Troisiesme cruauté dont faussement on accuse Brunehaud.
CHAPITRE XII.
Fredegaire, & apres luy Aimoïn, disent que trois ans apres que Theodebert fils aisné du Roy Childebert fut arrivé à la Couronne d' Austrasie, Brunehaud son ayeule fit mourir à tort & sans cause Guintrion l' un des premiers de sa Cour. En haine dequoy luy & son Conseil la chasserent, mais avecques une incroyable indignité, je veux dire sans suite d' homme, ny de femme, comme une pauvre Damoiselle deschiree, laquelle vaguant ça & là (grande pitié) sans sçavoir quel chemin tenir, tombe en fin de bonne fortune és mains d' un païsan: auquel ayant tout au long discouru sa desconvenuë, elle le pria de luy servir de guide, & de la conduire jusques vers le Roy Theodoric son autre petit fils. A quoy il obeït, & l' y ayant renduë, apres avoir esté la mieux que bien receüe, l' Evesche d' Auxerre venant à vacquer, elle en fit pourvoir le païsan, homme du tout illetré, en recognoissance du bon & agreable service qu' il luy avoit fait. Qui est un vray monstre d' histoire: Que cette Dame auparavant tant retenüe l' espace de trente huit ans, se fust tout à coup laissee eschapper à la cruauté contre le sang innocent; & le fils se fust d' une si estrange façon oublié en la vengeance contre la Royne son ayeule, & encore cette Princesse en la recompense d' un homme ignorant. Car à vray dire combien que la faute eust esté grande de la part d' elle envers Guintrion, la punition fut plus enorme de la part du fils envers sa mere, qui pouvoit estre esloignee de luy avecques plus de respect. N' estoit que j' excuse le bas aage du fils qui lors n' avoit que treize ou quatorze ans pour le plus, pendant lequel temps il advient souvent, que les grands Seigneurs qui sont proches de la personne des Roys abusent de leurs bas aages, & authoritez. De maniere que je vous confesseray librement, que cette histoire m' est grandement suspecte, & pour m' en esclaircir, il me semble estre requis de considerer si on la pretend estre advenüe devant ou apres le decez de S. Gregoire. Car si apres, j' en passe condamnation avecques le Cardinal Baronius, mais non autrement.
Or que ces deux mesdisans Autheurs nous l' ayent publiée comme advenüe auparavant, je prens droict (je seray en ces mots Advocat) par le calcul des ans par eux fait, quand ils disent que ce fut la 3. annee de l' advenement de Theodebert à la Couronne. Ce fut donc l' an 602. car le Roy Childebert son pere estoit decedé l' an 600. partant pendant la vie de S. Gregoire, qui mourut l' an 604. Et pour vous monstrer clairement que ce fut de son vivant, s' il vous plaist repasser sur ses Missives, vous trouverez qu' elles s' adressent premierement, tant à Childebert fils, qu' à la Royne Brunehaud sa mere, & ce Roy estant allé de vie à trespas, il escrit à Theodebert & Theodoric ses enfans, par lettres communes aux deux freres, pour mesme sujet. Qui monstre qu' ils n' estoient lors divisez d' opinions. Depuis vous y appercevez quelque changement; d' autant que sans se souvenir de Theodebert, ses lettres s' adressent, ores à Brunehaud, ores à Theodoric. Qui me fait croire que Brunehaud se tenoit lors avecques Theodoric.
Le fait cy-dessus p**stoit trop horrible entre personnes de telle marque, pour n' estre cogneu, non seulement dedans la France; ains par toute l' Europe. Et à tant s' il eust esté vray, je ne fais aucune doute que S. Gregoire en eust baillé quelque attache à Brunehaud, tant de la mort de Guintrion innocent, que promotion du païsan ignorant à l' Evesché (mescontentement ordinaire de ses lettres) & tout d' une main à Theodebert, d' avoir si mal traité sa mere. Non qu' elle ne meritast quelque reprimende; ains avec procedures moins deshonnestes: En toutes ses lettres vous n' en trouvez un seul mot. Partant je vous supplie ne trouver mauvais, si en cet endroit je suis de dure creance. Je pourrois icy me fermer sur cette opinion par la raison que dessus, mais encore passeray-je plus outre. Car si me permettez de discourir librement ce que j' en pense, je vous dirois volontiers que depuis la mort de Childebert, Brunehaud ne fit sa demeure avec Theodebert, qui lors estoit aagé de douze ans ou environ, & Theodoric de 9. Opinion que pourrez trouver nouvelle (car nul n' a encore touché cette corde) mais je vous prie vouloir entendre mes conjectures. Soudain apres le decez du pere les deux freres jetterent au lot, ainsi qu' estoit lors la commune usance entre les enfans de nos Roys, & à Theodebert escheut le Royaume d' Austrasie, & à Theodoric celuy de Bourgongne. Austrasie, de l' ancien estoc du pere, partant selon les droits ordinaires de nature, plus asseuré: Bourgongne de nouvelle liberalité, consequemment moins;
Je ne trouve en aucun Autheur ancien ou moderne, que jamais les deux freres depuis leurs couronnemens eussent faict Cour commune ensemble. Cette Princesse, comme leur ayeule, avoit toute intendance sur leur conduite, & est grandement croyable qu' elle choisit sa demeure avec celuy, qui pour la foiblesse de son aage, & manutention de son Estat en avoit plus de besoing. J' adjouste que S. Gregoire escrivant aux deux freres, fait sur l' inscription de ses lettres passer le puisné devant l' aisné, en ces mots, Theodorico, & Theodeberto Francorum Regibus. Chose que j' estime avoir esté par luy faite, non par ignorance de leurs aages & prerogatives; ains parce qu' il voyoit la mere & le puisné se tenir ensemble. Davantage je ne voy point qu' elle qui faisoit profession exterieure de devotion (car quant à l' interieur du cœur, il n' y avoit que Dieu qui en peust juger) eust jamais basty aucune Eglise en Austrasie; ains seulement en la Bourgongne, le Monastere d' Aulnay pres Lyon, l' Abbaïe S. Vincent à Laon, qui estoit de la domination Bourguignonne, & par especial le Monastere S. Martin hors la ville d' Autun, & l' Hospital, qu' elle manda à S. Gregoire avoir esté par elle achevez, dont il luy congratule, & rend graces à Dieu par ses lettres. Ouvrages qu' on ne jette point en moule en un ny en deux ans.
Particularitez qui me font croire qu' auparavant l' an 602. an auquel on figure sa fuite d' Austrasie, cette Princesse hebergeoit au Royaume de Bourgongne avec Theodoric. Et par ainsi que le mauvais traitement de Theodebert envers son ayeule est fabuleux. Adjoustez que trois ans apres cette pretenduë disgrace de Brunehaud les deux freres par une mutuelle correspondance manierent rudement le Roy Clotaire leur cousin, & reduisirent ses affaires au petit pied, par une grande victoire qu' ils obtindrent encontre luy, & depuis vesquirent en concorde ensemblément par le tesmoignage mesme d' Aimoïn, qui dit que dix ans apres du regne de Theodoric, Brunehaud ayant moyenné la Mairie du Palais à Protade son favory, elle fit, pour se vanger, entendre à Theodoric que Theodebert ne luy attouchoit en rien de proximité de lignage; ains estoit fils d' un jardinier. Esperant par ce moyen qu' il prendroit les armes contre luy, comme il fit. Et vrayment il est mal croyable, qu' une Princesse outrageusement offensee comme cette-cy, & par consequent infiniment ulceree, eust couvé huit ans entiers dedans son ame cette vangeance sans l' esclorre. Toutesfois parce que cette histoire d' enfant de jardinier est mise en avant, comme premier seminaire des divisions qui furent entre les deux freres, dont sourdit en fin leur ruine, je luy donneray un chapitre à part, & ne vous discourray cecy, que sur ce que j' emprunte des deux Autheurs mesdisans, ny ne le contrediray que par eux mesmes.