martes, 13 de junio de 2023

3. 17. Des Graces, Expectatives, Mandats, Indults Apostolics, Exactions faictes en Avignon,

Des Graces, Expectatives, Mandats, Indults Apostolics, Exactions faictes en Avignon, & du remede que nostre Eglise Gallicane y apporta. 

CHAPITRE XVII. 

Je ne veux point que l' on pense que j' aye fait ce chapitre au desadvantage du Siege de Rome: au contraire c' est son exaltation, pour monstrer que la primace de nostre Eglise ne pouvoit être exercee, qu' au lieu que sainct Pierre avoit choisi pour luy & ses successeurs, sans qu' il en advint un scandale. Belle chose & digne d' être trompetee aux oreilles de tout le monde, que Dieu establissant sa vraye Religion, voulut que la ville de Rome, Siege ancien de l' Empire, fut aussi le premier Siege de son Eglise, sur lequel toutes les nations jetteroient leurs veuës. 

N' attendez de moy en tout ce chapitre qu' un chaos, pesle mesle & confusion des affaires de nostre Eglise, dont nous fusmes en ceste France les premiers forgerous. Toutes & quantesfois que noz Roys parerent aux coups de Rome par les armes de nostre Eglise Gallicane, toutes choses leur succederent à point sans scandale. Mais quand ils y voulurent apporter de l' homme, & manier nostre Religion, comme une affaire d' Estat, ils gasterent tout. Je vous ay cy-dessus discouru la querelle de Boniface VIII. & Philippes le Bel, & comme les desseins du Pape avoient esté rendus illusoires. Toutesfois Boniface estant decedé & l' interdiction levee par Benoist XI. son successeur, qui ne siegea que huict mois, Clement V. Gascon, estant fait Pape, tout le soin de Philippes le Bel fut de s' entretenir non seulement en bon menage avecq' luy, mais par un nouveau dessein, pour ne tomber à l' advenir au desarroy où il s' estoit veu, projetta de l' attirer en France avecques toute la Cour, a fin que de là en avant les Papes & les Roys de France eussent occasion de viure en perpetuelle alliance. Ce qui en facilitoit le passage, estoit que Jeanne Comtesse de Provence avoit fait present de la ville d' Avignon & du Comtat, au sainct Siege.

Je ne sçay par quel destin le pays de Provence semble avoir presque tousjours eu sa fortune liee avec celle d' Italie. C' est la premiere de la Gaule qui fut conquise par les Romains long temps auparavant qu' ils eussent desseigné de s' impatronizer de tout le pays. Et laquelle leur estoit si agreable qu' entre toutes les autres Provinces à eux subjectes, ceste-cy fut d' un mot special appellee Province sans suitte de parole, comme la recognoissant par cela, l' une des plus belles Provinces qu' ils eussent. Et depuis, bien qu' elle se fust separee de la domination d' Italie par l' envahissement que les Visegots en firent & de tout le Languedoc: Toutesfois Theodoric Roy des Ostrogots ayant usurpé l' Italie, re-unit de rechef avecq' l' Italie ce mesme pays de Provence, estant fait tuteur d' Atalaric Visegot son arriere fils. Pareillement au partage des trois enfans de Louys le Debonnaire, à Lothaire son fils aisné escheut l' Italie avecq' la Provence. Et jaçoit que depuis selon les mutations des regnes, il fut erigé en Royaume par Charles le Chauve, & donné à Bosson son beau frere: si est-ce qu' encores advint-il que Louys fils de Bosson se fit Roy d' Italie, & apres luy Hugues, l' un de ses successeurs: En cas semblable, long temps apres, furent les Estats de Naples, Sicile, & de Provence, unis soubz mesmes seigneurs. Et tout ainsi qu' au temporel, le semblable advint au spirituel. Parce que dés le temps mesmes de sainct Gregoire, l' Eglise Romaine avoit quelques biens, & heritages à elle appartenans dont l' Evesque de Vienne en avoit occupé partie: Duquel bien sainct Gregoire parle assez souvent en ses Epistres, l' appellant Patrimoniolum, & le recommande à ceux, ausquels il avoit quelque part en France. Mesmes y envoya Vincent Soudiacre pour le gouverner. Pareillement les premiers Evesques des Gaules, qui embrasserent la grandeur & authorité du sainct Siege, sont ceux de Provence (quand je dis Provence, j' entends aussi le Dauphiné, qui n' estoient vers ce temps là separez) & les lettres les plus frequentes que verrez être adressees par sainct Gregoire à noz Evesques, sont principalement à ceux de Provence. Et finalement fut donné aux Papes Avignon, & autres villes adjacentes par un certain instinct, & pour entretenir ceste ancienne liaison, voire que l' on dit encores Provence être un Pays d' obeissance de la Papauté.

Suivant le nouveau conseil de Philippes le Bel, le Pape Clement V. se retire en la ville d' Avignon, où ayant par mesme moyen attraict tout l' attirail de Rome, bien que le Roy pensast par ce moyen avoir mieux estably ses affaires, si est-ce que le plus grand malheur qui advint jamais à l' Eglise, fust ceste retraicte. Car le Pape estimant que le Roy luy estoit grandement redeuable de ceste gratification, se persuada aussi qu' il le devoit en contr'eschange gratifier de tout ce qui luy seroit agreable. Chose dont il ne l' eust osé esconduire. De sorte que lors commencerent à venir en desordre les Mandats, & Graces expectatives, tant generales que particulieres: & pareillement les exactions de Cour de Rome sur les Beneficiers: (Car encores que le Siege se tint dans Avignon, si l' appelloit on tousjours Cour de Rome) & de mesme suitte les Decimes, que depuis l' on imposa dessus le Clergé. Estans les choses arrivees en tel excés, que nul homme de vertu ne pouvoit obtenir, voire esperer un seul Benefice, ains tomboit le tout à la table des Cardinaux d' Avignon. A quoy mesmement prestoient l' espaule les plus grands Seigneurs du Royaume qui avoient part au gasteau.

Ces Graces expectatives estoient Mandements, par lesquels les Papes lioient les mains des Ordinaires, leur enjoignans que le premier Benefice vacquant de telle ou telle condition, fut conferé à ceux, qui leurs estoient par eux recommandez. Et ne sçavoit-on anciennement que c' estoit de telles reservations en l' Eglise. Qui faict qu' en tout le Decret de Gratian il n' en est faicte nulle mention. Depuis on les mit dans Rome en avant, mais avecq' quelque sobrieté, premierement par prieres, puis par commandemens expres. Et n' avoit accoustumé un Pape de greuer, sinon une fois une Eglise, & encores d' un Benefice tant seulement. Pour ceste raison estoit coustumier d' adjouster tousjours ceste clause, moyennant que nous ne vous en ayons point escrit pour un autre. Avec le temps on passa plus outre, & neantmoins voyant que les Ordinaires se rendoient quelques fois refractaires à ces Mandemens, s' il estoit advenu qu' au prejudice d' un Mandataire, les Evesques en eussent pourveu un autre, le Pape vouloit qu' ils fussent contrains de bailler pension à son denommé, jusques à ce qu' il eust esté remply du premier Benefice vacquant. Et pour encores être mieux obey, il envoyoit premierement lettres monitoriales, ou preceptoriales à l' Evesque, & s' il se rendoit difficile à y obeyr, il decernoit puis apres des lettres executoriales. C' estoit qu' il addressoit ses bulles à un Abbé, ou autre ayant une dignité Ecclesiastique, pour mettre à execution ses Bules, & pourvoir son mandataire à la premiere vacquation qui adviendroit d' un Benefice. La meilleure de toutes ces constitutions Decretales estoit contre tout ordre de droit, toutesfois un tas de Canonistes Courtizans, les voulurent flatter de propositions plus hardies, soustenans que c' estoit une chose de mesme effect & vertu, de voir un benefice mis en reserve par le Pape, comme s' il eust vacqué en Cour de Rome. Et depuis ceste invention se meit au desbord, & fit sa derniere preuve en France, ainsi que je disois maintenant dessouz le siege d' Avignon.

Comme pareillement fut celle des Exactions, lesquelles estoient de trois especes. L' une qui venoit soubs le pretexte des visitations, l' autre soubs le nom de vacquans des premieres annees des benefices, que nous appellasmes depuis Annates: & la derniere soubs celuy des Decimes. En tant que touche la premiere, elle prit son estoc de plus loing, & voicy comment. Le principal soing des Evesques est d' avoir l' œil sur toutes leurs ovailles, & par special sur les personnes Ecclesiastiques. Et à ceste cause leur estoit enjoinct par tous les plus anciens Concils de visiter tous les ans leur Clergé: C' est une charge fonciere qui est annexee à leur mitre, dont ils sont redeuables envers leurs inferieurs, tant s' en faut que leurs inferieurs leurs en doivent payer chose aucune. Toutesfois comme il eschet ordinairement que les plus foibles soient tousjours opprimez par les plus forts, aussi petit à petit il advint que les Evesques faisans, ou en personnes, ou par l' entremise de leurs Archidiacres leurs visitations, ils se firent payer quelques deniers pour le defroy de leur despence. Chose qui fut tres estroittement defendue par l' Eglise Gallicane, en un Concil tenu à Chalons sous la lignee de Charlemagne. Qui monstre que deslors l' abus commençoit à naistre. Or le Pape se pretendant Ordinaire des Ordinaires, avoit dés pieça attiré par devers soy ce droict de Visitation: lequel on tourna en coustume depuis le siege d' Avignon: Car fust que l' on visitast ou non, il fassoit payer au Pape le droict de ces Visitations, appellees autrement Procurations. Chose dont les Beneficiers avoient passé condamnation volontaire. De tant qu' ils sentoient beaucoup moins de charge, & incommodité en leurs benefices, n' estans visitez, que s' ils l' eussent esté. 

De ceste mesme hardiesse Jean vingt-deuxiesme, successeur de Clement cinquiesme, introduisit sur les Benefices, les Annates: Qui estoit, que de tous les benefices vacquans en & au dedans le Royaume de France, il pretendoit que le revenu de la premiere annee luy estoit deu. C' est luy qui fit dresser les Extravagantes, tout ainsi que Clement les Clementines, de la lecture desquels livres on peut aussi aisement recueillir quel estoit l' Estat de ce temps là. Et au milieu des corruptions telles que dessus, encores s' en engendra une autre de plus pernicieux exemple que celles-cy, & qui à la longue a presque apporté la ruine, & desolation de l' Eglise. Ce fut d' imposer des Decimes par les Papes sur tout le Clergé, lesquelles auparavant on n' avoit accoustumé de lever que par devotion pour subvenir aux voyages d' outremer: & comme un abysme en produit aisement un autre, aussi l' abus s' y planta à perte de veuë. Boniface IX. confirma les Annates à toute sa posterité par une sentence Decretale. Clement septiesme d' un autre costé ordonna que de tous les Benefices de la France il prendroit la moitié du revenu pour l' entretenement de son Estat, & de ses Cardinaux, sur peine de privation totale des Benefices à ceux qui s' y opposeroient: & eut l' Abbé de S. Nicaise de Rheims ceste commission: d' avantage fit plusieurs autres exactions non auparavant cogneues par l' ancienneté. Nous trouvons une Ordonnance de Charles sixiesme, de l' an mil trois cens octante cinq, où il recite que trente trois Cardinaux creatures de Clement VII. en Avignon, prenoient la plus grande partie des fruicts & emolumens des benefices de la France, par ce qu' ils n' en avoient ailleurs, defraudans par ce moyen les gens doctes des Universitez, du talent qui leur estoit deu. D' avantage, que combien qu' un Evesque peust tester & creer un executeur de son testament & delaisser sa succession à un heritier ab intestat: toutesfois soudain qu' il estoit decedé, le Pape envoyoit arrester par un Collecteur tous ses biens meubles, & immeubles, tant propres, qu' acquests, & les approprioit à son usage, sans en reserver une seule parcelle, pour la reparation de l' Eglise, & sans payer les debtes du deffunct, comme s' il n' en eust peu contracter aucune, au prejudice de ses droicts. Et le semblable faisoit à l' endroict d' un Abbé estant decedé, auquel son Eglise devoit succeder. D' ailleurs tant & si longuement qu' une Abbaye vacquoit, & jusques à ce que son successeur eust pris possession paisible, le Pape en percevoit les fruicts. Adjoustant que les collecteurs levoient au profit du Pape le revenu du premier an de tous les benefices vacquans par resignation, permutation, ou autrement, en quelque façon que ce fust, voire encore qu' ils vacquassent en Regale, ou en Patronage lay, & que les Cardinaux prenoient pensions enormes sur les Benefices, ne laissans moyens aux titulaires d' eux nourrir & alimenter. Pour ces causes le Roy veut & ordonne que les Juges ordinaires procedent par voye de saisie sur ces pensions, ensemble sur le temporel, des Eglises, pour proceder aux reparations du consentement des personnes Ecclesiastiques: veut aussi que les heritiers des Evesques leur sucedent, & les Monasteres aux Abbez, & que le Pape ne puisse rien prendre sur les benefices, qui estoient en Regale, ou patronage lay, c' estoit aucunement se garentir du desordre, mais non tout à fait, comme depuis nous feismes soubs le Pape Benoist treziesme: car à la verité en ce grand besoin l' Eglise Gallicane monstra à bonnes enseignes ses forces. 

sábado, 10 de junio de 2023

3. 16. De l' ordre que S. Louys apporta pour la manutention des Libertez de nostre Eglise Gallicane.

De l' ordre que S. Louys apporta pour la manutention des Libertez de nostre Eglise Gallicane.

CHAPITRE XVI.

Depuis la venuë de Capet, jusques à sainct Louys il y avoit eu plusieurs belles Ordonnances, & constitutions Synodales, qui s' estoient passees en l' Eglise pour la reformation des vices qui s' y estoient insinuez soubz la famille des Martels: mesmes par deux Concils tenus dans Rome, en l' Eglise sainct Jean de Latran, l' un soubz Alexandre troisiesme, & l' autre soubz Innocence troisiesme: mais l' on n' osoit aucunement toucher aux abus que l' on voyoit de jour à autre provigner en l' Eglise Romaine. Car par le Concil de Latran, tenu souz Alexandre, furent faites defences aux Prelats de ne greuer les Curez, & autres Beneficiers inferieurs, en faisant les visitations accoustumees dans leurs Dioceses. Que les Prelats ne pourroient imposer tailles, ou exactions sur le Clergé. Que l' on ne pourroit appeller aucun à l' ordre de Prestrise, qu' il n' eust tiltre, dont il se peust substanter. Que nul ne pourroit toucher aucun denier pour l' administration des saincts Sacremens, encor' que l' on pretendist être fondé en une ancienne coustume, que l' on appelloit louable. Defenses de tenir plusieurs Benefices ensemble: Comme pareillement aux gens laiz de pouvoir induëment occuper les dismes, ainsi qu' ils s' en estoient faicts croire par le passé. Que pour bannir l' ignorance, qui lors estoit trop familiere parmy le Clergé, il y avroit en chaque Eglise un Maistre, ou Escolastre destiné pour enseigner gratuitement les bonnes lettres, tant au Clergé, qu' aux pauvres escoliers de leurs Dioceses. Et en l' autre Concil de Latran, qui fut tenu souz Innocence, environ soixante ans apres, en renouvellant les anciens Decrets, & Canons, fut enjoinct aux Metropolitains de tenir tous les ans en leurs Provinces, un Concil avecq' leurs Evesques sufragants, & comprovinciaux, pour reformer les mœurs du Clergé. Et a fin que cela peust être mieux executé, qu' ils eussent à establir personnes idoines par chaques Dioceses, qui s' informeroient de la vie, & mœurs des Beneficiers, & autres personnes Ecclesiastiques, & en feroient leurs procés verbaux, qui seroient rapportez aux Concils. Et encores en adjoustant à l' autre Concil, qu' il y avroit non seulement un Escolastre, mais aussi un Theologal, & qu' à chacun d' eux seroit une prebende affectee en chaque Eglise Cathedrale, pour leur substantation & nourriture. Ce qui seroit aussi exercé és Eglises Collegiales, qui le pourroient porter. Et parce que l' on craignoit que la devotion de former nouveaux Ordres de Religion ne se tournast petit à petit en abus, defenses furent faictes d' en plus innover, mais que celuy qui avroit envie de suivre la vie monastique, & solitaire, seroit tenu de se ranger souz la banniere de l' une des autres Religions, qui avoient esté aprouvees, & authorisees par l' Eglise. Qui estoient certes constitutions tres sainctes, & faictes à l' honneur, & exaltation de l' Estat Ecclesiastic. Mais qui touchast aux abus que l' on voyoit en Cour de Rome, nul ne l' osoit entreprendre. D' autant qu' en ce dernier Concil de Latran, qui est l' un des plus solemnels qui jamais fut tenu dans Rome (Car si nous croyons à Platine, s' y trouverent les Patriarches de Constantinople, & Jerusalem, septante Metropolitains, quatre cens quarante qu' Evesques, qu' Abbez, que Prieurs conventuels, sans les Ambassadeurs des Roys de France, Espaigne, Jerusalem, Chipre, & Angleterre) en ce Concil, dy-je, le Pape fut declaré Ordinaire des Ordinaires, comme j' ay touché ailleurs, avec des prerogatives tres-grandes, mesmes dessus les Patriarches. Ceux qui avoient quelque sentiment en l' Eglise, croioient diversement selon la diversité des temps, & faisons. Et specialement S. Bernard vertueusement, comme celuy qui avoit receu cest honneur, que le Pape, auquel il escrivoit, avoit esté & son disciple, & l' un de ses Religieux: mais c' estoient voix entenduës sans effect, comme il advient assez souvent aux meilleurs prescheurs. Ce nonobstant lors qu' il sembloit que nous fussions plus eslongnez de tout remede, & au dessouz de toutes affaires, ce fut lors que Dieu miraculeusement permit que l' on y apportast quelque ordre en ceste France, non par schisme, ou heresie, mais par le plus Catholique Roy que nostre France jamais porté. Ce fut par le Roy S. Louys, lequel attoucha presque du doigt au temps de la Papauté d' Innocence, qui mourut vers l' an mil deux cens & seize, & ce Roy fut appellé à la Couronne, l' an mil deux cens vingt & quatre, ou vingt & six. Cestuy est celuy entre nous autres, qui bastit une infinité d' Eglises, Monasteres, & Hospitaux: Dans Paris, la saincte Chapelle, les quatre Mendians, l' Eglise de saincte Croix, les Chartreux, les Blancs Manteaux, les filles Dieu, l' Hospital des Aueugles, que l' on appelle quinze vingts, l' Hostel Dieu: en l' Evesché de Beauvais, l' Abbaye de Royaumont, les Hostels Dieu de Compieigne, Pontoise, Vernon, l' Abbaye sainct Matthieu à Rouen. Donna à nostre saincte Chapelle plusieurs beaux, & riches thresors, la Couronne d' espines de nostre Seigneur, une partie de la vraye Croix, l' esponge, le fer de la lance, qui sont les plus beaux joyaux qui soient demourez à noz Roys, & à la conservation desquels ils se doibuent autant & plus estudier qu' à la conservation de leur Couronne. Et d' une mesme devotion pour monstrer que tout le but, où il visoit, n' estoit qu' à une charité Chrestienne, il n' employa point ses forces de Chrestien, contre Chrestien, ains encontre les Turcs, & Sarrasins par deux voyages, qu' il y fit, pour le recouvrement de la terre saincte. Tellement que l' on luy doit sans controverse donner le premier lieu de Catholique, & Chrestien entre noz anciens Roys. Cestuy de pareille devotion qu' en toutes les autres actions, voyant comme les Eglises de son Royaume vaguoient en incertitude, pour la grande authorité que la Cour de Rome avoit empietee sur les Ordinaires, s' estant donné toute prerogative au prejudice tant des élections, que collations, voulut par l' advis de son Clergé, & des principaux de son Royaume, reduire les choses en leur ancienne dignité, au moins mal qui luy seroit possible: & fit ceste belle Ordonnance que quelques uns appellent la Pragmatique Sanction de sainct Louys, de laquelle nous trouvons la teneur telle au vieux stile du Parlement de Paris. Statuimus & ordinamus, ut Praelati regni nostri, patronique beneficiorum collatores *ins *suum *plenarium habeant, & unicuique sua iurisdictio servetur, insuper Ecclesiae Cathedrales, & aliæ regni nostri, liberas electiones habeant, & earum effectum integraliter prosequantur, promotionesque, collationes, provisiones, & dispositiones praelaturarum, dignitatum, & aliorum quorumcumque beneficiorum Ecclesiasticorum regni nostri secundum ordinationem, & dispositionem iuris communis, sacrorum Ecclesiæ Dei conciliorum, atque institutorum sanctorum Patrum fieri volumus, & ordinamus. Nous voulons (dit-il) & ordonnons que les Prelats de nostre Royaume, & tous Patrons de benefices, & collateurs iouïssent paisiblement de leurs droicts, & qu' à chacun d' eux soit gardee sa jurisdiction: pareillement que les Eglises Cathedrales, & autres de nostre Royaume exercent librement leurs elections, & qu' elles sortissent leur plein & entier effect: Comme aussi les promotions, collations, provisions, & dispositions des prelatures, dignitez, & tous autres benefices Ecclesiastics de nostre Royaume: Le tout selon la disposition de droict commun, & saincts Concils de l' Eglise, & constitutions de noz bons Peres. Nicolas Gilles en la vie de ce Roy, y a adjousté un article concernant les exactions, & impositions de Cour de Rome sur les benefices, qu' il defend, & prohibe être faits: suivy en cecy aucunement par maistre Charles du Moulin, l' un des premiers Jurisconsultes de nostre France, en son traicté des petites Dattes de Rome.

Les Anciens ont dit que celuy qui a bien, & heureusement commencé, a la moitié de l' accomplissement de son œuvre. Ceste premiere pierre estant de ceste façon jettee pour le restablissement de l' ancienne dignité de nostre Eglise Gallicane, les passages en furent de là en avant beaucoup plus ouverts qu' ils n' avoient esté au precedant. Et le temps sembloit en cecy nous conduyre plus aisément par deux nouveaux instrumens, qui s' establirent en nostre Republique Françoise. Le premier de ces deux est le Parlement qui fut rendu perpetuel dedans la ville de Paris, avec les grandeurs & authoritez que je vous ay representees au second livre de mes Recherches: Auquel noz Roys, qui succederent à sainct Louys, doivent trois, & quatre fois plus qu' à tous les autres Ordres politics. Et toures & quantesfois que par opinions courtisanes ils se des-uniront des sages conseils & remonstrances de ce grand corps, autant de fois perdront-ils beaucoup du fonds & estoc ancien de leurs majestez, estant leur fortune liee avec ceste compagnie. L' autre fut l' Université de Paris, qui commença de poindre quelque peu de temps auparavant le regne de sainct Louys, dans laquelle soubz le mesme Roy avoit esté plantee par Robert de Sorbonne ceste pepiniere de Theologiens, qui depuis apporta une infinité de bien à l' Eglise: Car ores qu' elle ait fait un perpetuel vœu & profession de viure souz les reigles de l' Eglise Catholique Apostolique de Rome, si s' estudia-elle tousjours à l' extirpation des abus, aussi bien que des heresies; estant d' une mesme balance autant ennemie de l' un que de l' autre. Et en s' opposant aux abus, elle pensa grandement vacquer à l' exaltation du sainct Siege. Et fut la cause pour laquelle Jean de Meun au Roman de la Roze disoit: 

Si ce n' estoit la bonne garde

De l' Université qui garde

Le Chef dels Chrestienté

Tout eust esté bien tourmenté.

Et neantmoins il ne faut pas estimer que ce seul coup apporta medecine accomplie. Car le mal avoit pris ses racines de trop loing. Et encores Dieu vouloit affliger son Eglise d' une grande trainee de maux, qui dura presque cent ou six vingts ans, comme je deduiray cy-apres.

3. 15. Des entreprises de la Cour de Rome sur les libertez de nostre Eglise Gallicane,

Des entreprises de la Cour de Rome sur les libertez de nostre Eglise Gallicane, depuis la venue de Hugues Capet, jusques au regne de S. Louys, & comme le Clergé de France ne s' en pouvoit taire.

CHAPITRE XV.

Je vous ay dit qu' au Concil de Chalcedoine furent ordonnez cinq Patriarches par tout l' Univers, desquels le Pape de Rome estoit le premier. Ceux cy s' aparioient en & au dedans de leurs Dioceses à luy, & faisoient, comme luy, porter la Croix devant eux, quand ils alloient par les ruës, & donnoient le Pallium à leurs Diocesains, de mesme façon que le Pape. Ceste puissance leur fut moderee par le Concil de Latran, tenu sous Innocence troisiesme, leur estant deffendu d' entrer en charges, qu' ils n' eussent avant tout œuvre fait profession de leur foy, & esté receus par le Pape, & que par mesme moyen ils n' eussent receu de luy le Pallium, remarque principale de sa Majesté. Quand tout cela avroit esté faict, permis à eux de faire porter la Croix devant eux, fors dans la ville de Rome, & en tous lieux où le Pape seroit present, ou son Legat à Latere. Comme aussi pourroient bailler le Pallium à leurs Evesques sufragants, apres avoir receu leur profession de foy. Le tout toutesfois comme Vicaires du saint Siege de Rome. Que toutes les appellations de leurs Archevesques & Evesques seroient relevees devant eux, mais à la charge qu' en cas que l' on appellast d' eux au saint Siege, il seroient tenus de deferer à l' appel. Par mesme Concil il fut ordonné que si les Chanoines exempts de la Jurisdiction de leurs Evesques se rendoient refractaires & contumax au service divin, leurs Archevesques les pourroient chastier par censures: Non en qualité de Metropolitains, ains comme Vicegerans du sainct siege. Estant par ces canons l' authorité des Patriarches & Metropolitains reduicte au petit pied. Il ne faut point trouver estrange si de là en avant les Papes se donnerent toute loy dessus les Evesques. Les choses passerent de façon, que l' on recevoit à Rome toutes les appellations de la Cour d' Eglise, & y failloit aller plaider nonobstant la distance des lieux: & si quelqu' un ne pouvoit obtenir en la France par les voyes ordinaires de droict, ce qu' il demandoit, il avoit recours à l' extraordinaire de Rome, où les Papes estans Juges absolus par dessus la loy en ordonnoient comme il leur plaisoit: voire quelquesfois sans ouyr les deux parties, donnoient leurs jugemens sur une requeste qui leur estoit presentee, ny n' estoit loisible d' impugner leurs sentences, sinon de tant & en tant qu' il plaisoit à leurs saintetez, il suffisoit qu' ils l' eussent ainsi voulu.

Le Clergé de France voyoit tout cela, mais de remede, point de nouvelles. Il ne luy restoit que la voix pour s' en plaindre: voix toutes fois qui ne pouvoit être ouye dans Rome, pour le long intervalle des lieux. Sous le regne du Roy Robert estoit Glaber Radulphus Religieux de Clugny, lequel au second livre de son histoire nous raconte, que Foulques Comte d' Anjou, ayant faict bastir une Eglise pres la ville de Tours, en l' honneur des Cherubins & Seraphins, il la voulut faire consacrer par l' Archevesque: Qui l' en refusa tout à plat, jusques à ce qu' il eust rendu aux Eglises les biens & deniers qu' il leur avoit mal tollus. Chose dont Foulques irrité, s' advisa de suivre le conseil ancien des mal contens de la France, & prendre la route de Rome où ayant fait plusieurs grands presens au Pape, il obtint de luy ce qu' il n' avoit peu de l' Archevesque, toutesfois par ce que le fragment de ceste histoire n' est imprimé, je trouve le passage si beau, que je ferois tort à l' autheur, si je ne l' enchassois tout au long dedans ce chapitre: & à la mienne volonté qu' il fust engravé dedans les ames des superieurs & souverains de nostre Eglise. Qui protinus misit (parlant du Pape) cum eodem Fulcone, unum ex illis, quos in beati Petri Apostolorum Principis Ecclesia, Cardinales vocant, nomine Petrum: Cui etiam præcepit, veluti Romani Pontificis authoritate assumpta; quidquid agendum Fulconi videbatur, ut intrepidè expleret. Quod utique audientes Galliarum Praesules praesumptionem sacrilegam cognoverunt, & caeca cupiditate processisse, dum videlicet unus rapiens, alter raptorem suscipiens, recens in Romana Curia, scisma creavissent. Universi etiam pariter detestantes, quoniam nimium indecens videbatur, ut hic qui Apostolicam regebat sedem, Apostolorum primitus & Canonum transgrederetur tenorem: Cum insuper multiplici sit antiquitus authoritate roboratum ut non quispiam Episcoporum, in alterius Diocesi, istud praesumat exercere, nisi *esule (Praesule), cuius id fuerit, permittente. Igitur die quadam mensis Maii congregata est innumerabilis populi multitudo, ad dedicationem prædictae Ecclesiae, ex quibus etiam plures, illuc Fulconis terror, ob suae elationis pompam, venire compulit: Episcopi tantum qui eius ditione premebantur, interfuere. Caepta igitur die constituta ex eiusmodi pompae dicatione, missarumque ex more solemnibus celebratis, postmodum quique ad sua rediere. Denique imminente ipsius diei hora nona cum flabris lenibus, serenum undique coelum consisteret, repente supervenit à plaga Australi vehementissimus turbo ipsam impellens Ecclesiam, ac replens eam turbido aere, diu multumque concutiens. Deinde vero solutis laquearibus, universæ Ecclesiae trabeis tegentes pignam templi eiusdem Occidentalem, in terram corruentibus, eversum ierunt. Quod cum multi per regionem factum comperissent, nulli venit in dubium, quin insolens præsumptionis audacia, irritum constituisset votum Simulque præsentibus ac futuris quibusve ne hinc simile agerent, evidens iudicium fuit. Licet namque Pontifex Romanae Ecclesiae, ob dignitatem Apostolicae sedis, caeteris in orbe constitutis, reverentior habeatur, non tamen ei licet transgredi in aliquo, canonici moderaminis tenorem. Sicut enim unusquisque Orthodoxae Ecclesiae Pontifex ac sponsus propriae sedis, uniformiter speciem gerit (Salutaoris) Salvatoris, ita nulli generaliter convenit quidquam in alterius patrare Diocesi Episcopi. Passage que nous ne sçautions assez solemniser. Il n' estoit point lors question de toutes les heresies que le malheur du temps nous a depuis apportees contre le S. Siege. Ny Wiclef, ny Hus, ny Luther, ny Calvin, n' estoient encores venus pour troubler le repos de nostre Eglise, toutesfois vous voyez comme ce sainct homme en parle avec toute franchise & liberté de sa conscience, portant neantmoins tout honneur & respect au S siege. Mesmes qu' il tourne à miracle quand par permission de Dieu il advint que tout le comble de ceste Eglise, vers la partie de l' Occident tomba par les horribles bouffees des vents: & moy je le tourne en image du malheur qui devoit advenir à nostre Eglise Occidentale, dont plusieurs nations se sont desunies, pour les grandes entreprises de la Cour de Rome, au prejudice des Roys & des Evesques.

Lors que Philippes premier de ce nom regnoit en France, il se presenta une question entre Yves & Geoffroy, tous deux pretendans devoir être Evesques de Chartres. De vous dire par quels moyens, ce me sont lettres clauses. Bien vous diray-je que Yves s' estant presenté devant Richer Archevesque de Sens, il refusa de le consacrer, estimant qu' en ce faisant, il fait tort à Geffroy. A ce refus, la voye ordinaire estoit d' avoir recours à un Concil Provincial, & là deduire ses moyens. Mais Yves pour abreger la matiere, voulut prendre un plus long chemin, qui fut celuy de Rome où sans ouyr Geoffroy on consacra Yves en ceste Evesché. Je ne vous recite que ce que j' ay appris de luy dans ses Epistres. Richer porta cela impatiemment. Au moyen dequoy le Pape Urbain s' en excuse à luy par lettres. Ce nonobstant Richer assembla un Concil Provincial dans Estampes, où il fit condamner tout ce qui s' estoit passé à Rome, comme prejudiciant aux droicts du Roy, & de sa Couronne. Yves en escrit à Urbain, & le prie vouloir soustenir sa querelle, se donnant tel jeu qu' il luy plaist dans sa lettre, pour favoriser sa cause: mais quant à moy, il me suffit que l' histoire soit telle, comme je recueille de luy: Voire que pour couvrir son fait il dit en quelque lieu que son election avoit esté ratifiee par le Roy. Voila comment il employa la grandeur extraordinaire de Rome, au prejudice de nos anciennes libertez. Et neantmoins depuis que par concordat ou autrement il fut asseuré de l' Evesché, il ne laissa pas de remonster aux Papes, les plaintes que la France faisoit encontre leurs entreprises. En sa 53. Epistre il escrit au Pape Paschal que le bruit de la France estoit, Sedem Apostolicam non subditorum quærere sanitatem, sed suam aut collateralium quaerere commoditatem. En la 63. au Pape Urbain s' excusant envers luy d' une charité qu' on luy avoit prestee. Nihil aliud intendi (fait-il) nisi propter crebras invectiones & murmurationes adversus Romanam Ecclesiam, quibus quotidie tinniunt aures meae. Passages qui nous rendent tres-asseurez combien peu plaisoient aux nostres les entreprises de la Cour de Rome, veu que Yves ne s' en peut taire, qui d' ailleurs estoit creature du Pape. Sainct Bernard qui estoit du temps du Roy Louys le jeune escrivant à Eugene Pape, le reprend tresaigrement de ce qu' il employoit plus de temps à ouyr les plaicts, qu' aux prieres, qu' à la doctrine de Dieu, qu' à l' edification & avancement de son Eglise: & que lors la ville de Rome estoit une butte, où tous les ambitieux, avaricieux, symoniaques, sacrileges, concubinaires, incestueux (ce sont tous les mots dont il use) descochoient leurs flesches pour obtenir, ou retenir les dignitez de l'  Eglise. Et par ce que les choses estoient arrivees à ce periode, que les Papes se dispensoient de faire toutes choses, qui leur venoient à gré, & que soudain qu' un rescript emané d' eux estoit accompagné de ces mots, De proprio motu, il ne falloit plus avoir recours ny à l' authorité de la Loy, ny de la raison, comme ce mouvement estant sorty de la part de celuy qui ne pouvoit errer, & qui par son seul vouloir pouvoit rendre licite & legal ce qui d' ailleurs eust semblé être illicite, le mesme sainct Bernard au troisiesme livre de la Consideration, s' attachant vertueusement à ce poinct cy, luy remonstre qu' il faut en tout le cours de noz actions considerer trois choses. L' une, ce qui est loisible, l' autre ce qui est seant, & le tiers, ce qui est expedient de faire: Disant qu' en la Philosophie Chrestienne il ne failloit rien reputer bien seant, sinon ce qui estoit loisible, ny expedient que ce qui estoit bien seant. Et toutesfois que combien que quelque chose nous fust loisible, si ne falloit-il tout soudain estimer qu' elle fut seante, ou expediente. Puis rapportant ces propositions à son subject, luy monstre combien il est mal convenable d' user de sa volonté pour la Loy, & souz ce pretexte qu' on ne pouvoit appeller de luy, user d' une puissance absoluë à la confusion de la Loy. Quoy faisant, c' estoit plus vouloir faire que Jesus Christ, sur l' exemple duquel il devoit dresser toutes les actions lors qu' il disoit qu' il n' estoit venu pour accomplir sa volonté en ce monde. Et neantmoins que ce n' estoit le moyen d' approcher en cecy du celeste: mais qu' il y avoit bien plus du terrestre, & brutal, de rapporter les actions non à un jugement, ains à un appetit sensuel, comme si l' on fut forbanny de l' usage de la raison. Adjoustant à tous ces discours, qu' il estoit indigne de luy, que tenant tout, il ne fust content de ce tout, mais taschoit encores de s' approprier un tas de petites & menues parcelles de ceste totalité. Et finalement se desbondant. Vide quàm verus sit sermo ille, omnia mihi licent, sed non omnia expediunt. Quid? si fortè nec licet. Ignosce mihi, non facilé adducor licitum consentire, quod tot illicita parturit. Tu ne denique tibi licitum censeas suis Ecclesias mutilare membris, confundere ordinem, perturbare terminos, quos posuerunt patres tui. Erras si ut summam, ita & solam institutam à Deo vestram Apostolicam sedem existimas, si hoc sentis dissentis ab eo, qui ait, non est potestas nisi à Deo: proinde quod sequitur, Qui potestati resistit, Dei ordinationi resistit: & si principaliter pro te facit, non tamen, singulariter. Denique idem ait, omnis anima potestatibus sublimioribus subdita sit, non ait sublimiori, tanquam in uno, non ait sublimiori, tanquam in uno, sed sublimioribus, tanquam in multis. Non ergo tantum tua potestas à Domino, sunt & mediocres. Qui monstre que ce grand, & sainct personnage, bien qu' il embrassast avec toute humilité l' authorité du S. Siege, si ne pouvoit-il trouver bonnes les entreprises que l' on faisoit en la ville de Rome sur les Evesques, & Ordinaires de la France. Prevoiant que tout ainsi qu' il advient au corps humain qu' un membre (quelque dignité qu' il ait sur les autres) prenant trop de nourriture, il ne le peut faire qu' à la diminution des autres, qui cause avec le temps la ruine, tant de celuy qui prend trop, que des autres qui n' ont assez: aussi qu' en l' Eglise de Dieu le chef se voulant accommoder de tant de choses pour en laisser peu aux autres membres, cela pourroit apporter à la longue la dissipation du corps general de l' Eglise. 

Or combien que les entreprises fussent telles, toutesfois le remede estoit mal-aisé. Et tout ce que l' on y pouvoit faire, estoit d' avoir recours seulement aux plainctes, comme vous recueillez de ce que j' ay maintenant discouru. Et encores d' un autre lieu du mesme autheur, au troisiesme livre, où il se plainct des appellations que l' on relevoit de France en Cour de Rome. Et que le remede qui avoit esté premierement introduict pour reformer les choses de mal en bien, on le tournoit tout au contraire, & que ce contrepoison s' estoit tourné en venin. Que la voye d' appel estoit lors ouverte à Rome pour couvrir un adulterin, un incestueux mariage, pour ne priver un Symoniaque de son Benefice: & que ceux qui y estoient appellez aimoient mieux perdre leur cause, que d' y aller, tant parce qu' ils estoient asseurez, que pour convier les hommes à trouver leurs recours à Rome, on favorisoit plus l' appellant, que l' appellé, comme aussi que les fraiz qu' il falloit faire en si long voyage, & autres choses de la suitte estoient tant insupportables, & la ressource, que l' on en faisoit sur la partie adverse, si petite, que l' on aimoit mieux du tout quitter la partie dés l' entree. Et fait sur cela un compte d' une histoire qui estoit advenuë dans Paris, de son temps, d' un homme de bonne maison, lequel estant sur le poinct d' espouser en face de saincte Eglise, tous les parens & amis assemblez, se presenta un quidam non cognu, qui appella à Rome de ce que l' on faisoit. Qui fut cause, & que le Prestre n' osa passer outre, & que l' appareil des nopces fut perdu. Chacun s' en retournant estonné en sa maison, soubz pretexte d' une appellation frivole, que l' on interjetta en Cour de Rome. Despendans lors par ce moyen les meilleures familles de la France de la discretion des meschans, qui se ioüoient de gayeté de cœur de telles appellations. Et outre les incommoditez que chacun sentoit particulierement en sa famille par ces voyes extraordinaires, toute la France en general en estoit infiniement affligee, pour l' espuisement qui se faisoit des deniers hors du Royaume, tant pour covrir les Benefices, que pour poursuyvre les causes d' appel, & d' obtenir dispenses contre le droict commun: aussi que les Papes s' estoient dispensez de faire passer par un mesme alambic la plus grande partie des questions, qui concernoient le temporel. Qui produisit une vermine de peuple, lequel abusant de l' authorité du sainct Siege, faisoit une banque de tromperie dedans la ville de Rome: D' autant mesmes qu' au milieu de ces involutions, & labyrinths d' affaires, ceux qui estoient autour des Papes commencerent de trouver certaines inventions de tirer argent du menu Clergé, soubz umbre des visitations qu' ils venoient faire en nostre Royaume. Alexandre III. escrivant à des Archidiacres leur mandoit qu' apres qu' ils avroient faict la cueillette du denier deu à sainct Pierre, ils se donnassent bien garde de riens exiger pour leur visitation, & de là se forma un abus tres-grand. Car s' il y avoit un Prelat particulier en la Cour des Papes qu' ils voulussent gratifier, ils le deleguoient pour aller visiter tous les Beneficiers d' un & deux Royaumes, luy faisans presens de tous les profits & emolumens qui en provenoient. Lequel passant par les Provinces, rafloit des pauvres Beneficiers tout ce qu' il vouloit pour son droict de visitation. Le mesme sainct Bernard en sa 290. Epistre, escrivant au Cardinal Jourdain, Evesque d' Hostie, legat du Pape, qui avoit passé en Allemaigne, France, & Normandie, jusques à Rouen, luy reproche qu' il avoit remply toutes ces Regions, non de l' Evangile, ains de sacrileges, & commis une infinité d' exactions pleines de vergongne & ordure. Ayant spolié les Eglises, & promeu plusieurs jeunes gars aux dignitez d' icelles: & que les pauvres Beneficiers alloient au devant de luy, comme font les villageois au devant des gensd'armes, pour se racheter à beaux deniers, & moyenner qu' il ne passast sur leurs marches. Mesmes qu' il extorquoit par personnes interposees, argent de ceux qu' il n' avoit peu visiter. Qui fut cause qu' apres le decés de sainct Bernard au Concil de Latran, tenu soubz Innocence III. fut faict article expres, pour y apporter quelque ordre, qui estoit neantmoins un desordre. Car il portoit que si le Benefice n' estoit suffisant, pour fournir aux fraiz du Legat Apostolic, que deux ou trois Beneficiers se peussent cotiser ensemblement, pour contribuer au defroy: Ainsi en font aujourd'huy les villageois, quand on leur baille quelque gendarme pour hoste. Cela fut cause de faire esclater les Poëtes de ce temps là, voire ceux qui estoient confinez dedans leurs cloüestres, & eslongnez de tout soupçon d' heresie. Helinan Religieux de Cisteaux, qui fut du temps de Louys le Jeune, en son hymne de la mort (que maistre Antoine Loisel mon singulier amy a voulu garentir de la mort) adressant sa parole à elle.

Va moy salver la grand Rome, 

Qui de ronger ades se nomme, 

Et fait aux Simoniaux voile. 

Et Hugues de Bersy soubz le regne de S. Louys, en sa Bible Guiot, registre de tous les vices de son siecle. 

Li Duc, & li Comte, & li Roy,

Se deuroient bien conseiller,

Grand consaux y avroient mestier.

Rome nous succe & nous transgloust, 

Rome traict, & destruict tout,

Dont sourdent tous li mauvais vices. 

Je vous laisse le demourant du chapitre. Suffise vous que tout ainsi que les courtisans de Rome se dispenserent en toute licence contre noz anciennes Libertez, aussi les nostres se donnerent toute liberté encontre ceste licence: & neantmoins les choses n' estoient lors arrivees en l' extremité du desordre, auquel depuis elles se desborderent. Chacun voyoit la maladie, chacun estoit d' advis qu' il y falloit remedier, mais d' y trouver le remede, il estoit presque impossible. D' autant qu' eux tous retenus de la crainte de leurs consciences, estimoient que le remede ne pouvoit être pris d' ailleurs que de celuy qui estoit le malade principal, ou source de la maladie. Toutesfois la necessité du temps nous enseigna la leçon telle que vous entendrez.