Du Couvre-feu, autrement appellé Carfou, introduict en plusieurs villes de la France.
CHAPITRE XVIII.
Nous avons deux sons de cloche extraordinaires en plusieurs villes, je veux dire non anciennement cogneuz par nostre Eglise, l' un à midy, auquel les bonnes gens se ramentoivent à Dieu par une Patenostre, & Ave Maria: L' autre en Hyver sur les sept heures du soir que l' on dit sonner le Carfou. Quant au premier, il fut introduit par l' Ordonnance du Roy Louys unziesme, a fin que pour avoir la paix, le peuple par cet advertissement adressast la Salutation Angelique à la Vierge Marie, en laquelle il avoit grande confiance. Je l' apprens de Robert Gaguin en ses Chroniques de France, auquel j' adjouste plus de foy, d' autant qu' il en pouvoit estre tesmoin. Quant au second, je m' y trouve empesché, encores que cet empeschement ne me couste pas beaucoup: d' autant qu' il y a plus de curiosité en cette recherche, que d' utilité. Nous disons sonner le Carfou, le tintin d' une cloche qui se faict en Hyver sur les sept heures du soir. Qui est une abreviation de parole, tournee par succession de temps en corruption, comme ainsi soit qu' anciennement on appellast cela sonner le Couvre-feu, & depuis on l' abregea en Courfeu, & finalement de Cour-feu, nous feismes ce mot corrompu de Carfou. Qui est un advertissement que l' on donnoit au peuple de ne vaguer plus par les ruës, ains de se renfermer dedans sa maison jusques au lendemain. Je trouve ce Couvre-feu avoir esté d' une longue ancienneté, practiquee en cette France, entre autres, en la ville de Laon, laquelle ayant commis quelque forfaicture contre le Roy Philippes le Bel, fut par luy privee de tous ses Privileges de Commune & Eschevinage, lesquels luy furent depuis r'establis en Mars mil trois cens trente & un, par le Roy Philippes de Valois, avecques plusieurs grandes modifications. Car il luy osta, & feit despendre la cloche du Beffroy qui estoit en une grande Tour, qu' il destina pour les prisons de la Prevosté. Ordonnant que les deux autres cloches qui estoient en la Tour de la Porte-martel, une grande, & une petite, demeureroient perpetuellement là où elles estoient. La grande pour sonner le Couvre-feu au soir, & le poinct du jour au matin: Et la petite pour sonner un petit avant le Couvre -feu, a fin de faire venir & assembler le Guet au lieu accoustumé. Mon opinion est que les seditions, & tumultes donnerent lieu à cette police: Et de ce en ay-je une conjecture fort belle, qui n' est point à negliger, laquelle je tire de Polidore Virgile en son Histoire d' Angleterre, où il dict que Guillaume le Bastard, voyant qu' il avoit affaire à un peuple grandement mutin, & se faisant sage par les dommages advenus à ses devanciers, l' une des polices dont il s' advisa, fut de les desarmer, & d' envoyer leurs armes en l' Hostel de ville, & en outre deffendit à tous de sortir de leurs maisons, depuis les sept heures du soir, dont ils avroient certain advis, par la cloche que l' on sonneroit, & si je ne m' abuse, cet Historiographe dict, que cela fut lors appellé Couvre-feu. Car les Normans qui estoient à la suitte de ce grand guerrier, planterent dedans l' Angleterre plusieurs parolles Françoises, tesmoing leur Titleton teueure, Livre ou est deduicte la nature des Fiefs d' Angleterre, dans lequel vous trouverez plus de parolles Normandes, que Anglesches: vray que comme transplantees d' un pays à autre. Qu' il eust emprunté cette coustume de nous, je ne le voy: que nous la tenions de luy, je ne le croy: Toutes-fois nous nous rencontrons avecques luy au mot de Couvre-feu: Que si l' on veut prendre icy ma devination pour Histoire, je me persuaderois volontiers que cecy commença d' estre faict du temps de Charles sixiesme, lors que les Orleannois, & Armignacs ayans descouvert la conspiration qui fut faicte contre eux, par Maistre Nicolas d' Orgemont, & ses complices dans Paris, ils feirent plusieurs polices pour obvier à tels inconveniens, dont je parleray au cinquiesme Livre: & y a grande apparence d' estimer que lors fut aussi introduict ce Couvre-feu. Tant y a que cette coustume fut depuis en usage, & l' estoit sous le regne de Charles septiesme. Parce qu' en l' un des articles, sur lesquels Jeanne la Pucelle fut interrogee par les Anglois, on luy demanda combien il y avoit qu' elle n' avoit oüy la voix, par laquelle elle reigloit toutes ses actions: A quoy elle respondit, que le jour precedent elle l' avoit entenduë trois fois, à midy, à vespres, & au soir, lors que l' on sonnoit pour l' Ave Maria.