domingo, 23 de julio de 2023

6. 43. Des Songes.

Des Songes.

CHAPITRE XLIII.

Ce sont icy des meslanges. Il n' est pas dit qu' une prairie diversifiee d' une infinité de fleurs, que nature produit sans ordre, ne soit aussi agreable à l' œil, que les parterres artistement elabourez par les Jardiniers. Je veux que Guillaume de Lory entre le premier sur cet escharfaut habillé à la vieille Françoise.


Maintes gens dient que en Songes

N' a sinon fables, & mensonges: 

Mais on puet tels Songes songer 

Qui ne font mie mensonger, 

Ains sont apres bien apparent. 

Si en puis bien traire à garant 

Un Acteur qui ot nom Macrobe

Qui ne met pas Songes à lobe.


Il dit vray, car Macrobe au premier de ses Saturnales nous baille cinq diverses especes de Songes, dont l' une n' est autre chose qu' une prediction de ce que nous devons faire, ou qui nous doit advenir; Prediction dis-je qui se fait comme par une inspiration divine. Il ne faut point aller en cecy mandier l' authorité des Ethniques, la seule Histoire de Joseph (qui pour cette cause fut surnommé le Songeur) nous en porte fidele tesmoignage, quand prisonnier, sur deux Songes qu' avoient fait ses deux compagnons, il dit que l' un signifioit sa mort ignominieuse, & la deliurance de l' autre avec honneur, comme il-advint, & depuis par l' explication qu' il fit du Songe de Pharaon, il garentit l' Egypte de la famine durant la sterilité inestimable de sept annees. Le mesme trouvons nous en Daniel. Et à peu dire, sur les visions qui se firent à Joseph mary del la Vierge Marie, en son dormant, il garantit nostre Seigneur Jesus-Christ lors enfant, de la fureur du Roy Herode, quand il le transporta en Egypte, & trois ans apres fut conseillé de retourner en la Palestine, apres le decez de ce Roy. Plus belles confirmations ne pouvons nous rapporter de cette proposition que celle-là que nous tirons tant du vieux, que du nouveau Testament: Je loüe grandement la sentence d' Homere, ce grand Daemon de Nature, quand faisant parler ce sage Nestor, d' un Songe qui avoit esté fait par le Roy Agamemnon, il luy fait dire, qu' il faut croire à un Songe d' un Roy, toutes & quantes-fois qu' il se rapporte à l' Estat, ou de luy, ou de son Royaume. Ce qu' il a dit d' un Roy, peut estre rapporté à tous ces grands personnages genereux, lesquels ores qu' ils ne possedent de fait les Royaumes, si est-ce qu' ils sont dignes de les posseder. Ainsi trouvons nous que ce grand Themistocle Athenien apres son bannissement, ayant esté fort bien appointé du Roy de Perse, hay toutes-fois de plusieurs grands Seigneurs de la Perside, deliberant descendre aux basses Provinces vers la mer fut aguetté par le Gouverneur de la haute Phrygie, qui avoit attiltré quelques matois pour le tuer lors qu' il passeroit par la ville de Thestelion, comme il dormoit un jour sur le midy s' apparut à luy la mere des Dieux, qui luy dist: Themistocle donne toy bien garde de passer par la ville de Thestelion. Surquoy s' esveillant en sursaut fit sa priere à la Deesse, & se destournant du grand chemin il passe à quartier par delà le bourg où ses ennemis l' attendoient de pied quoy, en bonne deliberation de ne luy pardonner: estimant par ce moyen avoir passé le peril dont il avoit esté adverty, & s' estant logé durant la nuict en la campagne, advint qu' un de ses sommiers qui portoit sa tente, tomba par cas fortuit dedans la riviere. Au moyen dequoy ses valets de chambre estendirent les tapisseries toutes moüillees à la Lune pour les seicher au moins mal qu' ils pourroient. Ces assassins ayans eu advis que Themistocle estoit passé outre, le voulurent poursuivre, & pensans qu' il fust dans cette tente, ils y allerent droict les armes aux poings, estimans qu' il y dormist: car ils n' avoient peu avoir certaine cognoissance de ce fait au clair de la Lune. Quand ils furent à l' approcher, les espees nuës, les gens & serviteurs de Themistocle leur courent sus, & les prennent. Ainsi se trouva-il bien pres du danger, tout ainsi que pres de la ville. Lequel il faut croire qu' il n' eust evité s' il y fust entré. Plusieurs autres exemples se pourroient reciter sur ce sujet: mais apres avoir par mes discours voyagé hors de cette France, je veux maintenant retourner chez nous. Nous trouvons que Louys le Jeune la nuict que sa femme accoucha de Philippes Auguste, songea qu' elle estoit accouchee d' un enfant qui presentoit à tous les Princes & grands Seigneurs de cette France un hanap plein de sang humain, & apres en avoir beu, leur en faisoit aussi boire. Dont l' on prit un certain prognostic que ce Prince quelque jour mettroit des sanglantes advantures à fin comme il fit. Il me souvient avoir leu que le Roy Alexandre ayant tenu le siege l' espace de six mois devant la ville de Tyr, qu' ils appelloient en Grec Tyros, sans y frapper coup à point, estant presque reduict au desespoir de toutes choses, une nuict entr'autres se presenta à luy un Satyre qui luy faisoit mille accueils. Dont le lendemain au matin ayant fait un recit à ses Devins, ils luy dirent, qu' il devoit prendre bon courage sur l' equivoque du mot de Satyros en Grec, qui signifioit que la ville de Tyr seroit sienne. Sur cet advis il commande à ses gens de donner l' assaut, ce qui fut par eux fait d' une telle furie qu' ils se firent maistres de la ville. Pareille chose advint à Madame Marguerite de Bourgongne, mais non pas si heureux succez. Elle avoit esté jeune promise au Roy Charles VIII. & deliuree entre ses mains pour estre son espouse lors qu' elle seroit en aage. Pendant ce temps, Anne heritiere unique de l' Estat de Bretagne se presenta, estant au choix de nostre Roy de prendre l' une ou l' autre pour femme. Il fut trouvé plus expedient que le Roy espousast la Duchesse Anne: d' autant que par ce mariage unissant le Duché de Bretagne à nostre Couronne, nous assopirions plusieurs differens qui s' estoient vuidez par le passé à la pointe de l' espee. Or entendez le Songe notable que fit Marguerite de Flandres, qui lors demeuroit au chasteau d' Amboise. Cette jeune Princesse se promenant un matin au jardin suivie de plusieurs Gentils-hommes & Damoiselles, qui la trouvoient plus melancolique que d' ordinaire, quelqu' un des siens prit la hardiesse de luy demander dont pouvoit proceder cette melancolie: A quoy elle respondit avoir passé la nuict en grande inquietude d' esprit: D' autant qu' en dormant il luy estoit advis qu' elle estoit dedans un grand parc, au milieu duquel y avoit une marguerite, dont on luy avoit baillé la garde, & comme elle estoit ententive à la garder, estoit arrivé un Asne qui luy avoit donné mille traverses pour enlever cette fleur. Auquel elle avoit resisté de tout son possible, toutes-fois il l' avroit en fin mangee. Chose qui l' avroit tant esperduë, que s' esveillant en sursaut, elle se seroit trouvee si travaillee, qu' encores luy pesoit ce songe sur le cœur. Lors que ce compte fut par elle fait, nul de toute la compagnie ne pensoit à ce qui depuis advint: Toutes-fois le mariage qui depuis fut d' Anne de Bretagne, au prejudice de Marguerite, monstra bien que sur l' equivoque des noms ce songe ne fut illusoire.

6. 42. Du malheureux succez d' Anguerrand de Marigny, & de quelques autres exemples de mesme tragedie.

Du malheureux succez d' Anguerrand de Marigny, & de quelques autres exemples de mesme tragedie.

CHAPITRE XLII.

O singulier exemple de l' inconstance des choses humaines, & qui nous doit rendre certains que nostre grandeur n' est fondee que dessus l' arrest d' une boule! Cestuy qui fut en premier lieu Chevalier & Comte de Longueville, seul superintendant des Finances, seul entremetteur des grandes negociations du Royaume: Par la bouche duquel, & non d' autre, un Philippes le Bel respondoit à tous Ambassades, cestuy qui pendant sa faveur avoit pris la hardiesse d' accostoyer sa statuë de celle d' un Roy de France, au Palais Royal de Paris: Bref celuy qui avoit tenu la volonté de son Roy en sa main, comme la sienne propre, incontinent que son Maistre eut acquitté le commun tribut que nous tous devons à Nature, fut coffré en une prison, & depuis son procez fait & parfait, finalement pendu au gibet de Montfaucon qu' il avoit fait establir à neuf, quasi pour luy servir de tombeau, & sa statuë qu' il avoit apposee à costé du Roy, au portail des grands degrez du Palais de Paris, rompuë, brisee, & dejettee du haut en bas, ainsi comme l' on peut encores voir. Cest exemple m' en fait tomber une infinité d' autres en memoire. Que pleust à Dieu qu' ils fussent ainsi engravez aux cœurs de tous ceux qui approchent nos Roys, comme je me delibere les rediger en ce lieu par escrit. Peut-estre leur seroit-ce un tableau, par la representation duquel ils apprendroient de ne desborder quelques-fois leur authorité au desadvantage d' un peuple, lequel les voit ordinairement apres un temps calme & tranquille estre agitez d' infinis estourbillons & orages. Aussi à la verité repassant les Histoires anciennes, à peine que je trouve aucun grand Seigneur estre arrivé en extremité de credit envers son Prince, que sur la fin, Fortune remuant sa roüe, ne luy ait donné quelque soubre-saut. Et pense que l' occasion en vienne, pour autant que nous voyans favorisez sur tous autres, sommes fort faciles à sortir des gonds de nous mesmes, & les Roys d' un autre costé si aisez à concevoir jalousie de leur grandeur, que d' un commencement bon & prospere, nous voyons de jour à autre, par un estrange changement de volonté, la fin estre miserable & digne de compassion. Adjoustez que le plus du temps les amitiez des Princes vieillissent avec leurs ans, & que tout ainsi que souvent ils ne sçavoient qui les avoit induits à cherir leurs favoris, aussi sur un mesme pied, & modelle, ils les oublient puis apres. Joinct que la Nature non seulement des Princes, ains de tout le reste du peuple est de si farouche condition, qu' une seule injure commise amortira à un instant une infinité de services. De là vint que Parmenion, sans lequel Alexandre auparavant n' estoit jamais venu à chef de quelque memorable exploit, fut par son commandement mis à mort, avec son fils Philotas. De là aussi un Sejan, que Tybere avoit choisi comme pair & compagnon de son Empire, à un instant, & quasi à un tour de main se trouva degradé de sa vie & de ses Estats: & de mesme façon sous Valentinian le tiers, a fin que d' une longue reveuë je ne coure sur tous les Empereurs de Rome, ce sage Senateur Etius, qui tenoit tout le gouvernail de l' Empire, & par la bonne conduite duquel ce grand fleau de tous les peuples Attilas avoit esté mis en route, en fin de compte pour tout salaire de ses longs & fideles services fut tué par le commandement de l' Empereur Valentinian son Maistre: & peu de temps apres ce grand Capitaine Belissaire, qui avoit desconfit les Perses, commandans sur la plus grand part du Levant, reduit par deux braves victoires soubs l' obeïssance de l' Empire, l' Affrique lors empietee par les Vandales & Alains, rompu la force des Gots en Italie, & mené en triomphe leur Roy dedans la ville de Constantinople sous l' Empereur Justinian, ne rapporta autre fruict de toutes ses grandes victoires, (si nous croyons à quelques anciens Autheurs) qu' une jalousie & maltalent de son Prince, lequel luy fit sur ses vieux ans creuer les yeux, le reduisant en telle mendicité, qu' il fut contrainct de caimander sa pauvre & miserable vie. Quelques autres attribuent cette mal-heureuse fortune à Joannes autre Seigneur, qui avoit auparavant disposé des volontez de ce mesme Empereur. Et s' il faut mesmement descendre jusques à nostre temps, la fin mal-heureuse d' Hebraïn Bassa tant chery & caressé d' un Soliman, & quasi reputé comme un autre soy-mesme, nous doit servir d' un bel exemple. Comme en Angleterre quasi de la mesme saison soubs Henry huictiesme du nom, la cheute du Cardinal d' Yorth, qui fut contrainct de son propre motif abreger ses jours, pour ne tomber en mort plus honteuse, combien que durant sa grande vogue, vilipendant un chacun, il fit par coustume ordinaire reverer en son anti-chambre son chapeau par les survenans. 

A fin cependant que je ne remuë la memoire de ce grand Admiral Chabot, sous le regne du grand Roy François. Toutes lesquelles Histoires deussent estre un bon miroüer à tous grands Seigneurs, a fin que d' un perpetuel pensement ils remaschassent en eux les effects de la fortune, pour leur apprendre à se contenir dans les bornes de leurs devoirs. Mais quoy? tels exemples ne tombent jamais devant nos yeux pendant l' heureux cours de nos affaires, & si peut-estre il advient qu' en nostre prosperité nous les lisons, c' est pour les mettre en nonchaloir, ou en faire seulement nos comptes. Si pendant nostre adversité, alors baissans les oreilles nous en tirons telle patience que la necessité nous enseigne, trompans nostre malheur par une comparaison de nostre fortune à celle des autres: combien que devant nostre desconvenuë, il eust esté beaucoup meilleur de faire nostre profit du dommage d' autruy.

6. 41. De Seigneurs de Seissomme & d' Origny freres jumeaux conformes de face, & façons en toutes choses.

De Seigneurs de Seissomme & d' Origny freres jumeaux conformes de face, & façons en toutes choses.

CHAPITRE XLI.

Ce que j' ay deduit par le precedant Chapitre, est estrange, & espouventable: Ce que je discourray maintenant est estrangement admirable: l' un & l' autre discours de difficile creance, & toutesfois tres-veritables, comme choses advenuës, & veuës de nostre temps. Entendez seulement l' Histoire, que j' ay aprise par le seigneur d' Origny, Gentilhomme de Marque, & d' honneur, aimé, & honoré de tous. 

Messire Henry de Roussi seigneur de Seissomme, issu de l' ancien tige, & estoc des Comtes de Sarbruch, & de Roussi demeurant à Seissomme derniere ville de l' Isle de France, situee au Balliage de Vermandois prés de Laon, espousa Dame Jaqueline de Lanoy, de laquelle il eut deux enfans, Messire Nicolas & Claude de Roussi freres jumeaux, qui depuis eurent pour leur partage, l' aisné la terre, & Seigneurie de Seissomme, le Puisné, celle d' Origny, & nasquirent le septiesme jour d' Avril 1548. avecques une telle ressemblance, que leurs Nourrices furent contraintes de leur bailler Bracelets divers de couleurs, pour recognoistre leurs nourritures. Conformitez qu' ils apporterent du ventre de leur mere, non seulement en ce qui estoit de la taille, & des traits de visage, mais aussi de leurs mœurs, humeurs, gestes, ports, volontez, affections, & inclinations. Qui fut cause à leurs Pere, & Mere, de les faire habiller de mesmes parures: Tellement que non seulement l' estranger, ains eux mesmes estoient fort empeschez de les distinguer. Ils furent tous deux nourris premierement au College, puis en Cour, le sieur de Seissomme page de la Chambre d' Antoine de Bourbon, Roy de Navarre, & le sieur d' Origny, du jeune Henry de Bourbon, son fils, depuis Roy de France, tous deux grandement cheris & aimez de nostre Roy Charles neufiesme, lequel souvent prenoit plaisir au milieu de cinq cens Gentils-hommes, de les mettre tous deux ensemble, & les considerer longuement pour y trouver en apres quelque marque de difference, mais apres les avoir faict passer & repasser dedans la foule, & se representer à luy, il ne les peut jamais, ny aucun de la troupe discerner au vray. Leurs confidens du depuis en leurs plus serieuses & secrettes affaires les prenans l' un pour l' autre, ne voulans aisément recognoistre ce qui estoit de la verité, nonobstant ses remonstrances qu' on leur fist de leur mesprise. Le seigneur de Seissomme estoit grand amy des seigneurs de Fervaque (depuis Mareschal de France) & d' Antrague. Les premieres femmes de ces deux seigneurs abusees prindrent le seigneur d' Origny pour son Frere aisné: & affin de ne rechercher tesmoignage és personnes decedees, la Damoiselle du Tillet fille vivante, qui par un vœu special a fait profession de n' estre tout le temps de sa vie mariee, cognoissant privement par honneur le sieur de Seissomme, passant sur le Pont au Change, où le sieur d' Origny achetoit en quelque boutique de la vaisselle d' argent, il fut par elle salüé comme vray Seissomme, & comme l' autre qui ne la cognoissoit, ne luy rendit pareil salut, elle luy imputa qu' il se vouloit dissimuler, de maniere qu' apres plusieurs attestations, le seigneur d' Origny eut grande peine d' extorquer d' elle la non cognoissance de la verité: & ainsi se partirent contens l' un de l' autre. 

Je veux remarquer en eux deux choses de tres-grande admiration. L' une qu' ayans esté, comme Gentils-hommes duits dés leur jeunesse en toutes sortes d' exercices honnestes, entr'autres en celuy du jeu de la paulme, auquel ils s' estoient rendus grands maistres, le Seigneur d' Origny se trouvant surpasser son frere, qui faisoit de fois à autre des parties mal à propos, esquelles il se voyoit succomber. Pour à quoy remedier, il sortoit du jeu, feignant d' aller à quelque necessité de nature: & peu apres faisoit entrer son frere en sa place, qui estoit des regardans, lequel relevoit & gaignoit la partie, sans que nul, ny des joüeurs, ny de ceux qui residoient à la galerie, y cogneussent rien du changement. L' autre, que s' estant le Sieur d' Origny voüé à la recherche de la Vicomtesse d' Esclavole, belle, riche, & vertueuse Dame, pour l' espouser, cette mesme devotion entra tout aussi tost en l' ame du Sieur de Seissomme, qui ne sçavoit que son frere s' y fust engagé, mais en ayant eu advis changea promptement de propos, au profit & advantage du Seigneur d' Origny, qui l' espousa: Aussi les mesmes accidens qui arriverent à l' un pendant le cours de sa vie, arriverent pareillement à l' autre, mesmes maladies, mesmes blesseures, à mesme instant, en mesmes endroits de leurs corps. Et lors que le Seigneur de Seissomme tomba malade de la maladie dont il mourut, au trentiesme an de son aage, le Seigneur d' Origny se trouva au mesme temps atteint de mesme maladie, au grand danger de sa personne, vray qu' il en reschapa par l' industrie de son Medecin: Et comme ils ne sceussent, à cause de leurs esloignemens l' estat auquel ils estoient pour lors, ils s' envoyerent reciproquement Messagers, a fin de sçavoir comme ils se portoient. En fin le Seigneur de Seissomme, mal traicté de son Medecin, estant allé de vie à trespas, & le Seigneur d' Origny en ayant eu la nouvelle quelque temps apres, tomba en telle syncope, qu' on estimoit qu' il fust mort, toutes-fois il en reschapa. Le Seigneur de Seissomme mourant delaissa deux enfans, dont l' un est aujourd'huy vivant. Et auparavant que les deux freres fussent malades, un bon peintre les representa tous deux dans un tableau tels qu' ils estoient, c' est à dire tres-semblables de corpulence & visage: Et le Seigneur de Chandieu d' un bel esprit, fit sur ce tableau les vers Latins qui s' ensuivent, desquels je vous fais part.

Quas credis esse has? non sunt binae tabulae, 

Quam credis esse hanc? non est una tabula; 

Partus unius partes duas (Viator) aspicis

Haud similares quidem, sed usque adeo similes,

Ut bis quidem foetum edidisse dixeris

Foecundam matrem, hos quae gemellos peperit.

Quippe unum spirantes amorem, duo coniuges

Efflictim amantes, unum expressere, simulque duos.

Hos ego, naturam bis imitatus artifex,

Eadem in tabula; unum expressi, simulque duos,

Postquam diu multumque versans oculos

Si quam dissimilitudinis notarem modo notulam,

Quae ubi nulla nostrae patuit industriae, 

Ecce Sissomios fratres Comitum Roussiorum genus

Apud Celtas, antiquae, & praecipui nominis prosapiae,

Opera mea vides esse unum, & esse duos,

Ac si contingat meo, quod Thimantis operi,

Quo plus intelligendum quam videndum praebuit,

Unum ingenium, geniumque notaret duplex tabula,

Et Castoris atque Pollucis revocaret nomina; 

Eosdem numeraret casus, eadem pathemata:

Ut alter prae alterius vita, vitam suam despicit,

Et quasi prae amore, uterque utrique Narcißus foret

Uterque in utroque seipsum iugiter aspicit,

Adeo utrique in utroque sanè quamliberalis facies,

Utrique in utroque ingenij placet amoenitas,

Denique hos gemellos morbus idem corripit;

Sors una; mors una utrumque penè abstulit.

Sed dissimilem vitae exitum, dissimilis fecit curatio,

Hic longiorem vitam habuit: ille sobolem, 

Una ut progenies binis superaret fratribus,

Quos vides uno vultu, moribus, humoribus;

Haec autem habet orba soboles, patruum superstitem,

Ut post parentem, paternus amor viveret. 


SONNET.


Sous un mesme Ascendant deux jumeaux enfantez,

Furent pareils en corps, & pareils en visage, 

Pareils en actions, & pareils en langage,

Pareils en accidens, pareils en volontez.

Leurs plus beaux traicts estans l' un de l' autre empruntez,

Le Peintre les a peints tous deux en une image;

La seule mort voulut enfraindre cet ouvrage, 

Nos yeux ayans esté trompez des veritez.

Qui voit Seissomme vif, voit Seissomme inhumé;

Le corps vif veut revoir le corps mort r'allumé,

Le mort appelle à soy le vif qui luy ressemble. 

Une ame, & un amour vivoient en deux ressorts:

Mais comme un seul tableau figure icy deux corps, 

Un seul corps vif fait voir les deux esprits ensemble.


Fut-il jamais un plus bel, & excellent artifice de nature, que cestuy-cy?

Le Seigneur d' Origny me recita cette Histoire en presence de quelques Gentilshommes, qui le pouvoient sagement desdire, si la verité eust esté autre: Mais ils y acquiescerent, quelques uns d' entr'eux ayans esté diversement spectateurs des choses par moy recitees.