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martes, 8 de agosto de 2023

9. 5. Premiere institution & progrez de l' Université de Paris, & de son ancienne situation.

Premiere institution & progrez de l' Université de Paris, & de son ancienne situation.

CHAPITRE V. 

Quant à moy suivant ce que je vous ay discouru par le precedant Chapitre, rejettant la fondation telle qu' est la commune ignorance, nous devons à mon advis tous estimer, que l' Université de Paris n' a esté jettee en moule tout d' un coup, & est une chose digne d' estre remarquee, qu' encore que l' usage des Universitez ne fust en ceste France du commencement, pour les longues guerres qui y estoient survenuës, & avoient troublé l' Estat ancien & ordinaire des Gaules: si est-ce que d' une bien longue ancienneté, il n' y avoit Eglise Cathedrale, en laquelle n' y eust une prebende affectee, pour le salaire de celuy qui enseigneroit les lettres ordinaires, & une autre pour celuy qui vacqueroit à l' enseignement de la Theologie. Le premier estoit appellé Escolatre, le second Theologal. En quelques Eglises n' y en avoit qu' un pour l' espargne, & és autres, deux. Du commencement ces places estoient baillees à personnages de merite, qu' on recherchoit par honneur, & se sentoient les Doyen, Chanoines & Chapitre bien honorez, quand ils en avoient pourveu un homme sortable. Mais comme par malheur, il advient ordinairement que tous mauvais exemples prennent leur source avecques le temps de beaux & loüables pretextes, aussi advint-il au cas qui s' offre, que peu à peu ceux qui desiroient entrer en ces grades, estoient contraincts avant que d' y estre admis, faire presens par forme de proficiat & gratification à uns & autres Chanoines, qui avoient plus de voix & creance en Chapitre pour la nomination. Qui estoit une vraye corruptelle, revestuë du masque de loüable coustume. Et de cet abus est parlé au Concil de Latran, tenu souz le Pape Alexandre troisiesme en un article qui s' adresse expressément à nostre Eglise Gallicane, qui est tel: Quanto Ecclesia Gallicana, maiorum personarum scientia, & honestate praefulget, &c. Article depuis transplanté mot pour mot aux Decretales de Gregoire neufiesme, chapitre Quanto de Magist. Ext. Et est cette mauvaise coustume condamnee par ce Concil, & ceux-là anathematizez qui de là en avant en useroient.

Ny pour tout cela vous ne trouverez en tout ce Concil estre parlé d' aucune Université chez nous: Et est advenu que toutes nos Universitez qui se trouvent en nostre France, elles ont esté depuis establies en nos Eglises Archiepiscopales, ou Episcopales: horsmis celle de Caen, qui ne fut institution Françoise, ains Anglesche, souz le peu de temps que le jeune Roy Henry sixiesme vint en France. Chose que je ne dis pas pour vilipender ce College, auquel se trouvent plusieurs gens d' honneur y avoir siege: ains pour dire ce qui est de la verité de l' Histoire.

Or les choses se passans de cette façon, je ne doute point que nostre Paris estant d' une longue ancienneté la ville metropolitaine de la France, & siege ordinaire de nos Rois, ainsi tant pour la commodité, & situation du lieu, que respect qu' on luy portoit, les gens plus doctes ne s' y habituassent, & ne desirassent d' avoir l' une de ces deux chaires, pour faire diversement monstre & banniere de leur sçavoir: Et qu' à cet effect, la maison Episcopale fut expressément choisie, long temps auparavant que l' Université eust esté creée. En quoy je pense avoir Pierre Abelard pour mon garand, grand personnage de son temps, s' il ne se fust trop flaté. Cestuy au recit qu' il fait de ses tribulations, en une longue Epistre Latine, nous dit que sur son jeune aage, il abandonna pere, mere, freres, & sœurs, & toute esperance de successions, tant directes que collaterales, pour s' habituer dans Paris, où les bonnes lettres commençoient de se loger, & que là il y avoit en la maison de l' Evesque deux doctes personnages, qui y faisoient lectures publiques. Un Guillaume de Champeau Archidiacre de Paris, qui s' estoit rendu admirable en l' explication de Priscian, & de la Philosophie, & avecques luy un Anseaulme, qui enseignoit la Theologie. Par cela nous n' apprenons pas que les Escoles de Paris fussent establies vers l' Eglise de nostre Dame. Mais comme Abelard nous discourant ses malheurs, il n' oublie rien en l' histoire de sa vie de ce qui fait, tant à son advantage que contre, aussi adjouste-il que quelques jours apres sa venuë, il avoit gaigné telle vogue sur ces deux precepteurs, qu' il leur faisoit à bonnes enseignes contraste. Au moyen dequoy y ayant lors une jeune fille nommée Heloïse tres-docte, qui se tenoit au cloüestre, chez Foubert son oncle, (quelques uns le disent pere) Chanoine de nostre Dame, il fut par luy prié de faire leçon à sa niepce, dedans sa maison, dont Abelard ne l' esconduit. Parce (dit-il) que la maison du Chanoine, Scholis nostris proxima erat. Passage dont je recueille, que c' estoit en la maison Episcopale, qu' on exerçoit les estudes, tant de Grammaire & Philosophie, que de la Theologie. Qui fut cause que les Libraires se vindrent loger là aupres. Ce dont nous avons encore veu de nostre temps quelques restes, & apparceuances en la ruë de nostre Dame non esloignee de cette Eglise.

Or les Estudes s' y estans de cette façon plantees, elles commencerent peu apres de s' apprivoiser du Monastere de Sainct Victor: Pour laquelle ancienneté recognoistre, outre ce que j' ay remarqué en mon troisiesme Livre, encore pensé-je estre indubitablement assisté de deux notables passages. Le premier d' un vieux Religieux de Jumege, qui fit quelques additions sur la Cronique de Sigebert: le second du mesme Abelard. Eodem tempore (dit le Religieux) quo ordines Cisterciensis, & Charthusiensis fuerunt creati, Magister Guillelmus de Campellis, qui fuerat Archidiaconus Parisiensis, vir admodum litteratus ac religiosus, assumpsit habitum Canonicis regularis, cum aliquibus suis discipulis, extra urbem Parisius, in loco ubi erat capella sancti Victoris Martyris. Assumpto autem illo ad Episcopatum Catalaunensem, Venerabili Gilduinus eius discipulus, primus Abbas ibi factus est. Par ce passage vous voyez que Champeaux qui s' estoit acquis tant de bruit dedans l' Eglise de Paris, quitta & son Archidiaconé, & sa robe seculiere, pour espouser une vie Monastique, avecques quelques siens Escoliers en la Chappelle sainct Victor, mais non que l' on y enseignast les bonnes lettres: Ce doubte vous sera levé par Abelard, au passage par moy, non entierement preallegué: Perveni tandem Parisius (dit Abelard) ubi idem maximè disciplina haec (il entendoit parler de la Philosophie) florere consueverat, ad Guillelmum scilicet Campellensem, praeceptorem meum in hoc Magisterio, re, famáque praecipuum. Et peu apres: Elapsis autem paucis annis, cum ex infirmitate iamdudum convaluissem, praeceptor ille meus, Parisiensis Archidiaconus habitu pristino renunciato, ad Regularium ordinem se contulit. Non tamen hic profeßionis habitus, aut ab urbe Parisiensi, aut à consueto Philosophiae studio substraxit, sed in ipso quoque Monasterio, ad quod se contulerat, statim more solito, publicas exercuit Scholas. Vous voyez que combien que Champeaux eust changé sa vie seculiere en reguliere, cela n' empescha pas qu' il ne continuast ses lectures anciennes en son nouveau Monastere de S. Victor, tout ainsi qu' auparavant en nostre Dame. Et à tant que les bonnes lettres furent en mesme temps enseignees en ces deux venerables maisons: mais qu' elles avoient pris leurs premieres nourritures en celles de nostre Dame.

Quelques uns paravanture trouveront mauvais que j' attribuë l' ouverture des Religieux de sainct Victor à Guillaume de Champeaux, laquelle par la voix commune du peuple, est attribuee à nostre Roy Louys le Gros, sixiesme de ce nom. Opinion qui n' est pas de prime face sans quelque apparence de verité. Car le mesme Roy par ses lettres en forme de Chartres de l' an mil cent treize, disoit que par l' advis de plusieurs Prelats & Seigneurs de son Conseil: In Ecclesia Beati Victoris, quae iuxta Parisiorum civitatem sita est, Canonicos regulariter viventes ordinari volui. Dementant par ce moyen, tant le Religieux de Jumege, qu' Abelard. Toutesfois il est certain que cette Eglise avoit esté auparavant reduicte en forme de Prioré par Champeaux, & quelques uns de ses Escoliers. A quoy le Roy Louys le Gros voulut apporter plus d' estoffe, comme vous pourrez voir par les mesmes lettres, esquelles il use de ces mots Dotavi, & ditavi: & non pas qu' il l' eust premierement fondee. Mais au lieu de Prieur il y establit un Abbé, comme nous apprenons de son Epitaphe, qui est au Cloüestre, joignant la porte de l' Eglise.

Insignis genitor Ludovici, Rex Ludovicus, 

Vir Clemens, Christi servorum semper amicus, 

Instituit, fecit, Pastorem Canonicorum.

In cella veteri, trans flumen Parisiorum.

Plus fidele commentaire ne pourriez vous avoir que cestuy, pour monstrer que Louys le Gros ne fut le premier fondateur, ny de cette Eglise, ny des Chanoines reguliers d' icelle, ains seulement de l' Abbé. Vray que l' Eglise S. Victor estant auparavant bastie, accompagnee de ses Religieux, le Roy Louys le Gros la fit de fonds en comble reedifier, dit un vieux Historiographe, qui n' a point inseré son nom. A quoy nous adjoustons que celuy qui premier en porta le tiltre d' Abbé, fut Gilduin l' un des principaux disciples de Champeaux, lors que son precepteur fut creé Evesque de Chaalons. Ce Roy fut le premier de la famille des Capets, qui meit (si ainsi me permettez de le dire) nos Rois hors de page. Car comme ainsi fust que sous ce nouveau changement de lignee souz Hugues Capet, plusieurs grands Seigneurs se fussent par un droit de bien-seance accommodez du bien de l' Eglise, ce Roy les sceut si bien mener à raison, qu' en fin de jeu toutes ces places mal prises furent renduës, & remises en leur premiere nature. Et pour cette cause dit Guillaume de Nangy en ses Annales de France, il fut appellé le Batailleux. Les belles victoires qu' il obtint, non seulement contre ces seigneurs mal-gisans, ains contre tous ses ennemis, furent cause à mon jugement, que par la rencontre du nom, il choisit ce Monastere S. Victor, & qu' il le dota de plusieurs grands biens, & prerogatives, pour luy servir à l' advenir de trophee. De maniere que la pauvreté en estant tout a fait bannie, & par consequent la necessité & disette, adoncques commencerent les Religieux à espandre successivement leurs semences: Uns Hugo, Adamus, Riccardus, Accordus, Galterus, Godofridus, Garnerius, Absalon, Leoninus, & plusieurs autres Religieux de mesme paste, par le moyen desquels l' Université s' accreut grandement avecques le temps.