Mostrando entradas con la etiqueta Cristo. Mostrar todas las entradas
Mostrando entradas con la etiqueta Cristo. Mostrar todas las entradas

viernes, 23 de junio de 2023

3. 37. Plaidoyé pour l' Université de Paris, encontre les Jesuistes.

Plaidoyé pour l' Université de Paris, encontre les Jesuistes

CHAPITRE XXXVII. 

Messieurs, je souhaiterois grandement que tous tant d' Advocats que nous sommes, n' eussions en recommandation les causes de nos parties privées, sinon entant que nous les verrions se rapporter à l' utilité generale & universelle de tous, ce neantmoins, je ne sçay comment ce vice s' est insinué entre nous, & mesme est reputé par quelques uns à vertu, de mettre toutes autres choses en nonchaloir, pourveu que nous parvenions au dessus de nostre entreprise. Je ne veux pas dire pour tant, que Maistre Pierre Versoris, Advocat des Jesuites, soit tombé en cette faute, le recognoissant grandement zelateur du public, singulierement és choses qui concernent la Religion Catholique: vray est que je desirerois en luy, puis que sa cause estoit si juste comme il l' a voulu trompeter sur le commencement de son plaidoyé, que sans arriereboutique il eust descouvert les moyens par lesquels il entendoit arriver à ses fins & conclusions, a fin que de nostre costé nous nous fussions apprestez de luy respondre plainement. Toutesfois par un nouveau style, apres avoir fait en ce lieu une grande levee de bouclier sur la saincte profession de ses parties, il a tout soudain sonné la retraicte, ayant nuëment & simplement recité le contenu de sa requeste. Esperant, comme il est aisé de voir, par cest inusité artifice, racourcir les moyens des deffenses que nous entendons proposer. Car quelle response sçavrions nous donner à celuy qui ne nous combat d' arguments? Et toutesfois Versoris (il faut que je vous die cecy comme amy) si vous avez esté induit à ce nouveau stratageme par une seule envie de vaincre, sans autre consideration du public, je le vous pardonne aysément, d' autant que ce vice vous est familier avec les plus gaillards esprits. Si par une devotion qui est empraincte en vous de la Religion des Jesuites (ainsi que je me fais accroire) encore vous veux-je plus excuser. Car lors que nous sommes frappez d' un zele de Religion, nous pensons quelquefois faire grand sacrifice à Dieu, voire quand par voyes inaccoustumées & obliques, faisons gaigner vogue à nos opinions. Or voyez, je vous supplie, combien mon jugement est en cecy esloigné du vostre. Vous, pour estimer avoir bonne cause, ne vous donnez pas grande peine par quelle façon en emportiez le dessus, moyennant que ce dessus vous demeure. Ne vous advisant pas ce pendant que plusieurs de cette compagnie estiment que par faute de bon droit vueillez obtenir par ruze, ce que ne pouvez de bonne guerre. Et de moy, pour juger aussi la mienne être infailliblement bonne, j' estime au rebours de vous, que le plus bel artifice dont je puisse user en ce lieu, est de n' user point d' artifice: pour autant que si vostre cause est telle que la publiez, si elle est sans fard, si l' issuë & evenement d' icelle se doit tourner au profit, & edification de nous tous, je prie Dieu, l' autheur de tout bien, qu' il luy plaise reduire l' opinion de toute cette grande assistance à vostre advantage. Mais si au contraire le fait de vos Jesuites est plain de dissimulation & hypocrisie, que dés l' entree de cette cause vous nous en avez donné certain advertissement par le traict qu' avez pratiqué, si leur secte n' est pour l' advenir qu' un seminaire de partialitez entre le Chrestien & le Jesuite, bref si leur but & intention ne tend qu' à la desolation & surprise de l' Estat, tant politic, qu' Ecclesiastic, je prieray celuy duquel ils se disent à fausses enseignes porter le nom, qu' il luy plaise d' exciter l' opinion des Juges à nostre justice & faveur: & croy par mesme moien, qu' il n' y aura fidelle Chrestien, ou bon & loyal citoyen en cette France, qui ne trouve les conclusions de l' Université justes & raisonnables: c' est à sçavoir que non seulement ce nouveau monde, qui par tiltre partial, arrogant & ambitieux se dit seul être de la Societé de Jesus, ne doit être adopté au corps de nôtre Université, mais que l' on le doit totalement bannir, chasser & exterminer de la France. Toutefois parce que ce discours est d' une assez longue haleine, je deduiray premierement quelques points des anciennes ordonances & statuts de nostre Université: puis de l' origine, progrez & establissement de nos parties adverses, a fin que par la confrontation de l' une & de l' autre police, la Cour puisse tout au long cognoistre s' il y a moien de les incorporer avecq' nous. Et en dernier lieu, quelle utilité & profit il en peut reüscir à nostre Christianisme, & par especial à nostre France, en donnant introduction & cours à ces nouveaux freres. Toutes lesquelles choses j' espere discourir de telle façon, que l' on cognoistra qu' il est impossible de les unir & aggreger avec nous. Et quand possibilité y avroit, que la consequence qui peut advenir de leur secte, les en doit du tout forclorre. Moyennant qu' il plaise à la Cour me donner cette favorable audience que son accoustumee debonnaireté me promet, & que la grandeur & importance de cette matiere desire.

L' Université de Paris, soit qu' elle ayt pris son commencement sous le grand Empereur Charlemagne (ainsi que le vulgaire de nos Annales estime) ou sous cest autre grand Philippes Auguste, sous lequel les bonnes lettres prindrent grand advancement & progrés, specialement en cette ville, par le moyen de Messire Pierre Lombard Evesque du lieu (en faveur duquel nous celebrons tous les ans un anniversaire dedans l' Eglise sainct Marcel) a tousjours esté grandement cherie, aymee, & favorisee de nos Roys. Et certainement non sans cause: car si les Roys ont esté ordonnez par Dieu pour contenir leurs peuples en devoir & obeïssance par leurs Loix, ceux qui plus sainement ont discouru sur le fait des Republiques ont esté d' advis, ou que les Loix sont du tout frustratoires, ou pour le moins de petit effect, si elles ne preignent leur commencement & racine, en une sage conduite, & prudente institution de la jeunesse. C' est la cause pour laquelle ce grand Philosophe Platon en l' une & l' autre de ses Republiques, a sur toutes choses soin que ses enfans soyent bien dignement instruits. Et a esté cette maxime fort bien recogneuë par ceux qui premiers meirent la main à la police & reglement de cette Université. Car cognoissans que tout le repos des sujets dependoit de l' édoctrinement des enfans, & neantmoins qu' il y avoit deux fondemens, sur lesquels estoit establie toute Republique bien ordonnee, qui estoient la Religion & la Justice, ils establirent deux sortes de gens pour enseigner la jeunesse, les uns qui estoient Seculiers, & les autres nuëment Reguliers, & Religieux. Ceux-là a fin que les enfans qui seroient par eux façonnez, peussent quelque jour être appellez au maniement de la Justice, & ceux-cy aux presches & exhortations Chrestiennes d' un peuple: voire eurent en cecy une si religieuse police, que pour contenir toutes choses en leur devoir, ils ne voulurent point permettre aux Religieux de vaguer & courir par la ville pour ouyr la leçon des Seculiers. Ny semblablement qu' ils peussent faire leçon aux gens Laiz. Mais ordonnerent pour une bien-seance publique que les Seculiers fussent destinez pour les Seculiers, & les Reguliers pour ceux qui estoient de leur Ordre. L' on trouve aux anciennes pancartes de nostre Université, que les freres Prescheurs, que l' on appelle Jacobins, voulurent anciennement se donner loy de lire en toutes chaires, & à toutes occurrences de personnes. Les Recteur & supposts de l' Université s' y opposerent, & fut leur opposition aloüee par arrest de cette Cour, & enjoint à ces Religieux de lire seulement dedans leurs clouestres à huys clos. Et de fait, depuis ce temps-là, chasques Ordres des Religions ont eu leurs colleges distincts & separez, comme les quatre Mendians, Clugny, Mairemonstier. Voila le college de S. Bernard qui est notable, auquel il y a diversité de belles & grandes classes, plus qu' en nul autre, toutefois la porte n' en est pas ouverte à tous escolliers allans & venans. Ains est le college voüé pour ceux qui ont fait ou veulent faire profession sous l' Ordre de S. Bernard: lesquels sont envoiez des Monasteres de leur Ordre pour estudier en cette ville de Paris. Ce qui s' observe en cas semblable en tous les autres Ordres qui sont incorporez avec nous. Et a fin que l' on ne pense point que cecy ayt esté introduit par une curiosité superstitieuse, mais bien par une police tres-Chrestienne, jamais ne fut que les Chrestiens n' ayent grandement abhorré la diversité des sectes de religions. Du commencement de nostre Christianisme, nous n' estions point divisez en ligues, mais adoroient les Chrestiens leur Createur en lieux sombres selon que la commodité leur permettoit de recevoir de leurs Evesques & ministres l' administration des saincts Sacrements. Adonc on recognoissoit le Chrestien comme Chrestien, & n' avions veuz & professions separees les uns des autres, mais sous un commun estendart de Jesus-Christ, chacun s' exposoit au martyre. Les affaires de la Republique Chrestienne commencerent petit à petit de s' ouvrir. Tellement qu' il n' y avoit presque ville qui ne fust imbuë plus ou moins de nostre Religion. Toutefois les Chrestiens se trouvans assez souvent affligez par la cruauté & tyrannie des Empereurs, ceux qui nous ont redigé par escrit l' histoire Ecclesiastique, nous sont autheurs, que cela appresta occasion à plusieurs de se retirer en lieux escartez & du tout separez du peuple, lesquels furent par les anciens appellez d' un mot Grec (Moines) qui veut dire en sa primitive signification, Solitaire. Et leurs superieurs & Abbez Archimandrites, c' est à dire, superintendants, de ceux qui habitoient aux grottes & cavernes. Et le premier instituteur de ceux-cy que l' on remarque aux histoires de nostre Eglise fut sainct Anthoine, à l' exemple duquel plusieurs s' habituerent és deserts menans une vie monastique. Bien sçay-je que depuis luy, sainct Basile par un nouveau zele les voulut redresser dedans les villes. Qui fut cause que plusieurs commencerent à se bigarrer en Religions & Monasteres. Toutesfois nos sages ancestres cognoissans que la multiplicité des sectes n' apportoit que divisions entre les Chrestiens, ne voulurent facilement leur ouvrir la porte, singulierement dedans les bonnes Citez. Sçachans bien que la vraye profession des Moines, est de se retirer des villes & de mener vie solitaire. Et combien que l' opinion de ces sages personnages ait esté de fois à autre faussee par la facilité des temps (chose qui a procuré de grandes querelles) toutesfois ayant esté nostre Université contrainte d' incorporer avec soy plusieurs Ordres de Religieux qui s' estoient venus ranger dedans Paris, ce fut avec cette modification, qu' ils ne pourroient aisément se rendre communicables au peuple, mais que tout ainsi qu' aux deserts, ils n' avoient pas facile accés sinon à ceux qui estoient de leur suitte, aussi ne leur seroit-il permis d' endoctriner dedans leurs repaires, que ceux qui seroient de leur Ordre & profession. Car autrement, si on leur eust permis de faire lecture par tout, mesme à une enfance qui trouve tous objects presens beaux & bons, ils eussent induit la plus grande partie du peuple à être de leur suite plus par cette communication, que par zele & devotion, au tres-grand prejudice du commun trafic & commerce de cette Societé generale & universelle. Et voyla pourquoy nos predecesseurs dés le premier establissement de l' Université, par un sage conseil & prudence firent separation du Seculier & Regulier, avec loix totalement distinctes & separees.

Outre cette premiere police nous en avons encor quelques autres, qui sont aussi grandement considerables, à la deduction de cette cause. Par ce que l' Université est divisee en quatre Facultez, de Theologie, Decret, Medecine, & des Arts. Cette derniere est un acheminement aux trois premieres, symbolisant en quelque chose avec l' Escolle de ce grand Philosophe Pythagore, de laquelle l' on recite, que l' on y estoit premierement condamné d' escouter avec un perpetuel silence, puis que l' on commençoit d' entrer en la cognoissance des Mathematiques & sciences, & en fin estoit permis de discourir sur la nature de tout ce grand Univers. Pour laquelle cause estoient les Escoliers appellez Auditeurs, puis Mathematiciens, puis Physiciens. Aussi pour n' enseigner point tumultuairement en nostre Université les bonnes lettres, il y a certains degrez de commencement & progreż. Car l' on commence premierement par la Grammaire, de là on suit à la Rhetorique & explication des bons Autheurs, puis on dresse ses pensees aux autres sciences, jusques à ce que finalement on arrive à la Physique, qui estoit la derniere classe de l' escolle de Pythagore: & encor apres avoir satisfait à nos estudes, nous avons certains ordres & degrez de promotions, Bacheleries, Licences & Doctorandes, qui sont approbations communes des plus doctes en chaque Faculté, sans lesquelles, il est deffendu à tout homme, ou de s' exposer à la chaire, ou au maniement public d' un Estat. Je sçay bien que tout esprit brusque & gaillard, pensera que cette police despende d' une superstition. Parce que la responce que fit l' Empereur Adrian à celuy qui luy demandoit permission de respondre du droit, rit à plusieurs, hoc non peti, sed præstari solere, & ideo si quis fiduciam sui haberet populo se ad respondendum de Jure praebet. Toutefois tant s' en faut que cette maxime doive gagner vogue entre nous, que si on la recevoit ce seroit introduire un chaos & confusion en tous les Estats. Car si és mestiers & ars mecaniques, nous demandons un chef d' œuvre & experience de celuy qui veut être receu à maistrise, combien plus és sciences & disciplines liberales? Parquoy l' opinion de l' Empereur Justinian a toujours esté reputee la meilleure in L. magistros, C de professorib. & medicis Là où il veut que antequam quis ad docendam aliquam artem admittatur, is de ea re ab ordine interrogetur, atque adeo specimen aliquod edat eius artis quam professurus est. 

Et de fait, en cette façon voions nous que du temps de Justinian, il y avoit certains ordres, Litae, Prolitae. Je veux doncques icy conclure que telles distinctions de degrez, telles approbations de suffisance & capacitez des personnes, ont esté introduites par nos anciens, pour bonnes & vallables raisons. Chose que je pense par cy apres raporter en temps & lieu à son poinct.

Nous avons encores autres Loix & (status) statuts: pour autant qu' en cette division de Regulier & Seculier, nous voulons que les Seculiers reçoivent les degrez de Bachelerie, Licence, & Maistrise, auparavant qu' ils puissent faire profession publique de leur sçavoir, ainsi qu' il a esté dit maintenant. Et au contraire par un passe droit special, les Religieux non seulement ne sont necessitez de ce faire, mais du tout on leur deffend & interdit de passer maistre és Arts, parce qu' on veut qu' ils ne fichent point leurs esprits sur les fleuretes des lettres humaines: ains que du tout ils s' addonnent à la lecture des saintes lettres, & de la Theologie: induits paradventure nos ancestres à ce faire, à l' imitation de S. Hierosme, auquel en songeant fut advis qu' il estoit flagellé par un Ange, pour être trop ententif à la lecture des œuvres de Ciceron: ou pour mieux dire, pour autant que les premiers fondateurs de nostre Université, voulurent reduire chaque chose à la premiere police des Moines, desquels parlant Sozomene à l' unziesme chapitre du premier livre de l' histoire Tripartite, dit ainsi: Præcipuè vero insignissimam Ecclesiam demonstraverunt & dogma dilataverunt vita & virtutibus qui conversatione Monachica illo tempore fruebantur: utilissima namque res ad homines venit à Deo ista Philosophia quae multarum doctrinarum & Dialecticae artis studia *despisit, tamquam sit minuta, & melioris operis tempus impediat, atque ad rectè vivendum nihil stendat. Et certes en cette police ils y ont eu tel esgard que combien que les pauvres de Montagu que l' on appelle autrement Capettes, ne soient liez à aucun vœu de Religion particuliere autre que la commune de tous nous autres Chrestiens, toutefois pour autant que pendant leur premiere estude ils se diversifient d' habillemens d' avec nous, il faut qu' ils laissent la cuculle lors qu' ils veulent participer au degré de Maistrise, & facent par ce moyen paroistre qu' ils sont totalement Seculiers, autrement leur y seroit la porte clause.

Telles ont esté les premieres institutions de nostre Université esquelles elle a esté de tout temps & ancienneté nourrie, & tant qu' elle y a esté entretenuë, je puis dire d' elle ce que disoit Ciceron de l' escolle d' Isocrates que ex universa eius schola tanquam ex *equo Froiano innumeri principes extiterunt. De là sortirent en la Faculté de Theologie les Gersons & les Clamengis, en la Faculté de Decret les Belleperches, Quintins & Rebusis, en la Medecine les Tagaux & les Fernels, & en celle des Arts, les Budez, Vatables, & Tusans, & une infinité de braves esprits, dont la posterité sçavra rendre meilleur tesmoignage que moy. Sans vouloir parler des vivans, dont les noms se rendent recommandables par toute l' Europe. Telles ont esté (di-je) nos premieres institutions, & tant que nous avons vescu de cette façon, quand les superieurs de l' Eglise ont voulu abuser de leur authorité au prejudice de la Majesté du Roy, l' 

Université de Paris authorizee de cette Cour leur a tousjours fait contreteste sous le nom de l' Eglise Gallicane, comme si c' eust esté un Concil general qui eust esté perpetuellement estably dedans cette ville, pour le soulagement des Sujets, & avons tousjours vescu en tranquilité, graces à Dieu, jusques à huy. Maintenant voicy ces nouveaux freres, qui sous un tiltre splendide & un beau masque exterieur, veulent enjamber sur nostre repos. Toutefois avant que de passer plus outre, puis que nous avons sommairement touché quelques poincts de nostre police, il faut pour traicter chaque chose à son rang, que maintenant nous venions à celle des Jesuites, & leur origine & progrez.

Ignace fut un Espagnol, du temps de nos Peres, qui tout le temps de sa vie avoit esté un guerrier. Il advint qu' il fut nauré dans la ville de Pampelune, lors que nous y mismes le siege. Pendant que l' on le pensoit, il s' amusa à lire la vie des Peres, car pour l' ignorance qui estoit en luy, à plus haut suject ne pouvoit-il dresser son esprit. Sur le modelle de ce livre, il luy prit opinion de façonner de là en avant tout le discours de sa vie. Non pas à la verité, tant pour un zele & devotion qu' il eust à cette nouvelle austerité, que pour autant qu' il se voyoit par cette naureure estropié, & impotent de l' un de ses membres, quoy que soit mal duit à la suitte des armes. Il s' accosta de quelques uns, & entre autres d' un maistre Pasquier Broëz, né natif de la ville de Dreux, homme qui hors mis quelques chimagrees exterieures, n' avoit rien de literature au dedans, soit en lettres humaines, soit en Theologie. Et de ce, je m' en croy, comme celuy qui l' ay halené il y a dix ou douze ans, & lequel m' est autheur de ce que je raconte maintenant. Ces deux hommes accompagnez de quelques autres, commencerent à jurer une Ligue ensemble, font quelques voyages en cette ville de Paris, à Rome, en Hierusalem, & finalement sonnerent quelque peu de temps apres leur retraicte dedans Venise, ville qui pour estre exposee à tous les vents & flots de la mer, est par quelques Autheurs Italiens recogneuë pour receptacle de plusieurs indignitez & choses perverses. Là ils hypocrisent pour un temps quelque austerité superficielle de vie, & voyans que leur superstition commençoit à être suivie (car jamais une nouveauté ne trouve faute de suire parmy un peuple) ils prindrent la hardiesse de se transporter à Rome, où ils commencerent de publier leur secte, & combien que la plus part d' entre eux, ne in primis quidem rudimentis Grammatices initiati essent, nedum in sacris Theologia ministeriis versati, toutefois ils commencent de promettre à pleine bouche deux choses, l' une de prescher aux mescreans l' Evangile, pour les convertir à la Foy, l' autre, d' enseigner les bonnes lettres à tous Chrestiens, le tout gratuitement & sans rien prendre. Prennent pour cette cause le nom de Religieux, sous la Societé de Jesus, comme si tous ceux qui n' adherassent à leur secte, fussent separez de cette compagnie & Societé. Ils se presentent au Pape Paule troisiesme, vers l' annee cinq cens quarante (1540), c' estoit lors que les Allemans commençoient à se distraire de l' obeïssance du Pape, qui est un temps grandement à considerer, pour monstrer de quelle renardise & finesse ces saincts freres se sont insinuez entre nous. Et voyans que nostre sainct Pere ne s' esmouvoit grandement de ces deux belles protestations (parce qu' il estoit lors ententif à la guerre qui se brassoit en Allemagne, pour le soustenement de sa puissance entre les Catholiques & les Protestans,) ils s' advisent d' une nouvelle ruse pour captiver sa benevolence. Ils voyent que l' authorité du sainct Siege estoit revoquee en dispute par les Lutheriens. Parquoy par une profession toute contraire, ils remonstrent à ce sage Pape, que le premier vœu qu' ils faisoient, estoit de recognoistre le Pape, par dessus toutes autres choses qui fussent en ce bas territoire. Qu' il n' y avoit Prince vivant & terrien, qu' il n' y avoit Concil quoy que general & oecumenique, qui ne deust passer & fleschir sous ses Loix, statuts & decrets. Cela resveilla quelque peu les sens du Pape Paule, auparavant endormis au fait de ces Freres. Car à la verité, il ne se pouvoit en aucune façon induire à les recevoir. Toutefois voyant qu' autant de Religieux de cest Ordre, luy estoient autant de nouveaux vassaux, mesmes en ce temps là il pensa que le meilleur estoit de ne les frustrer du tout de leur entreprise. Ce neantmoins, en leur faisant ouverture ce fut avecques certaines limitations. Parce que du commencement pour sonder le guay, il leur permit de pouvoir prendre le nom & qualité de Religieux. Mais à la charge qu' ils ne pourroient être de cest Ordre plus de soixante. Toutefois depuis gagné par leurs importunitez, il leur ouvrit plaine porte en l' an 1543. Et apres luy, Jules troisiesme en l' an 1550. Or comme les choses se manioyent de cette façon dedans la ville de Rome, il advint que feu messire Guillaume du Prat Evesque de Clairmont, voyant ces nouveaux freres être grandement favorisez du S. Pere, voulut semblablement leur gratifier en quelque chose. Au moyen dequoy il luy prit opinion de planter semblablement cette Secte dedans nostre ville de Paris, & prit à cette occasion à sa suitte ce Maistre Pasquier Brouëz, dont j' ay maintenant parlé avec deux ou trois autres. Pasquier Brouëz (dis-je) qui est le premier maistre & Recteur qu' ils ayent eu en cette ville. Et à la mienne volonté, que tout ainsi qu' un Pasquier a esté le premier qui a voulu planter cette Secte superstitieuse en cette florissante Université, aussi que la posterité entende, qu' un Advocat portant le surnom de Pasquier, ayt esté le premier qui publiquement se soit estudié de nous extirper cette malheureuse engeance. Ce Brouez & les siens, sur leur premier advenement se logerent petitement & quoyement en une chambre au College des Lombards, depuis ils establirent leur habitation en la maison de Clairmont ruë de la Harpe, par le benefice du Prelat qui les avoit premier introduits: & voyans que leurs affaires leur succedoient assez à propos, ils commencerent de lever les cornes, & de fait se presenterent par plusieurs fois en cette Cour a fin d' être receuz, & que leur Secte fust approuvee, tant en qualité de Religion, que de College. A toutes leurs Requestes s' opposa formellement ce grand Cato, & Aristarque, feu M. Noël Bruslard Procureur general du Roy en cette Cour. Il leur remonstra plusieurs fois, que s' ils avoient le cœur tant esloigné du fait du monde, ils pouvoient sans introduire nouvelle Secte faire vœu & profession, sous l' une des anciennes Religions, qui estoient approuvées par les saincts Concils. Qu' il y avoit les Ordres des Benedictins, des Bernardins, de Clugny, de Premonstré, les quatre Ordres des Mendians, & plusieurs autres, desquels la Chrestienté avoit ja recueilly plusieurs fruicts, & quant à celuy qu' ils vouloient de nouveau provigner, il estoit plain d' un evenement incertain. La Cour non contente de ces remonstrances eut en cette matiere recours aux experts, c' est à dire, à la faculté de Theologie. Laquelle apres avoir plainement & meurement deliberé sur cette affaire, interposa son advis par lequel elle resolut, que cette Secte estoit plaine d' une superstition & ambition damnable, & introduite à la desolation de tout Estat Regulier & Seculier. Estans de cette façon rebutez il mirent tout leur fait en surseance, attendans comme il est à presumer leur apoint, ainsi que l' experience nous en fait sages. Il advient sur ces entrefaites que l' Evesque de Clairmont decede, & fait un testament par lequel il legue une infinité de biens à ceux-cy, qui par leur vœu original font profession de pauvreté tant en particulier qu' en commun. Ce legz est par eux recueilly, surviennent semblablement les Troubles, au comencement desquels furent assemblez plusieurs Prelats dedans la ville de Poissy. Les Jesuites qui dés leur premier abord sont en possession de croistre par les ruines d' autruy, tout ainsi que lors des guerres intestines de l' Allemagne, ils s' empieterent à Rome, aussi voyans le grand brazier qui s' alloit allumer par la France, estiment qu' il estoit adonc temps d' interrompre leur long silence pour mettre le pied ferme & stable dans cette ville de Paris. Parquoy ils commencent à ourdir une nouvelle tresme & mener à chef leur intention. Ils s' advisent de presenter nouvelle requeste à la Cour, a fin que son plaisir fust, de recevoir & authoriser leur Secte, non pas en forme de Religion, mais bien en forme de College. A la charge qu' ils n' entendoient rien entreprendre au prejudice du Roy, des Evesques, Curez & Chapitres, & que de leur part, ils protestoient de renoncer à tous privileges, qui leurs avoient esté octroyez à ce contraires. Car aussi, qu' est-ce qu' ils n' eussent point lors promis plustost qu' ils ne fussent parvenus à leurs fins, se voyans gorgez & remplis de tant de richesses? La Cour cognoissant, que cette requeste concernoit le fait de l' Eglise generale de France, les renvoya avec leur requeste à l' Assemblee de Poissy. En cette Assemblee, presidoit comme le plus ancien, un Prelat, lequel aussi par un nouveau zele avoit leur fait en grande recommandation: mesmes avoit estably une maison de Jesuistes, en une ville de laquelle il portoit le tiltre. Cestuy prend leurs affaires en main, sonde le gay de tous costez, pour voir quelle yssuë pourroit avoir cette requeste, il trouve les opinions de tous les Prelats assez mal disposees à sa volonté. cette requeste fut baillee à un qui avoit lors en pensee, de soy deffaire de son Evesché, & me fait-on dire que jamais elle ne fut raportee en pleine & generale assemblee de tous. Chose dont peuvent porter asseuré tesmoignage, une infinité de personnes notables, qui avoient esté convoquez à ce Coloque de Poissy, aussi n' est cette requeste signee que du raporteur & du President. President pouvons nous dire, auquel il eust esté peut être plus seant de s' en deporter du tout, comme celuy qui ne pouvoit presider en la cause de ceux desquels il estoit protecteur, & si ainsi le faut dire autheur, fauteur, & promoteur. Non toutesfois que je vueille suggiller en quelque façon son honneur, le recognoissant personnage de marque, & tel qu' on le doit recognoistre, mais il estimoit, qu' ayant l' opinion d' une douzaine de la troupe, cela estoit suffisant pour faire tenir lieu de Decret, & conclusion generale pour la question qui s' offroit. Et neantmoins combien que ce Prelat eust pris la cause des Jesuites du tout en main, & qu' il en eust communiqué, non pas à tout le Corps des appellez, ains à quelques particuliers seulement, si ne peut-il gagner autre chose par la resolution qui fut baillee. Sinon que cette Compagnie des Jesuites estoit receuë par forme de Societé & College, & non par forme de Religion nouvellement instituee, à la charge, qu' ils seroient tenus de prendre autre tiltre que des Jesuites, ou de la Societé de Jesus. Aussi, qu' ils seroient tenus de soy conformer en tout & par tout, à la disposition du droict commun, sans entreprendre chose aucune, ny au spirituel, ny au temporel, au prejudice des Evesques, & qu' au prealable ils renonceroient par expres aux privileges portez par leurs Bulles. Autrement qu' à faute de ce faire, ou que pour l' advenir, ils en obtinssent d' autres, cette approbation seroit nulle, & de nul effect. Estans doncques les Jesuites garnis de cette approbation dont j' ay recité mot apres mot toutes les paroles, ils se presenterent de rechef en cette Cour, laquelle à la verité leur emologue le Decret en tout & par tout, selon sa forme & teneur. Soudain ayans obtenu cet Arrest, ils acheptent un Hostel assis en la ruë S. Jacques, pour y establir leur demeure, appellee vulgairement la Cour de Langres. Mais quoy? se mettent-ils cependant en aucun devoir d' observer les conditions qui leurs avoient esté enjoinctes? Non vrayement: & tant s' en faut qu' ils en ayent fait quelque estat, qu' au contraire, mettans en nonchaloir ce Decret, comme s' ils eussent obtenu victoire de leur longue entreprise, ils font avec une honte effacee, apposer sur le portail de leur College quasi pour eternel trophee, cet escriteau. C' est le College de la Societé du nom de Jesus. Reçoivent toutes sortes d' enfans, tant pensionnaires que dehors le College, ausquels ils lisent. Font publier un Catechisme sous le nom de Maistre Emond Auger, Frere de la Societé du nom de Jesus, & non seulement le font publier, mais le lisent publiquement dans leur maison. Non contens de cette premiere irregularité & desobeissance, ils administrent les Saincts Sacremens de l' Autel, & Confession. Et pour induire le peuple à leur suitte, ils affigent des placards par les carrefours, à ce que si aucun avoit envie de recevoir ces saincts ministeres par leurs mains, ils se retirassent en l' Hostel de Langres vers cette Compagnie. Il y a quatre ou cinq qui reluisent dessus tous les autres Freres en quelque sçavoir & doctrine. Ces trois ou quatre nourris en la lecture de quelques livres particuliers, ont accoustumé d' être distribuez par le General de leur Ordre, aux Provinces esquelles l' on veut commencer de planter un College de Jesuites. Là ils debitent le peu de sçavoir qu' ils ont accueilly de long temps. Et quand leur denree est venduë, ils s' acheminent és autres lieux, par ainsi il est mal aisé, que ils ne demeurent en quelque reputation envers le peuple. Parce qu' auparavant que leur marchandise s' esvente, ils changent de lieu & demeure, traictans tousjours un mesme sujet, lequel estant souvent par eux traicté, il est fort mal-aisé qu' en remuant une mesme escrime, ils ne se rendent assez admirables à ceux qui les escoutent pour une fois, & qui n' ont descouvert ce fard. En cette façon se gouvernerent du temps de nos peres & ayeuls, quelques Predicateurs passagers qui voyageoient de lieu à autre. Ayans seulement trois ou quatre Sermons dans leurs manches, dont ils repaissoient le pauvre peuple, lesquels combien que pour quelque temps gaignassent bruit parmy le peuple, si est-ce que par traite de temps, estant leur ruse descouverte, furent explaudez d' un chacun, ne nous estant demeuré autre profit de leur memoire, sinon un tiltre vil, quand d' un commun consentement en haine de leur piperie, nous les appellasmes porteurs de rogatons.

Les trois ou quatre Jesuites arrivez, commencerent de se mettre en chaire, & ores que par les institutions & ordonnances qui leur sont prescrites, desquelles ils se disent être si grands observateurs, ils ne deussent lire en nostre Université, sans adveu & permission du Recteur, ce neantmoins continuant de mal en pis, & se monstrans tousjours discoles selon leurs premiers arrhemens, sans aucune permission du Recteur, sans aucune approbation de leurs suffisances & capacitez, sans avoir distinction des professions, telle que nous pratiquons de tout temps & ancienneté, & meslans, si ainsi faut dire, le Ciel & la terre, ils commencerent de faire lectures publiques, celuy-là de la Grammaire, cestuy-cy de la Theologie, l' autre de la Metaphysique, & le dernier pour faire monstre de sa grande & excellente doctrine, s' attache aux Emblesmes d' Alciat, tellement que nous pouvons dire d' eux, tout ainsi comme Taurus Philosophe dans Aulugelle, Nunc isti qui repente pedibus illautis ad nos deverterunt, non est hoc satis quod sunt omnino *grec, sed legem etiam sibi dant qua Philosophari velint, si bien ou mal je m' en rapporte à ce qui en est. 

Bien puis-je dire, que la plus belle de leurs lectures est, qu' ils ne sonnent aux aureilles des escoliers autre chose, sinon qu' ils veulent & entendent lire au peuple gratuitement. Souz cet honorable pretexte, plusieurs vont à leurs leçons, les frippons & bons compagnons, pour cuider corbiner tous les mois un sol ou un carolus que l' on paye aux autres colleges à l' entree de la porte: les autres par un esprit de curiosité. L' Université de Paris voyant toutes ces petites menees qui ne viennent qu' au desadvantage non seulement d' elle, mais de tout le general de la France, commence à se vouloir opposer à toutes leurs induës entreprises. Et par ce que c' estoient gens nouveaux, gens ramassez de toutes pieces, dont l' un estoit extraict d' Espagne, qui d' Angleterre, qui d' Italie, gens qui en toutes choses corrompoient les ordres generaux de la discipline ancienne, on leur fait interdiction par le Recteur, de plus lire. Ce nonobstant ils ne laissent de passer outre, & par un stratageme hardy au lieu où on les assailloit auparavant, ils commencent de se rendre assaillans. Ils presentent leur requeste à l' Université, & en cecy, je prie la Cour qu' il luy plaise remarquer quels en sont les termes. Supplient les Principal & College de la Compagnie de Jesus, dit de Clairmont, qu' il vous plaise les incorporer en l' Université, ioüyssans des privileges d' icelle. Ce tiltre leur avoit esté interdit par l' approbation, en vertu de laquelle ils se presentoient pour être incorporez avec nous, ce neantmoins faisans comme la chatte d' Esope, ils ne se peuvent contenir, qu' ils ne retournent à leur ambitieuse superstition, à laquelle toute leur compagnie encline. L' Université pour cette requeste furieuse, fut lors solemnellement congregee. A cette congregation se trouverent les principaux des Jesuites. On leur demande s' ils n' entendoient point abjurer ce nom partial de Jesuite, suivant la teneur du Decret. Ils respondent, qu' ils se remettent à ce Decret pour leur forme de viure en France, voulans de là inferer par une sophistiquerie affectee, qu' en France, ils seroient Collegiaux & Bourciers, & en Italie Religieux. On les somme qu' ils eussent à respondre categoriquement sur ce poinct, & mesmement s' ils estoient, ou Religieux, ou Seculiers.

Car à bien dire, puis qu' ils vouloient se joindre avec nous, le premier reiglement que pouvions prendre avec eux, estoit de cognoistre leur qualité, pour ne broüiller & pervertir les ordres de nostre Université, tels que nous avons cy-dessus deduits. A cela ils disent en termes generaux, qu' ils ne pouvoient respondre autrement que suyvant l' Arrest, & en paroles Latines, tales quales eos Curia declaravit. Interrogez de rechef s' ils estoient ou Reguliers, ou Seculiers, ont ne peut tirer autre responce d' eux, sinon qu' ils estoient tales quales. Tellement que cette responce souvent reiteree, ils ont appresté un commun proverbe qui court maintenant par la bouche des escoliers, qui est que les Jesuites sont, tels quels. C' est à dire non dignes d' être couchez en l' inventaire de nostre Université. Parquoy l' Université cognoissant, que pour satisfaire à leur requeste, le premier reiglement qu' elle pouvoit prendre avec eux, estoit de sçavoir, s' ils estoient Reguliers, ou Seculiers (car elle ne peut recevoir un Corps & College hermaphrodite, je veux dire, qui ne soit ny l' un ny l' autre, & qui soit tous les deux ensemble comme ces Messieurs) declara qu' elle ne pouvoit, ny devoit les unir & incorporer avec soy. Au moyen dequoy depuis, ces demandeurs se sont advisez de presenter requeste à la Cour, a fin d' obtenir par son authorité ce dont ils avoient esté refusez par l' Université. Et en effect, c' est la Requeste qui se traite en ce lieu maintenant.

La Cour doncques a peu pleinement entendre par les choses qui ont esté cy-dessus discouruës, quelle est en partie la commune police de nostre Université, quelle a esté l' origine & progrez de ces Jesuites, & de quelle façon cette cause a esté introduite en cette Cour. Reste maintenant à deduire, quelle a esté aussi leur police, a fin que par le rapport & comparaison de la leur, & de la nostre, on voye s' il y a quelque compatibilité, pour laquelle on les puisse joindre avec nous, & combien qu' en cecy ils aillent clos & couverts, d' autant que facilement ils ne veulent descouvrir les mysteres de leur Ordre, sçachans bien qu' il n' y a homme de bon esprit, qui ne les improuve, si est-ce que de ce que j' ay peu recueillir, tant par leurs pieces, que du Plaidoyé de leur Advocat, & mesmement par livres qu' ils font courir à leur advantage, je trouve que cette pretenduë Compagnie & Societé de Jesus, est composee de deux manieres de gens, dont les premiers se disent être comme de la grande Observance, & les autres de la petite. Ceux de la grande Observance, sont obligez à quatre vœux. Parce qu' outre les trois ordinaires d' obeïssance, pauvreté & chasteté, ils en font un particulierement en faveur du Pape. Qui est de luy obeyr, & le recognoistre sur toutes autres choses qui sont icy en ce bas être, sans exception ou reserve, en tout ce qu' il leur voudra commander, & sont ces gens de bien si austeres, qu' ils font vœu de pauvreté, tant en general qu' en particulier, tout ainsi que les Franciscains. Ceux qui sont de la petite Observance, sont sans plus astraincts à deux vœux, l' un regardant la fidelité qu' ils promettent au Pape, & l' autre l' obeïssance envers leurs superieurs & ministres. Ces derniers ne voüent pas pauvreté, ains leur est loisible de tenir Benefices sans dispence, succeder à peres & à meres, acquerir terres & possessions, comme s' ils ne fussent obligez à aucun vœu de Religion. 

Et cecy est la voye par laquelle ils ont acquis tant de biens & richesses en ce nouvel Ordre. J' attens desja que l' on me demande, s' il se peut faire que ces tant Saincts hommes qui font profession de pauvreté, tant en commun qu' en privé, puissent posseder aucuns biens. Mais à ceux-cy je responds, que la verité en est telle, & voicy le moyen qu' ils y tiennent. L' exercice de leur Ordre gist exterieurement en deux poincts. Par le premier, ils promettent de traicter le fait de la Religion, administrer les saincts Sacremens, tant de Penitence, que de l' Autel, exhorter les infideles. Le deuxiesme c' est, d' enseigner les Arts liberaux. Parquoy celuy qui premier mist la main à l' establissement de cette Secte, trouvant la pauvreté telle qu' il avoit voüee, de trop difficile digestion, par un esprit sophistique, s' advisa de faire une distinction, c' est à sçavoir que puis que l' exercice de sa profession estoit double, tant pour la Religion, que les bonnes lettres, aussi devoit son Ordre consister, tant en Monasteres, que Colleges. Et que les Monasteres seroient quelques petites Chappelles ou Cellules, comme estant le moindre de son opinion, & les Colleges amples & spacieux Palais. Et qu' en qualité de Religieux ils ne pourroient rien posseder, n' en general, n' en particulier, mais bien en qualité d' escoliers, & neantmoins que l' administration de ce bien appartiendroit aux Religieux profez, pour être distribué comme ils verroient être bon à faire. Ainsi tous ceux du petit vœu, qui sont les Collegiaux, sont quelques fois quinze & vingt ans, avant que de franchir le pas de la grande profession, selon qu' il plaist au general de leur Ordre. Pendant lequel temps, ils se gorgent, puis quand ils se sont faits riches, si le superieur les trouve dignes, ils sont contraincts comme membres, de rapporter au corps general de leur Ordre tout ce qu' ils avoient acquis. Et mesmement a fin que la Cour entende que leur premier Legislateur n' a rien obmis de prudence humaine, en ce qui servoit pour l' enrichissement de sa Secte, est besoin de remarquer icy une autre subtilité qu' il a semblablement introduicte. Toutes les autres Religions ont appris de donner un an entier à leurs Novices, ayans attaints aage de mediocre cognoissance, pendant lequel les jeunes hommes se donnent Loy, & loisir de sonder & comparer leur portee, avecques le faix qu' ils voyent leur être preparé. Et au bout du temps s' ils se trouvent trop foibles pour ce fardeau, il leur est permis resilir de leur entreprise, & sont tenuës toutes choses pour non advenuës. 

cette reigle ne se practique pas quant aux Jesuites, mais au lieu de ce, s' il y en a aucun qui par un nouveau zele paravanture indiscret, ou pour l' imbecillité de son aage, ou par un esprit de curiosité, vueille être agregé avec eux, soudain on le prend à la chaudecole, le presente l' on à un des Prestres profez, qui luy chante telle leçon qu' il luy plaist, & n' est pas certes à presumer que ce soit au desadvantage de son ordre. Car jamais l' on ne veit homme dissuader à autruy le joug auquel il est entré. Ce pauvre esprit cependant de cette façon chevalé, se laisse aller, à la volonté & discretion de celuy qui le meine d' une parole amadoüante. Voire le desrobent à leurs peres & meres, & pour en disposer ainsi qu' il leur plaist. Pour le faire court, dés l' entree, sans aucune probation, ce pauvre abusé est receu aux deux vœux de la petite profession. Deslors il est pris aux rets, sans qu' il s' en puisse deschevestrer, tout le demeurant de sa vie. Et neantmoins dix & vingt ans apres, il n' est pas receu au grand Ordre, sinon qu' il plaise à celuy qui a la superintendance. Qui fait qu' un pauvre homme ne puisse venir au repentir. Cette mesme Ordonnance fait, que toutes sortes de personnes peuvent être de cette Religion. Car comme ainsi soit qu' en cette petite Observance l' on ne face vœu, ny de virginité, ny de pauvreté, aussi y sont indifferemment receuz Prestres & gens Layz, soient mariez ou non mariez, voire ne sont tenus de resider avec les grands Observantins. Mais leur est permis d' habiter avec le reste du peuple, moyennant qu' à jours certains & prefix, ils se rendent à la maison commune d' eux tous, pour participer à leurs chimagrees. Tellement que suivant cette loy & reigle, il n' est pas impertinent de voir toute une ville Jesuite.

Voila en somme les points generaux de leur police que j' ay peu recueillir de leurs Livres, a fin ce temps pendant que je ne passe par oubliance un autre, par lequel il est permis à leur General de changer ses Loix & Statuts de sa seule authorité, ainsi qu' il estime servir à l' utilité de son Ordre. Ordonnance qu' ils sçavent mieux mettre en œuvre que tous les autres Statuts. D' autant que par le moyen de cet article ils estiment leur être permis de desguiser toutes choses selon les occasions, moyennant que ce desguisement se tourne au profit de leur Secte. De là est venu que combien que Maistre Ponce Congordan leur Provincial en cette ville, assisté de deux ou trois de ses Freres, ait presenté la Requeste à nostre Université, dont a esté cy-dessus parlé, par laquelle luy & ses compaignons se sont intitulez Jesuites, toutesfois voyant que cette qualité nuisoit à son entreprise, ce Maistre Ponce se lavant dextrement les mains de cette Requeste, s' est fait maintenant desadvoüer par son Advocat, c' est à dire qu' il s' est desadvoüé soy mesme: n' y ayant autre que luy qui administre memoires à Maistre Pierre Versoris.

A tant la Cour par ce qui a esté cy-dessus discouru, a peu tout au long entendre une bonne & meilleure partie, tant de la discipline de nostre Université, que de celle des Jesuites, ensemble leur origine & progrez. Toutes lesquelles choses nous avons esté contraincts de reciter tout au long, a fin que l' on puisse cognoistre les moyens qu' il y a de les adopter avecques nous. Quoy faisant nous esperons qu' avrons amplement satisfaict à ce, pourquoy nous sommes icy appellez. Nous disons doncques maintenant deux choses. La premiere, que raportans nos polices piece à piece, il est impossible d' associer le Jesuite avec nous. La seconde, que quand possibilité y avroit, l' utilité publique, le devuoir que nous avons à Dieu & à la Religion Chrestienne y repugnent, & à peu dire toutes choses pour lesquelles nous devons plustost combattre, que pour nos propres personnes. Entant que touche le premier poinct, nous avons, comme j' ay deduit cy-dessus, deux sortes de Maistres & Regents, les uns Seculiers qui lisent dedans leurs Colleges à tous allans & venans, tant les lettres humaines, que la Philosophie. Car en ces deux ministeres est bornee leur vaquation. Les autres qui pour être Religieux sont confinez dans leurs cloüestres, ausquels il n' est permis que de lire à ceux de leurs Ordres, pour oster la confusion. Nos Jesuites qui se disent Religieux, & comme tels font les trois vœux ordinaires, & un quatriesme d' abondant qui est le superlatif, observent-ils cette reigle? Non vrayement. Quoy doncques? Leurs chambres sont ouvertes à tous enfans qu' on leur baille en pension, & leur College à tous martinets & galoches. S' ils veulent viure comme nos Regens Seculiers, pourquoy doncques font-ils ces vœux? S' ils se publient Religieux, que ne se tiennent-ils comme les autres, clos & couverts dans leurs Monasteres? & pourquoy se dispensent-ils en lectures à tous objects contre nostre ancienne discipline? Davantage il n' est permis à tous Regens Seculiers de tenir Classes, qu' ils n' ayent fait preuve de leurs suffisances & capacitez és Escoles publiques introduictes pour cet effect, & pris le Bonnet de Maistrise. Et combien qu' ils soient passez Maistres és Arts, si leur est-il deffendu de faire leçons de la Theologie, s' ils ne sont Docteurs en cette Faculté. S' est-il jamais trouvé un tout seul de nos Jesuites, qui ait suby l' examen de nostre Université, soit pour parvenir au degré de Maistrise és Arts, ou à celuy de Doctorande en Theologie? Et neantmoins eux qui sont un peuple ramassé de toutes nations, se donnent permission de lire, voire mesmes en la Theologie. Ils appellent leur College un Seminaire. Et certes je leur accorde: Car en usant de cette façon, c' est le vray moyen pour introduire un Seminaire d' heresie & impieté au milieu de nous. Ils ne sont faits Maistres ny Docteurs (me dira-l' on) parce que leur Societé n' estoit incorporee avecques nous. Cette response est trop foible, la porte estoit ouverte comme encores elle est à chacun, pour passer par les examens & alambics de nostre Université: En tout cecy je ne touche à leur Religion, ains à ce qui concerne l' instruction de la jeunesse. Introduisez donc cet Ordre entre nous, vous y introduisez par mesme moyen un desordre, chaos & confusion. Nostre Université est composee de Seculiers & Religieux: il faut être tout un ou tout autre: nous n' y admettons point de metiz. Davantage, quelle remarque exterieure ont ces nouveaux Moines pour être distincts de tous les autres, sinon une agraphe au bout de leurs robbes? Enseigne tres-manifeste que tout ainsi que le Pescheur prend avec son hameçon garny d' un appas, le poisson, aussi ceux cy nous apatellans de belles promesses, sont destinez pour agrapher tous nos biens, & se gorger de nos despouïlles. 

Mais paraventure vous traicté-je trop rudement. Non: je veux m' accommoder à vous, au moins mal qu' il me sera possible, a fin que vous traictant en cette façon, soyez les premiers juges de vostre condamnation. Puis que d' une telle facilité que j' ay cy-dessus touchee, vous vous donnez loy de bastir Loix & Statuts, pour puis les abroger, voire en vous desadvoüans vous mesmes selon vos bons poincts & aisances, quittons quelque chose de la rigueur de cette cause. Je vous ay jusques icy qualifiez Moines, & soustenu que comme tels il ne vous estoit permis de viure dedans vostre College comme vous faites. Venons doncques à nos abjurations. Vous me dites qu' estes prests d' abjurer ce tiltre orgueilleux de la Societé du nom de Jesus, comme il vous avoit esté enjoinct: Vous me dites encores, que ne demandez ny le legs de l' Evesque de Clairmont, ny ce College comme Religieux, ains comme simples Escoliers. Car ainsi l' a declaré vostre Advocat. Magnifique protestation, & digne d' être celebree, moyennant qu' elle soit bien entenduë, mesmes par moy qui me sens d' un esprit lourd & grossier, & pour cette cause je seray bien aise de la reprendre & resumer. Vous requerez doncques que le College que n' agueres vous appelliez de la Societé de Jesus, & maintenant de Clairmont, lequel estoit depuis peu de temps affecté à des Religieux, & pour le jourd'huy à des Escoliers de vostre Ordre, soit incorporé avec nous. Vous recognoissez encores qu' en qualité des Religieux vous ne le pouvez tenir, car l' arrest mesme sur lequel establissez le fondement de vostre cause vous l' interdict, voyons icy je vous prie quel est cestuy College dont parlez. Et certes vous ne me nierez pas, que ce College est un lieu qui a esté ordonné par le feu Evesque de Clairmont, avec une infinité de richesses, pour ceux qui ont faict le vœu que font tous ceux de vostre Ordre. Premierement je vous demande, si ce vœu n' est pas en vous un charactere indeleble. Mais faisons qu' il se puisse effacer. Si pour cuider maintenant retenir le bien qui vous a esté legué, vous (voules) voulez abjurer, & vostre vœu, & vostre Bulle, vous contrevenez en tout & par tout à l' intention de vostre fondateur, qui n' a entendu faire cet ample legs, qu' en faveur de ceux qui se voüent & lient à la suite de cette Bulle. Vostre Bulle est vostre femme qui vous a faict en si peu de temps doter d' une infinité de biens & richesses, Si uxorem dimittitis, dotem reddatis oportet, ainsi que disoit Marc Aurelle Empereur. Et par ainsi frustratoirement combatez vous pour un College, auquel n' avez aucune part. Il faut doncques necessairement que vous vous confessiez Religieux, sinon de la Societé du nom de Jesus, pour le moins compris tant dedans la Bulle du Pape, que dedans le testament du fondateur de vostre College. Or si tels vous estes, il est sans doute que ne pouvez être incorporez avec nous, pour les raisons par moy cy-dessus discouruës.

Parquoy c' est à vostre prudence, Messieurs, de peser lequel des deux est plus expedient au public, ou que nostre Université soit maintenuë en ses anciennes prerogatives, contre ces nouveaux Moines composez de toutes pieces, ou bien de les gratifier en leurs Statuts, pleins de hazard & incertitude, au prejudice des nostres. Car si en cette disproportion de Statuts, vous les voulez incorporer avec nous, ce ne sera pas les unir, mais bien agreger l' Université avecques un arrogant Espagnol, avecques un chatemite Italien, celuy-là, ennemy ancien capital, cestuy-cy mesdisant perpetuel de la France. Bref avecques une troupe de Sophistes, qui sont entrez comme timides Renards au milieu de nous, pour y regner doresnavant comme furieux Lyons. Maiores nostri ( car il me plaist finir ce discours par ce Decret ancien de Rome, donné contre les nouveaux Rheteurs) quae liberos suos discere, & quos in ludos itare vellent, instituerunt. Haec nova quæ præter consuetudinem & morem maiorum fiunt, neque placent, neque recta videntur. Nonobstant ce Decret, ces Rhetoriciens Maistres, & enseigneurs d' un babil affeté, gagnerent petit à petit credit dedans Rome, aussi petit à petit perdirent-ils l' Estat, selon le jugement de tous les Politics: Et vous Messieurs, n' en devez pas moins attendre de ces Jesuites, si n' en extirpez dés le commencement, & la race, & la racine.

Ce que j' ay deduit cy-dessus concerne principalement l' escole & institution de la jeunesse, qui est beaucoup en soy, & neantmoins peu au regard de ce que je deduiray cy-apres. Je veux maintenant toucher le haut poinct, qui est nostre Religion. Car si par leur institution ils restablissent l' Estat de nostre Eglise, je passe condamnation, & souhaite qu' ils ayent quelque passedroict entre nous: J' oublie ce que les anciens Canons ont ordonné, contre tous nouveaux Ordres de Religions, ce ne me seroient que fleurettes, puis que je voy, que nonobstant ces Decrets, nostre Eglise en a approuvé plusieurs. Et nous seroit mal seant d' envier l' entree à cestuy, si tant est que nostre Eglise en doive recevoir quelque fruict, encores que toutes nouveautez soient de perilleuse consequence, & specialement en nostre Religion Catholique. Or au cas qui se presente, je ne suis pas si temeraire d' y interposer mon jugement de moy-mesme. Je veux avoir recours à nostre venerable Faculté de Theologie de Paris: C' est mon but, c' est mon asyle, c' est la franchise de ce que j' ay maintenant à dire. La Cour en l' an 1554. se trouvant assiegee des importunitez de ces nouveaux Freres, qui estoient porteurs des Bulles du Pape Paul troisiesme de l' an 1543. & de celles de Jules le tiers de l' an mil cinq cens cinquante, renvoya la cause à cette Faculté, a fin de luy en donner advis. Laquelle ayant fait chanter la Messe du sainct Esprit, interposa de cette façon son Decret, toutesfois sous un preambule de submission, telle qu' elle devoit porter au sainct Siege. Chose que je vous liray tout au long, pour la necessité de ma cause.

Anno Domini 1554. die verò prima Decembris Sacratissima Theolog. Facultas Parisiensis post Missam de sancto Spiritu in aede sacra Collegij Sorbonæ ex more celebratam, iam 4. in eodem Collegio per iuramentum congregata est ad determinandum de duobus diplomatibus, quae duo sanctißimi Domini summi pontifices Paulus tertius, & Iulius tertius his qui Societatis Iesu nomine insigniri cupiunt, concessisse dicuntur. Quaequidem duo diplomata Senatus, seu Curia Parlamenti Parisiensis dictae Facultati visitanda & examinanda, misso ad eam rem Hostiario commiserat.

Antequam vero ipsa Theologiae Facultas tanta de re, tantique ponderis tractare inciperet, omnes & singuli magistri nostri palam apertoque ore profeßi sunt nihil se adversus summorum pontificum authoritatem & potestatem aut decernere, aut moliri, aut etiam cogitare velle, imo vero omnes & singuli ut obedientiae filij ipsum Romanum Pontificem, ut summum & universalem Christi Iesu Vicarium & Universalem Ecclesiae Pastorem (cui plenitudo potestatis à Christo data sit, cui omnes utriusque sexus obedire, cuius decreta venerari, & pro se quisque tueri & observare teneantur) ut semper agnoverunt & confeßi sunt, ita nunc quoque sincere, fideliter & libenter agnoscunt & confitentur: sed quoniam omnes, præsertim vero Theologos paratos esse oportet ad satisfactionem omni poscenti de his quae ad fidem, mores & aedificationem Ecclesiæ pertinent, dicta Facultas poscenti, mandanti & exigenti Curiae praedictae satisfaciendum duxit. 

Itaque utriusque diplomatis, omnibus frequenter lectis articulis, repetitis & intellectis, & pro rei magitudine per multos menses, dies & horas pro more prius diligentißimè discußis & examinatis, tum demum unanimi consensu, sed summa cum reverentia & humilitate rem integram correctioni Sedis Apostolicae relinquens, ita censuit.

Haec nova societas insolitam nominis Iesu appellationem peculiariter sibi vendicans, tam licenter & sine delectu quaslibet personas, quantumlibet facinorosas, illegitimas & infames admittens, nullam à saecularibus Sacerdotibus habens differentiam in habitu exteriore, in tonsura, in horis Canonicis privatim dicendis aut publicè in templo decantandis, in claustris & silentio, in delectu ciborum & dierum, in ieiunijs & aliis varijs legibus ac ceremonijs (quibus status Religionum distinguntur & conservantur) tam multis tamque varijs privilegijs, indultis & libertatibus donata præsertim in administratione Sacramenti Pœnitentiæ & Eucharistiae, idque sine discrimine locorum aut personarum, in officio etiam prædicandi, legendi & docendi in praeiudicium Ordinariorum & Hierarchici ordinis, in præiudicium quoque aliarum Religionum, imo etiam Principum & dominorum temporalium, contra privilegia Universitatum, denique in magnum populi gravamen: Religionis Monasticae honestatem violare videtur, studiosum, pium & necessarium, virtutum, abstinentiarum, ceremoniarum & austeritatis enervat exercitium, imo occasionem dat liberè apostatandi ab alijs Religionibus, debitam Ordinarijs obedientiam & subiectionem substrahit, dominos tam temporales quam Ecclesiasticos suis iuribus iniustè privat, perturbationem in utraque politia, multas in populo querelas, multas lites, dißidia, contentiones, æmulationes, rebelliones, variaque schismata inducit. Itaque his omnibus atque alijs diligenter examinatis & perpensis, haec Societas videtur in negotio fidei periculosa, pacis Ecclesiae perturbativa, Monasticæ religionis euersiua, & magis in destructionem quam in aedificationem.

Voila en effect la censure de cette grande Faculté. Il n' estòit point lors question d' incorporer ces Jesuites avec nous, & ne se doutoit-on nullement de ce que nous voyons aujourd'huy. Tellement que l' on ne peut dire que preoccupee de passion, elle ait donné cet advis. Autresfois l' on a veu quelques particuliers abbayer contre les nouveaux Ordres de Religions. Un Maistre Guillaume de S. Amour, un Maistre Jean Poulliar, un Jean de Mehun crier encontre les 4. Ordres de Mendians. Toutesfois leurs opinions furent condamnees: Mais quel jugement est cestuy? De tout un College. Quel College? De nostre alme Faculté de Theologie, par l' advis de laquelle, non seulement nos Roys, ains les Papes, non seulement les Papes, ains les Concils generaux se sont ordinairement guidez és choses qui regardoient l' Estat de nostre Foy Chrestienne. Mais elle y besongna peut-estre tumultuairement? Rien moins, elle fut par quatre divers jours assemblee dans la Sorbonne, presta le serment solemnel, fit comme dit-est, celebrer une Messe du S. Esprit. Et vrayement il faut bien qu' il y ait en nos Jesuites du deschet, puis qu' ils ont receu de ces grands personnages cette attainte, qui n' avoit oncques esté donnee en l' introduction de tous les autres nouveaux Ordres de Religions.

Partant je ne rougiray jamais de lier ma conscience à celle de cette venerable Compagnie, & soustenir avec elle qu' il n' y eut oncques Secte plus partiale & ambitieuse, & dont les propositions fussent de plus pernicieuse consequence, que cette-cy: Je seray encores plus hardy. Car, pour bien dire, je suis du nombre de ceux qui sans user de circonloquution, appellent pain ce qui est pain, & vin ce qui est vin. Je dirois volontiers que cette Secte est en ses principes schismatique, & consequemment heretique. Heresie bastie par Ignace sur une ignorance de l' ancienneté de nostre Eglise. Toutesfois puis que nostre Faculté de Theologie n' a voulu user de ces mots, aussi n' en veux-je user. Bien vous diray-je qu' Ignace de Loyola introduisit un erreur au milieu de nostre Eglise, aussi dangereux que celuy de Martin Luther. L' un & l' autre nasquirent sous une mesme centaine d' ans. Celuy-là en l' an 1483. cestuy en l' an 1491. à huict anees l' un pres de l' autre. Tous deux bastirent leurs Sectes, disans qu' ils rapportoient leurs principes à nostre Eglise primitive, a fin d' attirer plus aisément le simple peuple à leur cordelle. Et sur ce pied l' un voulut du tout abroger l' authorité du S. Siege de Rome, & l' autre par un vœu particulier luy en donner plus que le general de nostre Eglise ne donnoit. Martin voulut supprimer la Confession auriculaire, & plusieurs constitutions canoniques receuës d' une longue & saincte ancienneté. Au contraire Ignace non seulement les approuva, mais comme grand Capitaine & confanonnier de nostre Eglise, voulut que luy & les siens administrassent les saincts Sacremens de Penitence & de l' Autel. Je suis fils de l' Eglise Romaine: Je veux viure & mourir en sa Foy. Ja Dieu ne plaise que j' en forligne d' un seul point. Ce neantmoins je soustiens qu' Ignace n' a pas moins esté partial & perturbateur de nostre Religion, que Luther. J' adjousteray que sa Secte est plus à craindre que l' autre, d' autant que soudain que les consciences timorees entendent parler de Luther ou Calvin, elle se tiennent sur leurs gardes, & comme l' on dit en pratique, se gardent de mesprendre. A l' opposite elles se laissent fort aisément surprendre & enyurer du poison des Ignaciens, pour les estimer premiers protecteurs de nostre Religion encontre les heretiques, ores qu' ils en soient les premiers dissipateurs. Je les compare proprement au lierre, qui attaché à une vieille parois fait monstre exterieure de la soustenir, & neantmoins la mine interieurement. Ainsi est-il de nos Ignaciens, lesquels faisans contenance de soustenir l' Eglise de Dieu, la ruinent & ruineront de fonds en comble au long aller. Toutesfois parce que ma proposition semblera peut estre hagarde à quelques ames chatoüilleuses, je vous supplie humblement, Messieurs, vouloir suspendre vos jugemens jusques à ce qu' ayez tout au long entendu mes raisons.

La verité est qu' Ignace ne sçachant encores un seul mot de Latin, mais se promettant de s' en rendre capable avec le temps, estant seulement nourry en la lecture de la Legende doree, delibera de quitter les armes, & d' espouser une nouvelle vie qui estoit, ainsi qu' il disoit, de suivre au plus pres qu' il pourroit les traces de nostre Seigneur Jesus-Christ, & pour cette cause s' intitula Jesuite.

Or d' autant qu' il avoit entendu que les Apostres avoient esté les premieres trompettes de nostre Evangile, mesmes avoient administré le sainct Sacrement de Communion, qui devoit estre devancé par celuy de Penitence & Confession, il voulut aussi que luy & les siens peussent administrer ces deux Sacremens, & Evangelizer par tout le monde nostre Religion Chrestienne. Il adjousta qu' ils peussent aussi instituer les petits enfans, sans rien prendre. Promesses certainement braves. Sur cette imagination il se prosterna en l' an mil cinq cens vingt & trois, au pieds du Pape Adrian sixiesme. En l' an mil cinq cens vingt-quatre, il commença d' estudier en la Grammaire l' espace de quatre ans entiers: Quel progrez il y fit, je ne sçay, bien sçay-je qu' en l' an mil cinq cens vingt-huict, il vint en cette ville de Paris pour estudier en Philosophie jusques en l' an mil cinq cens trente-sept, & lors il ferma son estude, parce qu' il employa le demeurant de sa vie à voyager en divers pays pour faire provigner sa Societé jusques à ce que finalement il establit sa demeure dedans Rome, où il mourut en l' an mil cinq cens cinquante six. Ne pensez pas toutesfois qu' encores qu' il fust ignorant lors qu' il commença d' estudier en cette ville, & que sa Secte ne fust approuvee & authorisee dans Rome, il delaissast avecques les siens d' exercer sa Religion dedans cette ville. Cela fut veu par nous estans fort jeunes en la chappelle qui est en la premiere Cour de nos Chartreux, où les Prestres qui estoient de sa suite, apres avoir chanté leurs Messes, confessoient, & communioient tous les Dimanches ceux qui se presentoient devant eux. J' adjousteray que Ignace voyant que ny dans Rome, ny ailleurs, les superieurs de nostre Eglise ne pouvoient gouster sa doctrine, il fit un vœu particulier en faveur du Pape, non commun à tous les autres Chrestiens, a fin de se rendre à luy aggreable. Car pour vous dire le vray, encores qu' il fust ignorant, si le vous pleuvy-je pour l' un des plus sage-mondains, & advisez de nostre aage. Voila en peu de paroles les propositions, les causes, le temps & le fondement de cette saincte Societé. Permettez moy doncques, s' il vous plaist Messieurs, de faire un Commentaire, tel que le devoir de ma conscience me commande, tant sur cette Histoire, que sur le Decret de nostre Sorbonne. Parce que j' espere vous monstrer, que cette Secte par toutes ses propositions ne produit qu' une division entre le Chrestien & le Jesuite, entre le Pape & les Ordinaires, entre tous les autres Moines & eux, & finalement que les tolerans. Il n' y a Prince ou Potentat qui puisse asseurer son Estat encontre leurs attentats. Je vous ay dit, & est vray, que cette Secte a esté bastie sur l' ignorance d' Ignace. J' adjousteray qu' elle a esté depuis entretenuë par l' orgueil & arrogance de ses Sectateurs.

Je commenceray par la qualité qu' ils se donnent, puis je viendray à leurs propositions. Premierement ils se qualifient Jesuites au milieu des Chrestiens. Bon Dieu, n' est-ce point faire le procez aux Apostres? Ces grands Peres avoient eu cet heur & honneur de voir nostre Seigneur Jesus-Christ en face, de participer tous les jours à ses sainctes exhortations, & apres qu' il fut monté aux Cieux, de recevoir de luy son sainct Esprit. Et toutesfois sçachans avec quelle humilité ils devoient honorer ce grand & auguste nom de Jesus, ils ne s' oserent jamais nommer Jesuites, ains seulement Chrestiens, dedans la ville d' Antioche, ainsi qu' il fut par eux arresté. Les affaires de nostre Religion se comporterent depuis de telle façon, que tout ainsi que dedans Rome, les Papes ne prindrent jamais le nom de Sainct Pierre, pour l' honneur & reverence qu' ils porterent à leur chef, aussi en tout nostre Christianisme ne se trouva jamais Chrestien qui fust baptizé du nom de Jesus. Sçachans bien tous nos bons vieux Peres que c' eust esté un blaspheme d' attribuer à la creature, le nom qui est deu au seul Createur & Sauveur du genre humain. Il faut doncques que vous Messieurs les Ignaciens recognoissiez, que blasphemez encontre l' honneur de Dieu quand vous vous intitulez Jesuites. Voire mais nous ne prenons pas le nom de Jesus (me direz-vous) ains seulement de Jesuites, pour faire entendre au peuple que nous sommes Sectateurs de Jesus. Quoy? les Apostres, les autres Disciples de nostre Seigneur, & ceux qui leur succederent immediatement, bref tous les bons vieux Peres de nostre premiere Eglise, en estoient-ils moins Sectateurs que vous, qu' il faille que par privilege particulier vous ayez emprunté ce tiltre, & non eux? D' avantage, je sçavrois volontiers si pour ne nous astraindre aux vœux de vostre superstition arrogante, nous sommes forclos de la Societé de nostre Seigneur Jesus-Christ.

Et toutesfois ne pensez pas, Messieurs, qu' ils se soient seulement contentez du nom de Jesuite, parce qu' en Portugal & aux Indes ils se font appeller Apostres. Ne cognoissans pas toutesfois que nostre Seigneur a esté si jaloux & de son nom, & de la prerogative de ses disciples, que lors que quelques hypocrites ambitieux par une arrogance trop grande, ou ignorance trop lourde, voulurent prendre le nom de Jesuite, ou d' Apostre, il permit que leur entreprise vint de soy mesmes à neant. En l' an 1262. s' esleva dedans la ville de Sienne une Secte de gens ignorans, qui pour n' avoir autre chose de Jesus, que souvent ce mot en la bouche, se firent nommer Jesuates. Volaterran nous enseigne qu' il y en eut d' autres qui se dirent de la suitte de S. Sauveur. Eusebe dit qu' anciennement y eut un Manes dont sourdit l' heresie des Manicheens, lequel pour contrefaire la puissance de nostre Seigneur, marchoit tousjours accompagné de douze Apostres. S. Bernard nous raconte que de son temps il s' estoit eslevé une sorte de gens vagabonds, qui se faisoient appeller la compagnie des Apostres. Mais que sont deuenuës toutes ces arrogantes Sectes? Dieu les ayant mises en sens reprouvé, les a aussi abysmees: & n' en devons attendre autre chose de cette-cy, quelque prudence qu' elle apporte pour sa manutention. Le premier poinct de nos Jesuites est un blaspheme qui se commet encontre l' honneur de Dieu. Car pour nostre regard, nous nous confessons Chrestiens, militans en ce bas pourprix sous l' enseigne & estendard de nostre grand Capitaine Jesus-Christ. Si l' on nous demande quels sont nos parens, quels noms nous portons, qui nous sommes. A tout cecy nous respondrons, comme fit anciennement un brave Diacre nommé Sanctus, lors qu' on le menoit au supplice dedans la ville de Lyon, que nous sommes enfans de Chrestiens, que nostre nom est Chrestien, yssus du pays de la Chrestienté. Ne voulans recognoistre Jesus sans Christ, ny Christ sans Jesus, le tout ainsi que nos vieux peres ont fait. Certainement quand il n' y avroit que ce nom de Jesuite, que vous Messieurs les Ignaciens, vous estes si ambitieusement appropriez, & souvent avez promis abjurer en cette France, sans nous avoir tenu promesse, vous meritez d' estre punis de mesme peine, à laquelle un Ignace Evesque condamna autresfois les Priscilianistes, je veux dire de mourir d' une mort honteuse.

Venons maintenant aux propositions d' Ignace. Il se promettoit que luy & les siens, iroient prescher l' Evangile comme les Apostres par tout l' Univers, & les passeroient encores d' un poinct, parce qu' ils institueroient la jeunesse és bonnes lettres. Mais quand commença il de faire cette promesse? Lors qu' à peine il sçavoit escrire. Car il est certain, & en sont ses disciples d' accord, qu' il commença d' estudier en l' an 1524. en la ville de Barselonne, & puis en celle d' Ascala, pays d' Espagne, l' espace de 4* ans entiers, à la fin desquels se trouvant aussi sçavant, comme quand il y estoit arrivé, il s' achemina en la ville de Paris, où dés son entree, il se meit de la plus basse classe du College de Montaigu en Fevrier 1528. recognoissant son ignorance, & apres avoir donné quelques anees à l' estude de la Grammaire, & de la Philosophie, il retourna à son pays. Car quant à la Theologie, il ne se donna jamais le loisir d' y estudier. Aussi ne voyez vous un seul livre de sa façon, qu' il ait laissé à la posterité. Ce neantmoins j' excuse ces deux belles promesses: C' estoient de beaux appas pour nous attrapper. Mais comment peut-on excuser qu' il donnast authorité à luy & à ses disciples qui estoient Prestres, d' administrer les Saincts Sacremens, tant de Penitence que de l' Autel, mesmes en qualité de Religieux? Estoit-ce reduire les choses au premier Ordre de nostre Eglise, ou bien introduire un nouveau desordre & confusion? Mais les Apostres premierement, puis leurs disciples en userent de cette façon. Les Apostres ont ainsi vescu, doncques il vous est permis de ce faire? Je le vous nie. Au contraire d' autant qu' ils en userent ainsi, desquels vous n' estes successeurs, ains les Evesques dont vous vous dites exempts, vous estes autant & plus perturbateurs du repos de nostre Religion, que ceux qui ont voulu faire une Eglise separee d' avec nous. Desseillons je vous prie nos yeux. Tout bon & fidele Catholique doit embrasser le S. Sacrement de l' Autel, & celuy de Confession. Mais ce doit estre de la mesme façon que nostre Eglise les a approuvez, c' est à dire sous l' authorité de nos Evesques & Curez, ausquels seuls en appartient l' administration. Quiconque se separe de cette proposition, plante un scisme & division dedans nostre Eglise. Et parce que vostre erreur ne provient que d' une ambitieuse ignorance, a fin d' oster d' icy en avant la taye des yeux de ceux qui vous favorisent, je veux qu' ils apprennent cette leçon de moy.

Qui voudra considerer quel fut le premier plan de nostre Religion Chrestienne, il n' y a celuy de nous qui ne sçache que nostre Seigneur Jesus-Christ choisit pres de soy ses douze Apostres, pour annoncer apres luy sa saincte parole par tout l' Univers. Depuis estant monté au Ciel, & ayant en eux imprimé le charactere du sainct Esprit, ils partagerent par commune devotion tout ce monde. Et ne pouvans seuls fournir à cette grande entreprise, ils furent contraints de commettre sous eux en diverses Provinces des preud'hommes, qui apres avoir receu l' imposition de leurs mains cultiverent nostre Religion. Ceux-cy furent appellez Evesques, sous lesquels avecques le temps furent aussi commis dans les villes, bourgs, & villages des Prestres que nous appellasmes Curez. A tous lesquels fut donnee la charge de l' administration des saincts Sacremens de l' Eglise, & non à autres. Je sçay bien que sur le moyen aage de nostre Religion se planterent divers Ordres de Monasteres de la part de ceux, qui par une devotion particuliere se voulurent separer d' habits, & d' habitation, & de mœurs d' avecques la commune usance. Mais aussi sçay je bien que sur leur advenement tant s' en faut qu' ils peussent administrer les saincts Sacremens, que mesmes ils n' estoient reputez du corps du Clergé. Alia est causa Clerici (disoit sainct Hierosme à Heliodore) alia Monachi: Clerici oves pascunt, ego pascor: & ailleurs: Nemo potest Ecclesiasticis officijs deservire, & in Monastica regula ordinatè persistere. Mesmes estimerent ces bons vieux peres l' un estre si esloigné de l' autre, que deslors qu' un Moine estoit appellé au ministere Ecclesiastic, il luy falloit quitter son Monastere. Au contraire le Clerc se voüant en un Monastere, perdoit le rang qu' il avoit entre les Ecclesiastics. Et à peu dire, je vous renvoye à ce grand sainct Hierosme lequel escrivant à Paulin de l' institution du Moine, disoit: Si officium vis exercere Presbyteri, si Episcopatus te, vel opus, vel honor forte delectat, vive in urbibus & castellis, & aliorum salutem fac lucrum animae tuae. Sin autem cupis esse, quod diceris, Monachus, id est, solus, quid facis in urbibus quae utique solorum habitacula non sunt, sed multorum? 

Et peu apres. Episcopi & Presbyteri habeant in exemplum, Apostolos & Apostolicos viros. Nos autem habeamus propositi nostri principes, Paulos, Antonios, Julianos, Hilariones, Macarios. Si vostre autheur eust esté tant soit peu nourry en l' ancienneté de nostre Religion, il eust trouvé que ce n' estoit pas Apostolizer, mais bien Apostatizer, que luy Religieux voulust comme les Apostres administrer les saincts Sacremens, mesmes au milieu des villes revestu d' un habillement qui n' a rien de commun avec les Moines.

Je sçay bien (a fin que je ne flatte ma cause à credit, car j' appelle Dieu à tesmoin, que je n' ay aucun maltalent contre vous, sinon de tant que je vous voy perturbateurs de l' Estat Ecclesiastic) je sçay bien (dis-je)  que la suitte des ans permist aux Moines d' estre Prestre & de se confesser l' un l' autre, & de s' entrecommunier, mais non d' exercer telles charges & ministeres sur tout le demeurant du peuple: aucontraire on anathematiza en un Concil de Chalcedoine tous les Moines qui en userent autrement. Comme aussi fit depuis ce grand Innocent troisiesme. Je sçay encores & veux recognoistre que depuis nostre bon S. Louys on permist aux quatre Ordres des Mendians de confesser. Mais jamais en nostre Eglise on ne dispensa ny Moine ny Prestre d' administrer le S. Sacrement de l' Autel, sinon du consentement expres ou de l' Evesque, ou du Curé dedans leurs destroicts. Voire furent nos anciens François si estroits observateurs de cette regle, qu' il n' estoit permis à aucun d' ouyr la Messe d' un Curé s' il n' estoit son paroissien. Ny pareillement à un Curé de celebrer une Messe en la paroisse d' un autre. Voyez doncques si vous suivez vrayement les pas de nostre Sauveur Jesus Christ, vous qui par une nouvelle institution troublez tout l' ordre Hierarchique de son Eglise, vous qui Religieux profez entreprenez sur le ministere de nos Evesques, vous qui estes perturbateurs de la discipline Monastique, quand vous vaguez comme des Prestres au milieu de nous tous sans aucune distinction d' habits & de tonsure.

Mais pourquoy ne confondrez vous tous nos Ordres, si en vos ames vous vous mocquez des prieres que nous tous faisons à Dieu dedans nos Eglises, esquelles nos anciens establirent le Choeur pour les Prestres, & la Nef pour le demeurant du peuple. Et vous pour n' avoir point de cœur  au service de Dieu, aussi avez banny de vos Eglises les Choeurs, estimans que vous feriez tort à vostre institution, si vous vous conformiez à la pieté & discipline generale de nostre Eglise.

Je voy bien que pour parer ce coup, vous me direz que par les Bulles de Rome il vous est permis en qualité de Moine, d' administrer les saincts Sacremens de Penitence & de l' Autel, mesmes d' aller en habillemens de Seculiers parmy le monde. Toutes & quantesfois que vous le direz, autant de fois voudrez vous introduire un scisme & division entre l' Eglise Romaine & la Gallicane. Nous recognoissons en France le Pape pour chef & Primat de l' Eglise Catholique & universelle, comme celuy qui est successeur de sainct Pierre, que nostre Seigneur voulut particulierement favoriser entre ses Apostres, mais avec cette modification honneste, nous croyons qu' il ne peut rien entreprendre dedans cette France au prejudice de nos Evesques & Ordinaires. Le Consulat de nostre Eglise Chrestienne s' exerce dans la ville de Rome, & le Tribunat dans la France: & tout ainsi que les oppositions des Tribuns dedans la Republique de Rome, contre les Consuls furent cause que chacun demeura dedans les bornes de son devoir, chose qui conserva longuement l' Estat, aussi le semblable est-il advenu en nostre Republique Chrestienne. Privilege qui nous est acquis, non depuis quelques centaines d' annees, ains dés le bers de nostre Religion. Ainsi voyons-nous dans Eusebe le Clergé de Lyon admonester doucement Eleuthere Pape d' acquiescer à la raison, & de se separer de la Communion de quelques autres Eglises, comme il avoit fait. Ainsi Victor Pape ayant excommunié les Evesques du Levant pour ne s' accorder avecques luy en quelques ceremonies qui concernoient le jour de la celebration des Pasques, est non seulement admonesté par sainct Irène Evesque de Lyon, ains tres-aigrement repris d' avoir apporté cette division en l' Eglise: Ainsi fut blasmé par nostre grand S. Martin Evesque de Tours, le Pape qui favorisoit l' opinion de quelques Ignaciens qui lors estoient. Et ainsi ne faut il trouver mauvais si maintenant nostre Faculté de Theologie a interposé son advis contre nos nouveaux Ignaciens, apres avoir veu & consideré les bulles tant du Pape Paule, que de Jules: Ce sont les privileges & libertez de nostre Eglise Gallicane dont nos Roys premierement, puis cette grande Cour de Parlement, en apres l' Université de Paris sont les protecteurs, & tant s' en faut que par ces privileges & libertez, nous soyons autres que ne devons envers l' Eglise Romaine, qu' au contraire c' est par une abondance d' humilité & obeïssance envers le sainct Siege, que nous les appellons privileges. Veu que cette liberté tant rechantee par les nostres, n' est autre chose qu' une reduction au droict commun & ordinaire, & que ce que l' on entreprenoit sur eux estoit extraordinaire. Et c' est la cause pour laquelle chacun par un commun consentement s' est induict d' appeller nos Archevesques & Evesques, Ordinaires. Il n' est permis au Curé, d' administrer le sainct Sacrement de l' Autel hors sa paroisse, & à l' Evesque hors son (Diosece) Diocese, combien que l' un & l' autre soient pour cet effect fondez de tout temps & ancienneté, au droit commun, & il sera permis à ce nouveau peuple de les administrer en toutes Provinces? Qu' est ce autre chose cela que les faire superintendans des Evesques en leur donnant plus de permission qu' à eux? introduire une zizanie en nostre Christianisme, & au lieu de rappeller les choses à leur premier poinct, bouleverser toute nostre Eglise? Je soustien qu' il ne se doit faire, & vous appelle Messieurs à garends, comme ceux qui estes protecteurs des privileges de nostre Eglise Gallicane. Aussi eux mesmes nous en passent condamnation par un taisible remords de leurs consciences, quand par leur requeste, avec une parole fardee ils vous promettent qu' ils n' entendent vacquer à l' administration des saincts Sacremens, ny entreprendre chose aucune au desadvantage du droict des Evesques & Curez. Mais à cecy je vous demande, Messieurs les Ignaciens, vous qui n' estes aujourd'huy que cinq ou six en cette ville, qui voulez, sous le masque d' un College, donner vogue à vostre Religion, pouvez vous sans le Superieur & General, & encores sans assemblee generale de vostre Ordre faire cette protestation? Vostre promesse est doncques captieuse pour nous enchevestrer dans vos rets. D' ailleurs qu' est-ce que vous nous promettez, que n' ayez autresfois promis? Voire qui ne vous ait esté enjoinct au Colloque de Poissy, par nos Prelats? Et toutesfois nous avez vous gardé parole? & vrayement, encores que balanciez le poinct de vostre Religion au contrepoids de l' utilité, & que pour cette cause selon les occasions menagiez vostre dict & vostre desdict, si est-ce que n' oseriez estre si impudens de desnier que depuis ce grand Colloque, n' ayez receu au sainct Sacrement de l' Autel & de Confession une infinité de personnes. Ainsi puis que sur vostre advenement vous nous avez fait faillite, ne trouvez point estrange si nous ne voulons que soyez de nos personniers, vous, dis-je, que ne pouvons recognoistre pour bons & loyaux marchands. Je viens maintenant à leur autre vœu, par lequel ils ont estimé clorre la bouche à tous ceux qui leur voudront faire teste, par ce que tous les autres Religieux se lient seulement à trois vœux, de pauverté, chasteté, & obedience envers leurs superieurs. Mais ceux-cy en font un autre supernumeraire, qui est de recognoistre le Pape par dessus toutes les autres dignitez. Je sçavrois volontiers qui est celuy d'  entre nous autres Catholics qui ne le recognoisse pour tel? Que leur estoit-il de besoin de faire ce nouveau vœu? Il faut doncques qu' il y ait quelque anguille sous roche, que le commun peuple n' entend. Je le vous diray Messieurs. Ne pensez pas que ce vœu soit une chose oyseuse & sans effect. Ce qui seroit s' ils entendoient en user tout ainsi que nous. Que recognoissent-ils doncques par ce vœu? Ce sont des nouveaux vassaux qui advoüent le Pape avoir telle authorité & puissance sur nous tous, que tout ce qu' il veut il le peut. Que sans entrer en l' escrain de ses pensees, il luy faut en toutes choses obeyr: qu' il peut sans aucun controlle r'avaller l' authorité non seulement de tous les autres Prelats, mais des Empereurs, Roys & Monarques. Qui luy est loisible de son authorité absoluë transferer les Royaumes d' une famille à autres. Bref que si le Pape leur commande de faire quelque chose, ils sont tenus d' y obeyr, sans aucune cognoissance de cause. Proposition qu' ils tiennent si asseuree, que leur Pere Ignace avoit accoustumé de dire en ses communs propos; que si au milieu d' un obrage & tempeste, le Pape luy commandoit d' entrer dans une nef desgarnie de pilote, mast, cordages, voiles, & autres affusts, il n' y voudroit contrevenir, par ce que son vœu  particulier l' y obligeoit. Quoy doncques? si nous ne sommes de ce vœu, nous ne sommes vrays enfans du Pape & de l' Eglise Romaine? Y eut il jamais proposition plus dangereuse que cette cy, ne qui puisse procurer tant de maux? Le mal-heur a voulu que ces deux ou trois ans nous ayons veu une guerre civile au milieu de cette France sous deux malheureux noms de faction, de Huguenot & Papiste: celuy qui usa du mot de Papiste estoit un menteur, car nous combations seulement pour l' authorité de nostre Eglise Catholique, dans laquelle estoit veritablement comprise la dignité du sainct Siege; mais non telle que nos Jesuites nous veulent figurer. Qu' aviendra-il desormais? Que sous une mesme Eglise nous verrons une guerre civile, entre le Papiste qui sera Jesuite, & le vray Catholic François. Et pourquoy doncques? Par ce que nostre creance est toute autre. Nous recognoissons en cette France le Pape pour chef & Primat de nostre Eglise universelle avec tout honneur & devotion. Mais tel toutesfois qu' il est suject aux Decrets des Concils generaux & oecumeniques: Qu' il ne peut rien entreprendre sur nostre Royaume, ny contre la Majesté de nos Roys, ny contre l' authorité des Arrests de cette Cour, ny pareillement au prejudice de tous nos Diocesains dedans leurs fins & limites: En sommes nous pour cela moins Catholics? Au contraire nos Roys ont esté de toute (ancienné) ancienneté intitulez Tres-Chrestiens, & reputez dedans Rome fils aisnés de nostre sainct Pere. Quand je vous dy que le Pape est au dessous du Concil general, fay-je faute? Le plus grand Theologien que nous eusmes jamais en France, fut maistre Jean Gerson qui florit sous le regne de Charles sixiesme: Et entre ses autres œuvres nous en trouvons un, dont le tiltre est. 

De auferibilitate Papae ab Ecclesia. Non qu' il voulust soustenir qu' il falloit supprimer l' authorité du Pape de nostre Eglise, comme quelque Lucian de nostre temps le voulut aucunement suggiler: Mais parce qu' il nous enseigne par expres qu' il est en la puissance d' un Concil general d' oster un Pape de son Siege, & d' y en eslire un autre, pour subvenir aux affaires de nostre Eglise Catholique, comme de faict il fut pratiqué aux Concils de Constance & de Basle. Quand je dy que le Pape ne peut entreprendre chose aucune au prejudice des droicts de nos Ordinaires au dedans de leurs Dioceses, ne suis-je icy assisté de nostre Pragmatique Sanction, vray guidon de nostre discipline Ecclesiastique? J' ay leu dedans un Religieux de l' Ordre de Clugny, nommé Glaber Radulphus, qui fut du temps du Roy Robert fils de Capet, qu' un Comte d' Anjou voulut bastir aux environs de la ville de Tours une Eglise en l' honneur des Cherubins & Seraphins. Cestuy avoit grandement foulé son peuple de daces & maletoutes, & pensoit en faisant ce Temple se reconcilier de ses fautes avecques Dieu. Il pria l' Evesque de Tours de vouloir dedier cette Eglise. Ce qu' il refusa de faire, jusques à ce que ce Seigneur eust rendu au pauvre peuple, ce qu' il avoit tiranniquement extorqué de luy. Sur ce refus il se retire à Rome vers le Pape qui envoya un Legat pour

celebrer cette Dedicace. Ce que tous les Evesques de France trouvoient tres-estrange. Nam tametsi (dit ce Religieux) Pontifici Romanae Ecclesiae ob dignitatem Apostolicae sedis, caeteris in orbe sitis maior reverentia habeatur, non tamen ei licet in aliquo transgredi canonici moderaminis tenorem. Sicut enim unusquisque orthodoxae Ecclesia Pontifex ac sponsus propriae sedis uniformiter speciem gerit Salvatoris, ita generaliter nulli convenit quidpiam in alterius patrare Episcopi Diocesi. Quand je vous dy qu' en nostre France nous ne souffrons que le Pape se donne puissance de toucher à la Majesté de nos Roys, ny de donner en proye le Royaume au premier Prince estranger qui le pourroit occuper, ce n' est point une doctrine nouvelle, que j' espande par nostre France. Dés le regne de Charles sixiesme sous lequel nul heretique ne revoquoit en doute la primace & grandeur de Rome, fut fait un livre expres par Maistre Raoul de Presle, maistre des Requestes de l' hostel du Roy, par lequel il soustenoit que c' estoit une proposition erronee de dire que le Roy de France & son Royaume fussent sujets au Pape és choses qui concernoient le temporel. Sous Charles cinquiesme fut faict le Songe du Verger, depuis traduict en Latin, auquel le Gentil-homme & l' Ecclesiastic devisans de ce suject, en fin ils concluent qu' il faut recognoistre le Pape non en la plenitude de grace telle que nostre Seigneur Jesus Christ eut, estant monté au ciel, & à laquelle on rapporte ce verset, de David, Domini est terra & plenitudo eius: Mais bien telle qui se voulut donner, lors qu' il se revestit d' un corps humain pour nous estre un miroir & exemple d' humilité. Parce qu' il se fit le Melchisedech de nostre Eglise, mais non pour commander à la domination des Roys, & Princes souverains. Qui fut cause qu' il enseigna à ses Apostres de rendre à l' Empereur de Rome le bien & honneur qui luy estoit deu: & estant devant ses Juges il recogneut que son regne n' estoit de ce bas monde. Et à peu dire, sommé par quelques uns de vouloir estre Juge & arbitre de leurs partages, il leur respondit franchement qu' il n' avoit esté envoyé de Dieu son pere à cet effect.

Voila les propositions regulieres & canoniques que nous tenons en cette France, ny pour cela nous ne sommes reputez heretiques. Toutesfois elle ne plaisent pas à ceux qui sont nourris en Cour de Rome. Car lors leurs maximes sont que dedans le sein du Pape, comme dedans un grand thresor, sont enclos toutes les puissances tant spirituelles que temporelles, qu' il peut commander non seulement aux Evesques, ains aux Empereurs & Roys, transferer les Royaumes de l' un à l' autre, & les mettre en pleine interdiction. Quoy? si le malheur du temps nous renvoyoit un autre Boniface VIII. qui voulust censurer le Roy & sonner une croisade encontre la France, en faveur d' un Roy illegitime & estranger, ayans ces nouveaux vassaux de la Papauté, n' auriez vous point autant d' ennemys profez dedans vostre sein, qui suborneroient par leurs presches le simple peuple encontre nostre Estat? Que deviendront desormais nos anciennes appellations au Concil general futur? Que deviendront nos appellations comme d' abus, principaux nerfs de nostre Republique sans scandale, contre les entreprises induës qui se peuvent faire en Cour de Rome? Sous le regne de Charles VI. Le Pape Benedict XI. delegua en cette Cour de Parlement, l' Archediacre de Narbonne, chargé des Bulles par lesquelles il censuroit le Roy & tout son Royaume. Le Parlement les renvoya à nostre Université qui les declara schismatiques: Et par Arrest du 19. de May 1408. il fut ordonné que les Bulles seroient publiquement lacerees, & que l' Archediacre les ayant penduës au col feroit amende honorable, puis seroit traisné sur une claye aux hales où il seroit pillorié. Arrest qui fut executé selon sa forme & teneur. Pourrons nous desormais user de ce privilege ayans ces Jesuites dedans cette ville? Nous serons partialisez en brigues, les uns portans devant le party du Pape & les autres celuy du Roy. Anciennement Charlemagne par loy expresse deffendit à ses sujets de se faire Moines sans sa permission, disant que c' estoit par ce moyen perdre autant de ses hommes, qui de là en avant ne porteroient les armes pour luy. Que diroit-il maintenant s' il revenoit en ce bas monde, quand il verroit au milieu de son Royaume des hommes soudoyez aux despens de la France, pour s' armer encontre luy & les siens? Je ne parle point seulement pour la France, je parle pour tous les autres Royaumes & Republiques. Introduisezy ces Messieurs, vous y establissez autant d' ennemis, si le

malheur veut que le Pape les vueille guerroyer. Je ne veux rien mal presagir du sainct Siege, mais en matiere d' Estat, il faut en une asseurance de tout, craindre tout. Les histoires ne racontent-elles la furieuse vengeance que Hildebrand, dit Gregoire VII. & son successeur, firent au pauvre Empereur Henry quatriesme, quand non contens de la despoüiller de sa Couronne, ils voulurent que ce fust par l' entreprise de son propre fils, & poursuivirent leur inimitié jusques apres sa mort, quand ils firent deterrer son corps de terre Saincte? Ne lisons nous pas qu' un Alexandre Pape petilla Federic Empereur, lors qu' il se vint prosterner devant luy à ses pieds, pour se reconcilier avec luy? A la verité nous n' avons pas eu de telles secousses en France, parce que nos propositions & maximes nous ont conservez, si pouvons nous dire toutesfois que nous eusmes un Boniface huictiesme, un Jules deuxiesme, & troisiesme, qui furent nos ennemis capitaux. N' attendons doncques point que nous tombions en tels accessoires. Le plus beau, c' est de prevenir sagement les maladies, & que ne soyons contraints de dire quand elles seront advenuës, je n' y pensois pas.

Je sçay bien que ceux, ou qui par esprit de curiosité, ou par le peu de prevoyance qui est en eux, s' attachent seulement à la superficie des choses, me diront qu' il ne faut rien attendre de sinistre d' eux, attendu la simplicité dont nous les voyons se gouverner & maintenir avec nous. Car ainsi advocassent les simples femmes pour eux. Toutesfois je vous supplie, Messieurs, considerez de quelle simplicité ils ont mené tout leur faict. Car quant à moy je ne mesure leur simplicité, ny à leur robbe agraphee, ny à leurs chimacrees exterieures. Mois à ce que j' apprends du dedans. Et ne descouvre ce dedans que par leurs constitutions, par leurs statuts & ordonnances, & à peu dire par les preceptes, au moyen desquels ils sont arrivez au rang qu' ils tiennent aujourd'huy.

Apres avoir doncques discouru sur le vœu d' obedience, examinons s' il vous plaist celuy qui regarde la pauverté. Appellez vous simplicité de faire comme Religieux vœu de pauverté, tant en general qu' en particulier, & neantmoins, qu' il vous soit permis par le moyen d' un College tenir terres & possessions? N' est-ce pas icy un sophisme par lequel non seulement vous surprenez ce pauvre peuple, ains faites gerbe de foire à Dieu? Gentils Cincinnats, qui ne voulez point avoir de bien comme Religieux, mais qui voulez commander à ceux qui en avront. 

Je vous supplie dictes moy quand c' est que l' on vous a veu mendier depuis cet ample legs qui fut fait à vostre ordre par vostre Evesque de Clairmont. Car encores que vous soyez grandement repeus de la grace du sainct Esprit, comme Apostres de Dieu, aux Indes, & en Portugal, & comme Jesuites & Religieux en Italie, si a il fallu qu' en cette France vous ayez esté nourris de quelque viande materielle, comme simples bourciers & collegiaux. Dequoy est-ce que vostre Congordan, & quatre ou cinq autres de vostre sequelle qui se disent estre du grand vœu, ont vescu sinon du bien du College? Et que j' appelle simplicité vostre secte, n' y voyant qu' une renardise? je ne le feray jamais, je ne permettray que devant mes yeux passe cela par connivence sans le discourir à un peuple. Et pour ne m' arrester à ce seul poinct, venons au demeurant de vos Loix. Vous promettez par vos Bulles de lire gratuitement. Magnifica vero Verba. Car comme dit le prover. Nemo suis stipendiis militat. Et certes cette promesse est si grande pour gagner le cœur d' une pauvre & idiote populace, que moy mesme dés le premier abord de cette cause me trouvay aucunement surpris. Toutesfois apres avoir quelque temps discouru en moy que dés leur premier advenement en cette France, lors qu' ils voulurent estre receus & authorisez par la Cour, ils faisoient les mesmes protestations & promesses. Ce neantmoins que la Cour leur

fit un perpetuel refus, je pensay que cette sage compagnie ne s' estoit point induite à ce faire sans grande & meure occasion. Puis ayant ramené devant mes yeux tout ce qui s' est passé, & que lors qu' ils vindrent en cette ville pour lire & former leur ordre, qui est depuis dix ou unze ans en ça, ils estoient pauvres comme la mesme pauverté, & toutesfois maintenant qu' il n' y a College, voire compagnie qui soit plus riche que cette-cy, je commençay lors d' haleiner leur fard, & dire comme Martial.

Qui potes insidias dona vocare tuas?

Dois-je appeller liberalité de ne prendre un souls tous les mois pour l' entree de vostre College, & neantmoins vous estre rendus en dix ans riches de cent mille escus? Où est le College de toute nostre Université qui soit parvenu depuis deux cens ans à telle richesse? D' ailleurs faictes vous en cecy chose qui n' ait esté pratiquee devant vous, & encores ne le soit aujourd'huy, par les professeurs du Roy? Nommez vous liberalité de n' estre contens de vingt & trente escus pour la pension d' un enfant, mais d' en exiger quatre vingts & cent tous les ans? Est-ce liberalité de ne prendre un denier ou un double pour examiner en confession la conscience d' un homme, & neantmoins extorquer de luy par forme de don gratuit, vaisselle d' argent, & infinité d' autres dons precieux, qu' il n' est maintenant besoin de raconter en ce lieu? En cette façon est le gend'arme liberal, quand par honnestes promesses, il attire son ennemy en ses embusches pour en faire un piteux carnage. Ainsi est le brigand liberal, qui chevale par beaux semblans le pauvre passant, jusques à ce que le tenant à son advantage, il luy oste miserablement & sa vie & son avoir. Ainsi est le pescheur liberal qui donne à une mer un veron pour en rapporter un gros poisson. Ainsi est vostre liberalité trop pire & plus dangereuse, que si à pleine bouche vous veniez crier par la ville que vous avez du sçavoir à vendre: comme l' on recite avoir esté autresfois faict par un Alcuin, & deux ou trois de ses compagnons du temps de l' Empereur Charlemagne. Car à dire le vray cette promesse est une piperie publique, à laquelle il faut que le sage Magistrat tienne la main. Ces gens de bien (ils penseront que je me mocque) qui se disent ne vouloir posseder biens ny en particulier, ny en public, veulent lire gratis. Mais en quel lieu de la saincte Escriture est-ce qu' ils trouveront cette charité imprimee, veu que par passages du tout formels nous sommes admonestez que Mercenarius dignus est mercede sua: Et qui servit altari de altari vivere debet. Vous estes doncques, ou plus que celuy duquel vous empruntez le nom, ou bien publics imposteurs (il faut que cette parole m' eschappe) de publier vostre liberalité gratuite: car cette liberalité ne procede que d' un mesme fonds que vostre vœu de pauverté. Parquoy je puis dire en ce lieu comme a fait quelque Poëte de nostre temps.

Vestra datis cum verba datis, nam fallere vestrum est:

Et cum verba datis nil nisi vestra datis.

Au demeurant ne considerez vous point, Messieurs, combien il importe à la France que vos enfans ne soient nourris avecques eux? On leur lit quelques livres d' humanité & Philosophie, cependant on leur enseigne parmy cela toutes propositions contraires à l' ordre Hierarchique tant de nostre Religion, qu' Estat, & à peu dire on en fait une pepiniere pour estre ennemis du Roy quand les occasions s' y presenteront. Ceux qui sont versez en l' histoire d' Italie sçavent que les trois jeunes hommes qui tuerent Ludovic dernier Duc de Milan au milieu du Dome, ne furent induits à ce faire que par les leçons de leur Maistre, qui ne leur preschoit ordinairement autre chose, sinon combien il estoit loüable & meritoire d' assassiner un tyran. Les premieres opinions que l' on seme dans les cœurs des jeunes gens, leur plaisent du commencement, comme n' ayans plus beaux objects que leurs precepteurs, & en apres, prennent longues racines dans eux. Adjoustez qu' il sera fort aisé de les transplanter en leur Ordre, bongré, malgré leurs peres & meres, les ayans ainsi avec soy. Ce qu' advenant, vous porterez dans vos maisons la juste penitence de vostre peché. Il n' y a Moine qui ne soit tres-aise de gagner & attirer à sa cordelle tous ceux qui se presentent à luy. Chose toutesfois qui ne peut advenir aux autres Monasteres si aisément, dans lesquels les Religieux menent vie separee de tout le demeurant du peuple. La Cour doncques peut entendre par les choses susmentionnees, que cette Secte est une vraye illusion faicte à la desolation tant de l' Estat Ecclesiastic que Politic, si nous considerons leur nom, leurs vœux & l' exercice de leur superstition. Toutesfois ne nous arrestons à cecy, ne penetrons si profondement aux secrets de leurs ministeres, qu' ils ne veulent pas estre descouverts à chacun. Mais pour autant qu' ils ne chantent aux aureilles des femmelettes que leur pitié, laquelle ils attachent au bout de leurs robbes à une agraphe ou esguillette, voyons encores s' il vous plaist s' ils se trouveront tels par effect, comme ils se publient de parole. Nous avons les Benedictins, Bernardins, Dominiquains, Francisquains, & autres tels Ordres. Dés l' entree de leurs professions leurs autheurs furent de si saincte vie, que du commun consentement de l' Eglise ils furent enregistrez au Calendrier des saincts. Qui fut cause que plusieurs induicts par leurs bonnes vies, se voulurent mettre de leur suitte. Paravanture aussi trouverons-nous que les premiers qui ont esté de cette Secte des Jesuites avront esté d' une vie si saincte & austere, que tant s' en faut que nous leur fermions nostre porte, qu' au contraire nous appeterons d' estre incorporez avec eux. Il y a environ dix ou douze ans que l' un de vos plus anciens supposts s' achemina en cette ville, homme qui vous passe de tant en sçavoir, comme vous les simples manœuvres. C' estoit Maistre Guillaume Postel. Nous le vismes prescher, lire, & escrire, il avoit une grande soutane jusques à la my-jambe, la robbe longue agraphee, le bonnet à l' Episcopale, accompagné en toutes ses actions d' un visage blesme & sec, qui ne descouvroit que grandissime austerité. Et nous celebroit une Messe avec plusieurs ceremonies estroites, non communes à nostre Eglise. Cependant que nous rapporta-il? Une mere Jeanne, une impieté, une heresie la plus detestable dont on ait oncques ouy parler depuis l' Advenement de nostre Sauveur Jesus Christ. Les Donatistes, les Arriens, les Pelagiens n' y firent jamais œuvre. Où preschoit-il? ce n' estoit point en lieux montagnarts ou deserts, esquels on a accoustumé de planter une nouvelle Religion: c' estoit au beau milieu de la France, en cette ville de Paris. De quel ordre estoit-il? De cette venerable Societé de Jesus: 

Hé vrayement si vostre Societé produit de tels monstres, si elle nous engendre de si damnables effects, ja à Dieu ne plaise que nous soyons jamais de cette Societé de Jesus. Et s' il vous plaist que j' attache mon plaidoyé à quelque haut suject, nous avons veu un autre des vostres, voire l' un des plus estimez d' entre vous, avoir l' espace de quatorze ans entiers, dissimulé toute austerité sous le manteau de vostre hypocrisie, & avoir non seulement pris le nom de Jesuite, mais encore celuy de Theatin? En fin quand il fut arrivé au dessus de toutes affaires, que nous apporta-il? paravanture une paix & union generale en nostre Chrestienté? helas! une guerre la plus estrange & malheureuse dont il fut oncques parlé. Et à vray dire depuis qu' il nous eut envoyé en cette France un gendarme masqué de l' habit d' un Cardinal, pour nous apporter une espee, jamais nous n' avons eu en cette France que toutes sortes de maux & calamitez. Et à qui en devons nous rendre graces? à ce demy Jesuite. Je ne veux point rechercher exemples loingtains, ou sortir hors des murailles de vostre College. Depuis deux mois en ça vostre Metaphysicien Maldonat, a voulu par l' une de ses leçons prouver un Dieu par raisons naturelles, & en l' autre par mesmes raisons, qu' il n' y en avoit point. Faire le fait, & le defait sur un si digne sujet. Je demanderois volontiers auquel il y a plus d' impieté & transcendance, ou en la premiere, ou en la seconde leçon? Et en effect ce sont les saincts mysteres esquels vous reluisez sur le peuple, ce sont les belles semences que vous dispersez entre nous. Parquoy estans desja acertenez du fruict que produict vostre Secte, par les exemples familiers qui se presentent devant nos yeux, que nous vous recevions avec nous, en cette incompatibilité de polices qui se trouvent entre vous & nous, en cette profession publique qui contrevient à nostre Christianisine, & à la grandeur de nostre Prince? Nous ne pouvons, nous ne devons: & si autrement nous le faisons, nous estimerions estre crimineux de leze Majesté divine & humaine.

Ainsi puis que vous avez, Messieurs, tout au long entendu les moyens par lesquels nous pensons estre bien fondez encontre nos parties adverses, je diray ce seul mot pour conclusion: Nous trouvons par les Registres de cette Cour de Parlement, qu' anciennement les Advocats és causes de marque & parade avoient accoustumé de commencer leurs Plaidoyez, par themes tirez de la saincte Escriture, ainsi que maintenant nos prescheurs. Il y en eut un fort solemnel qui fut fait autresfois, si je ne m' abuse, sous le regne de Charles sixiesme, pour nostre Université. Auquel, l' Advocat qui portoit la parole pour nous commença par ce verset. Tu es qui restitues haereditatem meam mihi: Il me plaist finir mon Plaidoyé par où celuy-là commença le sien, & dire non pas que vous nous rendiez nos heritages & possessions: Mais que vous nous entreteniez en iceux: C' est à dire en nos privileges, franchises, & libertez. La cause qui se traicte maintenant ne regarde point tant le corps de nostre Université, que l' interest de nous & de nos enfans, bref de toute la posterité. Je ne doute point que les demandeurs pour s' insinuer avec nous, ne masquent toutes leurs actions de paroles amadoüantes, & beaux pretextes exterieurs. Car aussi quelle est la Secte qui n' ait tousjours esté accompagnee de telle hypocrisie, quand elle a voulu se planter & habituer en quelque lieu? l' hypocrisie est celle qui fait planche à toutes nouvelles opinions, & qui leur donne puis apres vogue & seur accés parmy les simples femmelettes. Ce malheureux Empereur Julian l' Apostat ne s' estoit il pas sur son premier aage rendu Moine, accompagnant lors toute la teneur de sa vie de toutes œuvres charitables, & quand il fut parvenu au dessus de ses attentes, y eut-il jamais homme qui procura tant de mal à nostre Chrestienté comme luy? Parquoy c' est à faire au sage Magistrat de ne s' esmouvoir de ce qui reluit exterieurement. C' est à luy de sonder les affaires jusques à leur vif, prevenir les inconveniens, & d' enjamber sur les choses futures par un rapport & discours de celles qui se sont passees. Il n' y a celuy de nous qui ne se souvienne, & ne s' en souvienne à son grand regret, des maux & calamitez que nous avons puis n' agueres encouruës, par une diversité de Religions, qui occupent nos esprits: Je vous supplie, Messieurs, vous representer le passé & en vouloir tourner les enseignemens au profit de la Republique, & edification de nous mesmes. C' est une chose certaine que l' on n' a jamais veu partialité en nostre Christianisme qui n' ait apporté une tierce Secte, ou pour mieux dire un monstre beaucoup plus dangereux & damnable que la mesme partialité. En cette façon par les divorces & dissensions qui estoient entre l' Homoussian & Omioussian, prit Mahomet occasion de façonner sa Secte detestable par une forme de neutralité. D' un mesme discours, de nostre temps sur les divisions du Catholique & du Lutherien, les Anabaptistes introduisirent leur malheureuse heresie, qui depuis pourchassa tant de maux & de miseres en toute la Germanie. Et de ma part, je ne me puis faire accroire autre chose, sinon que de ce mesme artifice veulent maintenant les Jesuites s' accroistre dans cette France, par les ruines de deux Religions: Et quel en doit estre l' evenement, leur entree, leurs pratiques, leurs vœux, leurs professions, vous en doivent rendre asseurez. Ils lisent au milieu de nous, & nul de ceux qui se sont poussez pour l' ouverture de leurs leçons ne passa jamais par les degrez de Bachelerie, Licence, Maistrise & Doctorande. Ils se disent faire vœu de pauverté, tant en general, que particulier, ainsi qu' anciennement les quatre Ordres de Mandians. Ce neantmoins vous les verrez comblez de richesses. Ils administrent les saincts Sacremens tant de Penitence que de l' Autel, par tout où ils veulent, & toutesfois ils ne sont Evesques, ny Curez. Ils se publient Religieux, & comme tels font trois vœux. Ce nonobstant ils sont habillez au milieu de nous comme Prestres. Ils celebrent le service divin dedans leurs Eglises, desquelles toutesfois ils ont banny les Choeurs, ancienne institution de toutes nos Eglises. Ils se meslent de confesser. Mais confessant ils apprennent à ceux qui pour leurs delicts sont condamnez à mort, qu' ils ne sont tenus de reveler au Magistrat leurs fautes moyennant qu' ils les ayent confessees au Prestre, voire qu' ils les peuvent franchement desnier. Ils font un vœu particulier au Pape, nous declarans par consequent n' estre de ses enfans par faute de faire mesme vœu  Et en le faisant ils ruinent toutes les anciennes propositions Catholiques de nostre France. Conclusion, ils se disent  vrayement de la Societé de Jesus. Quoy faisant ils nous exterminent taisiblement si nous ne sommes de leur suitte. Vous Messieurs, voyez tout cela, & le voyans le tolerez. Et vous Messieurs, serez aussi quelque jour les premiers juges de vostre condamnation, quand par le moyen de vostre connivence verrez les malheurs qui en adviendront non seulement en la France, mais par toute la Chrestienté.

Que si toutes ces remonstrances ne vous esmeuvent, nous appellons pour conclusion de nostre plaidoyé, Dieu à tesmoin, & protestons devant le monde que nous n' avons failly à nostre devoir. A fin que si les choses prennent autre traict qu' à poinct, pour le moins la posterité cognoisse que ce siecle n' a esté despourveu d' hommes, lesquels ont de longuemain, & comme d' une eschauguette, preveu la tempeste future. Et esperons que par mesme moyen il sera trompetté aux aureilles de nos survivans, que tout ainsi que cette grande Université de Paris est la premiere de toute la France, voire de tout l' Univers, aussi ne fut-elle oncques lasse, comme encore ne se lassera jamais de combatre contre toutes sortes de Sectes & novalitez, premierement pour l' honneur & soustenement de Dieu, & de son Eglise, puis pour la Majesté de nostre Prince, & finalement pour le repos & tranquilité de l' Estat.