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domingo, 9 de julio de 2023

6. 18. Traict memorable de Chevalerie, courtoisie, & liberalité du Chevalier Bayard.

Traict memorable de Chevalerie, courtoisie, & liberalité du Chevalier Bayard.

CHAPITRE XVIII.

Apres avoir mis quelques discours des bonnes lettres sur le mestier, il ne sera hors de propos si pour contr'eschange, je donne icy lieu aux armes. J' ay au Chapitre precedent discouru sur la vie de Pierre Abelard, extraict d' une noble famille de Bretagne: Je vous representeray maintenant un Pierre de Bayard Gentil-homme du Dauphiné: Tous deux parangons, celuy-là aux bonnes lettres, cestuy-cy au faict des armes. Le premier sçavant & superlatif dessus les sçavans, d' un esprit bizarre, irrequiet, & presomptueux: Qui luy fit encourir plusieurs censures & reprimendes de ses superieurs. Le second vaillant dessus les vaillans, mais d' un esprit modeste, calme, & bien reiglé: Qui le feit aymer des grands, & honorer des petits: & par mesme moyen rapporter le tiltre de Bon Chevalier sans peur & sans reproche. Son trisayeul mourut aux pieds du Roy Jean à la journee de Poictiers, son bisayeul en celle d' Azincour sous Charles VI. son ayeul en la bataille de Mohtlehery, & son pere griefvement blessé en celle de Guinegaste. Belle production certes d' une Genealogie, pour rendre recommandable le Gentil-homme dont je parle, & neantmoins peu de chose, si la recommandation principale ne provenoit de son propre fonds. Toutes les loüanges que nous mandions de nos ancestres sont pauvres, quand nous manquons a nous mesmes. Jamais ne fut guerrier en son tout, accomply de tant de bonnes parties que luy. Les uns se trouvent accompagnez de proüesse, mais en eux quelques-fois defaut, ou le lignage, ou la prudence. Et ores que les deux s' y rencontrent, toutes-fois le mestier de la guerre engendre souvent le mespris de Dieu, & des hommes, en ceux qui pensent estre quelque outrepasse sur leurs compagnons. J' adjouste que pour se mettre plus aisément sur la monstre, ils logent avecques l' ambition d' honneur, souventes-fois l' avarice, aux despens du pauvre peuple, & tout d' une suitte, tantost la cruauté, tantost la paillardise selon les occasions. Tous vices esloignez de nostre bon Chevalier, qui n' avoit autre impression en son ame, premierement que l' honneur de Dieu, puis le service de son Roy, pour la deffence de sa Couronne. Liberal & courtois le possible, rendant aux Dames tel devoir que l' on peut desirer d' un preux Chevalier, & jeu sans vilenie. En toutes les escarmouches se trouvant tousjours à la pointe, pour faire teste à l' ennemy, & aux retraites le dernier, pour servir d' espaule aux siens: N' oubliant un seul point de bien obeïr à ceux qui avoient puissance de commandement sur luy, ny de bien commander, aux gendarmes qui estoient sous sa charge: Sage en ses advis aux deliberations de la guerre: Magnanime & prompt à la main aux executions: Magnanimité ordinairement suivie d' un heureux succez. Aimé non seulement des nostres, mais aussi de nos ennemis qui le redoutoient. Il poussa pied à pied sa fortune, premierement gendarme de la compagnie du Comte de Ligny, puis guidon, en apres chef d' une compagnie de gendarmes: & finalement Lieutenant de Roy. Servit trois Roys, Charles VIII. Louys XII. François I. Et singulierement ce dernier pour les paradoxes vertus qu' il recogneut en luy, le choisit pour recevoir l' Ordre de Chevalerie par ses mains. Plus belle closture ne pouvoit estre de son histoire que celle-là. Je n' ay pas icy entrepris de vous pourtraire tout au long sa vie, qui fut escrite d' une plume hardie en l' an 1527. par homme qui ne se voulut nommer, ains me contenteray de vous en refraischir par ce chapitre, la memoire, que je voy presque ensevelie par l' ingratitude des ans.

Pendant les guerres que nous eusmes sous le Roy Louys XII. en Italie contre les Venitiens, c' estoit un vray jeu de barres: tantost les villes prises par les uns, puis par les autres reprises. Entr'autres, la ville de Bresse estant retombée és mains des Venitiens, le Duc de Nemours Lieutenant general du Roy en la Lombardie, mit toute son entente à la remettre és mains de son Maistre, & y ayant mis le siege, comme il fallut aller à l' assaut, il avoit esté advisé par le conseil des Capitaines, que le Seigneur de Molart avecques ses gens de pied conduiroit la premiere pointe: Mais ayant chacun opiné, Bayard prit la parole, & dit au Duc de Nemours. Monseigneur sauf vostre reverence, & de tous Messeigneurs, il me semble qu' il faut faire une chose dont nous ne parlons. Interrogé par le Seigneur de Nemours que c' estoit. C' est, dit-il, que vous envoyez Monsieur de Molart faire la premiere pointe. De luy je suis asseuré qu' il ne rebouchera pas, ny beaucoup de gens de bien qu' il a avecques luy. Mais si les ennemis ont gens bien aguerris avecques eux, sçachez qu' ils les mettront à la pointe, & pareillement leurs harquebuziers: Or en telles affaires il ne faut jamais reculer: & si d' aventure ils repoussoient les nostres, & qu' ils ne fussent soustenus par la gendarmerie, il en pourroit sourdre un grand desordre. Parquoy je suis d' advis qu' avecques Monsieur de Molart on mette cent, ou cent cinquante hommes d' armes, lesquels seront pour beaucoup mieux soustenir le faix, que les gens de pied qui sont armez à la legere. Lors dit le Duc de Nemours. Vous dites vray, Monsieur de Bayard, mais qui est le Capitaine qui se voudra hazarder à la mercy de leurs haquebuttes? Ce sera moy s' il vous plaist (respondit Bayard) & croyez que la Compagnie dont j' ay la charge, sera aujourd'huy tel service au Roy & à vous, qu' aurez sujet & matiere de vous en contenter. Quand il eut ainsi parlé, tous les Capitaines se regarderent l' un l' autre grandement estonnez de cette offre si perilleuse. Toutes-fois ayant demandé la charge, elle luy demeura: Le Capitaine de Molart & ses gens vont à l' assaut, & sur les aisles estoit Bayard avecques les siens à pied tous gens de choix & eslite: car la plus part de ses gendarmes avoient esté, ou Capitaines en chef, ou des principaux membres des Compagnies: mais ils aimerent mieux apres, estre de sa compagnie que de commander, tant ils honoroient ses vertus. A bien assailly, bien deffendu: Et se jetta Bayard d' une telle furie, qu' il entra le premier, & passa le rampart, & apres luy plus de mille soldats. De sorte qu' ils gaignerent le premier fort. Mais cette hardiesse luy fut cher venduë. Car il receut un coup de picque dedans le haut de la cuisse, qui entra si avant que le bout rompit, & demeura le fer, & un bout du fust dedans. Bien pensoit-il estre blessé à mort: Au moyen dequoy il dit à Molart. Compagnon faites marcher vos gens, la ville est gaignee, de moy, je ne sçavrois tirer outre, car je suis mort. Le sang luy ruisseloit en grande abondance, lequel luy fut estanché par deux de ses archers, avecques leurs chemises qu' ils deschirerent, & en la premiere maison qu' ils trouverent desmonterent un huis, sur lequel ils le chargerent, & le plus doucement qu' ils peurent, avecques l' aide de quelques autres le porterent en une maison plus apparente qu' ils virent là à l' entour. C' estoit le logis d' un fort riche Gentil-homme, qui s' en estoit fuy en un Monastere: & sa femme estoit demeurée au logis, avecques deux belles filles qu' elle avoit, lesquelles s' estoient cachées en un grenier sous du foin. Quand on vint heurter à la porte, la Damoiselle resoluë d' attendre la misericorde de Dieu: voyant ce Chevalier que l' on portoit ainsi blecé luy ouvrit elle mesme la porte, laquelle il fit aussi tost refermer, & y mit les deux archers, leur disant: Gardez sur vostre vie, que personne n' entre ceans, si ce ne sont de mes gens. Je suis asseuré que quand on sçavra que c' est mon logis, nul ne s' efforcera d' y entrer. Et d' autant que pour me secourir, je suis cause que faillez à gaigner quelque chose, ne vous souciez, vous n' y perdrez rien, & je vous recompenseray d' ailleurs. Les Archers firent son commandement: Et il fut porté en une fort belle chambre où la Damoiselle le conduisit. Puis se jettant à genoux devant luy, parla en cette maniere, rapportant son langage au François. Noble Seigneur je vous presente cette maison, & tout ce qui est dedans: Car je sçay bien qu' elle est vostre, par le devoir de la guerre: mais je supplie tres-humblement vostre Seigneurie, qu' il vous plaise me sauver l' honneur & la vie, & de deux jeunes filles que mon mary & moy avons, qui sont prestes à marier. Bayard que je vous ay figuré pour miroüer de Chevalerie & d' honneur, luy respondit. Madamoiselle je ne sçay, si je pourray eschapper de ma playe. Mais tant que l' ame me battra au corps, à vous, ny à vos filles ne sera faict desplaisir, non plus qu' à moy: gardez les seulement en vos chambres, & donnez ordre qu' elles ne soient veuës: Il n' y a homme en ma maison qui s' ingere d' entrer en lieu, que ne vueillez, vous asseurant au demeurant qu' avez en moy un Gentil-homme qui non seulement ne vous pillera, mais vous fera toute la courtoisie qu' il pourra. Quand la bonne Damoiselle l' ouyt en cette façon parler, elle fut toute asseurée. Je vous laisse à part avecques quelle fureur fut prise la ville de Bresse, non seulement sous l' esperance du pillage, mais aussi pour le regret de la perte de nostre grand Achilles, chacun estimant que le bon Chevalier Bayard fust mort: Cela n' est point de mon suject. Je me contenteray de vous dire, que la Damoiselle fit venir un bon Chirurgien sien voisin qui visita la playe de Bayard grande & profonde, toutes-fois l' asseura qu' il estoit hors du danger de mort. Au second appareil le vint trouver le Chirurgien du Duc de Nemours qui le pensa, & en fit tres-bien son devoir: & quelques jours apres fit retourner en sa maison son hoste: Auquel il dit qu' il ne se donnast point de melancholie, n' ayant chez luy logé que de ses amis. Le Duc le venoit souvent visiter pour le consoler: & sur la rencontre de divers propos, luy raconta entr'autres choses, le desir que le Roy Louys douziesme son oncle avoit que pour l' asseurer du Milanois, on exterminast tout à fait l' Espagnol de la Lombardie. Et que la conclusion de ses lettres estoit d' une bataille: A laquelle le Duc s' estoit resolu par l' avis general de tous ses Capitaines, & souvent disoit à Bayard. Monsieur de Bayard mon amy, pensez de vous guerir: car je sçay bien qu' il faudra que donnions une bataille aux Espagnols entre cy & un mois, & si ainsi estoit, j' aymerois mieux avoir perdu tout mon bien que n' y fussiez, tant j' ay grande fiance en vous. Bayard respondit: Croyez Monseigneur que s' il est ainsi qu' il y ait bataille, tant pour le service du Roy mon Maistre, que pour l' amour de vous, & pour mon honneur qui va devant, je m' y ferois plustost porter en littiere que je n' y fusse. Le Duc luy fit plusieurs presens, selon sa puissance, & pour un jour luy envoya cinq cens escus, que Bayard donna aux deux Archers, qui estoient demeurez avecques luy quand il fut blecé, & apres avoir donné ordre aux affaires de la ville s' en partit en bonne deliberation d' accomplir le commandement du Roy qui luy estoit faict pour mettre fin à la guerre. Cette resolution fit une autre playe en l' esprit de Bayard, non moindre que celle du corps, craignant que pour l' incommodité de sa personne il ne peust estre de la partie. Luy venant chacun jour nouvelles du camp des François comment ils approchoient les Espagnols. Il avoit gardé cinq semaines le lit sans en partir: Mais sur ces nouvelles, il se fit lever pour sonder ses forces, & se promena quelque peu par la chambre. Et combien qu' il se trouvast foible, toutes-fois le grand cœur qu' il avoit ne luy donnoit le loisir d' y songer. Il envoya querir le Chirurgien qui le pensoit, & luy dit. Mon amy je vous prie me dire, s' il y a point de danger de me mettre en chemin, il me semble que je suis guery, ou peu s' en faut, & vous promets ma foy qu' à mon jugement, le demeurer d' oresnavant me pourra plus nuire qu' amander: Car je me fasche merveilleusement. Ses serviteurs avoient ja dict au Chirurgien le grand desir dont il brusloit d' estre à la bataille, & que tous les jours il ne regrettoit autre chose que de ne s' y trouver: Parquoy pour contenter aucunement son opinion, joinct l' estat de son mal, luy dit en son langage. Monsieur vostre playe n' est pas encores clause, toutes-fois par dedans elle est toute guerie. Vostre barbier vous verra habiller encore ceste fois, & mais que tous les jours au matin & au soir, il y mette une petite tente & une emplastre dont je luy bailleray l' oignement, il ne vous empirera point, & si n' y a nul danger: Car le grand mal de la playe est au dessus, & ne touchera à la selle de vostre cheval. Qui eust donné un Royaume à Bayard il n' eust pas esté plus content. Son Chirurgien fut plus que bien contenté, & se delibera de partir dans deux jours, commandant à ses gens que pendant ce temps ils meissent en ordre tout son cas.

La beauté de ce conte est, que son hostesse qui se tenoit tousjours sa prisonniere, comme aussi son mary & ses enfans, & que leurs biens meubles estoient siens (car ainsi en avoient faict les François aux autres maisons, comme elle sçavoit bien) eut plusieurs imaginations, estimant que si son hoste les vouloit traiter à la rigueur il tireroit d' eux à son partement plus de dix ou douze mille escus, eu esgard à la grandeur de leur bien & revenu, se delibera de luy faire quelque honneste present, se promettant, veu ses honnestes deportemens, & la gentillesse de son cœur, qu' il s' en contenteroit. Le matin dont le Chevalier devoit desloger l' apresdiner, la Damoiselle avecques un sien serviteur portant une petite boëtte d' acier, entra en sa chambre, où elle trouva qu' il se reposoit en une chaire, apres s' estre fort proumené, pour tousjours peu à peu essayer sa jambe, elle se jetta à deux genoux, mais incontinent il la releva, & ne voulut jamais souffrir qu' elle dit une parole, que premier ne fust assise aupres de luy, & puis commença son propos en cette maniere. Monseigneur, la grace que Dieu me fit à la prise de cette ville, de vous adresser en cette vostre maison, ne me fut pas moindre, que d' avoir sauvé la vie à mon mary, la mienne, & de mes deux filles, avecques ce qu' elles doivent avoir plus cher, qui est leur honneur. Davantage depuis qu' y arrivastes ne m' a esté fait, ny au moindre de mes gens une seule injure, mais toute courtoisie, & n' ont pris vos gens, des biens qu' ils y ont trouvez, la valeur d' un seul denier sans payer. Monseigneur, je suis assez advertie, que mon mary, moy, mes enfans, & tous ceux de la maison sommes vos prisonniers, pour en faire & disposer à vostre bon plaisir, ensemble des biens qui sont ceans. Mais cognoissant la noblesse de vostre cœur, à qui nul autre ne pourroit attaindre, suis venuë pour vous supplier tres-humblement qu' il vous plaise avoir pitié de nous, en eslargissant vostre accoustumee liberalité. Voicy un petit present que nous vous faisons: il vous plaira le prendre à gré. Alors prit la boëtte que ce serviteur portoit, & l' ouvrit devant le Chevalier qui la veit peline de beaux ducats. Mais luy qui d' un cœur genereux n' avoit jamais fait conte d' argent, se prit à rire, puis luy dit: Madamoiselle, combien y a-il de ducats en cette boëtte? La pauvre femme ayant peur qu' il fust courroucé d' en voir si peu, luy dit. Monseigneur, il n' y en a que deux mille cinq cens: mais si vous n' estes content, nous en trouverons plus largement. Alors il dit. Par ma foy, Madamoiselle, quand me donneriez cent mille escus, vous ne m' auriez pas tant faict de bien, que de la bonne chere que j' ay euë-ceans, & de la bonne visitation que m' avez faicte. Vous asseurant qu' en quelque lieu que je me trouve, aurez tant que Dieu me donnera vie, un Gentil-homme à vostre commandement. De vos ducats je n' en veux point, & vous remercie, reprenez-les. J' ay toute ma vie plus aimé les personnes que les escus, & ne pensez que je ne m' en aille aussi content de vous, que si cette ville estoit en vostre disposition, & me l' eussiez donnee. La bonne Damoiselle fut bien estonnee de se voir esconduite: Si se remit encores à genoux, mais gueres ne l' y laissa le bon Chevalier: & relevee qu' elle fut, luy dit. Monseigneur, je me sentirois à jamais la plus mal-heureuse femme du monde, si n' emportiez le peu de present que je vous fais, qui n' est rien au prix de la courtoisie que m' avez cy-devant faicte, & faictes encores de present par vostre grande bonté. Quand le Chevalier la vit ainsi ferme, & opiniastre en sa liberalité luy dit. Bien doncques Madamoiselle, je le prends pour l' amour de vous, mais allez moy querir vos deux filles: car je leur veux dire adieu. La pauvre femme qui cuidoit estre en Paradis de ce que son present avoit esté en fin accepté, alla querir ses filles, lesquelles estoient belles, bonnes, & bien enseignees, & avoient beaucoup donné de passe-temps au Chevalier durant sa maladie:

Parce qu' elles sçavoient fort bien chanter, joüer du lut, & de l' espinette. Si furent amenees devant luy, lequel pendant qu' elles s' accoustroient avoit faict mettre les ducats en trois parties, és deux, à chacune mil ducats, & à l' autre cinq cens. Elles arrivées se jettent à genoux, mais incontinent furent relevées: Puis la plus aisnée des deux commença de dire. Monseigneur, ces deux pauvres filles, ausquelles avez tant faict d' honneur que de les garder de toute injure, viennent prendre congé de vous, en remerciant tres-humblement vostre Seigneurie, de la grace qu' elles ont receuë, dont à jamais (pour n' avoir autre puissance) seront tenuës de prier Dieu pour vous. Le Chevalier quasi larmoyant, en voyant tant de douceur & d' humilité en ces deux belles filles, respondit: Mes Damoiselles vous faictes ce que je deurois faire, c' est de vous remercier de la bonne compagnie que m' avez faicte, dont je me sens fort vostre obligé. Vous sçavez que gens de guerre ne sont pas volontiers chargez de belles besongnes pour presenter aux Dames. De ma part il me desplaist grandement, que je n' en suis bien garny, pour vous en faire present. Madamoiselle vostre mere m' a donné deux mille cinq cens ducats, que voyez sur cette table. Je vous en donne à chacune mille pour ayder à vous marier: & pour ma recompense, vous prierez s' il vous piaist Dieu pour moy, autre chose je ne vous demande. Si leur meit les ducats en leurs tabliers voulussent ou non, puis s' addressa à la mere à laquelle il dict. Madamoiselle je prendray ces cinq cens ducats à mon profit, pour les departir aux pauvres Religions des Dames qui ont esté pillées, & vous en donne la charge: car mieux entendez où sera la necessité que toute autre, & sur cela je prends congé de vous, & leur toucha en la main à la mode d' Italie, lesquelles se meirent à genoux, plorans si tres-fort qu' il sembloit qu' on les voulust mener à la mort. Lors dit la mere, fleur de Chevalerie, à qui nul ne se doit comparer, le benoist Sauveur & Redempteur Jesus-Christ qui souffrit mort & passion pour tous les pecheurs, le vous vueille remunerer en ce monde, & en l' autre. Apres se retirerent en leurs chambres. Il fut temps de disner. Le Chevalier feit appeller son Maistre d' hostel, auquel il commanda que tout fust prest pour monter à cheval sur le midy. Le Gentil-homme du logis qui ja avoit entendu par sa femme la grande courtoisie de son hoste vint en sa chambre, & le genoüil en terre le remercia cent mille fois, en luy offrant sa personne & tous ses biens, desquels il pourroit disposer comme siens. Chose dont le Chevalier le remercia, & le feit disner avecques luy. Et apres ne demeura gueres qu' il ne demandast ses chevaux, tant luy tardoit qu' il n' estoit avecques sa compagnie par luy tant desiree, ayant belle peur que la bataille se donnast avant qu' il y fust. Ainsi qu' il sortoit de la chambre pour monter, les deux belles filles descendirent, & luy feirent chacune un present qu' elles avoient ouvré pendant sa maladie. L' un estoit de deux bracelets faicts de cheveux, d' or & d' argent tant proprement que merveilles: L' autre estoit une bourse sur satin cramoisy ouvrée subtilement. Grandement les remercia, & leur dit que les deux presens venoient de si bonnes mains, qu' il les estimoit hors de prix: & pour plus les honorer se feit mettre les bracelets aux bras, & meit la bourse en sa manche, avecques promesse que tant qu' ils dureroient il les porteroit pour l' amour d' elles. Sur ces paroles monta à cheval & vint trouver le Duc de Nemours qui l' attendoit avecques bonne devotion, & certes je ne pense point que l' on puisse representer Histoire diversifiée de tant de belles fleurs, comme cette-cy: & pour dire en un mot, de ce seul exemple vous pouvez recueillir quel fut le demeurant de sa vie.

lunes, 29 de mayo de 2023

2. 15. Nobles, Gendarmes, Roturiers, Vilains, Chevaliers, Armoiries de France,

Des Nobles, Gendarmes, Roturiers, Vilains, Chevaliers, Armoiries de France, & plusieurs autres choses de mesme subject, concernants la Noblesse de France. 

CHAPITRE XV. 

Depuis que les premiers & anciens ordres des Fiefs furent de ceste façon alterez, par la passion induë & irreguliere qu' en voulurent prendre les non Nobles: & que nos Roys, d' un autre costé, eurent introduit parmy le peuple, les Tailles sur les personnes roturieres, chacun commença deslors, selon son possible à faire estat de la Noblesse, non toutesfois fondee sur les Fiefs. Car nos Rois voyans que plusieurs cazaniers & bourgeois, qui ne faisoient estat des guerres, les possedoient par importunitez, ne voulurent prendre cela en payement, mais ordonnerent que les Tailles fussent imposees sur tous hommes qui seroient de qualité roturiere. Tellement qu' il pouvoit advenir qu' un homme qui possedast plusieurs Fiefs, se trouvast toutesfois taillable, pour autant qu' il estoit roturier & au contraire, que celuy qui avoit tous ses heritages en censive, en fust exempt parce qu' il estoit de condition Noble. Pour ceste cause les plus riches commencerent à obtenir lettres d' Ennoblissement de nos Roys, ou bien de fonder leur Noblesse sur l' ancienneté de leur race (paraventure non cogneuë, pour avoir changé de pays) verifians que leurs ancestres avoient toujours vescu noblement, sans être cottisez à la taille, & sans exercer aucun estat de marchandise. L' on recite qu' entre les loix que Licurge establit aux Lacedemoniens, il y en eut une principalement par laquelle tous mestiers & arts mecaniques furent delaissez aux serfs & aux estrangers, qui ne iouyssoient du privilege de Bourgeoisie, mettant és mains de ses citoyens & gens libres, seulement l' escu & la lance, & leur interdisant toutes autres communes industries: voire les marchandises & trafiques dont és autres Republiques le commun peuple fait plus grand fonds: pourautant qu' il estimoit que telles vacations devoient appartenir aux esclaves, & autres telles manieres de gens, sur lesquels il ne vouloit employer la severité de ses loix. Le semblable avons nous gardé religieusement en ceste France, entre les Nobles. Tenans non seulement pour chose indigne d' une Noblesse, mais aussi être fait acte derogeant au privilege d' icelle, lors que l' on en trouve aucun, au lieu de l' estat de la guerre exercer un estat mechanique, ou bien faire train d' une marchandise, c' est à sçavoir en acheptant quelques denrees, pour puis apres les debiter à son profit: car des choses qui nous sont prouenuës de nostre creu, le commerce ne nous en fut oncques defendu. Tant est demeuree recommandee entre nous ceste vieille impression des armes, sur laquelle nos premiers François establirent le fondement de leur Noblesse. Tellement qu' encores que depuis que les loix de chiquaneries furent esparces par la France, plusieurs gens de Justice & de robe longue, commencerent à prendre dedans leurs familles ceste qualité de Nobles, pour les grands estats qu' avoient exercé leurs ancestres, si est-ce que non seulement par les suffrages des Courtizans, mais aussi par la voix commune du peuple, ceste Noblesse fut estimee comme bastarde. Parce que tels personnages ne font profession des armes. Et pour ceste raison ceux qui se veulent dire estre à bonnes enseignes Nobles, laissent les villes, pour choisir leurs demeures aux champs. Tant à l' occasion de ce que la plus grand' partie de nos Fiefs y sont assis, lesquels, comme j' ay deduit cy dessus, il estoit seulement permis aux Nobles & gens suivans les armes de posseder, qu' aussi que par ce moyen ils pensent se garentir de toutes opinions que l' on pourroit avoir d' eux, qu' ils pratiquassent ou trafiquassent dans une ville: chose qui obcurciroit (ce leur sembleroit) la lumiere de leur Noblesse. J' ay leu dans Hugues de Bercy Poëte François, qui florit vers le temps de S. Louis, quelques vers, par lesquels il se complaignoit que de son temps les Princes & grands Seigneurs commençoient d' abandonner les villes pour choisir leur residence aux champs.

Mais li Roy, li Duc, & li Comte,

Aux grandes festes font grand honte

Qu' ils n' aiment mais Palais ne Salles,

En ordes maisons & en Salles

Se reponent, & en bocages,

Lor cours ert pauvres & umbrages, 

Or fayent-ils les bonnes villes. 

Cela advint paraventure lors que les Bourgeois, pour contretrancher des Nobles, commencerent d' avoir permission de posseder Fiefs: A fin que l' on dicernast celuy, qui au prix de son sang, & non au prix d' argent gagneroit ce degré de Noblesse. Car aussi, à bien dire, entre toutes les vies qui approchent plus pres de la militaire, en temps de paix, c' est la champestre. A cause dequoy nous lisons que les bons vieux peres & preud' hommes Romains, comme Cincinat & autres personnages de tel calibre, estoient appellez de leur charruë aux armes, & des armes s' en retournoient à leur charruë. Ainsi nos Gentils-hommes, qui establissent le principal point de leur Noblesse sur les armes, s' endurcissans aux champs, au travail, appellerent Villains, ceux qui habitoient mollement dedans les villes, dont s' est depuis faite une distinction generale des estats entre nous. Les uns estans appellez Gentils-hommes, qui sont les Nobles, & les autres Villains, qui sont de condition Roturiere. Comme si ce fussent choses incompatibles d' être Noble, & faire sa reseance és villes, esquelles on vivoit en delices & oysiueté: mesmement s' il advient que nous appellions quelqu' un Gentil-homme de ville, c' est par forme de risee & mocquerie. Quant à moy je ne me suis point icy proposé de vilipender les estats de ceux qui suivent la robbe longue, ny generalement de ceux qui se sont habituez és villes clauses: Car en ce faisant seroy-je traistre & prevaricateur contre moy-mesmes. Aussi sçay-je bien que tout homme en tout estat, qui fait profession de vertu & de vie sans reproche, est Noble, sans exception: toutesfois si en une Republique, c' est chose du tout necessaire de faire degrez des ordres, & mesmement qu' il soit requis de gratifier davantage aux hommes qui se rendent plus meritoires, a fin qu' à leur exemple chacun soit induit à bien faire, je ne seray jamais jaloux ny marry, qu' à ceux qui exposent leur vie pour le salut de nous tous, soit attribué le tiltre de Noble, plustost qu' à ceux qui dedans leurs Palais, à leurs aises, se disent vacquer au bien des affaires d' une Justice. Ceux-là se moyennent ce nom de Noblesse à la pointe de leurs espees, ceux-cy à la pointe seulement de leurs plumes: Ceux-là s' abandonnent au vent, à la pluye, & au Soleil, n' ayans le plus du temps autre meilleure couverture que celle qu' ils peuvent impetrer de la misericorde du Ciel, pendant que ceux-cy regorgent de leurs plaisirs dans leurs maisons de parades: Ceux-cy ont les oreilles ententives à la clameur d' un Huissier, pour faire monstre de leur langue dans un Barreau: & quant aux autres, ils se resveillent au son des clairons & trompettes, pour combattre à une barriere, ou donner coup de lance à point. Les uns s' estoquent à coups de canons & de Loix: & les autres s' exposent & prostituent à l' espreuve d' un canon ou artillerie, qui n' espargne ny grands ny petits: Tous deux travaillent tant pour le public, que pour leur honneur: mais en ceste conformité de travaux, y a telle difference, que ceux-là en travaillant pour le public, ordinairement s' appauvrissent, & s' ils acquierent quelques biens, c' est de la despoüille de leurs ennemis: Et ceux-cy trouvent dedans leurs travaux, comme dedans une grande miniere d' or, infinies richesses, le plus du temps tirees de la ruine des pauvres sujets du Roy: Et à peu dire, ceux-cy font seulement estat de la vie, ceux-là sans plus de la mort: Ne leur restant de recompense pour toute consolation de leurs maux, que l' opinion du lict d' honneur auquel ils s' acheminent d' une grande gayeté de cœur. Tellement qu' entre tant de rudesses, c' est le moins qu' ils puissent faire durant leur vie, que de se flatter de ceste opinion de Noblesse, par dessus le reste du peuple. Et vrayement ç' a esté toujours chose assez familiere à toutes braves nations, de donner au gendarme quelque caractere de Noblesse, par dessus le commun. Plutarque en la vie de Licurge est autheur, qu' il n' estoit point permis d' escrire dessus le tombeau, le nom d' un trespassé, sinon qu' il fut mort en la guerre. Pierre Crinit au vingt & uniesme livre de ses Observations, traittant de l' honneste discipline, remarque des anciens, qu' il n' estoit loisible d' ensevelir dedans la ville de Rome un Citoyen, sinon celuy qui par plusieurs braves exploicts d'armes s' estoit rendu digne de ceste sepulture. Jean Cuspinian en son traicté des mœurs & conditions des Turcs, nous raconte qu' au pays de Turquie n' y a aucune distinction de Noblesse tiree de l' ancien estoc des ancestres, ains que celuy entre les Turcs est seulement reputé Noble, qui en fait de guerre a donné plusieurs espreuves de sa vaillantise. A fin que je ne recite qu' au pays de Caramanie il estoit defendu d' espouser femme, à celuy qui n' avoit fait present à son Prince, de la teste d' un ennemy: Et qu' en la Scythie, estant une ancienne coustume aux grands banquets & festins solemnels, d' apporter sur le dessert un grand hanap à la compagnie, pour boire, qui estoit chose que l' on reputoit à grande singularité, & qui signifioit quelque traict de grandeur, à ceux ausquels il estoit presenté, toutesfois si n' estoit-il permis de le prendre, sinon par ceux qui avoient attestation publique d' avoir occis & mis à mort l' un des ennemis du pays. Parquoy nous ne devons point envier au gendarme, qu' il se donne quelque prerogative de Noblesse par dessus nous moyennant qu' il ne se laisse point piper d' une folle imagination fondee en la memoire de ses ancestres, & que pendant qu' il s' endort sur la Noblesse que luy ont pourchassé ses predecesseurs, par leur proüesse, il ne s' aneantisse point, ains tasche de les surmonter, ou pour le moins les esgaler. 

Mais pour retourner aux anciennetez de nostre France, & ne me perdre point icy en un discours qui ne plaira pas à chacun: nos Roys qui sur leur premiere arrivee avoient (comme j' ay deduit cy dessus) recompensé leurs Capitaines & braves soldats en Fiefs nobles, voyans, apres une grande revolution d' annees, que le fonds de leurs liberalitez estoit pour ce regard mis à sec (d' autant que toutes les terres de leur Royaume estoient remplies) s' aviserent de trouver une autre forme de recompense, non veritablement si riche & opulente, mais de plus grand honneur que les Fiefs. Parquoy fut mis ingenieusement par eux, ou leurs sages Conseillers, l' Ordre de Chevalier en avant. Car au lieu où premierement ils recompensoient leurs sujets en terres & grandes possessions, à mesure qu' ils gagnoient les Provinces, de là en avant ils commencerent de les recognoistre pour bons & loyaux serviteurs, par grandes & amiables caresses, c' est à sçavoir par acolees de leurs personnes. Ces acolees depuis se retournerent en Religion. De maniere que lors que nos Roys vouloient semondre quelques Gentils-hommes ou braves soldats à bien faire le jour d' une bataille: ou bien qu' ils leur vouloient gratifier à l' issuë d' une entreprise, les caressoient d' une acolee: Et en ce faisant, avec quelques autres petites ceremonies, ils estoient reputez Chevaliers. Ayants par ce moyen, comme s' ils fussent sortis des propres costez du Roy, autant de primauté & advantage dessus le reste de la Noblesse, comme la Noblesse en son endroit dessus le demourant du peuple. Cest ordre premierement fut inventé en faveur de ceux qui suyvoient les armes, comme mesmement l' etimologie du mot nous rend certains. Toutesfois tout ainsi comme en la Noblesse, aussi par traicte de temps au fait de la Chevalerie, quelques gens de robbe longue y voulurent avoir part, à l' occasion de leurs dignitez & offices. Au moyen dequoy on fist double distinction de Chevaliers: Les aucuns estans Chevaliers des armes, & les autres Chevaliers des Loix. Pour laquelle cause Jean de Mehun en son Romant de la Roze, au lieu où Faux semblant discourt les cas, esquels il estoit loisible de mandier, dit: 

On s' il veut pour la Foy defendre

Quelque Chevalerie emprendre

Ou soit d'armes ou de lectures.

Ainsi Froissard au chapitre cent soixante & dixseptiesme du premier livre de ses Histoires parle de trois Chevaliers, dont les deux estoient d'armes, & le tiers des Loix: Les deux d'armes, dit-il, Monsieur Robert de Clermont gentil & noble grandement, l' autre, le Seigneur de Conflans: le Chevalier des Loix, Monsieur Simon de Bussy. Et à ce propos Guillaume de Nangy, qui fut presque contemporain de Charles cinquiesme, dit que cestuy de Bussy estoit Conseiller au grand Conseil, & premier President en la Cour de Parlement. Qui fut cause pour laquelle il fut appellé Chevalier de Loix: pour autant que les premiers Presidents se disent par privilege ancien avoir annexé à leurs offices l' estat de Chevalier. Quant aux Chevaliers d'armes, entre les autres je trouve une sorte de Chevaliers qui furent appellez Bannerets, qui estoient ceux entre les Chevaliers, qui pour être riches & puissans, obtenoient permission du Roy de lever Banniere, c' estoit une compagnie de gens de cheval ou de pied. En ceste sorte dit Monstrelet au quatre-vingts treziesme chapitre du premier tome de ses histoires, parlant du siege que le Roy Charles sixiesme mit devant la ville de Bourges, dans laquelle s' estoient enclos tous les Princes de la faction du Duc d' Orleans. Là, devant la ville (dit-il) pres du gibet, le Roy fit plus de cinq cens Chevaliers, desquels & aussi de plusieurs autres, qui n' avoient porté banniere, furent immemorables bannieres eslevees. Le sire de Jonville recitant comme le Roy sainct Louys vouloit renouveller son armee, dit, qu' il luy demanda s' il avoit point encores trouvé aucuns Chevaliers pour être avec luy: & je luy respondis (fait-il) que j' avois fait demourer Messire Pierre de Pont-Moulin, luy tiers en banniere. Et en un autre endroit plus bas, il racompte que des prisonniers, qui estoient demourez devers les Admiraux d' Egypte, en revindrent quarante Chevaliers qu' il mena devers le Roy pour avoir pitié d' eux, & les retenir à son service: & comme quelque personnage du conseil du Roy luy eust dit, qu' il se devoit deporter de faire telle requeste au Roy, attendu que son espargne estoit lors courte: Je luy responds (recite-il parlant de soy) que la male avanture luy en faisoit bien parler, & qu' entre nous de Champagne, avions bien perdu au service du Roy trente cinq Chevaliers tous portans banniere. Et encores est ceste maniere de Chevaliers trop mieux donnee à entendre par Froissart, au premier livre de son Histoire la part où le Prince de Gales estant prest de combattre, Messire Bertrand du Kesclin avec Henry Roy de Castille, se presenta devant luy Messire Jean Chandos: Là apporta, dit-il, Messire Jean Chandos sa banniere entre ses batailles, laquelle n' avoit encores nullement boutee hors de l' ost du Prince, auquel dit ainsi: Monseigneur veez cy ma banniere, je la vous baille par telle maniere qu' il vous plaise la developper, & qu' aujourd'huy je la puisse lever: car Dieu mercy, j' ay bien dequoy terre & heritage pour tenir estat, ainsi comme appartiendra à ce: Ainsi prit le Prince & le Roy Dampietre, qui là estoient, la banniere entre leurs mains, qui estoit d' argent à un pieu aguisé de gueules, & luy rendirent, en disans ainsi: Messire Jean veez-cy vostre banniere, Dieu vous en laisse vostre prou faire. Lors se partit Messire Jean Chandos & r'apporta entre ses gens sa banniere, & dit ainsi: Seigneurs, veez-cy ma banniere & la vostre, si la gardez comme la vostre. Qui est un passage presque assez formel pour nous apprendre quels furent jadis les Chevaliers Bannerets.

Au demeurant, pour autant que les factions de la maison de Bourgongne & Orleans avoient amené un grand Chaos & desordre à ceste ancienne police, parce qu' à chaque bout de champ les uns & les autres faisoient des Chevaliers à leur poste: Louys unziesme pour couper broche à ceste confusion, introduisit dés le premier jour d' Aoust mil quatre cens soixante neuf, un ordre de Chevaliers par forme de confrairie, leur donnant pour patron S. Michel. Induit specialement à ce faire: parce qu' il estimoit que sainct Michel avoit esté le principal protecteur de ceste France, pendant les guerres des Anglois. Car Jeanne la pucelle (du pretexte de laquelle s' estoit grandement aidé le Roy Charles septiesme, pour le recouvrement de ses terres) publioit en tous lieux, qu' elle avoit propos & communication de conseil, toutes les nuicts, avec sainct Michel, ainsi que l' on peut lire dedans le procés qui luy fut fait. Tellement que Louys unziesme estimant que le plus grand ennemy qu' eussent eu les Anglois, c' estoit ce grand Sainct: lequel mesmement n' avoit laissé venir en leur subjection le lieu où de tout temps & ancienneté on luy a dedié un Temple, qui est le mont S. Michel, voulust dresser ceste confrairie, quasi pour eternel trophee & commemoration des victoires que son pere avoit obtenuës sur les anciens ennemis de la France: & pour ceste cause il institua d' entree trente six Chevaliers de cest Ordre, dont il estoit le chef & souverain: & quant à ceux qu' il voulut honorer premierement d' iceluy, ce furent Charles son frere Duc de Guyenne, Jean Duc de Bourbonnois & d' Auvergne, Louys de Luxembourg Comte de S. Paul, Connestable de France, André de Laval Seigneur de Loheac, Mareschal de France, Jean Comte de Sanxerre, Seigneur de Bueil, Louys de Beaumont, Seigneur de la Forest & Plessis, Louys de Toute-ville, Seigneur de Torcy, Louys de Laval, Seigneur de Chastillon, Louys bastard de Bourbon, Comte de Rossillon & Admiral de France, Anthoine de Chabanes, Comte de Dammartin, grand Maistre d' hostel de France, Jean bastard d' Armignac, Comte de Cominges, & Mareschal de France, George de la Trimoille, Seigneur de Craon, Gilbert de Chabanes, Seigneur de Curton, Seneschal de Poictou, Taneguy du Chastel, Gouverneur du pays de Rossillon & de Sardaigne, & le surplus pour accomplir & parfaire le nombre de trente six, il le reserva à sa discretion selon que l' occasion le requerroit. Auparavant ceste brave institution le Roy Jean avoit institué l' ordre de l' Estoile au Chasteau de Sainct Ouen, le sixiesme jour de Janvier mil trois cens cinquante & un: Et portoit chaque Chevalier une Estoile d' or à son chaperon, comme ceux de Sainct Michel sont tenus de porter l' effigie de Sainct Michel à leur col. 

Et presque de ce mesme temps, Edoüart troisiesme Roy d' Angleterre institua l' ordre de la Jartiere, qui est un Jartier bleu que tout Chevalier de cest ordre est tenu de porter au genoüil droict. Et est la devise de cest ordre, HONNY SOIT-IL QVI MAL Y PENSE: Chose qui proceda pourautant que ce Roy Edoüart estant grandement amoureux de la Comtesse de Salbery, & l' entretenant de paroles, il advint par cas fortuit, que l' un des Jartiers de ceste Dame tomba, lequel fut par une promptitude assez mal seante à ce Prince soudainement relevé. Qui apresta occasion de rire à plusieurs qui luy assistoient: Au moyen dequoy le Roy indigné, protesta deslors que tel s' en estoit mocqué, qui s' estimeroit bien-heureux de porter la Jarretiere. Et de fait, tant pour l' amitié de sa Dame, qu' en haine & desdain de ceux qui en avoient fait risee, il institua cest ordre de Chevalerie en son Royaume, avecques ceste devise, HONNY SOIT-IL QVI MAL Y PENSE: Voulant dire que l' amitié qu' il portoit à la Comtesse, & qui luy avoit causé de lever sa Jartiere, estoit en tout honneur. Il y a eu aussi quelques autres ordres de marque, & entre autres celuy de la Toison d' or de la maison de Bourgongne, qui fut introduit l' an 1429. par le bon Duc Philippes de Bourgongne. Et semblablement celuy de l' Annonciade en la maison de Savoye institué par Amé sixiesme Comte de Savoye. Tous lesquels se sont trouvez de grande recommandation, chacun diversement selon la diversité des pays & contrees. Et par special entre nous, ces Chevaliers de Sainct Michel, lesquels nous appellons simplement, Chevaliers de l' ordre: Ausquels toutesfois il s' est rencontré un grand desordre, depuis que le mot de Huguenot a pris vogue parmy ceste France. D' autant que là où anciennement on bailloit le collier, avec une grande religion & respect à peu de personnes: l' on a depuis le commencement de ces troubles intestins, fait une infinité de tels Chevaliers, avec un tresgrand abandon. Mais pour ne parler point des vivans, je lairray ce discours à ceux, qui sans aucune crainte entreprennent dedans leurs estudes privees, l' histoire du temps present. Histoire, laquelle estant bien escrite, & d' une main non partiale, apportera grande merveille & admiration de ce siecle à tous les siecles qui ont à nous succeder.

Le Roy Henry III. dernier mort ayant inesperement receu deux grandeurs de Dieu: l' une quand le jour de la Pentecouste 1573. il fut aux Comices generaux de Polongne, proclamé Roy de Polongne: L' autre quand par le decés du Roy Charles IX. son frere, l' annee suivant ce mesme jour luy escheut la Couronne de France. En commemoration de ces deux grands bien-faits, mesmes pour aucunement reformer la desbauche qui se trouvoit en l' ordre de S. Michel, introduisit un nouvel ordre de Chevalerie, appellé tantost l' Ordre, tantost la Milice du S. Esprit, & ce au mois de Decembre 1598. Et qui en voudra sçavoir les statuts, voye le dixhuictiesme livre du Code Henry, du feu President Brisson, dans lequel il trouvera vingt & trois titres concernans ceste matiere

Mais pour retourner à mon entreprise, tout ainsi que le desarroy qui avoit couru parmy la France, par le moyen de ces deux grandes maisons & familles d' Orleans & de Bourgongne, avoit enfanté une infinité de Chevaliers: Qui fut cause que les choses estans adoucies, le Roy Louys XI. pour gratifier de quelque tiltre extraordinaire ses favoris, introduisit l' Ordre de sainct Michel: aussi ce mesme desarroy occasionna le Roy Charles septiesme (apres plusieurs travaux & fatigues) d' establir une nouvelle police au fait de sa gendarmerie. Jamais ne fut qu' en ceste France n' y eust gens de cheval & de pied, pour la conservation du Royaume, toutesfois l' injustice du temps avoit esté telle, premierement par les factions de ces deux maisons, puis par la survenuë des Anglois, que toute la gendarmerie Françoise estoit presque en confusion & desordre, pillant, rodant, & degastant le plat pays sans controolle. Parce que le Roy qui avoit affaire de gens pour faire teste à l' Anglois, estoit contraint de passer outre par connivence. Toutesfois ayant depuis reduit sous sa devotion la plus grande partie des terres de l' ancienne obeyssance de nos Roys, & fait son entree dedans la ville de Paris, il voulut en l' an mil quatre cens trente neuf, remettre toute sa gendarmerie en meilleur train qu' elle ne s' estoit trouvee pendant les guerres qui s' estoient peu auparavant passees. Pour ceste cause dit Maistre Alain Chartier en l' histoire qu' il a escrite de son temps, Voyant le Roy Charles septiesme, qu' à tenir tant de gens courans sur les champs, ce n' estoit que destruction de son peuple, & qu' à chacun combattant falloit dix chevaux de bagage, de fretin, de pages, & valets, & toute telle coquinaille, qui ne sont bons qu' à destruire le peuple: Si ordonna par grande deliberation de son Conseil, de mettre tous ces gens d'armes és frontieres: chacun homme d' arme a trois chevaux, & deux archers, ou trois, & non plus. Et seroient faictes leurs monstres, & payez tous les mois, & chassez hors tout le demourant du harpail. Et pour ce faire, & commencer telle ordonnance, le Roy fit bailler & deliurer à tous ses Capitaines, argent & artillerie. Et quelques annees apres, (sçavoir est, l' an mil quatre cens quarante quatre) le mesme autheur nous atteste que ce Roy ordonna que tous ces gens d'armes feroient monstre, & que des mieux equippez, & de plus gens de bien, on en prendroit quinze cens lances, & quatre mille Archers, & le demeurant s' en retourneroit en leurs maisons. Chassant tous les Capitaines, en ordonnant seulement quinze qui avroient cent lances, & au prorata des Archers, lesquels seroient logez par les villes de ce Royaume, & payez & nourris du bien du peuple. Et si hardy d' iceux gens d'armes & Archers de faire desplaisir, ny rien prendre sur hommes des champs, ny des villes. De là commença la police des garnisons, qui sont distribuees par les villes de ce Royaume, pour nourrir & alimenter les hommes d'armes. Et de ce mesme ordre il est advenu que nous attribuons au Roy Charles septiesme, d' être le premier introducteur d' iceux hommes d'armes, tels que nous les avons pour le jourd'huy en ceste France: Lesquels furent depuis appellez, Gens des Ordonnances, pour le reglement qui leur convint lors tenir, par les Ordonnances de ce Roy. Ce mesme Roy aussi cognoissant en quelle tempeste il avoit passé sa jeunesse, & combien luy estoit necessaire avoir en son Royaume des gens nourris & entretenus aux armes, introduisit les Francs Archers. En ce temps (c' estoit vers l' an mil quatre cens quarante huict) le Roy ordonna, dit le mesme autheur, d' avoir en chacune parroisse de son Royaume un Archer armé, & prest, toutes les fois que bon luy sembloit pour faire guerre à son plaisir, quand il luy seroit besoin. Et à ceste occasion, a fin qu' ils fussent sujets à ce faire, les affranchit de non payer tous subsides courans en son Royaume. Et fut ordonné aux Baillifs du dit Royaume, chacun endroict soy, choisir en chacun Bailliage & parroisse, les plus habiles & idoines. Qui n' estoit pas une invention petite, attendu mesmement que telles gens estoient de petit coust au Roy. Toutesfois pour les abus qui depuis s' y commettoient, en l' eslection de telle maniere de Francs Archers, ceste invention se perdit assez tost entre nous. D' autant que Louys unziesme, qui estoit d' un entendement particulier & soupçonneux, au lieu de soy aider des siens, fut celuy qui premier s' aida des armes des Suisses, laissant les siennes naturelles en arriere. Chose qui ne fut oncques approuvee en tout Royaume bien reformé: Pour-autant que pendant que nous aguerrissons à nos despens l' estranger, nous aneantissons le cœur des nostres, faisans plus d' estat de leurs bourses que de leurs forces: Dont viennent petit à petit les ruines des grandes Republiques & Monarchies. Sur lequel propos il me souvient avoir leu que du temps du susmentionné Charles septiesme, la necessité des guerres avoit tellement endurcy au travail des armes, nos François, qu' en l' an mil quatre cens quarante & quatre, ayant le Roy fait une trefue de dix-huict mois avec l' Anglois, il prit conclusion en son conseil, d' aller guerroyer de gayeté de cœur, l' Allemagne: a fin que ses soldats ne s' assopissent point ce pendant, dans une lasche oysiueté. Ce qui fut fait & accomply sous la conduitte du Dauphin. A laquelle entreprise se joignirent de mesme cœur plusieurs compagnies Anglesches: Laquelle chose intimida de telle sorte les Allemans, qu' apres avoir esprouvé quelques efforts & secousses des nostres, ils furent contraints d' implorer la paix, moyennant certaines sommes de deniers qu' ils fournirent pour le defroy de la guerre. Qui nous apprend combien pourroit le François de soy-mesmes s' il estoit tousjours duit & industrié aux armes.

Ce lieu m' admoneste, apres avoir discouru sur les Fiefs, sur la Noblesse, Chevalerie, & gens des ordonnances, de donner semblablement icy lieu aux Escussons & Armoiries, que nos Nobles & Gentils-hommes portent ordinairement pour une remarque de leur Noblesse ancienne. C' a tousjours esté une coustume familiere à toutes nations d' avoir eu quelque image, pour être en temps de guerre une enseigne, sous laquelle se peussent r'allier les gens d'armes. Agrippa en son discours de la vanité des sciences, au chap. 9. s' est amusé à nous en amasser plusieurs exemples. Disant que les Romains curent l' Aigle: les Phrigiens le Pourceau: les Thraciens une Mort: les Gots une Ourse: les Alains arrivans és Espagnes un Chat (chatalains): les premiers François un Lyon, & les Saxons un cheval. Et certes le premier qui entre les Romains prit l' Aigle, pour le rendre perpetuel, ainsi que nous apprenons de Valere, fut le vaillant Capitaine Marius. Car auparavant sa venuë, les Romains usoient indifferemment en leurs estendarts, de Loups, de Leopards, & d' Aigles, selon ce qu' il montoit à la fantasie des Colomnels de leurs osts. Depuis, comme j' ay dit, cest Aigle leur fut une perpetuelle enseigne, pour le general de l' armee. Et consecutivement chasques bandes curent certaines formes d' Armoiries distinctes en leurs enseignes, qui furent aussi perpetuelles, ainsi que nous pouvons apprendre du livre qui court és mains des doctes, intitulé la Notice de l' Empire Romain. Toutesfois quant à nous, je ne me puis persuader, que ny nos Rois, ny leurs Capitaines, sur leur premiere arrivee en ceste Gaule, eussent telles manieres d' enseignes ou armoiries perpetuelles: ains est mon jugement tel (combien que je m' en rapporte de cecy à l' opinion des plus sages) que les armoiries anciennes, tant de nos Roys, que de leurs sujets, estoient devises telles qu' il plaisoit à un chacun se choisir. Comme de nostre temps nous avons veu le Roy François I. du nom avoir pris pour sa devise, la Salemandre: & le Roy Henry son fils, le Croissant. Car voyant que tantost quelques autheurs disent que les armoiries des François estoient trois crapaux, tantost trois Couronnes, tantost trois Croissans, tantost un Lion rampant, portant à sa queuë un Aigle: Je ne puis penser dont procede ceste diversité d' opinions, sinon que les autheurs qui nous devancerent sur le milieu de nos Rois, trouverent quelques uns d' entr' eux porter en ses armes, l' un trois croissans, l' autre trois crapaux, & ainsi raportans ceste particularité à une generalité du païs (d' autant que du temps d' iceux autheurs les armoiries estoient ja faites perpetuelles) ils estimerent chacun en son endroict que les armoiries de France fussent les unes trois Couronnes: les autres, trois Croissans: les autres le Lyon: les autres trois Crapaux, jusques à la venuë de Clovis, lequel pour rendre son Royaume plus miraculeux, se fit apporter par un Hermite, comme par advertissement du Ciel, les fleurs de Lys, lesquelles se sont continuees jusqu' à nous. Et quasi à mesme propos me souvient que Polidore Vergile en la vie de Guillaume le Bastard, dit que jusques à la venuë de ce brave Roy, tous les Roys d' Angleterre n' avoient armes certaines & arrestees, ains les diversifioient à chaque mutation de regne, ainsi qu' il plaisoit au Roy, sur son avenement à la Couronne. Pour laquelle chose averer, il asseure avoir veu un vieil livre contenant les armoiries particulieres de tous les autres Roys d' Angleterre. Et vrayement dedans nos anciens Romans, qui nous ont sous le masque de leurs fables representé les vieux temps, je ne trouve point les Chevaliers avoir armoiries arrestees, & encore moins continuees de pere à fils, ains diversement tirees, ou de la faveur qu' ils recevoient de leurs dames, ou selon quelque acte de vaillance qu' ils avoient executé, ou bien suivant l' opinion qu' ils se promettoient de bien faire à l' avenir, imprimans chacun sur son Escu, ce qu' il avoit en la pensee: a fin qu' en une meslee, il peust être recogneu des autres par sa devise. Chose qui a fait, que depuis ont esté telles remarques appellees entre nous, Armes, Armoiries, Escussons. Toutesfois ny plus ny moins que les Roys d' Angleterre se bornerent aux armoiries de Guillaume le Bastard, & les François, en ces Lys miraculeux de Clovis: aussi chaque grande famille, apres avoir eu quelque personnage de nom, qui par sa proüesse & vertu, donna anoblissement à sa race, s' arresta à la commune devise de luy. Et ceux qui se sont voulu exalter en cas de Noblesse dessus le commun, se sont estimez tenir plus de la grandeur, lors que leurs armes leurs estoient donnees par le devis & opinion de leur Prince. En ceste maniere recite le Sire de Joinville, qu' un nommé Messire Arnaut de Comminge, Vicomte de Couserans, avoit ses armes d' or à un bord de gueules: lesquelles il disoit avoir esté donnees à ses predecesseurs, qui portoient le surnom d' Espagne, par le Roy Charlemagne, pour les grands services qu' ils avoient faicts aux Espagnes contre les infideles. Et tout de ceste mesme façon Jeanne la Pucelle, qui pour ses chevaleureux exploicts, fut annoblie avec tous les siens, eut pour ses armoiries, du Roy Charles septiesme, un escu à champ d' azur, avec deux fleurs de Lys d' or, & une espee, la poincte en haut, fermee en une Couronne. Ainsi que les choses vont pour le jourd'huy, l' on tire les armoiries en deux manieres. Dont l' une est prise de l' equivoque des noms, & l' autre fondee sur telle raison que mal-aisément la peut-on rendre, sinon que de telles armes ont de tout temps immemorial jouy nos ancestres, en nos familles. Enquoy, combien que ces dernieres soient grandement agreables aux Seigneurs, qui seroient tres-contens de tirer leur Noblesse, d' une eternité, ou iroient volontiers chercher leurs predecesseurs (ainsi que Guerin Mesquin, son pere) dedans les arbres du Soleil, si est-ce que l' on trouve plusieurs grandes & nobles maisons qui portent leurs armes conformes à leurs noms. Et mesmement les grands Royaumes qui nous sont voisins, en ont forgé de ceste marque. Car celuy de Grenade porte seulement neuf Grenades entamees: celuy de Galice: une coupe en forme de Galice (cáliz), environnee de six Croix: celuy de Leon, un Lyon, & celuy de Castille un Chasteau. Il seroit difficile de dire, combien de noises & debats engendrent quelquesfois entre les Nobles, ces armoiries. Qui fut cause, que autresfois Bartole Docteur és Droicts, en fit un traicté expres. Et qu' en cas semblable le facetieux Poge Florentin, se mocquant de telles querelles, dit que deux Gentils-hommes estans sur le poinct de combattre pour leurs armes, lesquelles chacun d' entr' eux pretendoit être trois testes de Bœuf, fut par les Mareschaux du Camp trouvé un prompt expediant pour les accorder: adjugeans à l' un trois testes de Boeuf, & à l' autre trois testes de Vache. Aussi à dire le vray, sont-ce disputes assez oyseuses & inutiles. Car encores que nos armoiries soient annexees à nos familles, quasi pour un privilege ancien de nos vaillances: si est-ce que nostre proüesse & vertu ne doit despendre d' icelles armes. Et si quelquesfois elles nous furent octroyees par le Prince, pour attestation de quelque Chevalerie faite par quelqu' un de nos bisayeux, c' estoit à luy de les deffendre, & non pas à nous, de nous r' alentir sur ceste vaine opinion de nos ancestres, ains devons penser qu' il faut que nostre Noblesse despende principalement de nostre fonds: & que pendant qu' assopissons nos sens sur ceste folle imagination, nous nous trouvons petit à petit devancez par gens de plus basse condition, mais de plus haut courage que nous: Ne nous restans le plus du temps, tant des grands biens, que des vertus de nos predecesseurs, pour toute trace, que les armoiries nuës & simples. Laquelle chose (si nous avions autant de sentiment de douleur, comme faisons semblant d' avoir de nostre grandeur) deussions estimer retourner plustost à nostre honte, confusion, & impropere, qu' à nostre loüange & honneur. 

sábado, 27 de mayo de 2023

2. 7. De l' Assemblee des trois Estats de la France, Cour des Aydes,

De l' Assemblee des trois Estats de la France, Cour des Aydes, sur le faict de la Justice, Tailles, Aydes, & Subsides. 

CHAPITRE VII. 

Encores que quelques uns qui pensent avoir bonne part aux histoires de la France, tirent l' Assemblee des Estats d' une bien longue ancienneté, voire sur elle establissent toute la liberté du peuple, toutesfois ny l' un ny l' autre n' est veritable. Je sçay & veux recognoistre qu' anciennement en la Gaule, & avant la conqueste de Jules Cesar, l' on faisoit des diettes & assemblees generales, qui furent par luy continuees (par une hipocrisie familiere aux Romains) pour faire paroistre qu' il nous entretenoit en noz anciennes franchises & libertez: mais en toutes ces deliberations vous ne verrez point que le menu peuple y fust appellé, duquel l' on ne faisoit non plus d' estat, que d' un 0 en chifre. Pareillement vous trouverez souz la premiere & seconde famille de noz Roys les convocations solemnelles, que l' on appelloit Parlemens, dont j' ay discouru cy-dessus, principal nerf de nostre Monarchie: Mais en icelles n' estoient appellez que les Princes, grands Seigneurs, Nobles & ceux qui tenoient les premieres dignitez en l' Eglise. Or en nos Assemblees des trois Estats, non seulement on y appelle le menu peuple, avecques le Clergé & la Noblesse, mais qui plus est, il en faict la plus grande & meilleure part: Et comme tel, ceux qui meirent les premiers ceste invention en avant, le voulurent reblandir d' un mot plus doux & moins bas, que nous disons Tiers Estat. Dont vient doncques que depuis quelques centaines d' ans nous luy avons donné place & voix en noz congregations esquelles il s' agit du bien general du Royaume? Je le vous diray. 

Ny soubs la premiere, ny sous la seconde, ny bien avant sous la troisiesme lignee de noz Roys, nous ne recognoissions en France l' usage des Tailles, Aides, & Subsides, tels que nous les voyons aujourd'huy. Je lairray ce qui est des deux permieres & toucheray seulement ce qui est de la derniere, comme celle de laquelle nous avons des Memoriaux plus fidelles. Nos Roys pour leur entretenement faisoient fonds de leur Domaine, qu' ils appelloient leur Thresor. Et quant aux levees extraordinares, il s' estoit insinué une coustume, que les Roys passans par les signalées Archeveschez, Eveschez & Abbayes, ils y gistoient & hebergeoient pour une nuict. Chose qui fut eschangee en quelque redevance d' argent, non grande, que l' on appelloit droict de Giste: comme aussi passans pays, le menu peuple estoit tenu pour passade d' une journee, de les aider de chevaux & charroy, dont quelques bourgs & bourgades se dispensoient par argent, & estoit appellé cela droict de Chevauchee. Coustume que nous avions empruntee des Romains. Je ne veux pas dire pourtant, que le mot de taille ne fust en usage, mais c' estoit une forme de Taille coustumiere, quand l' un des enfans de France prenoit l' Ordre de chevalerie (car en autre suject ne l' ay-je point leu avoir esté pratiqué) & le Pape Alexandre quatriesme, en la premiere constitution decretale souz le tiltre des Immunitez de l' Eglise, defendoit par exprez aux François de ne lever tailles & exactions sur le Clergé, quand il achetoit quelque heritage. C' est ce que noz Roys ont pris de toute ancienneté, pour le droict d' amortissement. Il n' est pas que de fois à autre ils ne contraignissent leurs subjects de leur bailler quelques deniers, que l' on appella aussi Tailles, par ce qu' ils estoient levez par capitations & departemens: car le mot de tailler signifie entre nous diviser. Sainct Louys par son testament commandoit à son fils de ne lever tailles sur son peuple, c' estoit de ne lever des deniers extraordinaires. Levees que le peuple ne pouvoit gouster, les appellans Maletoultes, comme deniers mal tollus & ostez: & ceux qui se mesloient de les lever, Maletoultiers: ce qui causoit fort souvent des émotions populaires. Pour ausquels obvier les sage-mondains qui manioient les affaires de France, furent d' advis, pour faire avecques plus de douceur avaler cette purgation au commun peuple, d' y apporter quelque beau respect. Ce fut de faire mander par noz Roys à toutes leurs Provinces que l' on eust à s' assembler en chasque Seneschaussee & Bailliage, & que là le Clergé, la Noblesse, & le demourant du peuple, qui fut appellé Tiers Estat, advisassent d' apporter remede aux defaux generaux de la France, & tout d' une main aux moyens qui estoient requis pour subvenir à la necessité des guerres qui se presentoient: & qu' apres avoir pris langues entr' eux, ils deputassent certains personnages de chaque ordre, pour conferer tous ensemble en la ville, qui estoit destinee pour tenir Assemblee generale. En laquelle, ainsi que nous en usons maintenant, apres que le Chancellier en la presence du Roy a remonstré le desir que sa Majesté apportoit à la reformation de l' Estat, & les urgentes necessitez qui se presentoient pour le fait de la guerre, il les adjure d' y apporter chacun son talent, & de contribuer d' un commun vœu à ce qu' ils trouveroient necessaire pour la manutention de l' Estat. En ce lieu quelques bonnes ordonnances que l' on face pour la reformation generale, ce sont belles tapisseries, qui servent seulement de parade à une posterité. Cependant l' impost que l' on accorde au Roy, est fort bien mis à effect. De maniere que celuy a bien faute d' yeux, qui ne voit que le Roturier fut expres adjousté, contre l' ancien ordre de la France, à cette assemblee, non pour autre raison, sinon d' autant que c' estoit celuy sur lequel devoit principalement tomber tout le faix & charge: Afin qu' estant en ce lieu engagé de promesse, il n' eust puis apres occasion de retifuer ou murmurer. Invention grandement sage & politique. Car comme ainsi soit que le commun peuple trouve tousjours à redire sur ceux qui sont appellez aux plus grandes charges, & qu' il pense qu' en descouvrant ses doleances, on restablira toutes choses de mal en bien, il ne desire rien tant que l' ouverture de telles assemblees. D' ailleurs se voyant honoré pour y avoir lieu, & chatoüillé du vent de ce vain honneur, il se rend plus hardy prometteur à ce qu' on luy demande: mais ayant une fois promis, il ne luy est pas puis apres loisible de resilir de sa parole, pour l' honneste obligation qu' il a contractee avecques son Prince en une congregation si solemnelle. D' avantage qui est celuy qui ne trouve un Roy plain de debonnaireté, lequel par honnestes remonstrances veut tirer de ses subjects, ce que quelques esprits hagards penseroient pouvoir estre exigé par une puissance absoluë? Tellement que souz ces beaux & doux apasts, l' on n' ouvre jamais telles Assemblees que le peuple n' y accoure, ne les embrasse, & ne s' en esiouysse infiniement, ne considerant pas qu' il n' y a rien qu' il deust tant craindre, comme estant le general refrain d' iceux, de tirer argent de luy. Et en ces generales convocations il en prend à nos Roys, tout d' une autre sorte qu' il ne faict aux Papes, aux Concils generaux de l' Eglise: Car l' on dict qu' il ne se faict gueres Concil general, auquel on ne retranche aucunement une partie des entreprises de la Cour de Rome sur les Evesques & Ordinaires, au moins le voyons nous avoir esté faict aux Concils de Constance & de Basle.

Au contraire jamais on ne fit Assemblee generale des trois Estats en ceste France, sans acroistre les finances de noz Roys à la diminution de celles du peuple. Chose que vous descouvrez plus à l' œil és Provinces de Bretaigne, Languedoc, Dauphiné, Provence: où jaçoit que l' on face souvent de telles Assemblees Provinciales, si est-ce qu' elles ne se sont que lors que noz Roys leur demandent ayde d' argent.

Le premier qui meit ceste invention en avant fut Philippes le Bel, soubs lequel advindrent plusieurs mutations, tant en la police seculiere, qu' Ecclesiastique. Cestuy avoit innové certain tribut qui estoit pour la premiere fois, le centiesme, pour la seconde le cinquantiesme de tout nostre bien. Cest impost fut cause que les manans & habitans de Paris, Roüen, Orleans se revolterent & meirent à mort tous ceux qui furent deputez pour la levee de ces deniers. Et luy encores à son retour d' une expedition contre les Flamans, voulut imposer une autre charge de 6. deniers pour liure de chaque denree vendue, toutesfois on ne luy voulut obeyr. Au moyen dequoy, par l' advis d' Enguerrand de Marigny grand superintendant de ses Finances, pour obvier à ces esmeutes, il pourpensa d' obtenir cela de son peuple, avecques plus de douceur. Car s' estant faict sage par son exemple, & voulant faire un autre nouvel impost, Guillaume de Nangy nous apprend, qu' il feit eriger un grand eschafaut dedans la ville de Paris: Et là par l' organe d' Enguerrand, apres avoir haut loüé la ville, l' appellant Chambre Royalle en laquelle les Roys anciennement prenoient leurs premieres nourritures, il remonstra aux Scindics des trois Estats les urgentes affaires qui tenoient le Roy assiegé pour subvenir aux guerres de Flandre, les exhortant de le vouloir secovrir en ceste necessité publique, où il y alloit du faict de tous. Auquel lieu on luy presenta corps & biens: levant par le moyen des offres liberales qui furent faictes, une imposition fort griefue par tout le Royaume. L' heureux succés de ce premier coup d' essay se tourna depuis en coustume, non tant soubs Louys Hutin, Phlippes le Long, & Charles *le Bel, que soubs la lignee des Valois, & speciallement soubs le Roy Jean, aydé en cecy des instructions & memoires de Charles cinquiesme son fils: lequel ne fut pas sans raison surnommé le Sage apres sa mort, par ce qu' en toutes ses actions il eut ceste proposition stable de les faire authoriser par les trois Estats, ou bien en une Cour de Parlement, chose qui n' estoit pas si familiere à nos Roys auparavant luy: Et encores que de fois à autres il receust quelques traverses des Estats, estans à ce instiguez, par les solicitations & menees du Roy de Navarre, & fut pour ceste cause contraint d' acquiescer contre son opinion à leurs volontez, si est-ce que leurs coleres refroidies, ou l' assemblee dissoluë, il restablissoit toutes choses conformemment à son desir. Voilà surquoy les tailles, aides & subsides ont pris leur premier fondement, & ont avecques le temps pris tel pied entre nous, qu' elles sont parvenues au sommet. Du commencement on proceda par impositions que l' on obtenoit des Estats, lesquelles ne duroient qu' un an, que l' on appella Aides & Subsides, par ce qu' elles estoient mises sus, pour aider noz Roys au defroy des guerres qui lors se presentoient: Et afin de ne mescontenter le peuple on crea des Officiers populaires, les uns appellez Generaux, & les autres Esseuz: Et depuis les choses prenans leurs accroissements pied à pied, d' un on passa à deux & trois ans, & en fin à perpetuité: Encores ne fut-ce pas assez: Par le mesme advis des Estats, on meit une nouvelle charge d' impost sur le peuple qui se leva par capitations & feux, que l' on appella du commencement Foüage. Cela fut levé pour une fois, & à petite somme, par testes. Toutesfois soubs Charles VII. on le rendit perpetuel: Et est ce que nous appellons aujourd'huy Tailles, ayant remis en avant le mot ancien en usage, mais d' autre façon qu' il n' avoit esté pratiqué par noz plus vieux ancestres. Chose que je vous verifieray par parcelles.

Philippes de Valois en l' an mil trois cens quarante neuf, un an auparavant son decez, pour les guerres qu' il avoit contre les Anglois, du consentement du Prevost des Marchans, Eschevins, Manans & habitans de Paris, obtint pour un an un subside de six deniers pour liure sur chaque denree qui seroit venduë, en & au dedans de la ville, Prevosté & Vicomté de Paris. Par ses lettres patentes du dixseptiesme Fevrier mil trois cens quarante neuf, il proteste que cest impost n' apporteroit pour l' advenir aucun prejudice aux privileges & libertez des Parisiens, ny qu' aucun droit nouveau luy seroit acquis encontre eux, ny à eux contre luy: mais qu' il l' imputoit à un subside gratieux. Il fut prevenu de mort avant que de luy faire sortir effect: Au moyen de quoy le Roy Jean son fils supplea à ce defaut.

Et d' autant qu' il n' y avoit Juges des differens qui pouvoient resulter de ceste levee, il en attribua la cognoissance aux Prevost des Marchans & Eschevins de la ville, à la charge que là où ils ne pourroient accorder les parties, les gens des Comptes en cognoistroient. Ce mesme aide fut par luy imposé en mil trois cens cinquante deux, & cinquante trois, tant és Seneschaussees d' Anjou & du Maine, que Bailliage de Senlis, le *ar le consentement des trois Estats des pays: Et comme ainsi fut que la Royne de Sicile alors Dame d' Anjou & du Maine, soustint que cest aide ne devoit avoir cours sur ses subjects, le Roy, pour luy clorre la bouche, luy en donna la moitié. De ces lieux particuliers, on s' advisa de passer plus outre, & d' imposer nouvel aide, non sur tout le Royaume, ains sur tout le pays de Languedoc & Coustumier. Aussi fallut-il lors avoir recours à une assemblee generale des trois Estats qui fut tenuë en ceste ville de Paris. Là il fut accordé au Roy d' augmenter la Gabelle du sel (Le Roy Philippes de Valois son pere en avoit esté le premier innovateur en l' an mil trois cens quarante deux,) & encores huict deniers pour liure de chaque marchandise qui seroit venduë, (en ce non compris la vente des heritages) laquelle seroit payee par le vendeur. C' estoit un coup fort hardy, lequel aussi receut grand contraste, ainsi que nous aprenons par les lettres sur ce decernees le vingt-deuxiesme Decembre mil trois cens cinquante cinq. Car il fut ordonné, que nul Tresorier ou Officier du Roy n' avroit la charge, direction & maniement de ces deniers, mais que les trois Estats commettroient certains personnages, bons, honnestes & solvables, pour en être les ordinateurs, selon les instructions qui leurs en seroient prescriptes: Et qu' outre ces Comissaires generaux, ils en esliroient encores en chaque Province, neuf particuliers, trois de chaque Ordre, desquels les trois du Clergé, jugeroient les Ecclesiastiques, les trois Nobles, ceux qui seroient de leurs qualitez, & les trois Roturiers, les gens de condition roturiere: Appellez toutes fois chacun en leur endroict leurs autres compaignons au jugement des procez. Et au cas que l' on appellast d' eux, on avroit recours aux deputez Generaux, qui en jugeroient en dernier ressort. 

Le Roy jura de ne faire employer à autre usage ces deniers, que pour le fait de la guerre, comme aussi ces deputez Generaux jurerent sur les sainctes Evangiles qu' ils ne les convertiroient ailleurs, nonobstant quelques Mandemens qu' ils en eussent du Roy. Et s' il advenoit que sous umbre de quelques impetrations les Officiers du Roy les voulussent contraindre d' intervertir en autres usages ces deniers, permis aux deputez Generaux de s' y opposer par voye de fait, voire d' implorer tout confort & aide des bonnes villes circonvoisines à cest effect. Et au surplus ne pourroient rien ces Deputez & superintendans Generaux des trois Estats au fait de leur charge & administration s' ils n' estoient tous d' accord ensemble. Ce neantmoins en cas de discord la Cour de Parlement les pourroit accorder. Je vous laisse une infinité d' autres particularitez concernans la reformation de l' Estat, au recit desquelles si je me voulois amuser, j' attedierois le lecteur, parce qu' elles ne furent observees. Je me contenteray de vous dire que sur la fin de l' Edict, ou lettres patentes, on adjousta qu' au premier jour de Mars ensuivant, les trois Estats se r' assembleroient dans Paris, par eux, ou par Procureurs suffisamment fondez, pour voir & examiner le compte de ce qui avroit esté baillé & distribué: & à ce jour seroit rapporté par les Deputez Generaux, combien ceste Gabelle & Aide avroit valu, & s' ils voyoient qu' ils ne fussent suffisans pour le defroy de la guerre, ils pourroient croistre la Gabelle ainsi que la necessité le requerroit suivant l' advis des trois Estats, sans que les deux, ores qu' ils fussent d' accord, peussent lier le tiers. C' estoit un apenty de continuation de subside: Car comme nous sommes en un Royaume de consequence, il ne faut rien aisément promettre, encores que ce ne soit que pour une fois, que l' on ne le vueille permettre à jamais.

De ce que dessus, vous pouvez recueillir le premier plant des Generaux & Esleuz: car les uns & les autres nommez par les Estats, les uns pour avoir l' œil sur l' aide particulier des Provinces, & les autres generalement sur tout le Royaume, le hazard du temps voulut qu' aux uns demourast le nom de General, aux autres celuy d' Esleu, chose dont il ne faudra d' icy en avant faire doute par les discours que j' enfileray cy apres selon la suitte des ans & des affaires. La prison du Roy Jean contraignit Charles son fils aisné (qui du commencement prit le nom seulement de Lieutenant general de la France, puis de Regent) de faire convoquer les Estats dedans la ville de Paris en Mars 1355. Comme le peuple est fort en bouche, singulierement en telles adversitez, esquelles il pense qu' il faut que les grands ayent du tout recours à luy, aussi le fit-il lors fort bien paroistre: Car jamais ne se trouverent plus grandes esmeutes que celles-là. Et parce que nos Annales les ont discouruës amplement je vous diray seulement qu' il seroit impossible de dire combien de propositions hagardes furent mises en avant au desavantage du Roy, à la suscitation du Roy de Navarre. Cestuy pensoit la Couronne luy appartenir du chef de sa femme, & la recouvrer au meillieu de ceste affliction publique. C' est un secret que nos Roys doivent apprendre de ne faire jamais ouvrir les Estats, quand il y a un Prince, qui pour avoir le vent en pouppe au milieu d' un peuple, se rend chef de part: Mais qu' eust fait en cecy Charles Regent? Il tenoit proprement le Loup par les aureilles, la necessité presente le convioit de trouver argent pour le defroy & soustenement de la guerre. S' il eust donné congé aux Estats, c' estoit quitter la partie: D' un autre costé de les continuer, il ne pouvoit rien obtenir d' eux qu' il n' acquiessat à une infinité de demandes injustes & tortionnaires: Car encores qu' il y en eust plusieurs justes, comme de s' opposer à l' affoiblissement des monnoyes, qui estoit lors la querelle commune du peuple, si est-ce que l' on y mesloit de la vengeance contre uns & autres grands Seigneurs, dont on requeroit le des-appoinctement, & de là passans plus outre, ils creoient plusieurs Conseillers du grand Conseil, & vouloient que de là en avant toutes les affaires du Royaume passassent par leurs mains. Le premier advis que prit ce jeune Prince fut de licentier l' Assemblee, & la remettre à une autre fois, esperant obtenir d' eux en un autre temps, ce qu' il ne pouvoit adoncques: Conseil sage, mais defavorisé de la saison qui estoit disposee à sedition. Le peuple commence de se mutiner plus que devant, ayant pour porte-enseigne Estienne Marcel Prevost des Marchands de Paris. Au moyen dequoy le Regent, faisant comme le sage Pilote, qui pour sauver son vaisseau calle la voile à la tempeste, aussi delibera-il de temporiser à ceste fureur. C' est pourquoy il leur bailla la carte blanche, & non seulement leur passa condemnation de tout ce qu' ils desiroient, mais permit qu' elle fut authorisee par la verification du Parlement de Paris: Ce qui ne s' estoit encore veu ny usité en telles affaires, mais aussi pour contre-eschange il obtint des trois Estats tel aide qu' il desiroit. Vous pourrez recueillir par parcelles, & jour par jour, comme toutes choses se passerent lors dedans les Annales de Guillaume de Nangy. Comme celuy qui fut spectateur de ceste tragedie: Et encores dans des lettres en forme d' Edict du 5. Fevrier 1356. verifiees au Parlement, par lesquelles on peut voir tout le bon & le mal qui se passa lors sous le nom de la reformation de l' Estat. 

En l' an 1358. le Roy Jean estant encores prisonnier, l' on fut contrainct d' assembler de rechef les trois Estats dedans la ville de Compieigne, où l' on fit pour la deliurance du Roy, un grand impost extraordinaire, qui eut cours sur toutes sortes de personnes: Et lors on ne douta plus d' appeller Generaux ceux qui avoient la charge generale, & Esleuz ceux qui avoient la charge particuliere des Aydes par les Dioceses. Et furent esleuz trois Generaux diversement par chacun des trois ordres, & au lieu qu' auparavant les Esleuz, Grenetiers, Controolleurs, Receveurs & Sergens des tailles estoient payez de leurs vacations par taxations, qui venoient à la grande foule du peuple, on commença de leur assigner certains gages pour l' avenir. Les Generaux des Aydes estoient nommez par les Estats, & confirmez par le Roy entre les mains duquel, ou de ses officiers, ils faisoient le serment de bien & loyaument exercer leurs charges. Depuis le Roy seul sans autre controolle y pourveut. Auparavant les Aydes que l' on prenoit estoient sur les marchandises & denrees qui estoient venduës en gros ou detail. Charles V. plain d' entendement en l' an 1379. s' advisa de lever de chaque feu, pour un an, un franc, le fort portant le feible, & fut cest impost appellé foüage. Lequel depuis fut remis en avant par Charles VI. en l' an 1388. mais bien plus rude que le premier qui fut par luy appellé Taille, mot qui n' est point depuis tombé. 

Charles V. mettant son foüage en avant, apporta plusieurs reglements par ses lettres du vingtiesme Novembre 1379. Et entre autres choses, suprima tous les Receveurs Generaux des Aydes, voulant qu' il n' y en eust plus qu' un qui feroit sa residence dans Paris. Defendit aux Esleuz & Receveurs particuliers de nommer Asseeurs & Collecteurs : ains voulut qu' ils fussent nommez par les paroissiens de chaque paroisse. Charles VI. par ses lettres de l' an 1388. ordonna que toutes personnes contribuassent à la taille qu' il mettoit sus, fors les Nobles extraicts de noble lignee, portans les armes, les Ecclesiastics & les pauvres mendians. En tout cecy l' un & l' autre Roy commit de les favoris tels qu' il luy pleust, pour la levee de ces deniers, les uns estans Maistres des Comptes, les autres d' autre qualité: car il n' y avoit celuy qui ne fust tres-aise d' être employé en ceste charge, pour le gain qu' il en rapportoit: En laquelle aussi ils n' estoient point perpetuez, ains changez selon qu' il plaisoit au Roy, ou à ceux qui l' attouchoient de plus pres. Et lors ceux qui estoient Generaux des Aydes l' estoient, tant pour l' ordination des deniers à quoy ils devoient être employez, que pour la distribution de la Justice en dernier ressort, quand l' on appelloit des Esleuz ou Grenetiers, mesmes fut grandement augmentee leur authorité: car on leur permettoit d' instituer & destituer Esleuz, Grenetiers, Controolleurs, Receveurs & Sergens des Aydes, quand ils feroient leurs chevauchees par les Provinces. Et parce que le Roy y en commettoit tantost six, tantost cinq, tantost quatre, la regle generale estoit que pour l' ordination des deniers, il falloit que tous, ou quatre, ou trois pour le moins le consentissent, mais quant à ce qui estoit de la distribution de la Justice, il suffisoit qu' il y en eust deux seulement: Et neantmoins ce qu' ils jugeoient, estoit tenu pour Arrest, sans que la Cour de Parlement le peust reformer, ains falloit que ce fussent ceux-là mesmes qui avoient jugé, & leurs compagnons appellez avecq' eux trois ou quatre des Seigneurs du grand Conseil. 

Vers ce mesme temps on commença de mettre quelque distinction entre les Generaux des Finances & de la Justice, non toutesfois absoluë telle que je deduiray cy apres, & encores d' authoriser ceste charge de chefs, tirez du corps de l' Eglise, comme Archevesques & Evesques, afin que le peuple y eust plus de creance. Par les lettres du dernier jour de Fevrier 1388. je voy que Charles sixiesme y commit l' Evesque de Noyon, Maistres François de Chanteprime, Guillaume Brumel, Guy Chrestien, Jean le Flamen & Pierre Desmier, pour exercer la Justice, voire jusques au nombre de deux comme j' ay dit cy dessus, & entre-eux choisit Chrestien, le Flamen & Desmier, pour être ordinateurs des deniers, defend aux trois autres de s' en entremettre. De façon que les six estoient deputez pour l' exercice de la Justice, mais en particulier les trois autres avoient d' outre plus la charge de la dispensation des deniers. Je cotte nommément ces lettres du dernier de Fevrier, parce que c' est l' un des premiers reglemens concernant ceste distinction d' Estats, & aussi qu' à la suitte de cela il est derechef ordonné qu' il n' y avroit qu' un Receveur general. Qu' en la chambre des Generaux y avroit un Greffier pour les procés, & quatre Clercs & Secretaires qui signeroient en Finances selon que les trois Generaux l' ordonneroient. Enjoint aux Generaux de faire les uns apres les autres leurs chevauchees par les Provinces, pour voir le bon ou mauvais menage des Esleuz, Receveurs, Grenetiers & Controolleurs. Et en fin que les Generaux sur le fait de la Justice (ainsi les appelle-il) orroient les causes sommairement & de plain, sans long procés, & feroient faire le semblable aux Esleuz en chaque Eslection.

Deslors en avant furent faites deux sortes de Generaux des Aydes, les uns appellez les Generaux des Finances sur le fait des Aydes, les autres Generaux de la Justice sur le fait des Aydes. Estats qui commencerent d' être exercez separément, encores que je sçache bien que la regle ne fust pas tousjours generalement vraye. Parce que Charles VI. ou pour mieux dire ceux qui le gouvernoient, en tailloient comme il leur plaisoit, mais tant y a que l' ordinaire estoit tel. Par lettres du vingt-huictiesme Aoust 1395. l' Archevesque de Bezançon, Philippes des Essars maistre d' hostel du Roy, Jean de Chanteprime Tresorier des guerres, font faits Conseillers Generaux sur le fait des Aydes, sans que les Generaux Conseillers sur le fait de la Justice s' en peussent entremettre. Le semblable le cinquiesme Aoust 1399. où l' Archevesque de Sens, Jean Couran, Guillaume d' Orgemont, & Arnaut Boucher sont commis. 

La friandise de manier les deniers fut telle, que les Princes voulurent avoir part au gasteau. Premierement le sire d' Albret en l' an 1401. Et apres luy Louys Duc d' Orleans frere du Roy par lettres patentes du dixhuictiesme Avril 1402. fut commis pour presider dessus ces Generaux des Aydes: les Ducs de Berry & de Bourgongne voulurent être de la partie: Et à vray dire, les jalousies des deux maisons d' Orleans & de Bourgongne, qui depuis causerent la ruine & desolation de la France, furent fondees sur ceste querelle. Les Ducs de Bourgongne, Berry, & Bourbonnois oncles du Roy, furent aussi à ce deputez, mais en fin tous ensemblément deschargez par lettres du dixneufiesme May 1403. Lors que les humeurs de ces Princes se disposoient à sedition intestine, ceux qui desiroient être mediateurs firent faire un Edict du septiesme Janvier 1404. par lequel ils passerent sur la reformation de toute la France, & specialement des Aydes & subsides: Et fut adoncques ordonné qu' il n' y avroit que trois Conseillers generaux, pour ordonner de la distribution des Aydes, c' est à sçavoir, l' Archevesque de Sens, Maistres Thibault de Miseray & Jean des Hayes, qui avroient les quatre Clercs ordinaires, & un Receveur general: Et pour le fait de la Justice trois Conseillers Generaux & l' Archevesque de Bezançon qui estoit Conseiller au grand Conseil. Les trois Conseillers l' Evesque de S. Flour, Maistre Jean du Drac & Nicolas de Maulregard, & lequel Evesque de S. Flour presideroit pendant l' absence de l' Archevesque. Je vous laisse toutes les autres particularitez de reglement portees par icelles lettres, pour vous dire qu' en l' an 1407. qui fut l' annee que Louys Duc d' Orleans fut assassiné, on reprit ces mesmes arrhemens de reformation, & fut encores ordonné que par tout le Royaume de Languedoc, il n' y avroit plus que trois Generaux des Finances, quatre Clercs & un Receveur general: pour le fait de la Justice quatre Generaux: Tous lesquels seroient Esleuz par le grand Conseil. Et neantmoins deslors l' Evesque de Limoge est nommé pour President à la Justice. Là il leur est *enjoinct que s' il se presentoit devant eux quelque matiere d' estofe, ils appelleroient avecques eux, deux Conseillers du Parlement, & qu' ils n' avroient qu' un Greffier pour enregistrer leurs plaidoiries, & suprima-l'on tous autres Generaux de la Justice auparavant à ce commis. Cela apporta une nouvelle face d' affaires en ceste France: car outre les Conseillers qui portoient tiltre & qualité de Generaux de la Justice, on leur bailla pour aides d' autres juges qui estoient seulement appellez Conseillers, & non Generaux, à moindres gages que les autres. En l' an 1413. nouvelles plaintes & doleances: pareillement nouvelle Assemblee des Estats dans Paris, & aussi nouveau pretexte de reformation. L' Université de Paris, qui lors se faisoit ouyr par dessus tous les autres, se plaignit qu' il y avoit sept Conseillers Generaux sur le fait de la Justice. Par la reformation sur ce faite, il fut ordonné qu' il y avroit pour l' advenir seulement un President aux gages de cinq cents liures tournois, & deux Generaux de la Justice aux gages de trois cents liures parisis qui seroient esleuz en la Chambre des Comptes par le Chancelier, appellez avecq' luy les gens du grand Conseil, & que pour visiter, conseiller, rapporter, & aider à juger les procés, il n' y avroit que trois Conseillers, chacun desquels avroit cent liures. Plusieurs annees s' escoulerent avant que ceste compagnie fust erigee en forme de Cour souveraine, ores que ceux qui y estoient commis jugeassent en dernier ressort, & de cela n' en faut autre tesmoignage que cestuy. Quand Charles VII. r' entra dans Paris, qui fut le premier Vendredy d' apres Pasques l' an 1436. en commemoration de cest agreable retour, les Prevost des Marchands & Eschevins de la ville, convient à mesmes jour tous les ans, tant la Cour de Parlement que Chambre des Comptes, pour le trouver dans l' Eglise Nostre-Dame pour en rendre graces à Dieu, & de là, festoyent en l' hostel de ville les Seigneurs qui y font envoyez, nulle mention des Generaux de la Justice, qui monstre que ceste compagnie n' estoit lors estimee faire corps. Les affaires doncques des Aydes furent telles: Du commencement les Generaux qui estoient commis pour l' ordination des Finances venans des Aydes, l' estoient aussi pour le fait de la Justice: Et lors estoient appellez Generaux des Aydes. Depuis, ces charges estans divisees entre diverses personnes, on appella les uns Generaux des Finances sur le fait des Aydes, les autres Generaux de la Justice sur le fait des Aydes. Qualité qui resida continuellement en eux jusques sur la fin du regne de François premier qu' ils reprindrent leur ancien tiltre, & se firent nommer Generaux des Aydes sur le fait de la Justice: qui est celuy dont ils usent aujourd'huy.