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domingo, 6 de agosto de 2023

8. 42. Tru, Truage, Truant, Maletoulte, Pautonnier, Coquin, Cagnardier, Gueux de l' ostiere.

Tru, Truage, Truant, Maletoulte, Pautonnier, Coquin, Cagnardier, Gueux de l' ostiere.

CHAPITRE XLII.

Dans nostre Roman de la Roze la pauvreté est mere de larcin. Et assez souvent le larcin est proche parent du gibet. C' est pourquoy j' ay voulu mettre ce chapitre a la suite du precedant. Du commencement que nos Roys s' impatroniserent des Gaules, les mots de tailles, aides, & subsides n' estoient en credit: Mais les redevances qui estoient payees par leurs subjects, estoient comprises sous ce mot de Cens, ou Tributs, comme nous pouvons recueillir d' une infinité de passages de nos vieux autheurs. Aimoin au livre troisiesme, chapitre douxiesme Theodebertus nonnullis urbibus subactis tributa, Turonensibus, Pictavis, Caturcensibus, Lemovicis iure victoriae adscribit. Et estoient faicts registres de telles redevances, comme nous apprenons de Gregoire de Tours, au trente uniesme chapitre du neufiesme livre, Childebertus Rex descriptores in Pictavos, invitante Meroveo Espicopo (Episcopo), iußit abire, id est Florentianum Maiorem domus Reginae, & Romulphum Palatij sui Comitem, ut scilicet Censum, quem tempore patris reddiderat, facta ratione innovata reddere deberet: Multi enim ex his defuncti fuerant, & ob hoc viduis, orphanisque, ac debilibus Tributi pondus insederat: Quod si discutientes, per ordinem relaxantes pauperes, ac infirmos illos, quos iustitiae conditio tributarios dabat Censu publico subdiderunt. Auquel lieu vous voyez la description que l' on faisoit des tributs: Et en outre comme indifferemment il appelle, ores Tributs, ores Cens, les impositions qui estoient faictes sur le peuple.

Ces tributs par les anciens furent par un mot abregé appellez de nous Trus. Es grandes Croniques de France dediees à Charles huictiesme, au premier Tome, chapitre vingtdeuxiesme. En ce temps avoient les François cueilly à grande haine Parchume, & cil Parchume estoit moult puissant au palais de Theodebert comme il vivoit. La raison pourquoy il fut si forment hay fut pource qu' il avoit le peuple grevé de Trus, & exactions. Et au mesme livre sur le commencement, parlant de la composition que par une vieille Caballe nos Annalistes presupposent avoir esté autresfois faicte entre l' Empereur Valentinian, & nos premiers François. Valentinian (dit-il) leur quitta les Trus dix ans. De ce mot de Tru vint que nous dismes Truage, de là aussi Truander pour gourmander, & fouler. Parce que ceux qui sont destinez à exiger les tributs sont ordinairement gens fascheux, qui ont peu de pitié des pauvres, sur lesquels ils executent les mandemens d' un Roy: Tout de la mesme façon que nous appellons fier Pautonnier, un homme revesche, & mal à propos glorieux, au lieu de fier Pontonnier. D' autant que ceux qui sont commis à recevoir les peages des ponts sont presque ordinairement d' une façon fiere & farouche és choses qui concernent leurs droicts. Par une ordonnance du Roy Jean du cinquiesme Octobre 1301. il veut que tous trehuz, peages, pontenages, subsides & charges mises de nouvel cessent. Et pour ne m' esloigner du mot de Truant: pour autant que par les mangeries des exacteurs, plusieurs gens du pauvre peuple estoient reduicts à mendicité, nos anciens appellerent un homme Truant, qui alloit mendiant sa vie, & Truander, pour caimander. Jean de Mehun introduisant Faux semblant parlant des Caimands. 

Quand je voy tous nuds ces truands 

Trembler sur ces fumiers puants 

De froid, de faim, crier & braire,

Conte ne fais de leur affaire.

S' ils sont à l' Hostel Dieu portez, 

Par moy ne seront confortez:

Car d' une aumosne toute seule 

Point ne me paistroient à la gueule. 

Et en termes beaucoup plus exprés en un autre endroict où il dit que l' Art faict la cour à Nature.

Mais par son ententive cure 

A genoux est devant Nature 

Et prie, requiert, & demande 

Comme mendiante truande. 

Ainsi Truander, & Truant, usurpé de la façon que dessus, prist sa source à l' occasion de ceux qui pour la surcharge des tributs estoient reduits au point de mendicité: Et croy que pour cette mesme raison le simple peuple ait esté induict de dire au desavantage des Normans Qui fit Normand, il fit Truand, parce que sur tous les peuples de la France ceux-cy ont esté chargez de Trus, & imposts. 

Or combien que le tribut soit naturellement deu à un Roy, pour laquelle cause il fut dit és sainctes lettres, Rendez à Cesar ce qui appartient à Cesar: Toutesfois du commencement les François ne pouvoyent bonnement gouster telles charges: & de faict Aimoïn nous apprend qu' un Marc Chancelier de France estant deputé par Chilperic, pour lever au pays d' Aquitaine certain impost qu' il avoit assis sur les vignobles, fut tué tumultuairement dedans la ville de Limoges: Et depuis une infinité de seditions s' esmeurent diversement pour cest effet dedans Paris, Rouen, Troyes, Rheims, & plusieurs autres endroicts, selon la diversité des saisons, & par especial sous le regne de Charles sixiesme. Ces levees qui estoient quelquesfois extraordinaires, furent anciennement appellees Maletoultes, comme si le peuple eust voulu dire qu' elles estoient mal prises. Guillaume de Nangy en la vie de Philippe le Bel, En l' an mil deux cens quatre vingts & seize (dit-il) Philippe le Bel fit une exaction sur son peuple, que l' on appelloit Maletoulte, premierement sur les marchans du centiesme, & apres du cinquantiesme de tous les biens de chacun, tant de Clercs, comme Laiz, pour la guerre d' entre le Roy de France, & d' Angleterre, & dit ailleurs qu' en ce mesme temps pour raison de cette Maletoulte s' ensuivit un tumulte à Rouen encontre les Collecteurs d' icelle. Or vient cette diction du mot Tollir, de laquelle nos anciens ont autresfois faict Toult, & Toulte, En cette façon lisons nous dans le Roman de la Roze: 

Mal faict qui l' autruy toult & pince. 

Et dans la vieille Cronique de sainct Denys, en la vie de Louys le Begue, où il est recité qu' apres la mort de Louys le Begue, quelques grands Seigneurs de France manderent à Louys Roy de Germanie, qu' il vint en France pour s' investir du Royaume. En celle voye (porte le texte) firent les gens tant de maux; de Toultes, & de rapines, que plus n' en eussent osé sur les Payens. Chose dont nous pouvons aisément recueillir que Maletoultes furent dictes comme choses mal tollues, & non pas mal taxees, ainsi que quelques uns se font accroire mal à propos.

Puis que tout le discours de ce chapitre a esté de la pauvreté, peut estre ne sera-il hors de propos d' y adjouster la mendicité en ces mots, de Coquins, Gueux de l' ostiere, Caignardiers. Quant au mot de Coquin, c' est un mendiant volontaire, qui halene ordinairement les cuisines, que les Latins nomment Coquinas: Le gueux de l' ostiere, est un autre mot aussi transplanté du Latin en nostre vulgaire, je veux dire de ganeo hostiarius, c' est à dire un caimant, qui va fleureter les huis des maisons. Car quant au mot de Caignard, cela depend d' une histoire dont je puis estre tesmoin. De tant qu' en ma grande jeunesse ces faineants avoient accoustumé au temps d' Esté de se venir loger sous les ponts de Paris, garçons & garces pesle mesle: Et Dieu sçait quel mesnage ils faisoient ensemble. Tant y a qu' il me souvient qu' autresfois par cry public emané du Prevost de Paris, il leur fut deffendu sur peine du fouët de plus y hanter: Et comme quelques uns fussent desobeyssans, j' en vey fouëter pour un coup plus d' une douzaine sous les mesmes ponts, depuis lequel temps ils en oublierent le chemin. Ce lieu estoit appellé le Caignard, & ceux qui le frequentoient, Caignardiers, parce que tout ainsi que les Canards, ils voüoient leur demeure à l' eauë.