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jueves, 27 de julio de 2023

7. 5. Des Chants Royaux, Ballades, & Rondeaux.

Des Chants Royaux, Ballades, & Rondeaux.

CHAPITRE V.

Tel fut le cours de nostre Poësie Françoise, tel celuy de la Provençale. Et tout ainsi que cette-cy prit fin quand les Papes se vindrent habituer en Avignon, qui fut sous le regne de Philippes le Bel: Temps auquel, & un Dante, & un Petrarque se firent riches des plumes de nos Provençaux, & commencerent de planter leur Poësie Toscane en la Provence, où Petrarque se choisit pour Maistresse la Laura Gentil-femme Provençale: Aussi le semblable advint-il vers le mesme temps à nostre Poësie Françoise, pour le nombre effrené d' un tas de gaste-papiers qui s' estoient meslez de ce mestier. Au moyen dequoy au lieu de la Poësie qui souloit representer les exploits d' armes des braves Princes & grands Seigneurs, commença de s' insinuer entre nous une nouvelle forme de les escrire en prose sous le nom & tiltre de Romans, les uns en l' honneur de l' Empereur Charlemagne, & de ses guerriers, les autres du Roy Artus de Bretagne, & des siens qu' ils appellerent Chevaliers de la table ronde. Livres dont une plume mesnagere pourroit bien faire son profit si elle vouloit, pour l' advancement & exaltation de nostre langue. Vray que comme toutes choses se changent selon la diversité des temps, aussi apres que nostre Poësie Françoise fut demeuree quelques longues annees en friche, on commença d' enter (entrer) sur son vieux tige, certains nouveaux fruits auparavant incogneus à tous nos anciens Poëtes: Ce furent Chants Royaux, Ballades, & Rondeaux. Je mets en premier lieu le Chant Royal comme la plus digne piece de cette nouvelle Poësie, & se faisoit, ou en l' honneur de Dieu, ou de la Vierge sa mere, ou sur quelque autre grand argument, & non seulement la plus digne, mais aussi la plus penible. Et parce que depuis le regne de Henry deuxiesme nous avons perdu l' usage de ces trois pieces, je vous en representeray icy le formulaire. Au Chant Royal le fatiste (ainsi nommerent-ils le Poëte d' un mot François symbolizant avecques le Grec) estoit obligé de faire cinq onzaines en vers de dix syllabes, que nous appellons heroïques, & sur le modele de ce premier, falloit que tous les autres tombassent en la mesme ordonnance qu' estoit la rime du premier, & fussent pareillement accolez mot pour mot du dernier vers, qu' ils appelloient le Refrain. Et en fin fermoient leur Chant Royal par cinq vers, qu' ils nommoient Renvoy, gardans la mesme reigle qu' aux autres, par lesquels, les addressant à un Prince, ils recapituloient en bref ce qu' ils avoient amplement discouru dedans le corps de leur Poëme.

Par exemple, Clement Marot en fit quatre, dont le premier estoit sur la Conception.

Lors que le Roy par haut desir & cure

Delibera d' aller vaincre ennemis,

Et retirer de leur prison obscure

Ceux de son ost à grands tourmens soubmis,

Il envoya ses fourriers en Judee

Prendre logis sur place bien fondee:

Puis commanda rendre en forme facile,

Un pavillon pour exquis domicile:

Dedans lequel dresser il proposa

Son lict de camp, nommé en plein Concile,

La digne couche où le Roy reposa.

Au pavillon sur la riche peinture,

Monstrant par qui nos pechez sont remis:

C' estoit la nuë ayant en sa closture

Le jardin clos, à tous humains promis.

La grand cité des hauts Cieux regardee, 

Le Lys Royal, l' olive collaudee,

Avec la tour de David immobile.

Parquoy l' ouvrier sur tous le plus habile,

En lieu si noble assit & apposa

(Mettant à fin le lict de la Sibylle)

La digne couche où le Roy reposa.

Les trois autres qui suyvent sont tous de cette mesme parure: & finalement pour conclusion le renvoy s' adresse au Prince. 

Prince je prens en mon sens puerile,

Le pavillon pour Saincte Anne sterile:

Le Roy pour Dieu, qui aux Cieux repos a: 

Et Marie est (vray comme l' Evangile) 

La digne couche où le Roy reposa. 

Servitude certes, que je ne die gesne d' esprit admirable, & neantmoins ils en sortoient à leur honneur. Quant à la Ballade, c' estoit un chant Royal racoursi au petit pied, auquel toutes les reigles de l' autre s' observoient & en la suitte continuelle de la rime, & en la closture du vers, & au Renvoy, mais ils se passoient par trois ou quatre dizains ou huitains, & encores en vers de sept, huit, ou dix syllabes à la discretion du fatiste, & en tel argument qu' il vouloit choisir. Au regard du Rondeau, il avoit son logis à part de la façon qu' est celuy de Marot au Seigneur Theocrenus lisant à ses disciples.

Plus profitable est de t' escouter lire, 

Que d' Apollo ouyr toucher la lire, 

Où ne se prend plaisir que pour l' oreille:

Mais en ta langue ornee & nompareille, 

Chacun y peut plaisir & fruict eslire.

Ainsi d' autant qu' un Dieu doit faire & dire 

Mieux qu' un mortel, chose où n' ait que redire: 

D' autant il faut estimer ta merveille. 

Plus profitable. 

Bref si dormir plus que veiller peut nuire,

Tu dois en loz par sus Mercure bruire: 

Car il endort l' œil de celuy qui veille: 

Et ton parler les endormis esveille, 

Pour quelque jour à repos les conduire, 

Plus profitable.

Si ces trois especes de Poësie estoient encores en usage, je ne les vous eusse icy representees, comme sur un tableau: vous les recevrez de moy comme d' une antiquaille. Toute mon intention estoit & est de vous monstrer dont provenoit, que combien que les Chants Royaux & Ballades ne parlassent en aucune façon des Princes, toutes-fois leurs conclusions aboutissent seulement en eux.

Et parce que de cecy depend la cognoissance d' une ancienneté qui est incognuë, la verité est qu' en telles matieres d' esprit, les nostres ont tousjours esté sur toutes autres nations desireux de l' honneur. C' est pourquoy dés le temps mesme de Juvenal, dedans Lyon, ceux qui faisoient profession de declamer, sembloient subir une ignominie quand ils estoient vaincus. 

Aut Lugdunensem Rhetor dicturus ad aram. 

Il n' est pas qu' en ma jeunesse és disputes qui se faisoient entre nous dedans nos Classes, celuy qui avoit mal respondu, estoit par nous appellé Reus, comme si on luy eust faict son procez. Il en prit autrement à nos vieux Poëtes. Car comme ainsi fust qu' ils eussent certains jeux de prix en leurs Poësies, ils ne condamnoient point celuy qui faisoit le plus mal, mais bien honoroient du nom, tantost de Roy, tantost de Prince, celuy qui avoit le mieux fait, comme nous voyons entre les Archers, Arbalestiers, & Harquebusiers estre fait le semblable. Ainsi l' autheur du Roman d' Oger le Danois s' appelle Roy. 

Icy endroict est cil livre finez, 

Qui des enfance Oger est appellez: 

Or vueille Diex qu' il soit parachevez,

En tel maniere kestre n' en puist blasmez, 

Li Roy Adams par Ki il est rimez.

Et en celuy de Cleomades.

Ce livre de Cleomades 

Rimé-ie le Roy Adenes,

Menestré au bon Duc Henry.

Mot de Roy qui seroit tres-mal approprié à un Menestrier, si d' ailleurs on ne le rapportoit à un jeu de prix: & de faict il semble que de nostre temps, il y en eust encores quelques remarques, en ce que le mot de Iouingleur (Jovingleur) s' estant par succession de temps tourné en batelage, nous avons veu en nostre jeunesse les Jovingleurs se trouver à certain jour tous les ans en la ville de Chauny en Picardie, pour faire monstre de leur mestier devant le monde, à qui mieux mieux: Et ce que j' en dis icy n' est pas pour vilipender ces anciens Rimeurs, ains pour monstrer qu' il n' y a chose si belle qui ne s' aneantisse avec le temps.

Toutes-fois cette ancienneté se pourra encores mieux averer par le moyen des Chants Royaux, Ballades, & Renvois d' iceux dont je parlois maintenant. Tous ces Chants, comme j' ay dit, estoient dediez à l' honneur, & celebration des Festes les plus celebres, comme de la Nativité de nostre Seigneur, de sa Passion, de la Conception nostre Dame, & ainsi des autres: la fin estoit un couplet de cinq, ou six vers que l' on adressoit à un Prince, duquel on n' avoit faict aucune mention par tout le discours du Chant. Chose qui peut apprester à penser à celuy qui ne sçavra cette ancienneté. La verité doncques est (que j' ay apprise du vieux art Poëtique François par moy cy-dessus allegué) que l' on celebroit en plusieurs endroits de la France des jeux Floraux, où celuy qui avoit rapporté l' honneur de mieux escrire, estant appellé tantost Roy, tantost Prince, quand il falloit renouveller les jeux, donnoit ordinairement de ces Chants à faire, qui furent pour cette cause appellez Royaux, d' autant que de toute leur Poësie, cestuy estoit le plus riche sujet qui estoit donné par le Roy, lequel donnoit aussi des Ballades à faire, qui estoient comme demy Chants Royaux. Ces jeunes Fatistes ayans composé ce qui leur estoit enjoinct, reblandissoient à la fin de leurs Chants Royaux & Ballades leur Prince, a fin qu' en l' honorant ils fussent aussi par luy gratifiez, & lors il distribuoit Chapeaux & Couronnes de fleurs, à uns & autres, selon le plus ou le moins qu' ils avoient bien faict. Chose qui s' observe encores dans Tholose, où l' on baille l' Englantine à celuy qui a gaigné le dessus, au second la Soulcie, & quelques autres fleurs par ordre, le tout toutes-fois d' argent: Et porte encores cet honneste exercice le nom de jeux Floraux, tout ainsi qu' anciennement.

Ces Chants Royaux, Ballades, Rondeaux & Pastorales, commencerent d' avoir cours vers le regne de Charles cinquiesme, sous lequel tout ainsi que le Royaume se trouva riche & florissant, aussi les bonnes lettres commencerent de reprendre leur force, lesquelles il eut en telle recommandation, qu' il fit mettre en François la plus grande partie des œuvres d' Aristote par Maistre Nicole Oresme, qu' il fit Evesque de Lizieux. Celuy que je voy avoir grandement advancé cette nouvelle Poësie, fut Jean Froissard qui nous fit aussi present de cette longue Histoire que nous avons de luy, depuis Philippes de Valois jusques en l' an 1400. Et m' estonne comme il n' ait esté recommandé par l' ancienneté en cette qualité de Poëte: Car autres-fois ay-je veu en la Bibliotheque du grand Roy François à Fontainebleau un grand Tome de ses Poësies, dont l' intitulation estoit telle: Vous devez sçavoir que dedans ce livre sont contenus plusiour dictié ou traitié amoureux & de moralité, lesquels sire Jean Froissard Prestre & Chanoine de Canay, & de la nation de la Comté de Hainaut & de la ville de Valentianes, a fait dicter & ordonner à l' aide de Dieu & d' Amours, à la contemplation de plusieurs Nobles & vaillans, & les commença de faire sur l' an de grace 1362. & les cloist en l' an de grace 1394. Le Paradis d' Amour, le Temple d' Honneur, un traité où il loüe le mois de May, la fleur de la Marguerite, plusieurs Laiz amoureux, Pastoralles, la Prison amoureuse, Chansons Royalles en l' honneur de nostre Dame, le Dicté de l' Espinette amoureuse, Balade, Virelaiz, & Rondeaux, le Plaidoyé de la Roze, & de la Violette. Je vous ay voulu par exprés cotter mot apres mot cette Intitulation: D' autant que depuis ce temps-là, toute nostre Poësie consistoit presque en toutes ces mignardises. Apres luy fut sous Charles VII. Maistre Alain Chartier Secretaire du Roy, qui escrivit en Vers & en Prose, auquel j' ay donné son chapitre particulier au 5. de ces presentes Recherches. Tout cet entrejet de temps jusques vers l' advenement du Roy François I. de ce nom, nous enfanta plusieurs Rimeurs, les uns plus, les autres moins recommandez par leurs œuvres: Arnoul, & Simon Grebans freres nez de la ville du Mans, Georges Chastelain, François de Villon, Coquillard Official de Reims, Meschinot, Moulinet, mais sur tous me plaist celuy qui composa la Farce de Maistre Pierre Patelin, duquel encore que je ne sçache le nom, si puis-je dire que cette Farce tant en son tout, que parcelles, fait contrecarre aux Comedies des Grecs & Romains. Le premier qui à bonnes enseignes donna vogue à nostre Poësie, fut Maistre Jean le Maire de Belges, auquel nous sommes infiniment redeuables, non seulement pour son Livre de l' Illustration des Gaules, mais aussi pour avoir grandement enrichy nostre langue d' une infinité de beaux traicts tant en Prose que Poësie, dont les mieux escrivans de nostre temps se sont sçeu quelques-fois fort bien aider. Car il est certain que les plus riches traits de cette belle Hymne que nostre Ronsard fit sur la mort de la Roine de Navarre, sont tirez de luy au jugement que Paris donna aux trois Deesses. Cet Autheur florit sous le regne de Louys XII. & veit celuy de François premier. Nostre gentil Clement Marot en la seconde impression de ses œuvres recognoissoit que ce fut luy qui luy enseigna de ne faillir en la coupe feminine au milieu d' un vers. Le mesme Marot en un Epigramme qu' il fit à Hugue Salel son Concitoyen, à l' imitation de Martial, fait estat de quelques Poëtes tant anciens, que de son temps.

De Jean de Mehun s' enfle le cours de Loire, 

En Maistre Alain Normandie prend gloire,

Et plaint encor' mon arbre paternel,

Octavian rend Cougnac eternel, 

De Moulinet, de Jean le Maire, & Georges,

Ceux de Hainaut chantent à pleines gorges,

Les deux Grebans ont le Mans honoré, 

Nante la Brete en Meschinoit se baigne,

De Coquillart s' esjouït la Champagne,

Quercy, de toy Salet, se vantera,

Et comme croy de moy ne se taira.

Je voy que les deux Grebans freres dont Marot fait mention furent grandement celebrez, par les nostres. Car Jean le Maire en sa preface du Temple de Venus les meit au nombre de ceux qui avoient mieux escrit en nostre langue. Le semblable fait Geoffroy Toré en son Champ flory, & neantmoins recognoissoit n' avoir rien veu de leur façon fors une oraison d' Arnoul qui estoit dedans un tableau en l' Eglise des Bernardins à Paris, addresee à la Vierge Marie, dont le commencement estoit. En protestant. Et que les premieres lettres du dernier couplet contenoient son nom & surnom. Arnaldus Grebans me. L' autheur du vieux art Poëtic François recite tout au long une complainte par luy faicte, dont je copiay seulement ces trois couplets en la ville de Blois, où j' eus communication du livre.

A vous Dame je me complains,

Je vois pleurant par vaux & plains,

Je ne cognois que pleurs & plains

Puis que ie vis.

Vostre gent & gratieux vis,

J' aime mieux estre mort que vis, 

Neantmoins plus volontiers qu' enuis

Je me soubmets

Au Dieu d' Amour, qui desormais

Me fait servir d' estranges mets

De danger & de refus, mais

C' est pour aimer.

Et ainsi vont plusieurs autres couplets que je regrette grandement n' avoir copiez, n' estimant pas lors que ce fust une piece dont je me deusse un jour aider. Joinct que l' Autheur dit que cest Arnoul fut le premier inventeur en cette France de cette maniere de rime, qui n' estoit pas pauvre.

Le Roy Louys douziesme estant decedé, luy succeda le grand Roy François I. de ce nom, qui fut restaurateur des bonnes lettres, & son exemple excita une infinité de bons esprits à bien faire, mesmes au subject de la Poësie Françoise, entre lesquels Clement Marot, & Melin de sainct Gelais eurent le prix: aussi sembloient-ils avoir apporté du ventre de leurs meres la Poësie: Car Jean Marot pere de Clement fut Poëte assez elegant, duquel j' ay veu plusieurs petites œuvres Poëtiques qui n' estoient de mauvaise grace: Et Octavian pere de Melin mit en vers François toutes les Epistres d' Ovide: C' est pourquoy Clement Marot disoit que la Normandie plaignoit son arbre paternel, & qu'  Octavian rendoit Cougnac eternel. Or se rendirent Clement & Melin recommandables par diverses voyes, celuy-là pour beaucoup & fluidement, cestuy pour peu & gratieusement escrire. Ce dernier produisoit de petites fleurs, & non fruits d' aucune duree, c' estoient des mignardises qui couroient de fois à autres par les mains des Courtisans

& Dames de Cour, qui luy estoit une grande prudence. Parce qu' apres sa mort, on fit imprimer un recueil de ses œuvres, qui mourut presque aussi tost qu' il vit le jour: Mais quant à Clement Marot ses œuvres  furent recueillies favorablement de chacun. Il avoit une veine grandement fluide, un vers non affecté, un sens fort bon, & encores qu' il ne fust accompagné de bonnes Lettres, ainsi que ceux qui vindrent apres luy, si n' en estoit-il si desgarny qu' il ne les mist souvent en œuvre fort à propos. Bref, jamais livre ne fut tant vendu que le sien, je n' en excepteray un tout seul de ceux qui ont eu la vogue depuis luy. Il fit plusieurs œuvres tant de son invention que traduction, avec un tres-heureux Genius: Mais entre ses inventions je trouve le livre de ses Epigrammes tres-plaisant: Et entre ses traductions il se rendit admirable en celle des 50. Pseaumes de David, aidé de Vatable Professeur du Roy és lettres Hebraïques, & y besongna de telle main, que quiconque a voulu parachever le Psautier, n' a peu attaindre à son parangon: C' a esté une Venus d' Apelles. Ce bel esprit eut pour ennemy de sa vertu un Sagon, qui se mesla d' escrire contre luy, mais il y perdit sa peine. Ce mesme regne enfanta aussi d' autres nobles esprits, entre lesquels je fais grand grand compte d' Heroët en sa Parfaite amie: Petit œuvre, mais qui en sa petitesse surmonte les gros ouvrages de plusieurs. Aussi fiorit de ce temps-là Hugue Salet qui acquit grand nom par sa traduction d' unze livres de l' Iliade d' Homere. Quelques uns honoroient Guillaume Cretin duquel je parleray plus amplement au dernier Chapitre. Je mettray entre les Poëtes du mesme temps, François Rabelais: car combien qu' il ait escrit en prose les faits Heroïques de Gargantua & Pantagruel, si estoit-il mis au rang des Poëtes, comme j' apprens de la response que Marot fit à Sagon sous le nom de Fripelipes son valet:

Je ne voy point qu' un sainct Gelais, 

Un Heroet, un Rabelais:

Un Brodeau, un Seve, un Chapuy, 

Voisent escrivans contre luy.

Cestuy és gayetez qu' il mit en lumiere, se mocquant de toutes choses, se rendit le nompareil. De ma part je recognoistray franchement avoir l' esprit si folastre, que je ne me lassay jamais de le lire, & ne le leu oncques que je n' y trouvasse matiere de rire, & d' en faire mon profit tout ensemble.

Je vous laisse à part Estienne Dolet, qui traduit en François les Epistres de Ciceron, Jean Martin, les Azolains de Bembo, & l' Arcadie de Sannazar, & Jean le Maçon, le Decameron de Boccace: Parce qu' ils n' eurent autre sujet que de traduire, & neantmoins nostre langue ne leur est pas peu redeuable: mais sur tous à Nicolas de Herberay, sieur des Essars aux huit livres d' Amadis de Gaule, & specialement au huictiesme: Roman dans lequel vous pouvez cueillir toutes les belles fleurs de nostre langue Françoise. Jamais livre ne fut embrassé avec tant de faveur que cestuy, l' espace de vingt ans ou environ: Et neantmoins la memoire en semble estre aujourd'huy esvanoüie. Du Bellay l' honora d' une longue Ode dans son cercueil: Qui est la plus belle de toutes les siennes. Mais pour clorre la Poësie qui fut lors, je vous diray qu' encores fut elle honoree par le Roy François I. lequel composa quelques chansons non mal faites, qui furent mises en Musique: Mesme fit l' Epitaphe de la Laure, tant honoré par les Italiens, qu' il n' y a eu depuis presque aucun Petrarque imprimé, où ce petit eschantillon ne soit mis au frontispice du livre. Et sur tout faut que nous solemnizions la memoire de cette grande Princesse Marguerite sa sœur, Roine de Navarre, laquelle nous fit paroistre par sa Marguerite des Marguerites (ainsi est intitulee sa Poësie) combien peut l' esprit d' une femme, quand il s' exerce à bien faire: C' est elle qui fit encore des Comptes à l' imitation de Boccace.