viernes, 4 de agosto de 2023

8. 16. Entre Chien & Loup.

Entre Chien & Loup. 

CHAPITRE XVI.

Il n' y a paravanture au Recueil des Adages d' Erasme deux bestes, esquelles il ait plus employé sa plume comme au Chien & au Loup: Mais ce sont en divers jeux. Icy nous les avons accouplez ensemble, quand quelqu'un s' achemine aux champs d' un bien grand matin, ou d' un grand soir, de telle façon qu' il luy est mal aisé voyant une beste, de juger si c' est un Chien ou un Loup: & voulant denoter ce temps, nous en avons faict ce proverbe, qui est entre Chien & Loup. Duquel Jean Antoine de Baïf voulut faire de nostre temps son profit au premier livre de sa Franc.

Comme le simple oiseau qui cherche sa pasture,

Lors qu' il n' est jour ne nuit (quand le veillant berger

Si c' est ou Chien ou Loup ne peut au vray juger)

Ne pensant au danger, ains à sa nourriture

S' empestre en la pantiere, &c.

Comme le simple oiseau qui cherche sa pasture,

Je vous laisse le demeurant du Sonnet, par lequel il dit avoir esté surpris tout ainsi comme l' oiseau. Chose qui ne regarde le discours du present chapitre. Seulement vous veux-je dire que ce proverbe a pris d' une bien longue ancienneté sa naissance chez nous. Et de fait Guillaume le Breton au troisiesme livre de sa Philippide discourant comme quelques Seigneurs Anglois vouloient dresser une algarade à nostre Roy Philippe Auguste, poursuit de cette façon sa pointe.

Postea vix summos aurora rubescere montes

Fecerat, & valles nondum primordia lucis

Attigerant, interque canem distare, lupúmque,

Nullus adhuc poterat aliquid discernere visu.

Quand je vous allegue le Breton, je le vous pleuvy avoir esté des domestiques du Roy dont il trompeta les grandeurs apres son decez. Que si les Gentils-hommes sont tres-aises d' authoriser leur noblesse d' une longue ancienneté, je ne seray marry de mettre ce proverbe sur les rangs, puisque d' un si long temps je le voy avoir esté en essence, & s' estre continué jusques à nous.

8. 15. Sur ce que le peuple compare la femme qui s' addresse au pire à la Louve, & de quelques autres proverbes empruntez de la nature du Loup.

Sur ce que le peuple compare la femme qui s' addresse au pire à la Louve, & de quelques autres proverbes empruntez de la nature du Loup.

CHAPITRE XV.

Je ne sçay comment le Loup entre les bestes sauvages nous a esté, ou si commun, ou si odieux, que par dessus tous autres animaux nous avons tiré plusieurs proverbes de luy. De quelle marque sont ceux-cy, Qui parle du Loup on en voit la queuë: Il fait mauvais aller au bois quand les Loups se mangent l' un l' autre: La faim chasse le Loup hors du bois: Neceßité fait gens mesprendre (dit Villon en son Testament) & faict saillir le Loup du bois, Tandis que le chien crie le Loup s' enfuit. Hurler avec les Loups, Qui se fait brebis le Loup le mange, & quand pour denoter les rets de la nuict, nous disons entre chien & Loup, & plusieurs autres de telle façon, entre lesquels il y en a trois ou quatre, que nous tirons de la nature de cette beste.

La Louve (comme recite le Comte Phoebus de Foix au livre qu' il a fait de la Chace) lors qu' elle entre en chaleur se trouve incontinent accompagnee du premier Loup qui la rencontre, lequel la fleurant sous sa queuë se met pareillement à sa suite: Celuy qui la suit par un instinct de nature se met à suivre cestuy: & le tiers semblablement à la queuë du second, tellement que de queuë en queuë ils font une grande trainee de Loups: Mais elle se sentant ainsi caressee par ces gentils amoureux (comme est la nature de toutes femelles en leur espece prompte à se faire courtiser) vague continuellement de part en autre, sans aucun arrest. Tant que finalement eux tous las & recreus, elle qui est la lanterne des autres, commence à se reposer. Ce qu' à son exemple font semblablement tous les Loups: mais pour autant que ceux-cy, outre la fatigue du corps, sont travaillez (si ainsi faut que le die,) en leur sensitive de l' esprit, chacun d' eux entre en un fort sommeil, pendant lequel cette Louve s' addresse au pire de la troupe, qui est celuy qui premier a fait la rencontre d' elle, & qui pour avoir esté premier en datte & plus attouchant de la chaleur que les autres, s' est maceré le corps davantage. De là frustrant de son attente le reste de la troupe amoureuse, qui est ensevelie d' un profond somme, prend de celuy qu' elle esveille tout le contentement où son naturel la semond, puis ayant satis-faict à son deduit, & s' estans decouplez, s' esloigne cette Louve de tous les autres, lesquels à leur resveil estonnez de son absence, & recognoissans au fleur, celuy qui les a supplantez, tous d' un commun despit le devorent. De ces manieres de faire est venu en premier lieu ce qu' au jeu des petits enfans qui s' entresuyvent, nous disons Joüer à la queuë Leu Leu, par un ancien mot François: Aussi ce que nous faisons ressembler les enfans bastards aux Loups, disans que tout ainsi que les Loups, aussi ne voyent-ils jamais leurs peres: Et d' avantage lors que nous comparons la femme à une Louve, quand entre plusieurs Ribaux (que nous appellons Corrivaux) elle s' attache au pire, lequel proverbe a eu dés long temps vogue entre nous, mesmes du temps de Jean de Mehun en son Roman de la Rose, disant:

Tantost la chetiue se laisse,

Et prend un autre, où mout s' abaisse,

Et le vaillant arriere boute,

Prenant le pire de la route,

Là nourrit ses amours & couve,

Tout ainsi comme fait la Louve, 

Qui sa folie tant empire, 

Qu' el' prend de tous les Loups le pire.

Jean de Mehun faisoit profession expresse de mesdire des Dames. C' est pourquoy il a usé de ce proverbe à leur desadvantage. Et neantmoins pour en parler sans passion, si la femme ressembloit en cecy à la Louve, elle seroit aucunement excusable en sa folie, parce qu' elle favoriseroit celuy de ses serviteurs, qui pour estre le premier en datte, vray semblablement a receu plus d' affliction en son ame.

8. 14. Plus resolu que Bartole, ou bien resolu comme un Bartole.

Plus resolu que Bartole, ou bien resolu comme un Bartole

CHAPITRE XIV.

Je pense qu' il n' y ait plus grand Philosophe au monde, ny plus veritable, que la voix du peuple, qui confluë en mesme sujet. De moy je confesseray franchement n' avoir jamais veu homme estre jugé bon, ou mauvais par la commune opinion, qu' il n' y eust en luy quelque brin de l' un ou de l' autre, mais c' est quand ses exterieurs & continuels deportemens, nous servent en cecy de leçon. Je voy le Proverbe dont je fais maintenant estat estre assez souvent mis en usage par des simples femmelettes, & autres idiots de la populace, lesquels voulans representer la suffisance & capacité de quelqu'un, le disent tantost plus resolu que Bartole, tantost Resolu comme un Bartole, & neantmoins ne sçavent ny qui estoit celuy dont ils parlent, ny de quel bois il se chauffoit. Pourquoy doncques le jugeons nous un proverbe, veu que la plus part de ceux qui en usent, ne sçavent ce qu' ils font en cecy? De ma part je ne fais aucune doubte, que le commun dire ne soit provenu de ceux, qui premierement jetterent sous bons gages leurs yeux & estudes sur les textes des Jurisconsultes, & en apres sur les Docteurs de Droict, entre lesquels ils firent principal fonds sur les decisions de Bartole. Et cet arrest estant diversement passé d' une bouche à autre, tomba par succession de temps en celles de quelques uns du menu peuple. Je dy à quelques uns seulement: Car il n' est pas familier à tous. Proverbe que je vous veux defricher, mais avant que de passer outre, permettez moy je vous prie de donner carriere à ma plume, à la charge de me retrouver sur la fin, la part dont je sortiray maintenant.

Nous avons deux Facultez, la Jurisprudence, & la Medecine, esquelles la plus grande partie des gens de robbe longue gaignent leurs vies. Et combien que ce soient diverses professions, toutes-fois elles symbolisent en un point; Qui est que de tout temps & ancienneté, les Medecins ont deux grands Autheurs, en Grec Hypocrat & Gallien, desquels comme de deux grandes fontaines, ils puisent les Aphorismes & Theoresmes generaux de leur Medecine. Toutes-fois sur le moyen aage vint une nouvelle maniere de Medecins, que l' on appelloit Arabes, qui exercerent en cet Art une practique, non auparavant cognuë, lesquels escrivirent leur Medecine en langage barbare. Et neantmoins les Medecins qui sont depuis arrivez, empruntans leurs beaux discours d' uns Hypocrat, ou Gallien, s' arrestent principalement en la guerison de leurs Malades, à la practique des Arabes; & specialement d' Avicenne.

Le semblable est-il advenu à nostre Jurisprudence, en laquelle les Juges & Advocats tirent leurs principales maximes des Jurisconsultes, qui ont escrit d' un stile non inelegant. A la suite desquels le temps produisit une infinité de Docteurs qui descouvrirent leurs conceptions en un Latin goffe & grossier, dont les Juges font souvent leur profit. Mais de tous ceux-là Bartole fut par l' ancienneté le Capitaine general, qui avoit autant d' avantage sur tous les autres Docteurs, comme eux sur leurs escoliers.

Ce grand personnage nasquit l' an 1309. il eut pour son premier Precepteur frere Pierre des Assises, depuis appellé dedans Venise frere Pierre de la Pieté, parce qu' il y fonda un Hospital, pour les enfans perdus. Cestuy eut en si grande recommandation la jeunesse de Bartole, apres luy avoir enseigné les premiers Rudimens de son art, auquel il le voyoit emporter le dessus de ses compagnons, qu' il donna ordre de le faire estudier à Perouse en l' aage de quatorze ans, soubs le grand Docteur Cynus de Pistorio, où il se rendit si capable, qu' en la vingtiesme annee il disputa publiquement de Droict, contre tous ceux qui se presenterent dedans la ville de Boulongne la Grasse, & l' annee d' apres obtint le bonnet de Docteur avec l' applaudissement de tous. De là il suivit le barreau de la ville dont il estoit né. Pendant lequel temps il eut le loisir de recueillir quel estoit l' usage commun des causes. Depuis fut fait Lieutenant criminel, & luy estant advenu de condamner un homme innocent à mort par surprise, pour penitence, de sa faute, il quitta son estat, & reprist les premiers arrhemens de son estude, premierement en la ville de Pise, où il enseigna le Droict, avecques une admiration de tous: Puis en celle de Perouse, en laquelle il rendit l' ame à Dieu le quarantiesme de son aage mil trois cens cinquante & cinq. Il escrivit sur tout le cours de Droict civil. Et furent ses commentaires tant estimez, que Paule de Castre faisant pareils commentaires sur les Textes, ne pensa faire tort à sa renommee, de commenter par mesme moyen les commentaires de Bartole: & long temps apres luy, Jason, qui fit plusieurs grandes colomnes, esquelles vous verrez un Bartole plus expliqué, que les Textes des Jurisconsultes. Quand je vous nomme Paule de Castre, & Jason, je puis dire que c' estoient deux luminaires de Droict entre les autres Docteurs. Parce que le judicieux Alciat, au livre second de ses Parerg. chapitre quatriesme, faisant mention de ceux qui à meilleures enseignes mirent la main sur le Droict, fait compte principalement de Bartole, Balde, Paule de Castre, Alexandre, & Jason. Et sur le commencement de son Epigramme il baille le premier lieu à Bartole en ces mots:

In iure primas, comparatus caeteris,

Partes habebit Bartolus,

Decisiones ob frequentes.

Et à la suite, il vous propose les quatre autres de mesme ordre que je vous ay touché: Puis adjouste sur la fin.

His si quis alios addiderit interpretes,

Onerat, quam honorat verius.

Et n' advient à Alciat de s' aider de l' authorité de Bartole que ce ne soit avec preface d' honneur. En la loy Quidam de decur. lib. 10. c. Bartolus qui inter iuris interpretes longè primus est. Et au tiltre De vestib. holot. eodem. Bartolus qui sine controversia, primas inter recentiores Iurisprudentes habet. Ce grand Bartole avoit un air general de tout le Droict civil en sa teste, meslé avec l' usage de son temps és causes qu' il avoit peu recueillir, pendant le temps qu' il sejourna au barreau, estant retourné aux estudes de Droict, meslant la Theorique & Pratique ensemblement, & moula ses resolutions non communes aux particulieres des uns & des autres Jurisconsultes. Resolutions toutesfois ausquelles se rapportent plusieurs arrests de nos Cours souveraines. Et ainsi vous puis-je dire l' avoir observé en nostre Cour de Parlement de Paris, soit ou que Bartole luy ait servy en cecy de guide, ou que le sens commun des Juges se rapportast à celuy de Bartole: De là est venu le proverbe entre nous, quand par un taisible consentement general de tout le peuple, nous disons, Plus resolu que Bartole, ou Resolu comme un Bartole. Et à la mienne volonté que tout ainsi qu' un Lacuna nous a reduit au petit pied en la Medecine les fascheux, & superflus discours de Gallien, aussi en la Jurisprudence, quelque belle & riche plume voulust faire le semblable sur Bartole, & choisir seulement la mouelle de ses œuvres.