CHAPITRE XXI.
Ce Chapitre concernant les Magistrats, sembloit avoir deu estre mis soudain apres la creation de l' Université, mais tout ainsi que je l' ay principalement dedié à ceux qui font profession des Arts & de la Philosophie, que j' ay mis au quatriesme lieu de nos Facultez, suivant en cecy l' advis du Cardinal d' Estouteville, aussi voulant parler du Recteur & de sa suite, fondement de cette quatriesme Faculté, je parleray auparavant de l' autre Magistrat que nous appellons Chancelier. Car en autre lieu plus commode ne pourray-je le faire.
Or combien que sous le regne de Louys VII. le nom de l' Université ne fust en usage, & n' eust pris les plis dont elle fut depuis honorée, si est-ce que deslors on commença d' avoir quelque image de Magistrature en l' Eglise de Paris, pour la direction des Escoles. Chose que je recueille d' Abelard, lequel recitant combien d' un costé il estoit favorizé de la commune des Escoliers, & d' un autre, disgratié de plusieurs Prelats jaloux du grand nom qu' il avoit acquis, & comme il s' estoit rendu Religieux Profés en l' Abbaye sainct Denys dit ainsi.
Cum autem in divina scriptura non minorem gratiam, quam in seculari mihi Dominus contulisset, coeperunt admodum scholae nostrae multiplicari ex utraque lectione, & caeterae omnes vehementer attenuari unde; Magistrorum invidiam atque odium adversum me conciliavi, qui in omnibus, quae poterant, mihi derogantes, duo praecipue absenti mihi obijciebant. Quod scilicet propositi monachi valde sit contrarium, secularium librorum studio detineri, & quod sine Magistro ad Magisterium divinae lectionis accedere praesumpsissem, ut sic inde omne mihi doctrinae secularis exercitium interdiceretur. Ad quod incessanter Archiepiscopos, Episcopos, Abbates, & quascumque personas Religiosas excitabant. Abelard qui lors estoit Religieux de sainct Denys, se donnoit par ce passage tout jeu qu' il luy plaisoit, pour faire tomber le tort sur ceux qu' il disoit estre ses mal-veillans, lesquels empeschoient ses lectures, rejettant sur une envie, ce qui estoit selon mon jugement de la raison. Car de dire qu' on luy eust voulu imputer à faute qu' il s' estoit fait grand Theologien de soy mesme, & sans ministere d' autruy, je pense que ce luy eust esté grand honneur, moyennant que sa doctrine ne se fust escartée du vray chemin. C' est pourquoy je tire de ce passage deux notables anciennetez: la premiere, qu' ores que sur l' avenement de nostre Université, le Religieux peust faire lectures tant en lettres humaines que divines (car ainsi le voyons nous avoir esté fait par Guillaume de Champeaux au monastere sainct Victor, comme aussi par Pierre Abelard) toutesfois dés lors on commença d' y vouloir mettre quelque bride, & fut par progrés de temps ordonné, & religieusement observé en l' Université de Paris, que nul Religieux ne montast en chaire pour enseigner les lettres humaines. Et quant à la seconde elle n' estoit pas moindre, ains paraventure plus recommandable que la premiere. Car comme ainsi fust que sur la premiere ouverture de nos Escoliers il fust loisible à tous ceux qui avoient quelque asseurance de leur suffisance, d' entrer en chaire avecques la permission de l' Evesque, si est-ce que puis apres on y apporta cette discipline, qu' il n' estoit permis à aucun de lire en la Theologie, qu' il n' eust esté prealablement advoüé par un maistre qui avoit charge de cet affaire par le Superieur. Et c' est ce que veulent dire ces mots, Quod sine Magistro ad Magisterium divinae lectionis accedere praesumpsisset. Et de là sont depuis venues les erections, & establissemens des Docteurs en Theologie. Police par laquelle estoient faites defenses, pour la consequence, & le danger qu' il y avoit de mettre ce glaive entre les mains d' un furieux, pour s' en joüer. Comme de fait il advint en la personne mesme d' Abelard, qui pour se fier trop à l' abondance de son sens, fit un livre par lequel il soustenoit que la vraye foy ne pouvoit resider en nous, sinon estant verifiée par bonnes, & valables raisons. Livre qui fut depuis condamné par le jugement du Concil tenu à Soissons.
Par ce que je vous ay cy dessus deduit, vous voyez que ces defenses estoient faites expressement pour le fait de la Theologie, & y a bien grande apparence, que ce fut par un Chanoine, qui auparavant tenoit le lieu de Theologal. Mais comme l' Université fut depuis divisée en deux, les uns estudians en la Theologie en la grande Eglise, les autres és Arts & Philosophie, en celle de sainct Julian: Aussi la necessité des temps produisit en eux deux divers Magistrats; celuy de Chancelier en la grande Eglise, qui se donna avecques le temps l' œil sur les quatre Facultez, mais singulierement sur celle de Theologie, comme estant le fonds de sa premiere & originaire institution, & l' autre le Recteur.
Et tout ainsi qu' en la grande Eglise (premieres Escoles) le Chancelier prist sa premiere naissance, aussi celle de sainct Victor qui la secondoit en ce noble exercice de lettres, en produisit avecques le temps un autre, & voicy comment.
L' Eglise sainct Pierre & sainct Paul, fondée par le Roy Clovis (depuis nommée saincte Geneviefve) estoit sur son commencement servie par Chanoines seculiers, entre lesquels la desbauche extraordinaire s' estant logée le Roy Louys septiesme les en extermina, par l' advis, & entremise de Sugger Abbé de sainct Denys, & y mist en leur lieu douze Chanoines reguliers de l' ordre de sainct Augustin, tirez de l' Abbaye sainct Victor. Or est il que l' Université croissant à veuë d' œil là part où nous la voyons assise, le Roy Philippe Auguste la fit clorre de murailles, dedans le pourprix & allignement de laquelle fut comprise l' Eglise saincte Geneviefve: à qui l' on donna quelque temps apres, un Chancelier comme nouvelle peuplade de celle de sainct Victor, laquelle ne fut honorée de cette dignité, d' autant que son malheur avoit voulu qu' elle fust demeurée hors les murs.
Creation qui apporta depuis diverses jalouzies entre les deux Chanceliers. Celuy de nostre Dame ne voulant avoir compagnon, & l' autre nul superieur. De maniere que le Pape Gregoire X. delegua en l' an 1271. l' Abbé de sainct Jean des vignes, & l' Archediacre de Soissons pour les reigler. Et se passerent les affaires de cette façon, que tout ainsi que l' Eglise nostre Dame passe sans comparaison celle de sainct Victor, aussi est demeurée au Chancelier de nostre Dame, la faculté, & puissance de creer luy seul les Docteurs de Theologie, Decret & de Medecine, apres que les actes ordinaires y ont passé. Et quant aux Maistres és Arts, à l' un ou l' autre Chancelier, selon le choix qui en est fait par celuy qui veut prendre sa licence. Le Chancelier de nostre Dame est celuy auquel le Pape Innocent IV. adressa du consentement du Roy sa commission, pour mettre taux aux loyers des Chambres, & bannir la supercherie, que les proprietaires exerçoient contre les Escoliers locataires, comme il sera deduit en son lieu. Chancelier (dy-je) auquel le Cardinal d' Estouteville, Legat en France, dedans sa reformation, permet d' absoudre du lien d' excommunication, en certains cas, lors que l' on seroit en l' article de la mort. A qua non poßint absolvi (porte le texte) à Cancellario Parisiensi, praeterquam in mortis articulo. Luy qui des membres de l' Université fut particulierement appellé à la reformation d' icelle par les Cardinaux de sainct Mars, & de sainct Martin aux monts: & en celle du Cardinal d' Estouteville: en la premiere un Boniface, en la seconde, un Cibole, tous deux Chanceliers. Et à peu dire, toutes les Bulles qui s' adressent de Rome au Chancelier s' entendent au Chancelier resseant à nostre Dame, estans conceuës sous cette adresse. Dilecto filio Cancellario Parisiensi salutem, & Apostolicam benedictionem: & à l' autre. Dilecto filio sanctae Genouefae, Recognoissans taisiblement par cela le premier avoir plus de part en l' Université, que le second.
Il y a Bulles du Pape Gregoire dixiesme, par lesquelles il ordonne que le Chancelier de l' Université esleu jurera és mains de l' Evesque, & Chapitre de l' Eglise. Quod ad regimen Theologiae & Doctorum bona fide, secundum conscientiam suam, loco, & tempore, secundum statum civitatis, & honorem, honestatem Facultatum dictarum, non nisi dignis licentiam largiretur, nec admittet indignum. Et plusieurs lignes apres. Magistri vero Theologiae, & Decretorum, quando incipient legere, praestabunt publice iuramentum, quod super praemißis fidele testimonium perhibebunt: & peu apres. De Physicis autem, & Artistis, ac alijs, Cancellarius bona fide promittet examinare Magistros, & non nisi dignos admittens, indignos remittet.
Vous voyez là le Chancelier avoir toute cognoissance sur les quatre Facultez.