jueves, 29 de junio de 2023

4. 28. De quelques maladies dont les aucunes furent autresfois incogneuës,

De quelques maladies dont les aucunes furent autresfois incogneuës, & les autres ont eu seulement une fois cours par la disposition de l' air.

CHAPITRE XXVIII.

Ce n' est pas chose nouvelle que l' intemperie de l' air, qui est selon les Philosophes causee de la constellation des astres, nous apporte maladies, dont nos ancestres n' ouyrent oncques parler, lesquelles par fois se continuent d' une longue trainee de temps, par fois ne demeurent en vigueur que bien peu, & quasi se passent ainsi comme une undee de Mars. Au voyage que fit Charles huictiesme en Italie, la plus part de ses soldats pour avoir mal couché avecques des femmes impudiques, rapporterent une maladie contagieuse, que nous appellasmes mal de Naples, parce que ce fut le lieu où il commença: & les Italiens mal François, d' autant que les François en furent les premiers partis. Qui fut une maladie non cognuë devant ce temps là, & sur son commencement incurable, laquelle court encores entre nous, non toutesfois avec si difficile cure, comme elle estoit au temps passé: Pour autant, comme estiment plusieurs Medecins, que les corps celestes qui reiglent les inferieurs ne sont disposez à telle infection. Et partant petit à petit selon le decours des astres est elle aussi venuë à decadence. C' est l' opinion de ce grand Philosophe, Medecin, & Poëte Fracastorius en sa Siphilis. Quelques autres en attribuent la guarison à la necessité, qui à la longue a fait trouver l' experience, & tout d' une suitte la science de bien penser ceux qui se trouveroient affligez de ce mal. Je n' ignore point que plusieurs pour rendre raison de cette maladie la disent provenir de la putrefaction des humeurs que l' homme & la femme cohabitans ensemble empruntent l' un de l' autre, si est-ce chose fort esmerveillable qu' auparavant ce voyage fait à Naples, on n' avoit jamais ouy parler de mal, horsmis que l' on a depuis descouvert qu' au pays où croist le Gayac, telle maladie y est aussi familiere, comme entre nous autres les fievres, ayant nature par une grande prevoyance contre la contagion de l' air faict croistre dans le mesme pays le bois de Gayac, qui est l' un des plus propres, & singuliers remedes que l' on y puisse employer. Procope au deuxiesme livre de la guerre Persique nous raconte qu' une annee entre autres sous l' Empire de Justinian commença dedans la ville de Peleuse en Egypte une maladie, qui depuis s' espandit par tout l' Univers: Sur le commencement de laquelle celuy qui en estoit touché pensoit voir certains fantosmes, voire luy sembloit avoir esté par eux frappé. Qui estoit cause que plusieurs pensans estre molestez des malins esprits faisoient user sur eux de prieres, & paroles sainctes, comme si on eust voulu conjurer les diables. Toutesfois peu leur profitoit ce remede: Par ce qu' ils se trouvoient incontinent sorpris d' une fievre tres-vehemente, & qui est chose de grand merveille, combien qu' il semble que les fievres ne soient en nous causees que par intemperance d' une chaleur qui surabonde en nous: toutesfois lors de ce grand accés, le patient ne sentoit aucun changement en soy ny de chaleur naturelle, ny mesmes de sa couleur: Mais au lieu de cela estoit affligé d' une toux extreme qui le tenoit depuis le matin jusques au soir. Et ce jour mesme, ou le lendemain, commençoit à se descouvrir sur luy une apostume, & incontinent apres entroit en une fureur, se tourmentant infiniement, comme celuy qui estoit en une perpetuelle resuerie, luy estant advis qu' on le venoit assaillir de toutes parts, & en cet estat trespassoit tout furieux: Laquelle maladie courut l' espace de trois mois dedans la ville de Constantinople, causant telle mortalité que si cet Historiographe dit vray, pour un jour moururent cinq ou six mille citoyens: estans les Constantinopolitains reduicts en telle calamité, qu' à la parfin la plus grande partie d' entr'eux mouroient sans estre ensevelis. Depuis, cette maladie s' est esvanouye, & nul de nous ne sçait que c' est. Ce que je veux icy raconter de nostre France n' a pas esté si dangereux. Es Registres de Parlement on trouve que le vingt-sixiesme jour d' Avril, l' an mil quatre cens trois, y eut une maladie de teste & de toux, qui courut universellement si grande, que ce jour là le Greffier ne peut rien enregistrer, & fut on contraint d' abandonner le plaidoyé: tout ainsi que nous vismes en l' an mil cinq cens cinquante sept en plain esté s' eslever par quatre jours entiers un reume, qui fut presque commun à tous, par le moyen duquel le nez distilloit sans cesse comme une fontaine, avecques un grand mal de teste, & une fievre qui duroit aux uns douze, & aux autres quinze heures, que plus, que moins, puis soudain sans œuvre de Medecin on estoit guery: laquelle maladie fut depuis par un nouveau terme appellee par nous, Coqueluche. Il me souvient, & est vray que lors Messieurs Mangot, de Montelon, Bechet Advocats, & moy, ayans sous divers personnages à plaider une cause aux Generaux des Aides, concernant le Diocese d' Autun: nous fusmes inopinément surpris de cette fluxion & toux, de telle façon que pour ce jour, & deux ensuivans nous eusmes surseance d' armes. En l' an mil quatre cens unze y eut une autre sorte de maladie, dont une infinité de personnes furent touchez, par laquelle l' on perdoit le boire, le manger & le dormir, & toutesfois & quantes que le malade mangeoit il avoit une forte fievre: ce qu' il mangeoit luy sembloit amer ou puant, tousjours trembloit, & avec ce estoit si las & rompu de ses membres que l' on ne l' osoit toucher en quelque part que ce fust: Aussi estoit ce mal accompagné d' une forte toux, qui tourmentoit son homme jour & nuit, laquelle maladie dura trois sepmaines entieres, sans qu' aucune personne en mourust. Bien est vray que par la vehemence de la toux plusieurs hommes se rompirent par les genitoires, & plusieurs femmes grosses accoucherent avant le terme. Et quand venoit au guerir, ils jettoient grande effusion de sang par la bouche, le nez & le fondement, sans qu' aucun Medecin peust juger dont procedoit ce mal, sinon d' une generale contagion de l' air, dont la cause leur estoit cachee. Cette maladie fut appellee le Tac: & tel autresfois a souhaité par risee ou imprecation le mal du Tac à son compagnon, qui ne sçavoit pas que c' estoit. L' an mil quatre cens vingt sept, vers la S. Remy, cheut un autre air corrompu qui engendra une tres-mauvaise maladie, que l' on appelloit Ladendo (dit un Autheur de ce temps là) & n' y avoit homme ou femme qui presque ne s' en sentist durant le temps qu' elle dura. Elle commençoit aux reins, comme si on eust eu une forte gravelle, en apres venoient les frissons, & estoit-on bien huict ou dix jours qu' on ne pouvoit bonnement boire ne manger, ne dormir. Apres ce venoit une toux si mauvaise, que quand on estoit au Sermon, on ne pouvoit entendre ce que le Sermonneur disoit par la grande noise des tousseurs. Item elle eut une tres-forte duree jusques apres la Toussaincts bien quinze jours ou plus: Et n' eussiez gueres veu homme ou femme qui n' eust la bouche ou le nez tout eslevé de grosse rongne, & s' entremocquoit le peuple l' un de l' autre, disant: As tu point eu Ladendo. A tant l' autheur. Au demeurant, telles maladies qui ne surviennent ainsi par maniere de dire, que d' un mauvais vent, & qui se rendent presque communes à tout un peuple, sont appellees par les Medecins, Populaires, sans les specifier d' autre nom, & du peuple ordinairement baptisees de divers sobriquets, sur lesquels on ne peut asseoir non plus de raison, que sur le motif de la maladie.

4. 27. D' une maniere assez familiere aux anciens François,

D' une maniere assez familiere aux anciens François, & mesmement aux Advocats au commencement de leurs Plaidoyez d' importance, & des harangues qui se font par les gens du Roy, en la ville de Paris à l' ouverture des Parlemens.

CHAPITRE XXVII.

D' aytant que l' artifice inusité fait tenir le juge sur ses gardes, les longues harangues de tout temps & ancienneté ont esté deffenduës és Cours souveraines de France, comme jadis en la ville d' Athenes: Mais au lieu d' icelles les anciens Advocats eurent une solemnelle coustume és matieres de consequence, d' encommencer leurs plaidoyez par quelque passage de la saincte Escriture: Dont il me plaist de rapporter en ce lieu quelques exemples des causes plus notables. En l' accusation qui fut intentee devant Louys Hutin contre Enguerrand de Marigny, Maistre Jean de Meheye Advocat, accusateur commença par ce verset, Non nobis Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam. Poursuivant tout le fil de sa harangue sur ce que Enguerrand s' estoit attribué toutes prerogatives Royales: Et à tant avoir commis infinis crimes de leze Majesté: Et la cause qui fut traittee devant Philippes de Valois sur la reformation des entreprises de l' Eglise contre l' authorité du Roy, Maistre Pierre de Congneres Advocat du Roy en son Parlement de Paris prit ce theme, Reddite Caesari quae sunt Caesaris, & quae sunt Dei, Deo. Et messire Jean Bertrand Archevesque de Sens, qui plaidoit pour le Clergé, Deum timete, Regem honorificate. De la mesme façon en un plaidoyé notable qui fut tenu en plein Parlement 1432. pour les privileges de l' Université de Paris, commença l' Advocat d' icelle de cette façon: Tu es qui restitues haereditatem meam mihi. Quand maistre Jean Petit vint au Parlement pour justifier le Duc de Bourgongne de l' assassin qu' il avoit fait faire à Louys Duc d' Orleans, il commença par ce verset le 4. Mars 1407. Proximi ad proximum. Et quelques jours apres maistre Jean Cousinot plaidant pour la veufve & enfans du deffunct, prit son theme par ces mots. Haec vidua erat, quam cum vidisset dominus, misericordia commotus est super eam. Chose qui fut non seulement observee par les Advocats, mais aussi és solemnelles harangues: Comme en une question qui se presenta contre le Pape Benedict tenant son siege en Avignon, sur ce que plusieurs des Prelats de la France estoient d' avis qu' il se falloit soustraire de sa puissance, si volontairement il ne se vouloit démettre du Pontificat, Maistre Jean Juvenal des Ursins Advocat du Roy commença par ce Psalme: Viriliter agite, confortetur cor vestrum, omnes qui speratis in Domino. Concluant pour la puissance du Roy, & adherant avec l' Université de Paris. En ce mesme temps apres l' accord fait en la ville de Bourges entre la maison d' Orleans, & celle de Bourgongne, les estats estans assemblez pour confirmer cette union, & neantmoins requerir argent pour faire teste aux Anglois, Maistre Benoist Gentian Advocat envoyé par les Parisiens, commença, Imperavit ventis & mari, facta est tranquillitas. Aussi apres la malheureuse journee d' Azincour, pendant que les Bourguignons rodoient devant Paris, Maugier premier President proposa devant Louys Dauphin pour le fait des gendarmes, & pour la desolation du Royaume par le moyen des Anglois, commençant son theme par ces mots: Domine salva nos. Et aux Estats tenus en la ville de Tours devant le Roy Charles huictiesme, maistre Jean de Reilly Docteur en Theologie, & Chanoine de Nostre Dame de Paris, eleu & deputé pour porter la parole pour les trois Estats, commença le theme de sa harangue par ce verset d' Esdras, Benedictus Deus qui dedit hanc voluntatem in cor Regis: Comme semblablement en une autre harangue faicte par maistre Jean Gerson, Chancelier de l' Université de Paris, proposant pour l' Université devant le Roy Charles VI. il commença par ces mots, Vivat Rex, Vivat Rex, Vivat Rex, Tertio Regum, primo. Laquelle coustume combien que pour le jourd'huy soit demeuree seulement aux Prescheurs en leurs sermons, si est-ce qu' encores y en restoit-il quelques traces sous le regne du Roy François premier de ce nom, devant lequel maistre Jean Bouchard Advocat en la Cour de Parlement de Paris plaidant pour les Eglises conventuelles contre le Concordat fait avecques le Pape Leon, commença par ce verset addressant à Dieu sa parole. Domine scis quia dilexi, scis quia non tacui, scis quia ex animo dixi, scis quia fleus, cum dicerem, & non audirer. Remonstrant sur ce theme avec une hardiesse admirable, la desolation & desbauche qui adviendroit en l' Eglise par la rupture de la pragmatique Sanction, & extermination des Elections, qui estoient de droict divin. Soustenant qu' il n' estoit en la puissance d' homme vivant, quelque dignité qu' il eust, de les pouvoir supprimer. La suitte des ans a depuis apporté autres façons aux plaidoyez dont je ne parleray.

Bien veux-je avant que clorre ce chapitre vous discourir dont sont venuës les harangues que les Advocats du Roy font deux fois l' an aux ouvertures generales de plaidoyez en la Cour de Parlement de Paris. Car c' est une chose dont j' ay veu la naissance & accroissement de mon temps. Lors que je vins au Palais (qui fut au mois de Novembre, 1549.) cette façon de haranguer n' estoit en usage. Mais en ouvrant le pas aux octaves de la S. Martin, & de Pasques, si entre les deux Parlemens, les gens du Roy avoient observé quelques fautes aux Advocats, Procureurs, ou Solliciteurs en l' exercice de leurs charges, le premier Advocat du Roy, apres la lecture des Ordonnances, remonstroit sommairement tout ce qu' il pensoit estre de ce suject: prenant conclusions convenables. Alors le President se levoit pour prendre l' advis des Conseillers, & apres avoir fait quelque Remonstrance, prononçoit l' Arrest sur la reformation requise. Ce fait les autres Advocats venoient aux prises, & plaidoient tout ainsi qu' aux autres jours ordinaires. Car cette ceremonie estoit courte, de laquelle encores nous retenons une remarque. D' autant que combien que l' Advocat du Roy contente quelquesfois plus ses opinions, que celles du Barreau, si est-ce que le President se leve tout ainsi qu' anciennement, pour recueillir les voix des Conseillers, comme s' il estoit question de faire un Arrest, & neantmoins son project n' est que de respondre aux discours faits par l' Advocat du Roy.

Le premier qui y apporta de la façon fut maistre Baptiste du Mesnil, en l' an 1557. personnage de singuliere recommandation. Il me souvient qu' il nous entretint une demie matinee de quelques passages d' Asconius Pedianus, pour monstrer la difference qu' il y avoit dedans Rome entre l' Advocat, & le Procureur. Quelque temps apres deceda maistre Aimond Boucherat son compagnon, & par son decés fut pourveu de son Estat, maistre Guy du Faur, seigneur de Pibrac dont le nom depuis a esté en grande vogue par la France. Cettuy ayant obtenu de monsieur du Mesnil, par forme de courtoisie, de faire l' ouverture du Parlement le lendemain d' une Quasimodo, se voulut donner plus ample carriere que n' avoit fait son compagnon. Et lors ces deux beaux esprits commencerent de haranguer à l' envy l' un de l' autre, à qui mieux mieux. Du Mesnil à la Sainct Martin, & Pibrac apres Pasques. Chose depuis tournee en coustume en leurs successeurs. Au sieur de Pibrac par sa demission maistre Barnabé Brisson, homme de profonde lecture, succeda, qui le voulut renvier sur son resignant, mais d' une eloquence plus sombre, & moins relevee. Il resigna son estat à maistre Jacques Faye, Seigneur d' Espesse, lequel bien qu' il manquast aucunement en l' action, si ne devoit il rien aux autres. Il estoit d' un cerveau solide, & avoit beaucoup veu, leu, & retenu, & les passoit en belles similitudes esquelles il estoit inimitable. Tous ces braves esprits furent diversement conviez à cette nouvelle eloquence par messire Christofle de Tou premier President: qui prenoit une infinité de plaisir à les escouter, & leur respondre. Simbolizans tous en un point, qui estoit de remplir leurs harangues d' eschantillons de divers Autheurs. Chose du tout incognuë aux anciens Orateurs, tant Grecs, que Romains: & dont me plaignant un jour à monsieur d' Espesse (duquel j' estois voisin & amy) il en fit une à l' antique en l' an 1586. qui est la neufiesme des siennes, sur la loüange & recommandation de l' Eloquence: Et me dit apres que cette seule luy avoit plus cousté à faire, que trois des autres precedentes, qu' il avoit rapiecees de plusieurs passages. Le sieur de Pibrac fit imprimer de son vivant, deux des siennes: Et apres le decés du sieur d' Espesse, ses amis firent imprimer toutes les siennes, qui sont dix en nombre, plus belles paraventure, à lire, qu' elles n' avoient esté à prononcer. En l' an 1585. Maistre Jacques Mangot luy fut baillé pour compagnon, par la promotion de Maistre Augustin de Tou en l' estat de President. Cettuy au sortir de son enfance avoit esté mis par ses pere & mere en la garde de maistre Pierre Picheret, Docteur en Theologie, grand personnage, tant en mœurs, qu' erudition: lequel pour bannir de soy toute ambition s' estoit confiné en un arrierecoin de la Champagne. Là ce jeune enfant ayant eu pour miroir ce sainct object, eut depuis pour precepteur aux lettres Grecques & Latines, maistre Denis Lambin professeur du Roy en l' Université de Paris, & en Jurisprudence le grand Cuias. Il estoit fils de Maistre Claude Mangot l' un des premiers Advocats de nostre temps: sous lequel apres son retour des Universitez, il voüa un silence quatre ans entiers assidu en toutes ses consultations sans mot dire: & depuis se jettant au barreau, fit reluire en luy une jeunesse admirable entre les Advocats. Quelque peu apres il fut maistre des Requestes de l' Hostel du Roy, & en mesme temps Procureur general de la Chambre des Comptes de Paris. Par le moyen desquels deux estats, il eut entree au Conseil privé du Roy, Cour de Parlement, & Chambre des Comptes. C' est pourquoy luy qui avoit beau jugement, grande memoire, les inventions en main, la lecture des autheurs Grecs, Latins, & François, mesmes des memoriaux les plus signalez de la Chambre des Comptes, dont il avoit fait fidelles extraicts, il se rendit universel, & se forma une habitude des affaires d' Estat, de la Justice, & bonnes lettres tout ensemble. De maniere que les vertus qui reluisoient particulierement en chacun des autres, se trouverent generalement accomplies en luy. N' y ayant qu' un vice dont on le pouvoit reprendre, de ne se pouvoir estancher, mais vice qui provenoit de l' abondance de son esprit. Parler trois heures continuës ne luy estoit rien: aussi frais au partir de là, qu' au commencement. A l' ouverture d' un Parlement il fit une longue harangue, (premiere & derniere des siennes, car il fut depuis prevenu de mort) laquelle bien menagee par un autre, il en feroit à bonne mesure, trois & quatre. C' estoit pour bien dire un grand vin dedans un fraisle vaisseau, qui ne pouvoit estre de duree: Tout ainsi que je le vous pleuvy pour tel, aussi soudain, apres son decés, ce grand & judicieux d' Espesse, qui l' avoit comme son compagnon d' armes haleiné vingt mois au Parquet, ne douta de faire l' ouverture du Parlement à la sainct Martin ensuyvant, l' an mil cinq cens quatre-vingts & sept, sur la seule commemoration des vertus de cette belle ame. Ce qui n' avoit jamais esté faict pour nul autre. Estimant ne pouvoir proposer plus beau miroir aux Advocats que celuy-là. A quoy Messire Achilles de Harlay premier President, sceut fort bien repartir par une belle contrebaterie. Je ne vous parleray de ceux qui ont survescu ces Seigneurs: Leur presence me recommande d' en plus penser, & moins dire. Me contentant de vous avoir monstré au doigt, comme cette coustume s' est plantee. Peut-estre adviendra-il que tout ainsi qu' elle s' insinua inesperément entre nous, aussi se deffera elle de soy-mesme. Quoy que soit je sçay par la bouche de feu monsieur l' Advocat Marion, personnage de grand esprit, & admirable en belles pointes, qu' il desiroit pour son regard reprendre les anciens arrhemens du Parquet.

4. 26. De la fatalité qui se trouve quelquesfois és noms.

De la fatalité qui se trouve quelquesfois és noms. 

CHAPITRE XXVI.

Paravanture semblera-il à aucuns que le present discours soit plus digne de risee, que d' observation, si ne le veux je passer sous silence, parce que l' on trouve quelques exemples en nostre France qui concernent telle matiere. Et neantmoins je ne veux pas soustenir qu' il y ait presage aux noms. Bien puis-je dire qu' il y a eu quelques rencontres, esquelles la fortune du temps a voulu que sous le mesme nom de Prince, les Royaumes, ou Empires prinssent leurs commencemens, & pareillement leurs fins. Un Brutus moyenna au peuple Romain la liberté par l' extermination des Roys, & un autre de mesme nom voulut la conserver, quand en plain Senat il tua Jules Cesar, usurpateur d' une nouvelle tyrannie. Auguste, comme chacun sçait, premier à banniere desployee se fit proclamer Empereur de Rome: & la fortune voulut que sous un autre Auguste, qui fut communement appellé Augustule, ce nom se perdit dans la mesme ville, & au lieu du mot d' Empereur, on appella ceux qui y commandoient Patrices. Constantin le Grand, fils d' Heleine, fut fondateur & de l' Empire des Grecs, & de la ville de Constantinople: & sous Constantin Paleologue fils d' une autre Heleine, la ville, & l' Empire de Constantinople furent reduits sous la puissance des Turcs. Tout de la mesme façon en est il souvent advenu aux nostres. Car tout ainsi que sous Charles Martel sa lignee prit premier accroissement de grandeur, & que sous un Charles le Grand son petit fils, elle vint en toute extremité, aussi sous Charles le Simple commença elle à perdre sa force, & sous un Charles que Hugues Capet frustra du Royaume qui luy appartenoit, elle perdit toute authorité. Philippes Auguste gagna sur les Anglois, & reünit á sa couronne la Normandie, l' Aquitaine, l' Anjou, Touraine, le Maine, & Poictou contre un Roy Jean, dit Sans-terre, & les Anglois en contr' eschange faillirent de nous ruiner, pendant qu' un autre Jean regnoit en France. La ville de Hierusalem fut prise par les François à la suscitation du Pape Urbain second, & au contraire durant le siege d' Urbain troisiesme elle retourna en la servitude des Turcs, & infidelles. Voire que tout ainsi que Baudoüin fut le premier des Roys de Hierusalem qui chargea la couronne sur sa teste (car Godefroy de Boüillon son frere n' avoit pris la hardiesse de ce faire, encores qu' il fust appellé Roy) aussi sous Baudoüin le Lepreux vint le premier choc de fortune à ce Royaume, 

pour le moins qui soit de grande marque. Depuis lequel les Roys de Hierusalem ne se peurent oncques relever ains de là en avant alla tousjours le Royaume en ruine, jusques à ce qu' il ne demeura aux Roys de toutes leurs possessions, que le tiltre. Lesquels exemples se sont encores manifestez de nostre temps en une ville de Calais, laquelle fut premierement fortifiee par Philippes Comte de Boulongne, oncle de sainct Louys, en la façon que depuis elle s' est renduë admirable, perduë par Philippes de Valois, depuis assiegee l' espace de quatre mois sans rien faire par Philippes deuxiesme de ce nom Duc de Bourgongne, & finalement regagnee en l' an mil quatre (cinq) cens cinquante sept, contre Philippes d' Austriche Roy d' Espagne, lors mary de Marie Royne d' Angleterre. Jean Duc de Bourgongne fut le premier promoteur de la ruine de France, quand pour donner plus aisément lieu à son ambition detestable il fit tuer en l' an mil quatre cens sept Louys Duc d' Orleans à la porte Barbette dans Paris: Parce que depuis ce temps les troubles, guerres, & divisions regnerent en France, & sous deux personnes de mesme nom fut le Royaume estably: premierement par la venuë de Jeanne la Pucelle, & pour accomplissement par Jean bastard d' Orleans, Comte de Dunois, qui reduisit en fin la Normandie & la Guyenne sous l' obeïssance de Charles VII. Exemples certes sinon beaucoup profitables, pour le moins quelque peu delectables, & qui nous peuvent apprester à penser sur les mysteres de Dieu.