Des vers Latins rimez que nos ancestres appelloient Leonins, & pourquoy ils furent ainsi appellez.
CHAPITRE II.
Or fut trouvee cette Poësie rimee si agreable, que ceux qui poëtisoient en Latin, negligeans les traces anciennes, eussent pensé leurs Poësies n' estre dignes de recommandation si elles n' eussent esté rimees. Et furent ces vers par eux appellez Leonins, du nom de Lion, comme plus hautains, selon l' opinion de quelques uns: De moy (encores qu' en la recherche de cette ancienneté, il y ait plus de curiosité, que de profit) je trouve que sous le regne de Louys septiesme vers l' an mil cens cinquante quatre nous eusmes un brave Poëte dans Paris, lequel en ses œuvres manuscrits, est tantost nommé Leoninus, tantost Leonius, qui fut du commencement Chanoine de sainct Benoist, & depuis Religieux de Sainct Victor. Cestuy composa douze livres en vers heroïques sur la Bible, commençant depuis la creation du monde, jusques au livre de Ruth, dont le commencement est tel.
Historiae sacrae gestas ab origine mundi
Res canere, & versu facili describere conor.
Poëme certes plein de beaux traicts qui ne se ressentent en rien de la Barbarie des siecles precedans. Je trouve une Elegie de luy, dont le tiltre est, De annulo ei dato ab Henrico Cardinali.
Annule qui sacri datus es mihi pignus amoris,
Qui modo parvus eras, tu modo magnus eris.
Parvus es, & magnus, nihil impedit haec simul esse:
Hoc opifex, hoc te dat tuus, esse dator.
Quem manus artificis arctum contraxit in orbem,
Ampliat in toto nobilis orbe manus.
Quod faber invidit, dator hoc indulsit & una,
Laudibus innumeris, laus tibi maior erit.
En ex te rutili fulgor micat igneus auri,
Gemmáque purpureae luce suave rubet.
Tam multo natura parens perfudit utrumque
Lumine, tam larga fovit utrumque manu.
Ut bene si spectes innatum cuique lepôrem,
Penè nihil toto clarius orbe putes.
Tanta tamen praebet operis miracula splendor,
Tantus & adiuncto surgit ab igne decor:
Ut natura suo faveat licet ipsa labori,
Humana victam se fateatur ope.
Magna loquor, suus arte nitor geminatur utrimque,
Et duplici pariter iuncta nitore nitent.
Sic aurum gemmae, seque auro gemma coaptat,
Naturae credas esse, nec artis opus.
Et ainsi va le demeurant de l' Elegie qui contient cinquante six vers. Et en une Epistre où il convie un sien amy de se trouver au banquet de son baston.
Hanc tibi, quae sine te, rara est mihi, mitto salutem,
Quae, nisi te saluo, vix erit ulla mihi.
Ecquid ut audisti mittentis nomen amicum,
Est tibi gratanti charta recepta manu?
Nec dubito quin te, charta iuvet ante soluta,
Omnia de nostro quaerere vera statu.
Ex his pauca tibi referam, sed mira relatu,
Caetera dum venias praetereunda puto.
Accipe rem dulci gratam novitate, fidemque
Res habeat, maior sit licet ista fide.
Apres cela il deduit tout au long ce qui luy estoit advenu, & contient ce petit Poëme six vingts tant de vers, le tout d' une continuation de mesme style, subtilité, & beauté, que je n' ay voulu icy rapporter, pour n' estre le but où je vise. Bien pouvez recognoistre par ces eschantillons qu' il estoit Poëte de marque entre ceux qui florirent de son temps. Toutesfois escrivant aux Papes Adrian quatriesme & Alexandre troisiesme, le siecle estoit tant charmé de cette sorte de carmes rimez, qu' il eust pensé faire tort à sa plume s' il leur eust escrit en autres vers. Il avoit prié Nicolas de Breskeare Cardinal Anglois passant par Paris, pour son Eglise de sainct Benoist. Ce qu' il promist de faire estant à Rome: mais aussi tost qu' il fut arrivé, on le crea Pape. De maniere que nouvelles affaires luy firent oublier sa promesse, laquelle il luy ramenteut par cette Epistre rimee.
Papa meas, Adriane, preces, si postulo digna,
Suscipe tam vultu placido, quam mente benigna:
Non novitatis amor huc me tulit, aut levitatis
Impetus, aut etiam propriae spes utilitatis.
Non peto praebendas, nec honores Ecclesiarum,
Suntque modesta precum, sunt & pia vota mearum,
Pauperis Ecclesiae, cuius pro iure laboro,
Iustus ut es, memor esse velis, nihil amplius oro.
De mesme fil est la suitte qui contient quarante deux vers: Alexandre troisiesme, auparavant Cardinal de sainct Marc, s' estoit rendu Advocat pour luy, & avoit obtenu ce qu' il demandoit: depuis promeu à la dignité Pontificale, Leonin l' en remercie, mais d' une rime beaucoup plus hardie que l' autre.
Summe parens hominum, Christi devote minister,
Pastorum pastor, praeceptorumque magister,
Quem rigor & pietas, quem noti fama pudoris,
Et lucri calcatus amor, pars magna valoris,
Caeteraque ut taceam, dos maxima mentis & oris,
Invitum ad summum traxerunt culmen honoris,
Quas tibi me laudes non ficto pectore noris,
Nec male quaerendi studio cecinisse favoris,
Nam nisi me iusti cohiberunt fraena timoris,
Ne qua verecundi fierent tibi caussa ruboris,
Altius aggrederer opus, & limae gravioris,
Laudibus ire tui per singula membra nitoris,
Nec bene decerpti libamen sumere floris,
Sed sanare omnes, gustu tam suavis odoris,
Sit licet ingenium mihi venae pauperioris.
Suffise vous qu' il y en a encores trente de suite sur le moule de cette rime, oris, & en apres sous autres divers tons, jusques à ce qu' en-fin il conclud son Epistre par ces vers.
Quod nequit ergo manus, indoctaque lingua veretur,
Mens pia persolvet, comes hanc dum vita sequetur:
Nam prius aër aves, pisces mare non patietur,
Sydera subsident, tellus super astra feretur,
Pectore quam nostro tuus hic amor evacuetur,
Aut meritis ingrata tuis oblivio detur.
Par cela vous voyez que Leonin s' estudioit de se rendre admirable en ce subject, ores que ridicule, au regard des autres vers par luy composez à l' antique. Qui me faict croire veu le nom qu' il pouvoit avoir acquis entre les siens, que s' il fit beaucoup d' ouvrages de cette trempe, de luy furent ces vers Latins rimez appellez Leonins, mot qui s' est perpetué jusques à nous, entre ceux, qui remuent l' ancienneté. Car de dire qu' ils ayent emprunté ce tiltre du Lyon, je ne le puis, ny ne le veux croire.