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jueves, 20 de julio de 2023

6. 33. Du gouvernement des Provinces qui tombe és femmes, & de la magnanimité ancienne de quelques Princesses.

Du gouvernement des Provinces qui tombe és femmes, & de la magnanimité ancienne de quelques Princesses.

CHAPITRE XXXIII.

Tout ainsi qu' une principauté tombant sous la minorité d' un Prince, est exposee à plusieurs hasards: aussi l' est-elle estant gouvernee par une Princesse: En l' un, on craint la foiblesse de l' âge, en l' autre la foiblesse du sexe, & en tous deux l' imbecilité de leurs sens. Je ne foüilleray point dedans l' ancienneté, remarquez seulement ce qui s' est passé depuis trente-cinq ans par l' Europe, en laquelle Dieu voulant commencer une subversion, ou mutation d' Estats, ou de familles, vous veistes d' une mesme assiette cinq ou six grands Royaumes regis & gouvernez par femmes: nostre France par Catherine de Medicis Roine mere, l' Angleterre par la Roine Elizabeth regnant encores à present, l' Escosse par la Roine Marie, le Portugal tombé és mains de l' Infante, fille de la Roine Leonor: le Navarrois, & Bearn par la Roine Jeanne, & finalement la Flandre, & autres pays bas par la Duchesse de Parme, sœur bastarde de Philippes Roy d' Espagne: Nous avons veu tout cela, & tout d' une suitte un pesle mesle, & confusion de toutes choses en cette France, en Escosse, en Flandres, en Portugal, qui est aujourd'huy tombé en mains Espagnoles. Que les femmes en ayent esté les motifs, je ne le veux pas dire, mais bien qu' elles ont esté les outils dont on s' est servy: encores que la plus part de ces Princesses ne faillit point de jugement en la conduite des affaires: Et toutes-fois pour rendre cette Histoire plus esmerveillable à une posterité, cest qu' au milieu de toutes ces Dames, qui ont veu sous leurs gouvernemens les Provinces affligees, où elles commandoient, une seule Elizabeth, qui ne se voulut jamais exposer sous la puissance d' un mary, non seulement a garenty son Royaume de toutes guerres & oppressions civiles, mais qui plus est, en a estendu les limites jusques à Holande, & Zelande, pays qu' elle a conquis sur Philippes Roy d' Espagne, le plus grand terrien, & pecunieux qui se soit veu entre les Monarques, depuis trois ou quatre cens ans. En quoy l' on peut descouvrir combien sont grands les mysteres de Dieu. Vray que je crains bien qu' apres le decez de cette Dame, l' Angleterre n' ait part aux calamitez comme nous: Car à bien dire son repos ne despend que du filet de la vie de cette Princesse. On veit presque en une mesme saison deux Roines en France, Brunehaut, & Fredegonde: l' une qui fit mourir six ou sept Princes, & broüilla toutes leurs Provinces de divisions, & guerres intestines: Au contraire une Fredegonde non seulement conserva le Royaume à Clotaire second son fils, qui estoit en berceroles, lors que Chilperic son pere fut tué: mais qui plus est, avecques le temps se veit seul Roy & Maistre de toutes les Provinces, qui avoient esté par deux fois partagees en quatre, depuis la mort de Clovis. Isabelle de Bavieres assistee du Duc de Bourgongne, troubla infiniement ce Royaume pendant les troubles d' esprit de Charles sixiesme son mary: De maniere que le Duc de Guyenne son fils aisné venu en aage de cognoissance fut contrainct de la confiner en Touraine. Au contraire la Roine Blanche mere de sainct Louys conduisit avec une telle sagesse les affaires de France, qu' elle conserva heureusement le Royaume à son fils, qui n' avoit que quinze ou seize ans quand il vint à la Couronne, & croy que pour cette chose les Roines meres depuis se voulurent nommer Roines Blanches, comme tiltre le plus specieux qu' elles se pouvoient donner pendant leur viduité. Il y a és femmes par fois des defaux, par fois aussi des vertus non moindres qu' aux hommes. J' ayme mieux estre leur paranymphe, que ressembler Jean de Mehun, qui en son Romant de la Roze fit profession expresse de les blasmer. Je veux doncques icy discourir la magnanimité & proüesse de quelques Dames. Je commenceray par la Roine Fredegonde, laquelle je ne veux excuser de la mort de son mary qu' on luy impute: Mais le sujet de ce Chapitre estant dedié aux Dames, qui se sont renduës recommandables par les armes, je donneray à cette-cy selon l' ordre des temps le premier, & plus ancien lieu. Sigebert Roy de Mets tenoit assiegé son frere Chilperic dedans la ville de Cambray, l' ayant reduit en tel desarroy, qu' il ne luy restoit autre espoir que de tomber à la misericorde de son ennemy. Quoy voyant la Roine Fredegonde, elle attiltre deux Gentils-hommes pour aller assassiner Sigebert, leur faisant plusieurs grandes promesses de biens, s' ils venoient à la fin de cette entreprise sans danger: & s' il advenoit qu' ils y mourussent, elle les asseuroit d' un Paradis par les intercessions & aumosnes qu' elle feroit faire pour la redemption de leurs ames. Ces Gentils-hommes vaincus par telles remonstrances s' y acheminerent, ils tuent le Roy Sigebert. Le fruict de cette entreprise fut que ceux-cy y demeurerent pour les gages: mais aussi tost fut le siege levé. En cecy il y avoit du renard, en ce que je diray cy-apres il se trouve beaucoup du lyon. Apres le meurdre de Chilperic, Fredegonde se trouva mere de Clotaire second, qui lors estoit au berceau. L' opinion que l' on avoit, estoit que cet enfant n' estoit fils du Roy Chilperic. Qui occasionna Childebert Roy de Mets de luy faire la guerre à outrance: Et comme les deux Osts fussent sur le point de s' entreheurter, Fredegonde montee sur un grand destrier se promena au milieu de tous les rangs, portant son enfant entre ses bras, les exhortant d' avoir pitié de leur petit Prince, & les sceut tellement animer, que pour conclusion elle obtint lors la victoire. Encore merite d' estre recité un stratageme & ruze de guerre qu' elle exerça lors, commandant à tous ses gens de prendre un rameau en leurs mains, & pendre au col de leurs chevaux une clochette: De ce pas elle les conduisit droict vers ses ennemis, où arrivant sur la diane, les sentinelles estimans que ce fussent bœufs, & vaches qui fussent en des pastis, elle les surprend si à propos, que Childebert fut contrainct de s' enfuir: Cette Princesse de là en avant conduisant si à propos les affaires de son fils, qu' apres Clovis, en toute la premiere lignee de nos Roys il n' y eut Prince plus grand terrien que luy.

Fredegonde avoit fait tuer son mary, comme l' on dit, parce qu' il avoit descouvert les amourettes d' elle avecques Landry. Celle dont je parleray maintenant en usa d' une façon, sinon semblable, pour le moins non du tout dissemblable, en une querelle plus juste. Isabelle fille du Roy Philippes le Bel fut mariee avecques Edoüard le tiers Roy d' Angleterre, Prince de toutes façons abandonné à ses plaisirs, mesme qui pour user d' une volupté prepostere, à l' instigation de Hues le despensier, ministre de ses passions, traictoit infiniement mal sa femme: D' ailleurs exerçoit une infinité de cruautez, n' y ayant presque Prince, ou grand Seigneur, auquel il ne fist trancher la teste. Isabelle ne pouvant plus supporter les hontes & indignitez qu' elle recevoit de luy, s' enfuit avecques son fils Edoüard Prince de Galles en France par devers le Roy Charles le Bel son frere, a fin qu' il luy voulust donner secours pour guerroyer son mary. Ce que luy ayant refusé, elle se retire au pays de Hainaut, qui la favorisa en toute cette entreprise. Ayant doncques assemblé grand nombre de Hennuyers, ils passerent en Angleterre: Là fut le Roy assiegé en la ville de Bristoye avecques Hues le despensier, par la Roine, de telle façon que la ville luy fut en fin renduë. Elle envoya lors son mary sous bonne & seure garde à Londres, & prit le chemin de Herfort, où estant arrivee, elle fit faire le procez à Hues le despensier, lequel par Arrest fut condamné à mort, & là sur un escharfaut eut le membre & les genitoires coupez (comme detestable Sodomite) qui furent dés l' instant mesme en sa presence jettez dans un feu, & en apres il fut vif ouvert par le ventre, le cœur tiré hors, & jetté dans le mesme feu: Puis on luy trancha la teste, & son corps mis au gibet. Sa teste prise & portee à Londres: le jour de Noël ensuivant par deliberation des Estats tenus à Londres le Roy Edoüard fut demis de sa Couronne Royale, & Edoüard son fils couronné Roy: c' est celuy qui depuis fit tant de guerre à Philippes de Valois, pretendant que le Royaume luy appartenoit, comme plus proche de la Couronne de France.

Aux magnanimitez de deux Princesses, dont j' ay cy-dessus parlé: il y a eu quelque chose à redire: En la premiere, la mort du mary, en la seconde la prison: Mais celle que je reciteray maintenant est digne d' estre mise au parangon de toutes les Dames, qui furent jamais en quelque pays, & nation que ce soit. Apres l' Arrest de Conflans donné au profit du Comte de Blois contre Jean Comte de Montfort, pour le Duché de Bretagne, le Roy Philippes de Valois prit les armes pour le Comte de Blois son nepueu. Advient que par trahison le Comte de Montfort est pris dedans Nantes vers l' an mil trois cens quarante deux, & mené prisonnier à Paris dans la grosse tour du Louvre, où il demeura deux ans entiers, & depuis estant evadé il mourut, delaissée la Comtesse de Montfort sa veufve, sœur du Comte de Flandres, chargee d' un petit enfant, qui portoit aussi le nom de son pere. Pour avoir perdu son mary, elle ne perdit pas le courage: parce que elle reprit plusieurs villes & chasteaux, mesme la ville de Rennes, devant laquelle le Comte de Blois mit le siege, aidé des forces de France. Quoy voyant la Comtesse de Montfort, elle a recours au Roy d' Angleterre, avec lequel elle brasse le mariage de son fils avec sa fille. Pendant lequel pourparler Rennes est renduë au Comte de Blois, qui vint mettre le siege devant la ville d' Hemboust, où lors estoit la Comtesse de Montfort avec son fils, il liure l' assaut, qui est fortement soustenu par ceux de la ville: pendant lequel, la Comtesse, qui estoit armee de toutes pieces, alloit sur un coursier par toutes les ruës pour donner courage à ses gens, & n' y avoit Dame ny Damoiselle, qui ne servist de quelque chose: les unes portoient des pierres sur les murs, les autres des eaux boüillantes pour jetter sur les ennemis: mais cette Princesse non contente de cela, fit encore un traict de plus signalee entreprise: Car apres estre montee sur le haut d' une tour, pour considerer la contenance de ses ennemis, voyant leurs tentes vuides, & tous les Seigneurs estre ententifs à l' assaut, elle remonte à cheval suivie de 60. hommes armez, & sortant par une poterne d' un costé de la ville, qui n' estoit assiegé, donna droit jusques aux pavillons de son ennemy qu' elle brusla. Quoy voyant le Comte de Blois, qui pensoit estre trahy, se retira de l' assaut, & quelques jours apres leva le siege pour l' aller mettre devant Aulroy, laissant seulement quelque nombre de soldats pour boucler Hemboust, lesquels affuterent contre la ville quelques engins de guerre, qui endommagerent tellement ceux de dedans, qu' ils estoient resolus de se rendre sans les instantes prieres que leur feit cette vertueuse Princesse de superseder leur deliberation jusques à quelques jours, pendant lesquels elle se promettoit avoir secours des Anglois, lequel arrivé, les François furent contraincts de lever le siege: & encores que les hazards de la guerre fussent depuis longuement tenus en balance, si est-ce que pour fin, & closture de jeu, le Duché de Bretagne demeura en la Maison de Mont-fort. Le semblable n' advint pas à la fille de René Duc d' Anjou, & Comte de Provence, femme de Henry sixiesme, qui s' intituloit Roy de France & d' Angleterre: car combien que son mary estant pris par Richard, elle eust enlevé son fils de la fureur de son ennemy: & encore elle seule garenty des brigands au milieu d' une forest, & depuis eu la victoire de Richard en plein champ de bataille, auquel elle fit depuis couper la teste: si est-ce que puis apres, abandonnee des siens, elle perdit son mary & son fils, & demeura le Royaume és mains d' Edoüard fils de Richard.