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martes, 1 de agosto de 2023

8. 2. De combien d' idiomes nostre langue Françoise est composee,

De combien d' idiomes nostre langue Françoise est composee, & si la Gregeoise y a telle part comme l' on pretend, ensemble de quelques anciens mots Gaulois, & François, & autres qui sont purs Latins en nostre Langue.

CHAPITRE II.

Il y a bien peu de gens lettrez qui n' estiment que nostre langue soit composee de la Grecque & Latine, & que de l' ancienne Gauloise, ensemble de celle des François Germains il y en a quelques particulieres remarques: Qu' elle est presque toute Latine, comme j' ay n' agueres discouru, mais qu' à sa suite elle est infiniement redeuable à la Gregeoise. De cette opinion ils ont une conjecture tresgrande qu' ils tirent de Strabon au sixiesme livre de sa Geographie. Disant que les Phocenses, peuple de Grece, ayans esté conseillez par l' oracle de la Deesse Diane d' Ephese de mettre la voile au vent, apres avoir longuement vogué, vindrent surgir à Marseille, où ils establirent leur seigneurie pleine de bonnes loix, & entr'autres choses y fonderent une Université en langue Grecque: laquelle ils sçevrent si bien faire provigner, que la plus grande partie des Contracts que l' on dressoit és Gaules estoient faicts en Grec. Au moyen dequoy il ne faut point trouver estrange si dedans nostre Vulgaire nous avons transplanté une infinité de mots Grecs, dont sous le regne de François premier, Bouilie Chanoine de Noyon fit un brief inventaire, & apres luy Perion, & de fraische memoire Henry Estienne, ausquels le lecteur pourra avoir recours si bon luy semble. Je ne veux point desdire tous ces gens d' honneur, ny cette commune opinion. Bien diray-je, comme chose tres-veritable, que du temps de Jules Cesar on ignoroit du tout la langue Grecque dans les Gaules: Veu qu' au cinquiesme de ses Memoires des guerres de la Gaule, il nous tesmoigne que voulant donner quelque advis à Ciceron qui estoit assiegé dedans une ville, il luy escrivit des lettres en Grec, a fin (dit il) que si elles estoient interceptées, elles ne peussent estre entenduës par les Gaulois. Si le langage Grec y eust esté si familier, comme Strabon nous donne à entendre, Cesar se fust bien donné garde d' user de ce langage pour chiffre contre les Gaulois. Quelques-uns pour oster cette contrarieté disent qu' il escrivit, non en langage Grec, ains en lettres Grecques que les Gaulois n' eussent peu cognoistre. Qui seroit une explication ridicule d' estimer que le Gaulois eust entendu la langue Grecque, & qu' il n' eust pas cogneu les lettres. Joint que le mesme Cesar en un autre endroict nous enseigne que les Helvetiens usoient de caracteres Grecs en leurs communs escrits, tout ainsi que les Gaulois. Et si nous croyons Pline au septiesme livre de son histoire naturelle, il n' y avoit nation en l' Europe qui ne peignist en lettre Jonique, c' est à dire en lettre Grecque. Chose dont nous pouvons recueillir que combien que les Gaulois usassent lors de caracteres Grecs, toutesfois la langue leur estoit incognuë, & n' est pas hors de propos d' estimer qu' elle eust en la Provence telle part que Strabon pleuvit, mais non en tout le demeurant des Gaules. Provence, dis je, qui pour estre long temps auparavant du tout affectionnee aux Romains, avoit bien peu de communication avec nous. Il faut doncques que c' ait esté depuis que les Gaulois furent reduicts sous la servitude de Rome, qu' ils frequenterent l' Université de Marseille, & que par cette mutuelle frequentation, ils emprunterent plusieurs mots Grecs, & dont ils embellirent leur langue. Ce que j' ayme mieux croire que de me rendre en cest endroit partial contre la commune: Encores que j' aye assez d' argumens pour me divertir de cette opinion, & croire que cette symbolisation & rencontre de mots Grecs vienne plus d' une incertitude & hazard, que d' un discours. Nous demeurerons doncques ferme en cette opinion, comme les autres, que nostre langue doit quelque chose à la Gregeoise, je ne veux pas dire des paroles que nous tenons en foy & hommage de l' Eglise ou des Universitez fondees en cette France depuis trois cens ans, mais de celles que nous avons renduës nostres, comme les Latines, le tout sans Grecaniser, ou Latiniser, permettez moy d' ainsi le dire. 

Je viendray maintenant à quelques dictions que j' ay remarquees estre de l' ancien estoc des Gaulois, & commenceray par ce brave mot de Soldat: que nos ancestres appellerent souldoyer puis Souldart. Quand je ly dans Jules Cesar en ses Memoires, que les Gentils-hommes Gaulois avoient sus eux plusieurs vassaux, & gens à leur devotion, qui immoloient leurs vies pour eux, quos Galli Soldurios vocant, j' ayme mieux puiser ce mot de nos Gaules, que de Rome, comme font quelques Escoliers Latins, quand ils le disent prendre sa source à Solidis, quasi Solidarijs, & que de la soulde qu' ils prennent vient qu' ils soient ainsi nommez: Comme si les Gaulois qui n' avoient auparavant aucune habitude avec les Romains eussent esté emprunter de leur langue un nom de leur principale police: De moy je veux croire que du Souldart Gaulois vient celuy de Soulde, souldoyer, & souldoyement: Par ce que nous n' employons le mot de Soulde que pour les Soldarts, & si on l' avoit emprunté du Latin, il iroit aussi pour toute autre sorte de payement qui se feroit en argent, ce que nous ne pratiquons pas. La solde doncques fut ainsi dite, par ce que le Souldart s' employant pour son Seigneur en la guerre, & meritant quelque recompense, on appella cette recompense soulde, ou souldoyement. Jules Cesar au rapport de Suetone en sa vie, estant és Gaules dressa une nouvelle legion, à laquelle il donna le nom Gaulois d' Alloüette, parce que comme dit Pline livre unziesme chapitre trente sept, elle portoit une creste sur son armet, comme l' Alloüette sur sa teste. Suetone en la vie de Vitelle dit que Beccus significabat Rostrum apud Gallos: C' est ce que nous disons Bec, dont est venu Becquer, & par Metaphore Rebecquer. Le mesme autheur dit que Galba és Gaules signifioit un homme gras: Voyez s' il ne sera pas meilleur de rapporter la terre Glase à ce mot par une corruption de langage, que de dire que gras vienne de Crassus, ains que de Gras nous ayons fait Glas. Marcellin au quinziesme livre dit que Galli metiebantur spatia itinerum per leucas, c' est ce que nous appellons lieuës: Et en ce mesme passage il nous enseigne que le fleuve qui passe à Lyon, que les Latins appelloient Arar, estoit par nous appellé Saone, qui est la Saulne. L' Ausone representé par Helie Vinet use en deux divers endroicts de Minare, pour mener, mot que j' arrangerois volontiers entre les Gaulois, n' estoit que je trouve dans Festus Agasones equos agentes, id est bene minantes. Reginon au premier livre de son Histoire use du mot d' Aripennis, pource que nous appellons Arpent. Flodoart dit que sainct Remy donna à Clovis, allant combattre les Visegots, une bouteille de vin par luy benite, & adjouste ces trois mots, quam flasconem vocant, l' advertissant que tant que ce vin luy dureroit, il avroit bon succés encontre ses ennemis. Luy mesme use du mot de Complice: Rodulphus Rex Divionum castrum quod *Basso comes ceperat, eiusque complices retinebant, obsidet. Je le repute Gaulois, pour n' estre François, Grec, ny Latin. Il n' est pas que le mot de Braye, & par consequent Brayette, ne vienne de ce mesme fonds, au moins le tiré-je en conjecture par nostre Gallia Braccata. Et à ce propos Suetone, in Caesare, Galli in Curia bracchas deposuerunt, latum clavum sumpserunt. Le docte Baïf remarque que Gallicae, estoient une espece de soulliers dont les Gaulois usoient pendant la pluye, nous les appellons encore aujourd'huy Galloches. D' un mesme fonds vint le mot de Bouge, & Boulgette, selon le tesmoignage de Nonius: Bulga est, (dit-il) Folliculus omnis, quem & crumenam veteres Galli appellarunt, & est sacculus ad brachium pendens. Lucillius, Satyra sexta, dit Aulugulle: Cui neque iumentum est, nec servus, nec comes ullus, Bulgam & quicquid habet nummorum secum habet ipse. De là nous disons encores qu' un homme qui s' est fait riche, a bien mis dedans ses Bouges, pour dire dedans sa bource. Dun en vieux langage Gaulois signifioit une montagne, & de cela en avons nous encores quelques remarques, en ce que la plus grande partie des villes qui sont assises en crouppe de montagnes, ou attenantes d' icelles se terminent en Dunum, Lugdunum, Verodunum, Laudunum, Melodunum. Et les Dunes encores qui sont les Levees des environs de la Mer, nous en tesmoignent quelque chose.

Pausanias disoit que Mark apud Celtas signifioit un Cheval. Si vous prenez le mot de Celte, en sa vraye signification il entendoit parler des Gaulois. Toutes-fois quelques uns sont d' advis qu' il vouloit parler des Francs ou François. Je m' en rapporte à ce qui en est, bien vous diray-je, qu' en ancien langage Allemant, Mark se prenoit pour un Cheval. Ainsi l' apprenons nous des loix d' Allemagne, inserees à la suite de nostre loy Salique, tiltre septante un. Si quis equo quem Mark dicunt, oculum excusserit, & c. S' il est ainsi, nous devons au François qui symbolisoit de langage avec l' Allemant, le mot de Mareschal qui est chef de la chevalerie, & encore le Mareschal celuy qui pense & guerit les chevaux. Puis qu' il m' est advenu en ce mot de Mark de parler des François, je toucheray quelques paroles que nous tenons d' eux. Ces mots de Ban, Bannie, Forbannie, Banniere, ausquels je donneray leur place parlant du mot d' Abandonner, sont tous François. Mesme nous en avons composé quelques vocables, tantost du Gaulois & François, comme Banlievë: tantost du Latin & François, comme Heriban, dont nous avons fait Arriereban. Man signifioit homme en la Germanie, dont est encores venu le Norman, qui est à dire homme du North: & dans nostre vieille Loy Salique il y a quelques articles où Mannire, est pris pour ce que nous disons adjourner un homme en Justice. Marche pour limite & borne est de cette mesme marque, comme je deduiray en son lieu. Somme & Sommier, qui signifie charge, dont aussi à mon jugement est venu Sommelier, parce qu' ordinairement ceux qui ont la charge de la beuvette des Princes & grands Seigneurs, font porter une somme, & charge de bouteilles par les champs, pour ne defaillir à leurs Maistres. Franc pour libre: franchise pour azile, & affranchissement pour la manumission Latine, viennent du mesme mot de François. 

Je mets en ce mesme rang le mot de Troupe. Ainsi je trouvay-je dans les loix d' Allemagne le tiltre 73. estre tel, De eo qui in tropo de iumentis ductricem involaverit. Leudes dans Gregoire de Tours & Aimoïn, est pris pour sujet. Flodoart les nomme Allodes, Heribertus, & Hugo, contra Bossonem Rodulphi fratrem proficiscuntur, propter quosdam Rotildis Allodes, nuper defunctae, quos à Bossone pervasos, repetebat Hugo gener ipsius Rotildis. De ce mot est venu Alleud, qui est la recognoissance censuelle que nous faisons à nos Seigneurs, en consequence dequoy nous disons tenir des terres en Franc alleud, quand nous n' en payons nulle redevance. Et aussi les lots, qui sont les droits, & devoirs que nous devons aux Seigneurs, quand nous avons acquis un heritage censuel. Eschevins & Vassaux qui viennent de Serbint (chassé & avec X), & Vaßi, dont est faite frequente mention dans la Loy ancienne des François: Bourg, pour ville, & de là Bourgeois pour citoyens, Bourgeoisie & Forbourgs, que nous avons adoucy du mot de Fauxbourgs, qui sont toutes les maisons hors l' enceinte de la ville. Got en langue Germanique & Françoise signifioit Dieu, & de là nous tirons les mots de Bigot & Cagot, pour denoter ceux qui avec une trop grande superstition s' adonnent au service de Dieu. Il n' est pas que les pitaux de village pour couvrir leurs blasphemes n' ayent autres-fois composé des vocables, où ce mot de Got est tourné en Goy: Car quand ils dirent Vertugoy, Sangoy, Mortgoy, ils voulurent sous mots couverts dire tout autant que ceux qui disent Vertu Dieu, Sang Dieu, Mort Dieu, encores en firent-ils un plus impie, quand ils dirent un Jarnigoy, qui est tout autant comme s' ils eussent dit, Je renie, & c. Comme les paroles se tournent avec le temps en abus, nous ne pensons point mal faire usans de ces mots corrompus, non entendus, toutes-fois il y va de l' honneur de Dieu. Au contraire nous avons tiré en mauvaise part le nom de Bigot, qui n' estoit tel sur son premier advenement. Parce que Guillaume de Nangy recite que sous le Roy Charles le Simple les Normans desirans estre Chrestiennez, s' escrierent devant luy Bigot, Bigot, Bigot, qui valoit autant (dit cet Autheur) comme s' ils eussent voulu dire de par Dieu. Ce Chapitre ne reçoit point de closture à ceux qui pourront trouver dans les anciens, quelques dictions Gauloises ou Françoises, dont ils se pourront accommoder si bon leur semble en leurs estudes particulieres.

Je veux maintenant parler des mots purs Latins. J' ay dit au precedant Chapitre de ce Livre, que nous avions enté sur la langue Gauloise, la Latine, dont nous fismes un langage mety, que l' on appella Roman. Je feray maintenant plus hardy, & diray qu' il y a plusieurs paroles non corrompuës, ains pures Latines, dont nous usons, comme Françoises. Nostre vulgaire est un langage racourcy du Latin és paroles de deux, trois, & quatre syllabes. Mais aux monosyllabes, qui ne pouvoient recevoir racourcissement, nous en usons tout de la mesme façon que le Romain sans rien immuer, Si, Non, Tu, Plus, Es, Est, Et, Qui, Os. J' adjousteray Los, & Sont: car encores que l' orthographe en soit diverse, si est-ce que la prononciation n' est pas grandement esloignee de Laus & Sunt Latins. Nos anciens en eurent pareillement d' autres, ausquels ils n' avoient rien changé, Mons, Frons, Fons, Pons, Dens, Ars, Pars. Vray que par succession de temps, nous changeasmes S, en T, & dismes, Mont, Front, Font, Pont, Dent, Art, Part. Il y en a d' autres de deux, & de trois, & de quatre syllabes, Quasi, Item, Instar, Cadaver, Examen, Animal, Contumax, Tribunal, Recepisse, & encore Imperatrix. Mot qui a esté tousjours mis en œuvre par des Essars, en son Amadis de Gaule, combien que nous eussions Emperiere & Imperatrice. J' adjousterois volontiers Ab intestat, mais il reçoit une sincope. Il n' est pas que chaque Faculté qui manie la plume n' en ait plusieurs dont elle use, comme purs François, que je ne vous veux icy representer. 

D' une chose principalement m' esmerveillé-je en nostre langue (& c' est sur quoy je veux clorre ce Chapitre) dont vient que tout ainsi que les Latins eurent leur verbe substantif, Sum es, est, que l' on accommodoit selon les occurrences, à toutes sortes d' autres Verbes, aussi avons nous le nostre, qui est Avoir, que nous employons aussi à tous autres verbes François. Il a fait cela, il a aymé, il a esté là, & ainsi des autres: Car je n' ay jamais leu dans un vieux livre que sur le dechet de la langue Latine on usast du mot Habere en cette façon. Et qui m' appreste davantage à penser, c' est que combien que l' Italien & Espagnol eussent leurs langues originaires autres que la nostre, si se conforment elles avec nous en la rencontre de ce Verbe. J' oubliois de vous dire que depuis les guerres que nous eusmes en Italie, nous empruntasmes plusieurs mots, mais je reserve cela au Chapitre suivant.