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lunes, 14 de agosto de 2023

10. 6. Comparaison des deportemens de Fredegonde & Brunehaud, Roynes, selon l' ancienne leçon.

Comparaison des deportemens de Fredegonde & Brunehaud, Roynes,  selon l' ancienne leçon. 

CHAPITRE VI.

Quand je considere ces deux Princesses, dont nos Histoires ont tant parlé, je trouve en elles deux ambitions grandement contraires, soubs lesquelles toutesfois nostre France fut contrainte de flechir les genoux. En Fredegonde une ambition relevee, en Brunehaud une ambition mousse & ravalee; & tant de male-façons en toutes les deux, que les papiers de ceux qui en ont escrit, doivent rougir, ou de honte, ou du sang qu' elles firent espandre pour la conservation de leurs grandeurs sous divers regards. Une Fredegonde simple Damoiselle, faite par mariage femme & mere de Roy, n' avoir jamais guerroyé les siens; ains seulement ceux qu' elle estimoit pouvoir nuire à la future royauté de ses enfans, quand elle en avoit plusieurs, & finalement de son fils Clotaire, reste & demeurant de tous les autres. En quoy elle mit toutes pieces en œuvre, sans espargner le Sang Royal: Princesse qui ne douta d' un cœur  guerrier & magnanime se trouver au milieu des combats. Quoy faisant elle conserva à son fils non seulement son Estat, mais qui plus est il se veit en fin Monarque des deux Frances. Et au bout de tout cela, apres une infinité de traverses, & la mere, & le fils moururent de leurs morts naturelles en leurs lits. Au contraire une Brunehaud fille, femme, mere, ayeule, bisayeule de Rois, avoir non seulement fait la guerre à ses serviteurs domestiques, ains à ses propres enfans, semant entre les freres des divisions, par le moyen desquelles elle pensoit maintenir sa toute-puissance sur eux. Et combien qu' elle fortifiast ses actions, non par coups de main, comme l' autre; ains d' une bigotterie, & masque de Religion, qui n' est pas un petit secret pour gaigner le cœur de la populace. Toutesfois pendant qu' elle affligea de telle façon les siens, elle favorisa de tant plus les affaires du Roy Clotaire son ennemy. Tellement que pour fin de jeu, ses enfans perdirent, & leurs vies, & leurs Royaumes, & la malheureuse mere mourut par les mains d' un bourreau: Cette-cy est la commune leçon de tous nos Historiographes: je vous discourray en un autre lieu quelle en est mon opinion.

Histoires vrayement prodigieuses, mais quand je repasse à bon esciant sur celle de Fredegonde & Clotaire, je n' en trouve une seule en son tout dedans l' ancienneté qui soit esmerveillable comme cette-cy. De maniere que lisant Machiavel, en son traicté du Prince au Chapitre où il discourt des Seigneurs, qui par sceleratesse & meschanceté s' estoient faits grands (discours qui ne luy est desagreable) il devoit ce me semble choisir pour archetype en ce sujet, non un Cesar Borgia fils du Pape Alexandre sixiesme; ains nostre Fredegonde. En celuy-là veritablement il recite plusieurs meschancetez, dont il accompagnoit toutes ses actions, par le moyen desquelles il se fit Maistre de quelques villes, & se promettoit de se faire Duc de la Toscane. Esperance dont il fut toutes-fois deceu par soy mesme: Car ayant convié quelques Cardinaux à souper dont il se vouloit deffaire, il commanda à son sommelier de leur donner à boire du vin qui estoit dans quelques bouteilles empoisonnees: estimant qu' ayant la fin de tous ces Cardinaux, il viendroit puis apres à chef de ce qu' il brassoit dessus la Toscane: Mais Dieu voulut que le sommelier prenant l' une des bouteilles pour l' autre, donna du vin empoisonné au Pape Alexandre VI. son pere, dont il mourut, & les Cardinaux furent conservez. Et par cette mort Borgia perdit son bras dextre, & tout d' une main ses detestables esperances & furieuses executions. Mais en nostre Fredegonde, combien que son histoire soit composee de mesmes façons de meschancetez que l' autre, voire plus hardies; si est-ce que l' estoffe en est bien plus riche, & les evenemens plus heureux. Premierement il eust trouvé en elle l' histoire, non d' un homme, ains d' une femme, consequemment plus admirable, & non d' une Roine de son premier estre, ains d' une simple Damoiselle, qui par ses doux allechemens s' estoit du commencement faite Maistresse du Roy Chilperic, & depuis facilité toutes voyes à la Royauté, & souverain degré de grandeur. Une Audoüere premiere femme de Chilperic repudiee par l' artifice de cette-cy: la seconde estranglee à son instigation: En fin mariage du Roy avec elle. Un Roy Sigebert sagement assassiné par son conseil lors que son mary & elle estoient au dessous de toutes affaires. Princesse qui apres cette mort fit mourir les Princes Meroüee, & Clovis enfans du premier lit de son mary, & tout d' une suite leur mere; ensemble tous les Seigneurs qu' elle pensoit avoir part en leurs bonnes graces. Et en apres donnant toute bride à ses voluptez avec son Landry, & qui depuis pour couvrir son adultere avoit fait tuer son mary. Mais c' est icy où Machiavel se pouvoit sous meilleurs gages joüer de sa plume: car cette Dame estant demeuree chargee d' un enfant de 4. mois seulement, soupçonnee de ce meschant meurtre, accusee de sa conscience, poursuivie par le Roy Childebert fils de Sigebert son ennemy, sceut si bien joüer son rolle, qu' elle se developpa à la fin de toutes ces perplexitez, tant par une sanglante renardise, dont elle tenoit en cervelle ses amis & ses ennemis, que par un cœur masle & guerrier, quand les occasions s' y presenterent. Et apres tous ces tours de souplesse, Dieu permit qu' elle mourut d' une mort calme dans son lict, contre l' ordinaire de ceux qui se meslent de tels mestiers. Toutes les meschancetez par elle commises furent pour conserver la Couronne à son fils Clotaire. 

Or voyez en quel champ eust esté maintenant Machiavel. Fredegonde mere allant de vie à trespas laissa Clotaire seulement aagé de 14. ans; aage foible, & partant aucunement sujet à mutations selon le monde. D' ailleurs sa Couronne conservee par les meschancetez de sa mere, consequemment sujette à revoltes selon les jugemens de Dieu. Toutesfois jamais Roy pendant sa vie ne se trouva plus heureux que cestuy-cy. Son heur voulut que Brunehaut son ennemie, par un jugement sot & bijarre se fit ennemie de ses propres enfans. Moyen par lequel elle conserva non seulement le Roy Clotaire & sa Couronne; ains luy fit voye en celles de ses enfans: Et finalement pour s' asseurer de toutes craintes, il fit mourir par un grand coup d' Estat, & la bisayeule, & les enfans bastards de Theodoric son petit fils. Achevant sa fortune par où l' Empereur Auguste commença la sienne: quand avec Lepide & Marc-Antoine ses associez il fit mourir, non seulement leurs ennemis, ains amis qui pouvoient apporter quelque obstacle à l' acheminement de leurs grandeurs, quoy faisant apres la mort de ses compagnons s' estant fait maistre universel de l' Empire Romain, il continua sa vie au gré & contentement de tout le peuple, & apres son trespas lors de la promotion des nouveaux Empereurs, on souhaittoit par acclamations publiques, qu' il fust aussi plus heureux qu' Auguste: Au contraire Clotaire apres plusieurs traverses de la fortune fit mourir les Princes qui le pouvoient vraysemblablement inquieter: mais tout soudain se moyenna, tout ainsi qu' Auguste, tout repos en sa Monarchie, & mourut d' une douce mort comme luy. Et le Greffier du Tillet escrivant sa vie l' honore de cette qualité de grand Clotaire. Vray qu' il eut une particularité dessus Auguste; d' autant que dés l' aage de 4. mois il fut fait Roy, & Auguste seulement Empereur en l' aage de 20. à 21. an. Veit on jamais procedures telles, ny catastrophe de Tragedie historiale pareille à cette-cy? Et c' est pourquoy je dis & soustiens hardiment que Machiavel se devoit mettre cette Fredegonde en bute dedans son chapitre de la Sceleratesse, comme parangon de toutes les autres.