Sur ce que l' on impute à Brunehaud, que pour se vanger elle fit entendre à Theodoric, que Theodebert estoit fils d' un jardinier: Qui fut le seminaire des divisions des deux freres.
CHAPITRE XIII.
Les deux Historiographes mesdisans nous ont servy de ce placard; a fin que ce leur fust une fueille pour authoriser leur mensonge du different d' entre Brunehaud & Theodebert. Et neantmoins ce fait estant de la façon qu' il estoit posé, semble porter son dementir quant & soy. A la verité si soudain apres avoir receu l' injure Brunehaud se fust armee d' une vangeance, il y avroit sujet de le croire: car nul ne sçait combien douce est la vangeance que celuy qui a receu l' injure. Mais d' avoir si longuement patienté, comme nous tesmoignent Fredegaire & Aimoïn, sans s' en estre voulu ressentir, cela est bon pour le persuader à des Moines, ausquels la patience est enjointe par le vœu de leur obeïssance: mais non à ceux qui vivent au milieu, & de la Cour des Roys, & moins encore aux Roys & grands Seigneurs, quand ils pensent avoir esté offensez. De maniere que tant s' en faut que cela contredise à mon opinion, qu' au contraire cela me fait estimer que c' est un conte fait à plaisir comme le premier. Davantage je voy les Historiographes varier en cet endroit: car l' Abbé Rheginon dit que Brunehaud pour faire prendre les armes à Theodoric, luy fit entendre que Theodebert estoit enfant illegitime du Roy Childebert, & les deux autres, qu' il n' estoit son frere. Deux opinions grandement contraires; & toutesfois l' une & l' autre sans jugement. Parce qu' entant que touche la premiere il est certain, que sous la premiere lignee, les bastards enfans de Roy, n' avoient pas moins de part au gasteau que les legitimes. Tesmoin Theodoric fils aisné & bastard du Roy Clovis, qui fut pour son partage loty du Royaume d' Austrasie, qu' il transmit à deux generations successives des siens. Et quant à la seconde opinion, encore y avoit-il moins d' apparence en sens commun, de vouloir faire accroire qu' un Childebert Roy estimé tres-advisé entre les siens, eust voulu advoüer un enfant de jardinier pour sien: Luy (dis-je) auquel & la nature, & la loy en avoit donné un autre. Comme aussi ne falloit-il que sous ce faux pretexte, qui estoit sans pretexte, l' ayeule fust instigatrice de nouveaux troubles: Parce qu' ils se semoient lors fort aisément d' eux mesmes entre les enfans de nos Roys: ce qui provenoit de l' egalité de leurs partages. Estant adoncques beaucoup plus aisé aux freres de vouloir enjamber les uns sur les autres, que si le Royaume fust tombé entre les mains de l' aisné, & les puisnez eussent esté assortis d' apannages, comme depuis on a usé sous la troisiesme lignee. Tant y a que sous la premiere, sans autres instigateurs, que de leurs ambitions particulieres, on voit les enfans de Clovis se malmener l' un l' autre: & pareillement ceux de Clotaire premier avoir fait le semblable, apres le decez du Roy Charibert leur frere: Et à peu dire l' histoire de Gregoire de Tours est pleine des doleances, que les Roys faisoient, les uns aux autres, des injustes enjambemens qu' ils pretendoient estre faits sur leurs marches. Et cela mesme advint puis apres entre Theodoric & Theodebert freres, non que la Royne Brunehaud en fust promotrice; ainsi que quelques Docteurs contemplatifs font entendre, ny que Theodoric se mist le premier aux champs contre son frere: mais bien Theodebert contre luy, ainsi que je verifieray cy-apres en son lieu. Mais pour n' enjamber sur les temps, & par ce moyen entrer en une confusion de discours je reprendray mon histoire selon la suite des ans cottee par les deux Historiographes mesdisans. Seulement vous diray-je icy que depuis l' an six cens deux, jusques en l' an six cens seize les deux freres vesquirent en paix, sans faire demonstration exterieure de maltalent l' un contre l' autre, horsmis l' an six cens dix que Protade Maire du Palais mit en la teste du Roy Theodoric son Maistre, de prendre les armes contre le Roy Theodebert son frere. Qui ne fut qu' une levee de bouclier: car aussi tost qu' il eust esté mis à mort par la Noblesse Bourguignonne; aussi tost fut l' armee rompuë, s' en retournant chacun à sa chacune: Et depuis nulle mention de guerres entre les deux freres jusques en l' an 616. ainsi qu' entendrez plus amplement par le chapitre prochain.