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lunes, 22 de mayo de 2023

Chapitre VIII. De l' entree, progrez & fin de la Monarchie des Gots.

De l' entree, progrez & fin de la Monarchie des Gots.

CHAPITRE VIII.

Quand Dieu voulut demembrer l' Empire de Rome, il suscita une infinité de nations, auparavant, point ou peu cognues de nom, lesquelles ioüerent diversement à boutehors. Car si l' une par droict de bien-seance s' estoit emparee d' un pays, les vaincus n' avoient autres garends de leurs pertes, que les terres de l' Empire. Cela advint aux Gots, anciens citoyens de la Scythie, laquelle ayant esté envahie par les Huns (gens qui pour quelques annees furent un foudre de l' Univers) ils furent contraints de quitter leur originaire manoir, & se jetter aux pieds de l' Empereur Valens: Qui leur octroya pour demeure un arrierecoin de la Thrace. Mais pour oster à ces nouveaux hostes tout moyen de rien attenter encontre l' Estat, il les desarma premierement, & d' une mesme main leur osta tous leurs enfans masles moindres de quatorze ans, qu' il confina en diverses villes du Levant, soubz la charge & discipline de Jules, homme sage, afin qu' estans distraicts de la veuë & cognoissance de leurs peres, meres, & parents, ils ne recogneussent au long aller, autre pere commun d' eux tous que l' Empereur. Ce faict, il commanda à quelques Capitaines & compagnies de conduire le gros en toute seureté, au pays à eux assigné. Mais au lieu de leur servir de fideles escortes, ils commencerent de les gourmander, abusans de la beauté & chasteté de leurs femmes, & soustrayans les plus robustes, les envoyerent en leurs maisons pour en faire des esclaves. Ce qui offença tellement les Gots, qu' apres qu' ils furent logez, ils ne proietterent en eux autre chose, qu' une vengeance, & sur ceste deliberation, comme un furieux torrent, rompirent toute barriere, & se feirent voye par la Pannonie, Macedoine, & Thessalie. Et au surplus s' habituerent non seulement aux lieux tant marescageux que montaignars, qu' on leur avoit baillé pour demeure, mais au beau milieu de la Thrace: Dont Valens desirant les chasser, envoya un grand Capitaine, nommé Sebastien, qui s' empara des plus fortes places, faisant estat de temporiser encontre eux, & escorner tous leurs desseins par longueur. Conseil qui ne fut trouvé bon par les Seigneurs qui estoient pres de l' Empereur: Luy conseillans qu' ayant affaire à un peuple barbare, exterminé de son pays, & peu aguerry, il les devoit choquer au premier jour, comme gens dont il viendroit aisément à chef. Les affaires se manierent de telle façon, que la bataille donnee, l' Empereur fut mis en route, & s' estant avecq' quelques uns des siens bloty dans une bourgade, les autres y meirent le feu: Telle fut la fin de Valens, mais Theodose qui luy succeda au Levant, ne voulant que ce desastre demourast non vangé, les attacha si vivement, qu' il les desfeit d' une victoire plus sanglante que n' avoit esté celle qu' ils avoient obtenuë encontre Valens. Et ce qui sembla être l' abysme de leur malheur feut, que tous ces jeunes Gots que l' on avoit confinez & espandus és parties Orientales, ayans eu advis de ce qui s' estoit passé, commencerent de se revolter, & eust leur conseil succedé, mais Jules homme pratic pour les destourner leur promit diverses assiettes de terres, & comme il leur assigné une journee generale pour leur en faire les departements, il donna si bon ordre à son faict, qu' en chaque ville il eut des soldats atiltrez, qui les feirent tous passer par le fil de l' espee. De maniere que par ces deux heurts de fortune, il sembloit que les affaires des Gots fussent du tout sans ressource. Toutesfois c' estoit une pepiniere qui repoussoit plus hautement, tant plus on la vouloit resseper. Et ne peurent les Empereurs si bien ioüer leurs personnages, qu' en fin les Gots ne se feissent maistres de la Thrace. Il y avoit entre eux, & leur ancienne demeure le traject seulement de la riviere d' Istre, dont ils tiroient tousjours rafraischissement de secours. Et de faict par succession de temps, il partagerent entre eux par esperance commune l' Empire. Dont les aucuns prindrent pour leur lot le Levant, qui feurent nommez Ostrogots, c' estoit à dire Gots Orientaux, & aux autres escheut l' Occident, souz la conduitte d' Alaric, & feurent appellez Visegots, qui vouloit dire en leur langue Gots Occidentaux. Ceuxcy estans arrivez sur les marches d' Italie, avec vœu expres de la conquerir, l' Empereur Gratian pour destourner de luy cest orage, leur octroya pour demeure tout le pays d' Aquitaine: duquel sevoulans mettre en possession apres le decez de Gratian, Stilicon (qui, comme beaupere d' Honore fils de Gratian, tenoit toutes les affaires de l' Empire Occidental en sa main) espiant son apoint, lors qu' ils voulurent passer les monts, leur donna un jour de Pasques à doz: qui les irrita tellement, que rebroussans chemin, tournerent visage vers l' Italie, laquelle ils meirent à sac, & prindrent la ville de Rome d' embleé : de là poursuivans leur routte plus loing, au meilieu de leur entreprise mourut Alaric leur Roy: auquel succeda Ataulphe, qui pour la seconde fois retournant vers Rome, apres avoir glané tout ce qui y estoit demeuré de la premiere despouille, enleva Placidie sœur de l' Empereur, & par les prieres d' elle s' achemina suyvant leur premier dessein en Aquitaine, dont il se feit possesseur, chassant les Vandales (qui peu auparavant l' avoient usurpee) aux Espaignes. Apres luy regna Rugeric: puis Vallie, qui chassa les Vandales totalement des Espaignes: puis Theodoric, qui, s' estant joint avec Aetius  & Merovee, fut tué en la bataille contre Attille: & successivement Thorismond, Theodoric son frere, Euric, Alaric gendre de Theodoric Roy des Ostrogots, & finalement Amalaric son fils, qui fut tué par Childebert Roy de France: auquel faillit en ceste Gaule le nom & la puissance des Visegots: qui prindrent de là en avant leur accroissement en Espaigne. En ce pendant les Ostrogots (qui tenoient lors l' Italie) depuis la mort d' Alaric (comme j' ay dit au chapitre prochain) s' estoient saisis d' une partie du Languedoc, & Provence souz umbre de la tutelle d' Amalaric: auquel (combien que venu en aage de regner) ils restituassent ses terres, si avoient-ils tousjours garnisons, tellement qu' apres sa mort ils en demeurerent seigneurs. Pour laquelle chose entendre plus parfaictement, il faut sçavoir que les Gots, qui apres la deffaicte de Valens estoient demourez en la Thrace, curent plusieurs grandes traverses. Toutesfois soubz leur Roy Theodemir, ils feurent en tresgrande vogue, au grand desadvantage de l' Empire, & mesme pour quelque mal-talent qu' ils conceurent contre l' Empereur Martian, fourragerent tout l' Illiric. En fin par traicté de paix Theodoric fils de Teodemir feut baillé pour ostage à Martian, & depuis estant renvoyé, les guerres se * r' allumerent entr' eux plus chaudement qu' au paravant, jusques à ce qu' une autre paix estant de rechef concluë & juree avecq' l' Empereur Zenon: Et Theodemir allé de vie à trepas, Theodoric son fils & unique heritier feut grandement chery par l' Empereur, pour la longue habitude qu' il avoit euë avecques luy durant son ostage, mesmes suivit ordinairement la Cour de cet Empereur. Pendant lesquelles choses Odoacre Roy des Eruliens de simple soldat ayant occupé l' Italie, Theodoric, du consentement de l' Empereur, laissant la Thrace, donna jusques à Odoacre: lequel estant, pour l' abreger, par luy meurtry, il se feit couronner (par l' adueu de Zenon) Roy de toute l' Italie: Prince certainement grand & debonnaire en toutes choses, fors que sur le declin de son aage, pour quelque jalousie de regner, il souilla ses mains au sang de Boece & Symmaque. C' est celuy qu' en l' autre chapitre je disois avoir usurpé soubz le nom de son arriere fils Amalaric (car Alaric pere de luy avoit espousé une sienne fille) une partie du Languedoc & de la Provence. Apres luy regnerent Alaric fils d' Amalassonte sa fille, Theodat, contre lequel Justinian Empereur soubz les estandars de son grand Capitaine Belissaire entreprit de reduire l' Italie soubz l' ancienne obeïssance de l' Empire. Lequel Theodat se voyant assiegé d' affaires de tous costez, feit accord avec les François (qui ne sortit toutesfois pour lors effect, estant prevenu de mort) par lequel fut capitulé qu' il mettroit entre leurs mains le demeurant de la Gaule, qui estoit des appartenances des Gots. A luy succeda Vitige le mal-heureux, lequel & aussi tout son Royaume, apres quelques revolutions d' annees tomba en la puissance de Belissaire. Ce neantmoins les Ostrogots reprenans depuis cœur creérent Theudibault pour leur Roy, & redoublans leurs forces soubz Totille son successeur, coururent toute l' Italie, & reprindrent la ville de Rome. Apres lequel regna Teie, qui par une rencontre qu' il eut contre Narses Lieutenant de l' Empereur, fut tué avec telle defaite des siens, que deslors fut le nom, & la crainte des Gots desracinee de l' Italie. Depuis le partement de Belissaire, & la nouvelle venuë de Narses, les Gots voulant encor iouër des cousteaux pour le recouvrement d' Italie, les Histoires disent que adonc craignans que les François feissent quelques troubles ou empeschemens à leur entreprise, ils les investirent du reste des terres qu' ils tenoient en la Provence & Languedoc. A quoy mesmement de son gré condescendit l' Empereur, combien que ces pays feussent de son ancien domaine. Ainsi la fin & ruïne des Visegots & Ostrogots, feut l' avancement des François, qui demourerent par ce moyen paisibles de toutes les Gaules, perpetuans leur nom & seigneurie jusques à ce jourd'huy sans tomber en main estrangere.

viernes, 19 de mayo de 2023

CHAPITRE III. Combien le nom Gaulois s' amplisia anciennement ...

Combien le nom Gaulois s' amplisia anciennement: & contre les calomnies de quelques autheurs, qui, souz leur faux donner à entendre, voulurent obscurcir noz victoires.

CHAPITRE III.

Sur tous les peuples qui se sont adonnez à covrir l' Univers, l' on en peut à mon jugement remarquer trois de grande recommandation: entre lesquels, faut donner le plus ancien lieu aux Gaulois, le second aux Germains, & le tiers aux Sarrazins. D' autant que les premiers avant que Rome eust attaint au grand degré de souveraineté, les seconds sur la fin de l' Empire d' Italie, & les derniers, celuy de Constantinople commençant à tomber en ruïne, donnerent tant d' espreuves de leurs vaillantises, qu' il y eut peu de contrees, desquelles, selon la varieté du temps ils ne goustassent. Et vrayement quant à noz Gaulois, il fut une saison qu' ils establirent en tant de regions leurs conquestes, que pour ceste occasion plusieurs gens appellerent indifferemment l' Europe souz le nom de Celte ou Gaulois qui se rapportent l' un à l' autre. Qui fut cause que Joseph Juif, pensant subtiliser contre Appion le Grammairien, voulut improperer aux Historiographes Gregeois une ignorance du faict des Gaules: pour autant qu' indifferemment ils comprenoient plusieurs nations souz leur nom, qui n' estoient de leur originaire enceincte. Mais non toutesfois s' avisant que luy-mesmes en cest endroict s' abusoit. Parce qu' en la plus part de toutes les contrees de l' Europe, les Gaulois avoient eu victoires, & bien souvent avecques leurs victoires planté leurs noms. Ainsi tesmoigne Cesar qu' ils avoient anciennement occupé plusieurs environs de la grand Bretaigne. Et d' avantage il atteste qu' ils ficherent aussi leurs demeures dans la Germanie vers la coste de la forest Hercinienne. Et non contens de ce païs, continuerent leurs conquestes jusques en la Scythie, (comme en font foy les Celtoscythes) & aux Espaignes, ainsi que nous pouvons tirer des Celtiberes, peuples, au rapport de Plutarque, extraicts du vieil rige des Gaulois. S' estans veuz mesmement commander à une partie d' Italie, de la Grece, & de la Phrigie. Tellement qu' ayans fait sonner leurs victoires en une Germanie, Scithie, Espaignes, grande Bretaigne, Italie, Grece, & Bithinie, il ne faut trouver trop estrange, que non seulement les Grecs, mais aussi quelques autres, qui nous attouchoient de plus pres, confondissent sous ce nom Gaulois les autres peuples qui dépendoient de la grandeur d' eux. Tout ainsi, comme l' on a veu depuis, une Germanie avoir prins le nom universel d' Allemaigne (qui avoit ses bornes à part) mais pour la victoire que les Allemans firent quelquesfois du reste de la Germanie. Non pourtant que tels autheurs, comme il est à presumer pour telle confusion, n' entendissent le fonds & source de nostre Gaule, mais pource que d' elle, comme d' un grand arbre, s' estoit estendu le branchage parmy toute ceste Europe. Et mesmement que les anciens Gaulois, lors qu' ils avoient conquesté nouvellement un pays, estoient coustumiers d' en exterminer de tout poinct les premiers habitateurs, ou bien leur permettoient viure souz eux comme leurs subjects & vassaux, en la maniere que depuis les mesmes Gaulois esprouverent par la venuë  des François. Or entre tant de conquestes s' en trouvent trois principalement, desquelles, (encores que sur toutes memorables) si n' en avons nous instructions, que par les mains de noz ennemis. La premiere est ceste grande expedition, qui fut faite souz Ambigat Roy de Bourges quand Bellovese & Sigovese ses nepueux prindrent par sort en partage, l' un le pays de l' Italie, & l' autre celuy de la Germanie: leur succedant leur entreprinse si heureusement, que chacun d' eux sans grand destourbier prit terre la part où il avoit projecté: eternisans en chaque pays, par la fondation des villes qu' ils y bastirent, la memoire des nations qui s' estoient avecques eux acheminees à si nobles voyages. 

A maniere que les Venitiens mesmes (afin que je ne m' arreste aux autres peuples d' Italie, qui nous doivent leur nativité, desquels Troge Pompee fait assez grande mention, par l' organe de son abreviateur Justin) prindrent leur nom de ceste flotte, c' est à dire, du peuple de Vannes. De laquelle gloire, combien que quelques Italiens (comme Marc Anthoine Sabellic,) veullent frustrer nostre Gaule, pour la rapporter à quelques Enetiens, peuples forgez à credit, & qu' ils veulent tirer du pays de Paphlagonie, si eit-ce que Polibe autheur ancien attestoit par le confrontement & rapport des mœurs des Venitiens d' Italie, avec les citoyens de Vannes, qu' ils avoient pris leur ancienne origine de nous. Chose, à laquelle condescend volontairement Strabon. Certes les historiographes Latins, qui voulurent discovrir sur ce voyage, pour obscurcir quelque peu la loüange qu' ils ne nous pouvoient bonnement desrober, disent que les Gaulois allechez de la douceur des vins d' Italie, dont ils avoient en certaine information par espions, se donnerent de plus grande ardeur ce pays en proye: toutesfois, l' on sçait que toutainsi que d' un costé Bellovese s' achemina en Italie, aussi d' une autre part Sigovese prit l' adresse de la Germanie, pays pour lors & encores pour le jourd'huy, bien peu cultivé de vignoble. Qui monstre que ce ne fut une friandise des vins, qui nous feit apprendre le chemin de delà les monts, ains la proximité & cofinage des lieux. Parquoy les autres un peu plus sobres, & non si advantageux à mesdire, disent que l' occasion de ce grand desbord fut pour descharger le pays des Gaulois, adonques trop abondant en peuple. Laquelle opinion, bien qu' elle ne soit animeuse comme la premiere, si est-ce que qui considerera le commun cours de nostre nature, mal-aisément qu' il trouve que la Gaule doiue jamais avoir esté plus populeuse qu' à present. Car les grands & peuplez pays (comme il est certain) se sont ou par la disposition du ciel, comme sont les climats froids & Septentrionnaux, ou par la force des loix, qui pour suppléer au commun defaut du pays addressent tous leurs privileges aux mariages, pour inviter par ce moyen les subjects à multiplier en hommes, leur patrie: comme furent plusieurs ordonnances des Lacedemoniens, Atheniens, & Romains, & encor' de nostre temps d' avantage, entre les Mahumetistes, qui pour ceste cause permettent à un seul homme avoir en une mesme famille plusieurs femmes. Lesquelles deux reigles ayans deffailly en nostre Gaule, je ne trouve point raison pourquoy nous devions estimer ces bons peres du vieux temps, plus seconds en peuples, que quand depuis quatre cens ans en ça avec une infinité de Chrestiens souz la main de Boüillon (Bouillon) & autres Princes nous nous croisasmes encontre les Infideles. Par quoy, à dire le vray, leur vertu, ensemble leurs loix militaires, les acheminerent lors & plusieurs fois depuis à si loüables entreprises. Que si paraventure aujourd'huy se trouvoit estrange qu' à un amas de gens de guerre noz Roys avec grande difficulté levent trente ou quarante mil hommes, & que les anciens Gaulois comptoient leurs armees par cent & deux cent mille, je responds que l' occasion de cela procede de la diversité des polices, l' une apprenant principalement à iouer des cousteaux, & l' autre à manlet une plume: tellement que tout ainsi que noz anciens ne marchoient point en champ de bataille qu' avec une fourmiliere de peuples, aussi maintenant en contr' eschange noz Roys leveroient plustost deux cens mille, suyvans l' estat de la plume, que trente mille hommes de guerre. Qui a esté cause que quelque estranger escrivant dessus Ptolomee, à bon droict nous reproche qu' en ce seul pays de France se trouvent plus de chiquaneux & gaste-papiers, qu' en une Allemaigne, Italie, & Espaigne, trois autres grandes regions de l' Europe. De laquelle façon de faire combien que les anciens Gaulois ne fussent du tout eslongnez, ayans aussi bien que nous gens deputez à la vuidange des proces, si avoient-ils d' une autre part, ainsi que je disois au premier chapitre, Chevaliers du tout affectez à la guerre, soubs la devotion desquels de toute ancienne coustume se consacroient diversement les gens du tiers Estat & menu peuple: ne faisans autre compte de mort ou de vie, que celle qui plaisoit au seigneur, souz lesquels ils s' estoient vouez. Qui causoit, & que la justice ne demeuroit point en friche, & que les guerres se faisoient avecques si grand nombre de gens, que les Gaulois de leurs propres forces & sans armes auxiliaires subjuguerent toute l' Europe. En ceste façon, pour retourner sur mes arrhes, conquirent-ils la plus grande partie d' Italie, & aussi de la Germanie, souz leurs Princes Bellovese & Sigovese. En ceste façon exploicterent-ils leur second voyage, quand les Senonois, ayans passé les monts, meirent pour quelques indignitez qu' ils recevrent des Ambassadeurs des Romains, la ville de Rome à sac: dans laquelle ayans quelques journees commandé, ils en furent finalement dejectez tant par defaillance de viures, que par une surprise de Camille. En ceste façon soubs Belgion, & depuis soubz Brennon leurs Capitaines, occuperent-ils une grande partie de la Grece, & de là passans en la Bythinie que maintenant nous appellons Natolie, fonderent en l' une & l' autre contree un grand Royaume. Lesquels trois voyages, il me suffit monstrer seulement au doigt, tant pour être assez amplement couchez par Tite-Live, Justin & autres anciens autheurs, que pour en avoir esté la memoire rafraichie de nostre temps és livres expressément à ce dediez, par feu Messire Guillaume du Bellay, Chevalier, & depuis par Guillaume Postel, ausquels tout homme studieux pourra avoir son recours. Bien adjousteray-je apres eux, que le voyage de Rome rendit de là en avant le nom des Gaulois si redouté au peuple Romain, que lors que le moindre bruit s' eslevoit d' une entreprinse Gauloise, les Romains couroient aux armes comme au feu. Et pour ceste occasion s' estans à leurs propres cousts & despens faicts sages de nostre vertu, curent tousjours argent peculier & de reserve au thresor public, auquel jamais on ne touchoit, sinon pour subvenir aux fraiz des affaires qui se presentoient contre eux de nostre part. Et d' avantage, aux immunitez & exemptions des guerres, qu' ils ottroyoient, ils estoient coustumiers par clause ordinaire excepter celles qui s' offriroient du costé des Gaules. Et au regard de la Grece, y ayans assis nostre demeure, on recite qu' en toutes les grandes entreprises qui se brassoient au Levant, les Princes avoient vers nous leur recours, comme à un ressort de franchise, soit qu' il feust question de restablir en son trosne un pauvre Roy depossedé, ou de porter confort & aide à quelques peuples desolez. En toutes lesquelles entreprises combien que par fois nous cussions du bon, par fois du pire (comme sont les armes de leur nature journalieres) si est-ce que le desastre ne vint jamais en comparaison de nostre heur. Je sçay bien quelques historiographes voulurent anciennement soustenir, que tous ceux qui s' estoient retirez vers la Grece, avoient esté desconfits par la seule puissance de Dieu, au ravage du temple de Delphe, si faut-il bien presumer que la calamité ne fust si grande, veu qu' apres tant de revolutions d' annees, sainct Hierosme recognoissoit que le langage des Galates ou Gallogrecs se conformoit en grande partie avec celuy des Trevires, peuples situez dans nostre Gaule Belgique. Au demeurant, entant que touche le Camille tant rechanté par les Romains, & dont à chaque propos ils font banniere contre nous, pour quelque victoire qu' il rapporta de nous pendant le siege du Capitolle, je croy qu' il leur eust esté du tout plus seant de s' en taire: pour-autant que, si le commencement de ceste guerre fut entrepris (comme nous enseignent leurs propres histoires) pour un juste droict d' espee violé par leurs Ambassades, encores verra l' on que la fin trouva plus malheureuse issuë. Car qui est celuy, qui ne sçait que pendant une surseance d' armes, je veux dire, lors que par commune capitulation des deux osts, les Gaulois estoient au conseil pour sçavoir s' ils devoient lever le siege pour l' argent qui leur estoit offert, ou le continuer, Camille leur vint covrir sus en temps du tout importun & aliene des armes? Laquelle chose mesmement (afin que je ne m' aide d' autre tesmoignage, que de celuy de leurs Princes ) luy fut puis apres assez souvent reprochee en plein Senat par Manle le Capitolin. Et toutesfois quelle que ait esté ceste roupte, il la faut plustost imputer à la famine, qui long temps auparavant batailloit contre nous, qu' au Capitaine Camille: lequel, à bien dire, estonna plustost nostre armee ja attenuee d' une longue faim, qu' il ne luy meffit, quoy que Tite-Live, perpetuel ennemy du nom Gaulois, en vueille dire: Et qu' ainsi ne soit, Jules Frontin, au livre qu' il nous a laissé par escrit des ruses de guerre, est tesmoing qu' apres ceste deffaite, les Romains nous donnerent passage par la riviere du Tybre (Tíber): fournissans viures & munitions, jusques à ce que nous fussions bien loing esloignez de leur ville. Qui nous peut asseurer, qu' il y avoit gens assez de nostre costé pour intimider ou escarmoucher les Romains, & que la retraicte, que nous fismes, procedoit: plus d' une disette de victuailles, que de victoire signalee qu' ils eussent euë contre nous. Je ne doute point qu' il semblera à quelques uns, qui presteront l' œil au present discours, que je me soye plustost destiné, & en ce chapitre & aux autres deux de devant, à la loüange ou deffence de nos vieux Gaulois, qu' à une simple deduction ou narré. Chose que librement je confesse: n' estant pas grandement soucieux que l' on m' ait en opinion de Panegyriste ou Encomiaste, moyennant que ce que je dis se rende conforme au vray: aussi que la necessité m' y semond. Car s' estant l' authorité de quelques autheurs Latins par longue trainee de temps insinuee entre nous, ou, pour mieux dire, affinee, tellement qu' ils sont reputez veritables, il est fort mal-aisé de desraciner ceste opinion du commun, que par un mesme moyen l' on ne passe les bornes d' un simple narrateur. En quoy l' on ne sçavroit mieux convaincre tels-autheurs, que par ce que nous apprenons d' eux-mesmes. D' autant que voulans quelquesfois denigrer nos victoires pour donner lustre aux leurs, ils ne s' avisent pas qu' ils se contredisent, c' est à dire, qu' ils veulent donner à entendre d' un à nostre desavantage: & neantmoins qui confrontera leurs longs propos piece à piece, il trouvera qu' ils monstrent tout le contraire. Or est-ce un dire ancien, qui tombe souvent en la bouche du commun peuple, qu' il faut que tous braves menteurs soient gens de bonne memoire, pour se garder de mesprendre.