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domingo, 13 de agosto de 2023

10. 4. Deportemens dereiglez de la Royne Brunehaud, suivant la commune leçon de nos Histoires.

Deportemens dereiglez de la Royne Brunehaud, suivant la commune leçon de nos Histoires.

CHAPITRE IV.

La Royne Fredegonde ayant gouverné les siens de la façon que je vous ay dit, elle voulut adjouster à son cœur de Lyon beaucoup de celuy du Renard. Renardise toutesfois grandement loüable, ainsi qu' entendrez presentement. En ce temps là les paysans menans paistre leurs bestes à cornes aux champs, leur pendoient une clochete au col: l' ost de la Royne estoit esloigné une grande journee de l' ennemy, lequel par ce moyen se donnoit le loisir de dormir plus à son aise. Mais elle d' une belle prevoyance commanda aux gens de cheval de prendre tous une clochette sur leurs chevaux, & d' une vitesse admirable fit marcher toute une nuict son camp, & passant par un bois voulut que tous ses soldats se saisissent chacun d' une branche: Elle estoit à la teste de son armee avec son fils, & sur la diane approchant de celle de l' ennemy, la sentinelle pensant resuer de voir si proche d' elle un nouveau bois, & neantmoins s' asseurant par les clochettes qu' elle estimoit estre de bestes bovines, à l' instant fut taillee en pieces, & Fredegonde descochant d' une furie sur ses ennemis en fit une grande boucherie, ne donnant le loisir aux uns de se resveiller, & faisant passer au fil de l' espee ceux qui se mettoient en deffenses, & quant aux autres qui se sauverent par la fuite, il ne leur prit plus envie de retrouver ce chemin. Ainsi demeura elle victorieuse: qui ne luy estoit pas un petit advantage, mais elle non assouvie de ses esperances, estimant que par la mort d' un seul ou de deux, elle pouvoit mieux asseurer l' Estat à son fils, que par la decision d' une autre bataille, se mettre au hazard de tout perdre, donna ordre de faire empoisonner le Roy Childebert & sa femme, & telle est l' opinion commune; parce qu' auparavant elle avoit deux & trois fois voulu attenter sur leurs vies: mais en vain. Il ne faut rien oublier de cette histoire, ce bel œuvre estant mis à chef, voyant qu' il n' y avoit plus que deux petits Princes de reste: elle leur livre une bataille, & en obtint le dessus. Mais lors ce luy fut un Hola; car elle fut appellee en l' autre monde, non d' une mort violente, ains naturelle: Qui me semble estre un miracle, en une personne qui s' estoit joüee de la vie de tant de Princes; & en outre fut enterree joignant son mary en l' Eglise de S. Vincent, depuis nommee S. Germain.

Jusques icy l' histoire de Brunehaud semble estre aucunement muette, fors en 2. poincts. L' un quand de nuit elle fit sortir le jeune Roy Childebert son fils de la ville de Paris: L' autre quand elle espousa Meroüee fils aisné du Roy Chilperic: maintenant nous n' en parlerons que trop à son desavantage, si ce que nous recueillons d' elle d' une longue ancienneté est veritable. Childebert mourut delaissez deux enfans, Theodebert son aisné qui fut fait Roy d' Austrasie, & Theodoric Roy de Bourgongne. Avec lesquels Brunehaut du commencement vesquit en fort bon mesnage, & lors les deux freres pendant leur union, poursuivans la querelle hereditaire de leur maison contre le jeune Clotaire, qui avoit perdu sa mere arboutant de toutes ses forces, le reduisirent par une grande bataille en telle extremité, que pour se garentir de la perte du tout, il fut contraint de leur abandonner les deux parts de son Royaume, dont il ne se fust jamais relevé, si Brunehaud qui luy devoit estre sa principale ennemie, n' eust esté le principal instrument de son restablissement, & voicy comment. Elle se tenoit lors pres de Theodebert l' aisné, où ayant fait tuer un Guintrion Seigneur de valeur, le Roy Theodebert indigné de cette mort la chassa de sa Cour. De maniere qu' elle fut contrainte se retirer honteusement devers Theodoric son autre petit fils: où s' estant habituee, elle fut la mesme Brunehaud qu' elle avoit esté avec son aisné. S' amourache d' un Protade Gentil-homme Romain, qui ne manquoit d' entendement, & le veut faire Maire du Palais de Bourgongne, au prejudice de Bertaud Seigneur de singuliere recommandation, tant au fait de guerre que de paix. De le faire desappointer elle ne pouvoit, pour s' estre par ses braves exploits guerriers rendu trop necessaire à son Maistre; D' en avoir le dessus par sa mort, elle n' osoit, pour n' avoir encore assez empieté de credit pres du Roy son petit fils. C' est pourquoy feignant de le favoriser, par le conseil de son Protade, elle donne ordre de le faire employer en commissions ruineuses, lesquelles pour sa reputation il ne pouvoit honnestement refuser, & neantmoins s' en sceut fort bien developer. Il voyoit tous ces artifices qui ne tendoient qu' à sa ruine, & s' asseuroit qu' au long aller l' ayeule obtiendroit de son petit fils ce qu' elle desiroit: qui luy eust esté une grande honte. Au moyen dequoy aimant mieux perdre sa vie & son estat ensemblément, que son estat sans sa vie, fit un trait de grand Capitaine qui ne peut estre assez haut loüé. Landry commandoit à une armee sous Meroüee fils aisné de Clotaire. Bataille est donnee pres d' Estampes, en laquelle Bertaud commandoit sous l' authorité du Roy Theodoric son Maistre, lequel joüant à quite ou à double, entre peslemesle dedans le gros de l' ennemy, suivy de plusieurs braves Cavaliers qui furent tous occis avec luy: Mais vendirent si cherement leurs vies, que mourans, leurs ennemis furent mis en route, Meroüee fils de Clotaire pris, dont depuis il ne fut parlé, Landry se sauve de vitesse, Theodoric vient à Paris le bien receu par le Parisien. Ainsi ce brave Bertaud obtint pour son Roy contre son ennemy une grande victoire: Mais beaucoup plus grande pour son ennemie Brunehaud, laquelle soudain apres sa mort fit pourvoir son Protade de la Mairie du Palais.

Doresnavant vous ne verrez que tragedies funestes en la Cour de ce jeune Roy, dont Brunehaud fut la fatiste. Un Protade son favory s' enrichir par nouvelles exactions de la ruine du pauvre peuple, feignant de favorises les affaires du Roy son Maistre. Inimitiez publiques contre luy conceües. Brunehaud esclorre la vengeance qu' elle avoit quelque temps couvee contre le Roy Theodebert qui l' avoit honteusement chassee de sa Cour. Et maintenant elle le veut chasser de son Royaume, faisant entendre qu' il estoit fils d' un jardinier, & non du Roy Childebert. Partant que Theodoric se devoit armer, pour luy faire rendre les païs que sous faux titre il occupoit. Protade la seconde en cecy, & par ce moyen s' accueillit de plus en plus la haine contre luy: car la Noblesse ne pouvoit gouster cette nouvelle division entre les 2. freres; & sur cette querelle fut occis par plusieurs Gentils-hommes, qui depuis en perdirent la vie. Pour cela la forcenee Brunehaud ne se desiste de sa furieuse poursuite, & besongne de sorte que les 2. freres en viennent aux mains, & fut mis Theodebert pour la premiere fois en route, & encore pour une seconde, jusques à ce qu' ayant fait sa retraite dans la ville de Coulongne, il fut traistreusement occis par l' un des siens, lequel luy ayant levé la teste de dessus les espaules en fit present à Theodoric. Et ses enfans à luy presentez les fit mener en la ville de Mets, où Brunehaud qui lors y estoit les fit cruellement massacrer. Mesme battant une muraille de la teste du plus petit luy fit sortir la cervelle. Entre tous ces enfans y avoit une jeune fille accomplie de plusieurs singulieres beautez de corps & d' esprit, que par pitié cette cruelle tygresse conserva pour estre cy-apres motif de sa ruine & de toute sa famille. Theodoric auparavant cette guerre avoit eu quatre bastards de quatre garses, & concubines, Sigebert, Childebert, Corbe, & Meroüee. Un bon Religieux nommé Colombain, qui du païs d' Hybernie ou Escosse estoit venu dresser en Bourgongne une escole de vie solitaire à plusieurs personnes devotes, ne pouvant supporter les ordures de ce jeune Roy, le vint aboucher, & luy remonstra rudement quel tort il se faisoit tant envers Dieu, que le monde par la continuë de ses paillardises, & ordes amours. Et que pour se reconcilier à Dieu, il luy falloit necessairement trouver une espouse. A quoy il acquiesça & espousa Hermemberge fille du Roy d' Espagne. Mais Brunehaud craignant de trouver en cette nouvelle femme, une nouvelle corrivale de sa grandeur, par charmes & sorcelleries (nous avons depuis appellé cela noüer l' aiguillette) besongna de sorte que le Roy ne la peut aucunement cognoistre par attouchement marital, & la renvoya à son pere l' annee à peine estant expiree. Le bon homme Colombain opiniastrement retourne, & luy predit que s' il persistoit en ses furieux deportemens, Dieu luy osteroit avant la revolution de 3. ans, & la vie, & le Royaume: Et Brunehaud opiniastrement luy faisant teste, le fait bannir & exterminer du pays, qui mourut quelque temps apres, & mis au rang & kalendrier de nos SS. Mais comme il avoit predit il avint: car ce jeune Roy se voyant estre deux fois Roy, de Bourgongne, & d' Austrasie, apres avoir envisagé la jeune Princesse fille du Roy Theodebert, il en devint amoureux, & la voulut espouser, mais Brunehaud s' y opposa fort & ferme: disant qu' il ne luy estoit loisible de ce faire par les constitutions Canoniques, d' autant qu' elle estoit sa niepce. Adonc la patience eschappant au Roy: Comment meschante (luy dit-il) tu m' as cy-devant soustenu que Theodebert n' estoit mon frere, & soubs ton donner à entendre je l' ay poursuivy jusques à la mort, & maintenant tu me chantes tout autre note. A cette parole il mit tout forcené la main aux armes pour la tüer, mais il en fut empesché par quelques Seigneurs qui arresterent le coup, & par les autres qui firent voye à la Royne Brunehaud pour se sauver, laquelle craignant que le Roy n' executast son maltalent encontr'elle, le fit empoisonner voulant prendre son vin, ainsi qu' il sortoit d' un bain.

Brunehaud par ce beau chef-d'œuvre estimoit avoir attaint à l' accomplissement de ses desirs, n' ayant plus que 4. petits Princes, ausquels elle commanderoit ce luy sembloit à la baguette: Mais voicy comment elle sans y penser se trouva grandement descheüe & deceüe de son opinion. Parce que Pepin & Arnoul deux des principaux Seigneurs d' Austrasie, commencerent de negocier sous main avec le Roy Clotaire sur l' obeïssance qu' ils entendoient luy voüer. D' un autre costé Brunehaud depesche Garnier Maire du Palais, & Aubain (ausquels elle avoit toute confiance) pour voyager par toutes les provinces de son obeïssance avec le Roy Sigebert aisné des 4. enfans, & y prendre le serment de fidelité. Mais comme elle estoit d' une ame double, escrivit lettres à Aubain à ce qu' il ne faillist de faire tuer Garnier: Ces lettres leües & deschirees par Aubain, les pieces furent recueillies par un Gentil homme amy de Garnier, qui les abute avec de la cire, & y ayant trouvé la mort conjuree contre luy, tout aussi tost les luy apporte: Et adonc par un changement d' opinion, il tourne sa robbe, capitule d' un costé avec Clotaire sous certaines conditions, & d' un autre, sollicite le peuple à revolte. Cependant sur cette confiance Clotaire se met aux champs au pays de Champagne, où il trouve Garnier avec ses troupes: Mais quand se vint au joindre il baisse les mains, se rend avec sa suite à Clotaire, & par mesme moyen luy presente les 3. bastards du feu Theodoric, qui estoient Sigebert, Corben, & Meroüee. Car quant au 4. nommé Childebert, il s' estoit sauvé de vistesse, & neantmoins depuis n' en fut oüy vent ny voix: & pour le regard des trois autres, Sigebert & Corben sont tuez par le commandement de Clotaire, & Meroüee sauvé, & baillé en garde à l' un de ses domestiques: parce qu' il estoit son fillol: Mais ne voyant qu' il en soit depuis faite aucune mention dedans nos Historiens, je veux croire qu' il courut soubs le rideau mesme disgrace que ses freres. Brunehaud prise par les siens, amenee au Roy, il luy fait faire son procez par les plus grands Seigneurs de sa suite, & en vertu d' un Arrest contr'elle donné, elle fut mise sur un chameau, & ainsi portee honteusement à la veüe de toute l' armee, en fin liee par les cheveux & les bras à la queuë d' un jeune cheval non dompté, qui à la premiere ruade l' ecervela, & d' une mesme course la trainant par buissons, broussailles, monts & vaux fut son corps dissipé en pieces. Elle s' appelloit de son premier nom Brune, & depuis Brunechilde, & Brunehaud; & la Sibylle avoit predit d' elle (ainsi que nous apprenons d' Aimoïn & Sigebert Moines) ce que depuis luy advint. Veniet Bruma de partibus Hispaniae, ante cuius conspectum gentes vel gentium Reges peribunt. Ipsa vero calcibus equorum peribit. Ainsi prit la Roine Brunehaud fin de sa vie, & de sa famille: Clotaire II. demeurant seul Roy de France, tant deça, que delà le Rhin, dont il joüit paisible 14. ans par provision, c' est à dire le reste de sa vie, en attendant la diffinitive du Ciel.