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martes, 8 de agosto de 2023

9. 4. Que l' opinion est erronée, par laquelle on attribuë l' institution de l' Université de Paris à l' Empereur Charlemagne.

Que l' opinion est erronée, par laquelle on attribuë l' institution de l' Université de Paris à l' Empereur Charlemagne.

CHAPITRE IV.

He vrayement ce n' est pas un petit honneur à cette noble Université, si elle a eu pour parrein l' Empereur Charlemagne, qui luy ait donné ce nom; quoy que soit qu' il ait esté dedans Paris le premier Autheur & Promoteur des bonnes lettres. De mesme façon vois-je qu' on luy attribuë l' Institution, & de nos Parlemens, & de nos douze Pairs de France. Luy (dis-je) qui fut premierement Roy de France, puis Patriciat de Rome, & de toute la Lombardie, & finalement Empereur de tout l' Occident. Tant y a qu' il se veit commander absolument à la France, Italie, & Allemagne. Il estoit vrayment grand Prince, personnage d' esprit, bien nourry és bonnes lettres, grand Capitaine & guerrier, a l' espee duquel nostre Royaume de France doit beaucoup; mais j' ose dire que sa memoire n' est moins obligee à nos plumes. Car quant à moy j' estime, que ny l' Ordre des Parlemens, ny des Pairs ne luy est deu, comme j' ay amplement verifié par parcelles dedans mon second Livre, ny aussi de l' Université de Paris, ainsi que j' ay amplement discouru au vingt-troisiesme chapitre du troisiesme. Toutesfois d' autant que ce Livre est expressément dedié pour la deduction des Universitez de la France, je donneray à cette nouvelle opinion plus d' air, contrevenant à l' ancienne. Les deux premiers que je vois de nostre temps, ou quelque peu auparavant n' avoir voulu adherer à Vincent, Gaguin, Gilles, & autres, sont Paule Emile, & Messire Jean du Tillet Evesque de Meaux, l' un en son Histoire generale de nostre France, l' autre en sa Chronique abregee. Deux personnages dont je fais grand compte en ce subject, & m' asseure qu' ils n' eussent oublié de faire mention de cette opinion, si par leurs estudes & recherches ils l' eussent trouvee veritable. Ils ne l' ont expressément contredite; ains seulement teuë, j' ay voulu dire sagement, monstrant par cette sagesse, qu' ils n' y adjoustoient aucune foy. Je suis le moindre des moindres: mais je pense avoir esté celuy, qui premier levay la paille en cet endroit l' an 1564. quand en ce grand theatre de la Cour de Parlement de Paris, en presence d' une infinité de gens de lettres plaidans pour l' Université de Paris, contre les Jesuites, apres avoir faict mon preambule, tel que je pensois necessaire, je commençay le demeurant de ma narration par ces mots. 

L' Université de Paris, soit qu' elle ait pris son commencement sous le grand Empereur Charlemagne (ainsi que le vulgaire de nos Annales estime) ou sous ce grand Philippes Auguste, sous lequel les bonnes lettres prindrent leur grand advancement & progrez, specialement en cette ville, par le moyen de Messire Pierre Lombard, Evesque du lieu, (en faveur duquel nous celebrons tous les ans un Anniversaire dedans l' Eglise sainct Marcel) a tousjours esté grandement cherie, aimee, & favorisee de nos Roys. Je me fermay en cela pour cet esgard: car ce n' estoit mon intention d' en discourir. Et a fin que ne pensiez que ce fust par nouvel esprit de contradiction que j' entray deslors en ce nouveau party, je sçay quel honneur je dois porter à une opinion commune, mais aussi sçay-je bien que la verité doit estre beaucoup plus honoree. Et pour cette cause je vous diray encore un coup que ce ne nous seroit pas un petit Autheur de nostre Université que Charlemagne: toutesfois je ne voy, ny qu' Aimoïn, ny Rheginon, ny Adon, ny Sigebert en facent aucune mention (car quant à l' Histoire de Turpin, c' est une Histoire supposee, & neantmoins encore n' en parle t' elle point.) Chose que non seulement ils n' eussent escoulé sous silence, mais l' eussent pris à nostre tres-grand honneur, s' estans arrestez par leurs œuvres à plusieurs parcelles, qui ne sont de tel merite que cette-cy. Mesme que Eghinard qui se dit avoir esté son Secretaire, semble avoir laissé aux autres Historiographes la deduction des exploits militaires de cet Empereur, & pris pour son partage seulement ce qui regarde le sçavoir & bonnes lettres qui estoient en cet Empereur, nous discourant qu' il avoit esté nourry, non seulement en sa langue naturelle, mais aussi en plusieurs estrangeres; Et specialement que la Latine luy estoit aussi familiere que sa langue maternelle: Et quant à la Grecque qu' il l' entendoit, ores qu' il ne la sceust prononcer, comme pareillement il avoit esté instruit en la Grammaire, & aux arts liberaux, premierement par Pierre Pisan, puis par Albin, surnommé Alcuin, voire avoit l' intelligence de l' Astronomie. Qu' il fit la vie des Roys de France en vers: donna à son vulgaire les noms des mois & des vents: Qu' à ses repas, pour ne perdre le temps, il se faisoit lire ou reciter quelque belle histoire: Bref estant la plus belle remarque dont Eghinard embellisse la vie de Charlemagne, que le soing qu' il avoit eu aux bonnes lettres & sciences; je ne me puis persuader, qu' il n' eust à la queuë de cecy parlé de cette Université, s' il en eust esté fondateur, tant pour la dignité du lieu, où elle eust esté establie (ancien sejour de nos Roys de France, dés l' advenement de Clovis) que pour l' excellence mesme d' un tel œuvre. Estant la plus belle closture que cet Historien eust peu adjouster à la suite de cette belle narration. J' ay dit tout cela en mon 3. Livre, je le repete mot pour mot, & paravanture la repetition n' en sera frustratoire & oiseuse, ayant à desraciner l' opinion fabuleuse de nostre Vincent de Beauvais. Ce que je vous verifieray encore amplement par un passage exprez des Constitutions de Charlemagne, & Louys le Debonnaire son fils, au 2. Livre article 5. où le Debonnaire escrit en cette façon aux Evesques qui habitoient en ses Provinces. Scholae sanè ad filios instruendos, vel edocendos, sicut nobis praeterito tempore, ad Attiniacum, promisistis, & vobis iniunximus, in congruis locis, ad multorum utilitatem & profectum, vobis ordinari, non negligatur. 

Il estoit Roy & Empereur, & comme tel desiroit qu' on establist Escoles en divers lieux, l' avoit auparavant, comme il dit, commandé. Commandement qu' il reïteroit par expres: Croyez que si cette mesme institution eust esté auparavant faite dedans Paris par l' Empereur son pere, il n' eust pas espargné cet exemple pour exciter ceux ausquels il avoit affaire, pour estre induits à luy obeïr.

J' adjouste que Charlemagne fit tenir pendant son Empire cinq Concils, à Majence, Rheims, Tours, Arles, & Chaalons sur Saone, & apres son decez Louys le Debonnaire son fils, puis Charles le Chauve son arriere-fils plusieurs autres, en tous lesquels nulle mention de cette Université, ny des Escholes qui y furent lors, ny depuis dressees. Car quant à tous les autres Roys qui sont venus depuis le Roy Louys le Gros, vous ne trouvez que chamaillis, coups d' espees, & à peu dire images des Rois, jusques à la venuë de Hugues Capet, & encore moins aucun soucy des sciences, non pas mesmes sous les mesmes Capet, Robert, Henry, Philippes premier de ce nom. Il estoit question d' assassiner un vieux Estat, & en asseurer un nouvel, puis de faire nouvelles conquestes au Levant sur les Sarrazins. En tous les livres qui ont esté diversement escrits de ce qui estoit de ce temps là, vous ne trouverez un seul mot de ces pretenduës Escoles. Qui me semblent grands arguments, pour monstrer que ce que l' on dict de Charlemagne, & de l' Anglois, & des Escossois est une Histoire fabuleuse. Singulierement eu esgard que tout ce que j' ay deduit cy-dessus prend sa source, dés & depuis Charlemagne sans discontinuation, & si ainsi me permettez de le dire de fil en aiguille, jusques à nostre Philippes II. qui fut le quatriesme Roy successif de nostre troisiesme lignee. Au contraire le plus ancien auquel nous sommes redeuables de cette creation faite par Charlemagne, c' est à Vincent de Beauvais, Religieux de l' Ordre des Freres Prescheurs de sainct Dominique, qui nasquit en Espagne l' an 1205. & mourut l' an 1258. Au regard de Charlemagne, qui nasquit l' an 742. & mourut l' an 814. Prenez tout cet entrejet de temps de sa nativité jusques à son decez, & le joignez à celuy de Vincent, vous y trouverez quelques quatre cens ans d' intervalle que plus que moins. Et luy mesme recognoist ne la tenir que d' une Cronique d' Arles, qui est sans nom, & depuis s' est avecques le temps perduë. Joint que je fais grand estat d' un Paule Emile, d' un Jean du Tillet Evesque, Jean du Tillet Greffier au Parlement son frere, Claude Fauchet premier President des Monnoyes, qui n' ont rien ignoré de nostre Histoire, & neantmoins passent ce present discours sous silence. Et ores que Pierre Maçon, & Jean de Serre, facent Charlemagne fondateur, l' un & l' autre oublie le compte des Moines Escossois: & signamment de Serre apres avoir sur le commencement de la vie, dit en passant que Charlemagne avoit esté fondateur de nostre Université, & poursuivant puis apres d' un long discours toute cette histoire, il ne touche un seul mot concernant cette fondation, non plus que Belle-Forest. Il n' est pas que Veigner au second Tome de son Histoire, apres avoir fait contenance de favoriser cette opinion, la contredit immediatement en l' article subsequent. Antoine l' Oisel Advocat, en son plaidoyé concernant la Collation de l' Eglise Parrochiale de Sainct Cosme & Sainct Damien, la soustint formellement estre supposee. Comme j' avois fait auparavant en l' an 1564. & depuis par le 23. chap. de mon 3. Livre, lequel vous pourrez pareillement voir, comme y estans plusieurs autres raisons deduites, que je n' ay icy touchees. Partant mettez en la balance les deux opinions qui regardent cette fondation, vous trouverez que celle qui est pour la negative est la meilleure. Voyons doncques maintenant quelle fut l' Institution & progrez de cette Université.