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lunes, 22 de mayo de 2023

Chapitre X. Que les Romains presagissoient la ruine de leur Empire devoir venir de la Germanie:

Que les Romains presagissoient la ruine de leur Empire devoir venir de la Germanie: & de quelque fatalité qu' il y a eu en ce pays là, pour le declin de l' Empire. 

CHAPITRE X. 

Si je ne m' abuse, j' ay noté deux passages dans Cesar, par lesquels il semble taisiblement monstrer qu' il eut en grand doute les Germains: quoy que soit que tous ses desseins tendoient à ne permettre qu' ils s' empietassent tant soit peu de quelque pays limitrophe au Romain: craignant que ce ne leur fust occasion à entreprise plus hardie au dommage de la Republique de Rome. Au premier livre de ses Memoires de la Gaule, vous trouverez qu' estant venu à chef des Helvetiens (que nous appellons ores Souisses) & les ayant pris à mercy, il leur commanda de retourner en leur pays, & de rebastir leurs villes, qu' ils avoient auparavant arses, en intention de se rendre paisibles possesseurs de la Gaule. Et fut induit Cesar à ce faire, comme il dict, pour autant qu' il ne vouloit que ce pays demeurast longuement en friche : craignant que ce ne fust occasion aux Germains, de se desborder de leurs limites, & s' emparer de ceste contree là, qui estoit contiguë à la Provence, lors subjecte au peuple Romain. Et peu apres au mesme livre, oyant Cesar qu' Ariovist Germain avoit occupé quelques terres du Sequanois, voulant contre luy entreprendre le party & protection de la Gaule (comme il disoit, mais en verité pour le profit de luy ou de sa patrie, comme l' effect demonstra) apres quelques propos par luy desduits sur la cause & motif de son entreprise, il adjouste tour* main: Et d' accoustumer, dit-il, petit à petit les Germains à outrepasser le Rhin, & aborder en la Gaule avec grand nombre de gend'armes, * i lluy sembloit être chose fort chatoüilleuse, speciallement pour le peuple Romain. Attendu que ces hommes barbares & farouches, s' estans apprivoysez de la Gaule ne s' en garderoient jamais, non plus qu' auparavant les Cimbres & Teutones, qu' ils ne donnassent jusques en la Provence, & de là jusques en Italie. De ce passage j' apprens deux choses, dont l' une n' appartient au present subjet, mais est-ce neantmoins notable pour les Princes & grands Seigneurs, qui doivent sur tout empescher que leurs voisins, & ceux dont à la longue ils pourroient encovrir meschef, ne s' agrandissent facilement pres de leurs portes, encores que pour l' heure presente ceste grandeur ne se tourne à leur des-advantage: mais ayans plus d' esgard à l' advenir qu' au present, ils repensent que la convoitise des hommes est sans bride, & que jamais ne trouve assouvissement: si que plus ils croissent en auctorité & grandeur, plus veulent-ils s' augmenter en accroissement de pays. Ceste maxime fut fort bien entenduë par Cesar, & depuis par ceux, qui ont eu quelque commandement au pays d' Italie, lesquels sont coustumiers faire ligues pour supprimer & ancantir la puissance de celuy qu' ils voyent trop heureusement prosperer, iaçoit que (peut-être) sur son advenement ils favorisassent son party: comme de la memoire de nos ayeux advint au Roy Charles huictiesme en son voyage de Naples. Quant au discours du present chapitre, vous pouvez voir par ces deux passages que les Romains avoient ja les Germains pour suspects, comme gens du tout aguerris & exposez au faix & travail de la guerre. Au moyen de quoy ce gentil Jules Cesar, d' un esprit militaire, & prevoyant de longue main le desastre, qui par eux pouvoit advenir à l' Empire, leur vouloit coupper toute broche, & oster tout moyen de sortir hors de leur pays. Chose que depuis ses successeurs curent en mesme recommandation. Car estant l' ordre de la Republique devolu en la personne d' un seul, ils entretindrent bien longuement le long du Rhin sept ou huict legions Romaines, tantost plus, tantost moins, selon les occasions, esquelles consistoit la plus grande force de l' Empire, tant pour livrer la guerre aux Germains, que pour leur être un perpetuel retenail aux courses qu' ils eussent peu faire sur le territoire du Romain, & leur barrer le travers de la riviere du Rhin. Et toutefois je ne sçay quel heur il y a euen ce païs de Germanie: car encor que la plus part des progrés des Empereurs feussent fichez celle-part, si n' eurent-ils jamais fortune si favorable, qu' ils s' en peussent dire seigneurs & maistres: au contraire y recevrent plusieurs grandes hontes & routes: comme fut sa desconfiture du temps d' Auguste des trois legions souz la conduite de Quintile Vare, qui fut telle, qu' àpeine en reschappa-il un seul pour en venir rapporter nouvelles. Et mesmement quant à Jules Cesar, combien qu' il fust l' un des premiers qui osa percer jusques à eux, toutesfois il ne les feit que recognoistre sans coup ferir: & encor racompte-l'on entre un de ses mal-heurs, qu' il y perdit deux de ses principaux Capitaines, Titie, & Aronculeie. Bien est vray, que Germanic & plusieurs autres Princes de Rome leur dresserent maintes escarmouches, toutesfois jamais fortune ne permist qu' ils s' en rendissent paisibles. Mesmement incontinent qu' ils les laisserent plus que de coustume en requoy (qui fut apres la transmigration de Constantin à Bizance) soudain se trouverent ces Germains dresser à l' Empire Romain cent mille trousses & algarades, ayans defois à autre du pire, mais ordinairement plus du bon: tant que finallement apres avoir esté long temps d' une part & d' autre en balance, ils demembrerent petit à petit de ce grand Empire une grande partie de leurs Provinces. Soubs Honore, & apres souz l' un des Valentiniens les Vandales, Sueves & Allains occuperent les Espagnes: les Gots qui confinoient à l' Allemaigne, l' Aquitaine: les Bourguignons, les Sequanois: les François, la Gaule Celtique: les Pictes & Escossois, celle partie de la grande Bretaigne dicte Escosse: les Anglois & Saxons, l' autre partie que nous appellons de leur nom Angleterre: & les Lombards souz Justin, la Gaule qui estoit par les Italiens appellee Cisalpine

Voire qu' il semble (voyez que peut une opiniastreté fichee au cerveau d' un peuple usité à la guerre) qu' estant venu à neant tout l' honneur & Empire de Rome, & depuis relevé par nostre Charlemaigne, toutesfois si ont-ils voulu tirer devers eux encor ce tiltre d' Empereur, quasi comme derniere despoüille de la grandeur des Romains. Et la plus grand part des Royaumes, qui depuis furent, & encor sont en vogue a au Ponant, prindrent leur origine d' eux. Lesquels estans policez de la façon qu' ils sont aujourd'huy, je puis dire que tout ainsi que les Jardiniers entent sur sauvageons, greffes dont le fruict est soüef, & du tout contraire à son pié: aussi des gens brusques & grossiers (je les nomme grossiers, en esgard aux conditions qu' ils avoient, quand ils s' esparpillerent parmy les nations estrangeres) sont yssuës les Monarchies, comme la nostre Françoise, l' Espagnolle, & l' Angloise, qui florissent en bonnes coustumes & ordonnances, sur toutes autres nations.