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sábado, 3 de junio de 2023

3. 5. De la dignité de Cardinal introduite en l' Eglise Romaine.

De la dignité de Cardinal introduite en l' Eglise Romaine.

CHAPITRE V.

Lors des premiers departemens, & distributions de l' Eglise, il n' y avoit nulle difference entre l' Evesque & le Prestre, ains nous voyons és sainctes lettres, indiferemment être appellez par les Apostres, tantost Prestres, tantost Evesques, ceux qui tenoient le premier rang de l' Eglise: Ceste police toutesfois ne demeura pas longuement en essence, comme j' ay remonstré cy-dessus au premier chapitre de ce livre. A quoy je puis adjouster que sainct Hierosme escrivant à Evagre, nous tesmoigne que dés le temps mesmes de sainct Marc, ou peu apres en Alexandrie fut deferé la Primauté de l' Eglise à l' Evesque, & le second lieu aux Prestres, qui avoient la charge des petites Eglises separees de la grande Eglise. Comme aussi nous apprend Sozomene livre premier. Police qui s' espandit depuis par la plus grande partie des Eglises de tout l' univers. Parce que Tertullian qui estoit sept ou huict-vingts ans apres la passion de nostre Seigneur Jesus Christ en son traicté du Baptesme, disoit que la premiere puissance de baptiser residoit en l' Evesque, & apres luy aux Prestres, non toutes fois sans authorité de l' Evesque. Aussi voyons nous lettres de S. Cyprian escrites aux Prestres, & Diacres de son Diocese: & au Concil de Cartage qu' il tint sur la question, de sçavoir s' il falloit rebaptizer celuy qui avoit esté baptizé par des heretiques, se trouverent des Evesques, Prestres, & Diacres.

Institution qui estoit aussi deslors fort frequente en l' Eglise Romaine, parce que comme nous aprenons d' Eusebe au sixiesme livre, Corneille Evesque de ce lieu, contemporain de S. Cyprian, escrivant à Fabian Evesque d' Anthioche, de l' impudance de Novat Heresiarche, qui s' estoit fait sacrer Evesque dans Rome. Il se deust (dit-il) souvenir qu' en l' Eglise Catholique de Rome, n' y a qu' un Evesque, quarante six Prestres, sept Diacres, sept Soudiacres, quarante deux Acolites, cinquante deux Exorcistes & Lecteurs. Et à tant je m' estonne où Gratian Moine, auquel je desirerois quelque fois, ou plus de jugement, ou plus certaine information de l' ancienneté, nous a esté dans son Decret trouver une Epistre de Denis à l' Evesque de Cordube, où il se fait premier introducteur de ceste discipline dans Rome: Denis (dy-je) qui fut le quatriesme Pape en ordre, apres Corneille.

En l' Assemblee generale des Prestres gisoit le Senat, ou Conseil commun de chaque Evesché. Car les Colleges de Chanoines qui depuis ont esté introduits en chaque Eglise Cathedrale, n' estoient adoncques en usage, ains est une police beaucoup plus nouvelle: encores que je sçache bien que quelques doctes personnages de nostre temps ayent pensé le contraire. Toutesfois ne voyant aucun Concil ancien qui parle de ces Chanoines, ains seulement vers le temps de Charlemaigne, je ne me puis persuader que leur introduction soit si ancienne. Car mal aisément que comme hommes, ils ne se fussent detraquez de fois à autres de leurs devoirs, & qu' il n' eust esté requis pour leur discipline, y apporter quelques reglemens, par les Concils, comme vous voyez que l' on fit aux Moines: tellement que je rapporte ceste invention bien avant sur le declin de l' Empire, & advenement de noz Roys de France. Tant y a que Gregoire de Tours, sur la fin de son Histoire nous tesmoigne qu' en l' Eglise de Tours, qui estoit Metropolitaine, & l' une des plus recommandees de la France, Baudin seiziesme Archevesque, du temps du Roy Clotaire premier, institua le College des Chanoines en son Eglise: joinct que je ne croiray jamais que ceux là fussent estimez comme premiers Senateurs de leurs Eglises, qui n' estoient necessitez d' être Prestres. Mais si je ne m' abuse, c' estoit une pepiniere de gens d' honneur, que les Evesques avoient autour d' eux, les uns Diacres, autres Soudiacres, pour les transplanter puis apres selon les occasions aux autres Eglises, en les faisans Prestres: je veux dire en leur conferant les Eglises, qui n' estoient destinees qu' aux Prestres, que depuis nous appellames Curez. Vray que depuis, comme toutes choses se changent avecq' le temps, on en avroit fait des Colleges de Chanoines. Mais encores leur est demouree ceste ancienne remarque, qu' ils peuvent tenir des Prebendes, & Chanoinies sans être Prestres. Cela soit par moy touché en passant.

Ces Prestres doncques dont j' ay parlé, estoient ceux par l' advis desquels se faisoient du commencement par l' Evesque les resolutions generales, qui concernoient son Eglise. Ainsi voyons nous sainct Cyprian s' excuser envers les Prestres, & Diacres de Carthage, de ce que combien qu' il n' accoustumé de donner les ordres de Prestrise, sans avoir premierement leur advis, toutesfois il les prie trouver bon qu' à leur deceu il eust fait Aureille, Lecteur, pour l' avoir trouvé en sa conscience digne de plus grand charge. Estoient appellez aux Concils pour y avoir voix deliberative, comme de faict au Concil de Carthage, tenu souz le mesme sainct Cyprian, ils s' y trouverent. Et l' Evesché venant à vacquer, ceux-là mesmes estoient assemblez, & par leur commun suffrage l' un d' entr' eux estoit éleu. Coustume que S. Hierosme disoit avoir esté inviolablement observee dans Alexandrie, depuis la mort de S. Marc, jusques à Heraclit & Denis Evesques.

Ceste mesme coustume s' observa religieusement dedans Rome, où ils firent estat de leurs Prestres, comme d' un bien grand Senat. Tellement que lors qu' il se presentoit matiere de poids, en laquelle y avoit quelque obscurité, ils tenoient leur consistoire avecq' eux. Et de ce en voyons nous un exemple tres-signalé dans S. Gregoire, au livre onziesme de ses Epistres, où il dit que Probus s' estant voulu rendre hermite, & sequestrer du monde à volonté seulement, toutesfois ayant esté par S. Gregoire faict Abbé lors que moins il y pensoit, on ne luy avoit donné le loisir de disposer de ses biens avant que d' avoir fait vœu de pauvreté. Pour ceste cause il presenta une requeste à S. Gregoire, narrative de ce que dessus, par laquelle il demandoit permission de pouvoir ordonner de son bien pour une fois, tout ainsi qu' il luy estoit loisible auparavant. Ceste requeste prise par S. Gregoire, il la communique au consistoire, & par l' advis (porte le texte) de quelques Evesques de l' ancien Archevesché de Rome, & des Prestres, il fut permis à Probus de disposer de son bien, pour les causes portees par la sentence. Pareillement assistoient presque ordinairement aux Concils qui se tenoient dedans Rome. Ainsi lisons nous dans Eusebe, livre quatriesme, qu' en celuy qui fut tenu contre l' heresie de Novat, il y avoit soixante Evesques, autant de Prestres, & quelques Diacres. Le semblable en ceux que tindrent S. Gregoire, Martin premier, & Gregoire second. Bref vous en voyez peu dedans ceste ville là, où on ne leur deferast cest honneur. En tous lesquels ils ne sont encores appellez Prestres Cardinaux, ains Prestres de telle, ou telle Eglise, c' est à dire Curez, comme l' on pourra plus amplement recognoistre, qui voudra avoir recours à la lecture de ces Concils.

Ceux-cy doncques qui du commencement furent appellez dans Rome Prestres, prindrent avec le temps tiltre & qualité de Prestres Cardinaux. Et voicy comment. Lors que le barbarisme se logea dans la langue Latine, & que ceux qui pensoient mieux parler Latin, le parloient aussi mal que bien: ils userent de ce mot de Cardinal, pour premier, ou plus grand, voire furent si hardis d' en faire un Verbe Cardinalare, pour donner la premiere seance, ou plus haut lieu à quelqu' un. Mots incogneuz à ceux qui auparavant avoient fait profession de bien dire, & neantmoins derivez d' une diction Latine tres-elegante. Vous trouverez frequente mention du mot de Cardinal dans sainct Gregoire, lors qu' il veut signifier une dignité premiere: Au second livres de ses Epistres, en la troisiesme, il appelle l' Evesque de Naples, Episcopum Cardinalem, pour autant qu' il estoit Archevesque, & par consequent l' un des premiers Evesques de la Pouille. Au mesme livre, és Epistres 15. 77. & 79. Au livre troisiesme, chapitre vingt-cinquiesme, ordonnant divers Evesques, tant en la Sardaigne qu' autres endroits, il les appelle tantost, Cardinales Sacerdotes, tantost, Cardinales Presbyteros: par ce que l' Evesque estoit le plus grand de tous les Prestres. Le semblable fait-il, parlant des Archidiacres. Car au livre premier, Epistre octante & uniesme, il exhorte Januaire Evesque de donner le dernier lieu entre les Diacres à Reparat, puis que si ambitieusement il poursuivoit d' être Cardinal Diacre. Et au cinquiesme livre à Fortunat Evesque de Naples, il use du mot de Cardinalare, & luy mande qu' il a estably dedans Naples un quidam Cardinal Diacre. C' estoit qu' il l' avoit fait ou premier Diacre, ou Archidiacre. Paroles que le mesme autheur confond au commencement du deuxiesme livre.

Tous lesquels passages ne se rapportent ny aux Prestres, ny aux Diacres Cardinaux de Rome, lesquels aussi n' estoient lors, ny longuement apres en essence: mais la confusion & desordre qui advint depuis en l' Eglise en apporta l' usage. Parce qu' au lieu que nul auparavant n' estoit fait Prestre, qui ne fust par mesme moyen chargé d' un tiltre, je veux dire auquel ne fust commise la garde d' une Eglise particuliere, que nous appellons maintenant Parroisse, les Prelats par leur avarice commençans de tirer argent de leurs Ordres Ecclesiastics, meirent aussi ces mesmes Ordres en grand desordre, & abandon: & commença l' on de faire en l' Eglise une infinité de Prestres volans, & sans tiltre. Cela fut cause que le nom de Prestre residant tant aux premiers, que derniers indifferemment, l' on fut contrainct dedans Rome, pour y mettre distinction, qualifier les premiers d' un plus hault tiltre. Et à ceste raison meirent-ils en œuvre le mot de Cardinal pour les premiers, les appellans Cardinaux Prestres, comme les plus grands Prestres de l' Eglise Romaine, à la difference de ceux qui estoient simples Prestres, & sans dignité: & nous autres François, ausquels la diction de Cardinal n' estoit si familiere qu' aux Romains, les appellasmes Presbyteros Parochiales, Prestres Parochiaux, comme ceux qui iouyssoient actuellement de certaines Paroisses, & Eglises. Et d' eux est faite mention expresse au troisiesme Concil de Tours article 45. & en un autre tenu à Valence sous le Roy Lothaire, article neufiesme, & encores au quinziesme article de celuy de Chaalons sur Saulne, du temps de Charles le Grand. Et d' avantage se trouve passage par lequel en ces pays nous usames du mesme mot de Cardinal de la façon que dessus dans Rome, en un Concil tenu à Mets sous Charles le Chauve, article cinquante & quatriesme, portant: Ut titulos Cardinales in urbibus, vel suburbiis constitutos, Episcopi, canonicè & honestè sine retractatione ordinent & disponant. Que les Evesques ordonnent tiltres Cardinaux tant és villes, qu' en leurs fauxbourgs, canoniquement, & par honneur, sans aucune retractation. C' estoit à dire que les Evesques eussent à establir en certains lieux des Curez, lesquels il appelle Cardinaux. Rheginon Abbé qui vivoit du temps de Charles le Simple, parlant d' un Hilduin, qui fut depuis fait Archevesque de Cologne au pourchas de Charles le Chauve, dit que pour luy faire obtenir cest Archevesché il le fit auparavant ordinare Presbyterum ad titulum sancti Petri praedictae Metropolis. Ce que nous voyons avoir esté fort commun dans Rome, quand ils joignent ce mot de Cardinal, & de tiltre ensemble les appellans Cardinales Praesbyteros tituli sancti Laurentis, sancti Ioannis, & ainsi des autres.

Voila pour le regard des Prestres Cardinaux: mais il y peut avoir plus d' obscurité aux Diacres, qui estoient simples assesseurs des Prestres: voire que par les anciens Canons leur estoit defendu de s' asseoir avecq' les Prestres, & de n' entreprendre aucun ministere des saincts Sacremens, sinon en leur absence sur peine d' Anatheme. Toutesfois qui rapassera icy sommairement comme les choses se manierent particulierement en l' Eglise de Rome, il s' en trouvera aisément satisfait. Combien que ceste Eglise abondast en Prestres titulez, si eust-elle tousjours peu de Diacres. Et de fait Nicephore au livre douziesme de son Histoire nous tesmoigne que les Romains garderent longuement ceste ancienne institution des Apostres, de n' avoir en leur Eglise que sept Diacres, combien que par tout ailleurs les Evesques se donnassent Loy d' en creer tant qu' il leur plaisoit. Et de fait vous voyez en l' Epistre de Corneille Pape par moy cy dessus alleguee, que de son temps mesmes il disoit qu' il y avoit dans Rome quarante six Prestres, & sept Diacres seulement. Le nombre effrené des Prestres qui y estoient (disoit S. Hierosme escrivant à Evagre) & le peu qu' il y avoit de Diacres, rendit ceux-là contemptibles, & ceux-cy au contraire respectez. Tellement que ce grand personnage se plaignant des prerogatives que les Diacres s' estoient donnez dedans Rome, dit qu' ils pouvoient en ce lieu porter tesmoignage contre le Prestre, & qu' il avoit veu quelque fois un Diacre s' asseoir dans l' Eglise au rang des Prestres, & en un disner benir la table en la presence d' un Prestre sans scandale: Bref se parangonner avecq' les Prestres, ce que l' on n' eust osé nullement faire en toutes les autres Eglises de la Chrestienté. De là vint que les Diacres estans dans Rome en petit nombre, & pour ceste cause authorisez de la façon que dessus, ayant esté donné aux Prestres le tiltre de Cardinal, aussi fut ce mesme tiltre pris par les Diacres, qui furent appellez Cardinaux Diacres, comme les autres Cardinaux Prestres.

Les Evesques de l' ancien, & originaire Diocese de Rome ne prenoient lors le tiltre de Cardinaux: & neantmoins ne laissoient en ceste qualité d' Evesques d' être mis devant les Prestres, & Diacres, jaçoit qu' on les appellast Cardinaux. Comme vous en verrez un exemple notable dans Luithprand du temps d' Othon premier Empereur, au Concil tenu à Rome, contre Jean Pape dixiesme du nom. Qui monstre que ce n' estoit pas l' ambition qui eust premierement introduit le mot de Cardinal en l' Eglise Romaine, ains la necessité, pour mettre la distinction par moy cy dessus touchee entre les deux sortes de Prestres. Toutesfois croissant avecq' le temps la dignité du Chef en grandeur, aussi s' accreust par mesme proportion celle des membres, tournans en tiltre de grandeur ce Cardinalat. Et cela, si je ne m' abuse, advint depuis que Hugues Capet se fut emparé de la Couronne de France. J' ay leu en un vieil fragment d' Histoire d' un Religieux de Clugny nommé Glaber Radulphus, qui estoit sous le regne de Robert fils de Capet, qu' un Legat fut envoyé en France du sainct Siege à la solicitation de Foulques Comte d' Anjou pour faire la dedicace d' un Eglise par luy bastie. Misit (dit-il parlant du Pape) cum eodem Fulcone ad prædictam Basilicam sacrandam, unum ex illis, quos in beati Petri Apostolorum principis Ecclesia, Cardinales vocant.

Il envoya, fait-il, avecques Foulques pour consacrer ceste Eglise, l' un de ceux qu' ils appellent Cardinaux en l' Eglise de Sainct Pierre chef des Apostres. Duquel passage vous pouvez recueillir que l' ambition commençoit lors de se loger dans ce mot, & que cela estoit aucunement trouvé insolent par les nostres.

Depuis ce temps je ne voy point que les Cardinaux n' ayent esté en tres-grand vogue, avecq' lesquels les Evesques de l' ancien Diocese de Rome se meirent de la partie. Car estans les Papes au dessus du vent, encontre les Empereurs, Nicolas deuxiesme ordonna que l' eslection des Papes seroit seulement faite par les Cardinaux, & en apres, que l' on y appelleroit le consentement du peuple. Car combien que le Pape eust secoüé de ses pieds la poudre des Princes estrangers, si ne vouloit-il induire le peuple à revolte encontre luy. Et quelque entreject de temps apres, Innocent quatriesme voulut que ces Cardinaux pour remarque de leur grandeur, fussent habillez de pourpre, comme representans le Senat ancien de Rome. Et finalement Jean dixneufiesme ordonna que toutes les affaires de la Papauté passassent par leur consistoire: Qui estoit aucunement reprendre les arrhemens de la primitive Eglise, mais non avecq' pareille simplicité. Enquoy je puis dire que le Siege de Rome s' estant estably en la grandeur que nous le voyons maintenant, ce n' a pas esté peu de chose de la dignité de Cardinal pour le maintenir. D' autant que par ancien privilege des Papes, les Cardinaux pouvans tenir pluralité de benefices qui n' avoient charge d' ames, d' avantage n' estans tenus de resider dans Rome, sinon de tant qu' il leur plaisoit, ou que les necessitez urgentes de l' Eglise les y semonnoient, il n' y a grand Prince ou Seigneur bien aymé de son Roy en quelque Province que ce soit, qui ne s' estime à grand honneur de voir l' un de ses enfans pourveu du chapeau. Et n' en voyez gueres honorez de ce tiltre, qui ne tiennent grand rang & lieu pres de leur Prince souverain. A maniere que ce grand consistoire & Senat est par ce moyen espandu par tous les Royaumes de la Chrestienté: & autant de Cardinaux sont autant de gonds, & aides pour le soustenement de leur Chef envers les autres Princes Chrestiens. Police qui ne fut jamais pratiquee en autre Republique que celle-la.

Cardenal, Omella, Cretas, Queretes