillardises l' avoit appellé Jezabel. Se peut-il faire que si ce fait eust esté veritable, il eust esté si pauvre de sens d' oublier cette signalee particularité? En second lieu il luy impropere les furieuses sollicitations qu' elle fit envers Theodoric pour bannir ce sainct homme Colombain, non seulement de son Abbaïe; ains du Royaume de Bourgongne, dont elle vint à chef. Grand creue-coeur à Jonas: cette Princesse avoit du commencement fait bannir Didier de son Evesché de Vienne, & depuis fait lapider apres son r'appel de ban, si en croyez Fredegaire (car Aimoïn n' en parle point) le tout ainsi que ceux qui depuis ont voulu commenter ce chapitre, en haine de ce qu' avecques une trop grande liberté, il l' avoit voulu reprendre de ses fautes. Si jamais piece merita d' estre enchassee avecques une autre, c' est ceste cy, avecques le bannissement de Colombain, pour faire paroistre combien cette Dame estoit obstinee en son peché. Ce qui n' a pas esté fait par Jonas: & à tant je l' estime piece depuis de nouveau trouvee dedans l' estude de Fredegaire l' Escolier: Mais voicy la consommation de l' œuvre, Fredegaire parlant de la ruine de Theodebert Roy d' Austrasie, fait un hola en sa prison. Disant qu' apres que Theodoric l' eut pris il l' envoya à Chaalons sur Saone, & en cela se ferme sans passer outre. Aimoïn le fait assassiné par ses sujets de Colongne. Jonas seul nous enseigne qu' estant envoyé à Chaalons Brunehaud le fit mourir de sang froid quelque temps apres qu' elle l' eut fait estre Prestre ou Moine; car ainsi veux-je expliquer ce passage. Persequutus est Theodoricus Theodebertum, & suorum proditione captum, ad aviam Brunechildem remisit; quae cum faveret partibus Theodorici, furibunda Theodebertum Clericum fieri voluit, & post dies non multos, cum iam esset Clericus, nimis impie perimendum curavit. Passage qui me semble grandement contenter mon opinion. Car vous voyez quelle anatomie il fait de la reputation de cette Princesse en ce parricide. Ne pouvoit il point en passant pour luy donner plus de lustre, faire estat des autres s' il y en eust eu; a fin que chacun cogneust de plus en plus son impieté? Toutesfois cestuy est le seul qui luy impropere. Adjoustez que si elle eust esté du commencement si honteusement chassee de la Cour du Roy Theodebert son fils, comme les deux plumes mesdisantes nous font entendre, en consequence de cette indignité, rongee de longuemain dedans son ame contre luy; c' estoit lors qu' il en falloit faire estat, quand Brunehaud le fit mourir, veu qu' en consequence de cette injure, elle l' avoit depuis pleuvy fils d' un jardinier seulement. Icy nulle parole de cela; ains seulement qu' elle le fit mourir: d' autant qu' elle favorisoit le party de Theodoric. Qui me fait croire que ce fut depuis une invention de la nouvelle impression, trouvee dedans l' estude de quelque escolier. Toutes ces particularitez que je recueille des 2. Gregoires, & des deportemens de Colombain, & de Jonas son Historiographe, me font croire que l' opinion de Boccace, Paule Aemile, du Tillet Evesque, de Massonius, & de Mariana est veritable: Vray que j' ay cy apres un plus fascheux chemin à exploiter, sur la mort de dix Roys, dont elle fut accusee, estant exposee au supplice.

10. 17. Que sans calomnie on ne peut remarquer en Brunehaud qu' elle fut cause de la ruine des Roys Theodebert & Theodoric

Que sans calomnie on ne peut remarquer en Brunehaud qu' elle fut cause de la ruine des Roys Theodebert & Theodoric ses petits enfans: ainsi que la commune de nos Historiographes soustient.

CHAPITRE XVII.

Ceux qui de guet à pens ont voüé leurs plumes pour assassiner la reputation de Brunehaud, sur le fait des assassinats, luy imputent entr' autres choses, voire peut estre principalement, qu' elle fit entendre à Theodoric, que Theodebert n' estoit son frere; ains fils d' un simple jardinier, dont sourdirent les divisions qui furent entre les deux freres, & d' elles la ruine totale de leur famille. On dict que celuy qui fait profession de mentir doit estre accompagné de memoire, a fin qu' il ne se trouve disconvenable en ses propos. Je veux assassiner ces menteurs par leurs propos mesmes. Repassez sur Fredegaire & Aimoïn, vous trouverez que depuis la mort du Roy Childebert pere, qui fut l' an six cens, Theodebert & Theodoric ses enfans vesquirent en perpetuelle paix jusques en l' an six cens dix, que Theodoric leva les armes contre Theodebert, sur le faux donner à entendre de Brunehaud, qu' il estoit fils d' un jardinier: car ainsi l' apprens-je d' Aimoïn. De la levee d' armes je la croy, mais que ce fust sur ce sujet je le nie, par les raisons par moy cy dessus deduites, & pour l' evenement que je vous representeray maintenant. Tant y a que cette levee d' armes fut un feu de paille, aussi tost esteint, qu' allumé. Car par la mort de Protade Maire de son Palais, l' armee fut aussi tost licenciee, & ne trouverez que depuis Theodoric se soit souvenu de la mettre aux champs sous le pretexte de cette fausse imputation. Au contraire Theodebert fut le premier promoteur de leurs partialitez en l' an six cens quinze, dont depuis il paya le premier la folle enchere: Et de ce je ne veux plus asseuré tesmoin qu' Aimoïn. Voyons donc ce que nous apprenons, & ce qu' il en avoit apris de Fredegaire: car, l' un & l' autre symbolizent en cette particularité.

Anno decimo quinto regni sui (dit le Moine chapitre nonante cinq, livre troisiesme) Theodebertus aliqua sibi de fratris Theodorici posseßionibus adiungere parans, eum in se excitanvit. Veruntamen provido prudentium consilio virorum, electus est locus, cui Saloyssa cognomen, ut fratres ad destinatum locum cum paucis, sed Franciae primoribus, convenientes, quae pacis essent eligerent. Ibi Theodoricus cum decem millibus virorum solum; Theodebertus vero cum magna Austrasiorum affuit manu: bello etiam si frater petitis annueret, turbare pacem volens. Theodoricus tantae multitudinis contemplatione perturbatus, quae ille cupiebat conceßit. Conventus Fratrum huiusmodi fuit, ut Alesatio, & Sugitensi, Turonensi quoque, ac Campanensi cederet Comitatu Theodoricus, & ad Theodebertum ius omnium horum transiret. Inde cum gratia, sed simulata, discessum est, ac se invicem salutantes, uterque ad sua regna sunt regreßi.

Passage que je rendray François au moins mal qu' il me sera possible, a fin que chacun y ait part.

Theodebert le 15. an de son regne se voulant accommoder de quelques terres de Theodoric son frere, le reveilla contre soy; toutesfois par l' advis de quelques preudhommes, fut choisi un certain lieu appellé Saloïsse, ou les deux freres se trouveroient avec peu de suite (& singulierement qu' il y eust des François) où les 2. freres s' aboucheroient ensemblément pour vuider leurs differens à l' amiable. 

Là se trouva Theodoric suivy de dix mil hommes seulement: Mais Theodebert d' une forte & puissante armee, en bonne deliberation de troubler la paix, quand bien son frere luy passeroit condamnation de toutes ses demandes. Chose dont Theodoric estonné fut contrainct de caller la voile, & d' acquiescer à toutes les pretensions de Theodebert, quoy faisant luy furent adjugez les Comtez d' Azas, Sagitense, Touraine & Champagne, & par ce moyen se partirent contens l' un de l' autre: mais d' un contentement simulé.

Quels estoient ces Comtez là, & en quoy ils gisoient, j' en laisse la decision à quelques plus curieux que moy. Suffise vous qu' on voit par cela que Theodoric ne fut le premier demandeur ou complaignant en cette querelle, ains Theodebert. Et à tant que c' est une vraye ignorance, ou imposture de l' improperer à Brunehaud. Mais considerons quel progres elle eut, & en quoy nous pouvons nous aheurter contre cette Princesse. Le mesme Aimoïn recite tout au long comme les choses depuis se passerent entre les deux freres au chap. suivant qui est le 96. & parce qu' il est trop long je penserois icy abuser de vostre loisir, & du mien de le vous copier comme l' autre; ains me contenteray de vous dire que j' apprens de cet Autheur, que peu apres Theodebert fit mourir sans aucune cause Brunechilde sa femme, pour espouser Thendephilde. Et que Theodoric se voulant ressentir de l' affront & supercherie qui luy avoient esté faits, s' arma à bon escient contre luy. Cruelle bataille entr'eux pres la ville de Thou, par laquelle Theodebert fut mis à vauderoute. Quelque temps apres autre plus cruelle pres de Tolbiac, où Theodebert fut tout à fait vaincu sans esperance de ressource. En toutes lesquelles procedures je ne voy rien engagé de la reputation de Brunehaud. Mais voicy maintenant le grand coup auquel je demeure moy mesme engagé: Quelle fut la mort de Theodebert, quelle celle de son fils, ou de ses enfans. Si vous en parlez à Fredegaire il le fait prisonnier de Bertaire Chambellan du Roy Theodoric qui en fit present à son Maistre, lequel l' envoya aussi tost lié & garotté à Chaalons sur Saone; & pour tous enfans ne luy en donne qu' un bien petit, auquel il fit escraser la teste en la ville de Mets: & là se ferme cet Autheur en cet endroit. Mais Aimoïn fait tué traistreusement Theodebert dedans la ville de Colongne, par l' un de ses sujets qui fit present de sa teste à Theodoric, & luy donne plusieurs enfans masles, dont le plus petit enfançon fut meurtry par sa bisayeule, la teste contre une muraille, une fille belle en perfection conservee: des autres enfans masles, il n' est plus faite memoire: Qui monstre que c' est un coup de plume traversier d' un Moine. Mais en bonne foy, auquel des deux adjousterons nous plus de creance, ou a Fredegaire qui atoucha de plus pres le temps dont il parloit, ou à Aimoïn qui en fut beaucoup plus esloigné, que vous voyez estre contrepointez l' un à l' autre? Ainsi perit la famille de Theodebert, & ainsi s' impatroniza Theodoric de son Estat d' Austrasie.

Voyons maintenant quel jugement nous ferons de sa fin. Fredegaire le fait mourir d' une caquesangue. Aimoïn le fait mourir par le poison qu' industrieusement luy brassa son ayeule. De moy je ne demanderay jamais pardon, si j' adjouste plus de foy à l' ancien Autheur qu' au moderne. Singulierement eu esgard que je voy Aimoïn par les deux chapitres de luy que j' ay cy-dessus alleguez, n' avoir ignoré les deux opinions de Fredegaire, dont il fait mention sans le nommer. Toutesfois pour ne forligner de sa bonne coustume, il choisit les deux pires au prejudice de cette Princesse. Et neantmoins puis qu' il avoit à desdire celuy duquel il emprunte en cet endroict la plus part de ses mesdisances, il me semble qu' il devoit cotter quelque Autheur de marque, sur lequel il asseurast son desmentir, sans le vouloir authoriser de soy mesme, puis qu' il contrevenoit par sa confession mesme à l' ancienneté.

10. 16. Que du precedant chapitre on peut recueillir qu' on attribuë faussement plusieurs cruautez à Brunehaud, & autres male-façons de sa vie.

Que du precedant chapitre on peut recueillir qu' on attribuë faussement plusieurs cruautez à Brunehaud, & autres male-façons de sa vie.

CHAPITRE XVI.

Ne pensez pas je vous prie que pour une sotte curiosité j' aye rendu ce chapitre François, & le vous aye icy representé tout de son long: car il n' y a piece qui face tant pour la justification de Brunehaud contre les crimes de cruauté que l' on impute, que cette cy, de quelque façon que je vueille tourner ma plume. Je commenceray par Brunehaud, & finiray par le S. homme Colombain. Si cette Princesse faisoit si bon marché de la vie des hommes signalez, si la cruauté luy estoit autant familiere comme on dit; se peut il faire qu' elle eust apporté tant de façons pour faire non mourir; ains bannir celuy qui selon le monde l' avoit estrangement bravee? Un simple homme qui 2. & 3. fois avoit repris les fautes de l' ayeule & du petit fils, avecques paroles d' aigreur: qui sur ce pied avoit refusé de bailler sa benediction aux enfans de Theodoric à luy presentez pour cet effect par leur bisayeule, qui d' une bravade avoit fait littiere des viandes & vins à luy envoyez par le Roy, mesme avecques paroles de refus offensives: Et vrayement il ne faut point faire de doute que Brunehaud en fut infiniment ulceree en son ame. Aussi fut-ce la cause pour laquelle elle employa tous les nerfs de son esprit, pour induire le Roy à ce que il en eust la vengeance. Car outre ce que comme son ayeule elle pouvoit beaucoup d' elle mesme envers luy, elle y employa d' abondant, & la Noblesse, & les Prelats de la Bourgongne. Et neantmoins toute cette vangeance pourpensee par cette grande meurtriere, n' aboutissant à une mort; ains seulement à un bannissement qui luy fut accordé par le Roy Theodoric son petit fils. 

Peut estre, me direz vous (car je ne veux icy sous mauvais gages flater mon opinion) que cette Dame voyant son fils avoir du commencement grandement respecté ce sainct homme, pensa estre plus expediant de temporiser à ses cruautez ordinaires: je le veux. Mais en ce que je diray maintenant, il n' y a aucune responce.

Le sainct homme avoit esté banny par la bouche mesme du Roy: bannissement executé; toutesfois sans aucun r'appel il estoit licentieusement retourné de son authorité privee en son Monastere, vilipendant par ce moyen l' authorité de son Roy. Estoit-ce pas un moyen suffisant de mort? Je ne diray point à l' endroit d' une Princesse, laquelle faisoit profession expresse de cruauté; ains à toutes personnes, selon les reigles ordinaires de droict & de judicature. Toutes-fois cette grande meurtriere ne pourchassa point la mort du sainct homme, ains seulement que les portes luy fussent ouvertes, pour s' en retourner au pays dont il estoit premierement sorty. Hé! vrayment toutes ces considerations me font croire que c' est une charité que l' on luy preste, quand on l' accuse de cruauté. Mais encore suis-je bien plus confirmé en cette creance, quand je voy ce grand sainct homme Colombain, le principal observateur & reformateur des mœurs de cette Princesse, n' avoir rien trouvé en elle digne de reformation remarquable, que la connivence qu' elle apportoit aux paillardises du Roy Theodoric son petit fils. L' annee six cens quatorze fut par luy opiniastrement employee en ces sainctes exhortations, avec paroles d' aigreur; nonobstant tous les mescontentemens du Roy, & de son ayeule, dont il se voyoit menacé. En celle d' apres il quitta la Bourgongne, sans esperance de retour, suivant le commandement à luy faict. En toutes ces remonstrances nulle mention des cruautez: Auparavant l' annee six cens quatorze il n' y avoit que deux ans passez, selon le tesmoignage de Fredegaire chap. vingtquatre, que Didier Evesque de Vienne avoit esté lapidé par le

commandement expres de Brunehaud. Certainement si cette execrable inhumanité commise à la veuë de toute la France estoit vraye, ce preudhomme eust esté grand mocqueur s' il n' en eust baillé quelque atache à cette Princesse. Voyons donc quelles fautes elle peut commettre en ce sujet depuis que ce preudhomme fut expatrié jusques en l' an 618. qui fut la fin & dernier periode de la vie de Brunehaud.