viernes, 4 de agosto de 2023

8. 19. De ces mots, Maistre, Souverain, Suzerain, Sergent.

De ces mots, Maistre, Souverain, Suzerain, Sergent. 

CHAPITRE XIX.

Il en prend aux mots, comme à nos fortunes: Nous voyons quelques-fois gens de peu de merite estre levez aux grans honneurs sans sçavoir pourquoy, & les autres ravaller de leurs dignitez. Ainsi est-il des paroles, dont les aucunes furent autres-fois vilipendees, que nous voyons puis apres venir en valeur, & les autres qui avoyent esté en valeur, estre puis apres contemnees. Je m' en rapporte à ce mot d' Heresie Grec depuis transplanté dedans Rome qui signifioit opinion, & par succession de temps nous l' avons tourné en si mauvaise part, que nous n' en usons que contre ceux qui nous contreviennent à la Foy & Religion Catholique. Le semblable est advenu au mot de Tyran que l' on approprioit à tout Prince Souverain, qui vivoit selon les Loix communes de son pays, sans extravaguer, & depuis on l' a adapté à celuy qui contre tout ordre de droict se fait croire à la foule & oppression de ses subjects. Autant en est-il advenu à ce mot de Maistre, qui n' estoit anciennement attribué qu' aux dignitez authentiques, & maintenant est venu en tel raval, que quand on se veut mocquer d' un homme, on l' appelle un Maistre és arts, & n' y a mestier où l' on usurpe le mot de Maistre pour celuy qui a fait son chef-d'oeuvre. Les deux plus grandes compagnies de la France, chacune en son endroit, sont la Cour de Parlement, & Chambre des Comptes de Paris. Au temps du premier plant & establissement du Parlement on appelloit les Conseillers Maistres du Parlement. En l' Ordonnance de l' an 1321. Deffence aux Maistres de sortir de la Chambre sans la permission du Souverain, & en un autre article de ne desemparer la ville sans la licence du Chancelier & du Souverain. Ce mot s' est perpetué jusques à huy en la Chambre des Comptes, en laquelle tous les Conseillers sont appellez Maistres des Comptes. Chose qui estoit provenuë d' une bien longue ancienneté. Theodoric Roy d' Italie escrivant au Senat de Rome dans Cassiodore livre I. Eugenitem illustrem virum, litterati dogmatis opinione fulgentem: Magisterij honore subveximus, ut gereret, quam nomine poßidebat dignitatem. C' estoit qu' il l' avoit fait Senateur de Rome, & mandoit au Senat de l' admettre en leur compagnie. Ce mot estoit tellement authorisé par nos anciens, que l' on l' attribuoit encore aux plus grandes dignitez, comme aux Maistres des Requestes. J' ay veu un reiglement fait en l' an 1350. par Philippes de Valois, des Officiers de sa maison, où il appelle le Grand Fauconnier & Grand Veneur, Maistre Veneur & Maistre Fauconnier.

Or y eut encore un autre mot qui fut familier entre nos anciens, car ils appellerent Souverain celuy qui estoit le Superieur des Maistres, tesmoings les deux articles de l' Ordonnance de Philippes le Long par moy cy-dessus cottez. Car quand on fait deffence aux Maistres de sortir de la Chambre sans la permission du Souverain, c' est à dire, de celuy que nous avons depuis appellé President. L' un des plus anciens Presidens de la Chambre des Comptes, fut le Sire de Suilly. Et par l' Ordonnance de l' an 1316. il est appellé Souverain des Comptes, mot qui estoit encores en essence sous le regne de Philippes de Valois, lequel en l' an 1344. commandoit à la Chambre de recevoir l' Esleu de Langres qu' il avoit nommé pour l' un des Souverains d' icelle. En l' an 1356. Messire Louys de Beaumont President en la mesme Chambre du temps du Roy Jean est appellé Souverain. Celuy qui avoit toute intendance sur le Thresor 1342. Souverain du Thresor. Messire Pierre de Villiers grand Maistre auquel Charles VI. avoit baillé la charge de l' Oriflambe, est appellé en l' an 1372. Souverain Maistre d' Hostel du Roy. En une Ordonnance de Charles VI. du 6. Janvier 1407. le Comte de Tancarville Souverain Maistre & General reformateur des Eauës & Forests. Il n' est pas que les Baillifs & Seneschaux ne fussent aussi appellez Souverains à l' esgard des Prevosts & autres qui estoient en leurs sieges au dessous d' eux. Non pas que tous ces sieurs eussent une puissance absoluë en leurs dignitez, comme est maintenant l' usage du Souverain: mais par ce mot on entendoit simplement celuy qui estoit le Superieur des autres. Ce que vous recueillerez encores plus amplement de nos vieilles Ordonnances qui sont Latines & Françoises, esquelles si vous trouvez au Latin parlant des Seneschaux & Baillifs, Salva superioritate & ressorto, nos ancestres le tournerent en François. Sauf la souveraineté & ressort: Et ce grand Edit qui fut faict par Charles cinquiesme, Regent par l' advis des trois Estats sur la reformation du Royaume, il deffend aux Baillifs & Seneschaux de cognoistre d' aucune cause, sinon en cas de ressort & de Souveraineté. Mot qui est vrayement du nombre de ceux que nous pouvons appeller Romans, c' est à dire, que nous transportasmes en nostre langue, non par les reigles de la Grammaire Latine: mais quand par communication avec les Romains, nous eschangeasmes nostre langage Walon en Roman. Car il est certain que les Romains prononçoient l' V par la diphthongue Gregeoise, *gr comme nous apprenons de ces deux vers d' Ausone à Paulin.

Una est in nostris qua respondere Lacones 

Littera, & irato Regi dixere negantes.

Et encores par une ordinaire prononciation nous changeasmes le P Latin en un V comme nous voyons en ces mots Praepositus, Lepus, & autres, Prevost, Leurault. Parquoy ce que le Romain appelloit Superior, prononçant l' V en Ou, nous en fismes le mot de Souverain de la signification telle que dessus: Ce que j' ay dit du Souverain, se marque encores plus expressément en l' Ordonnance de S. Louys de l' an 1256. qui portoit cet article entr'autres. Nous commandons que nuls Seneschaux & Baillifs ne tiennent trop grand planté de Sergiens, mais au plus po qu' ils pourront en ayent pour faire les commandemens de nou & de noz Cours: Et voulons que le Bedel & Sergien soient nommez en plaine Assise, autrement ne seront-ils pas nommez pour Bedels ne pour Sergiens, & si le Sergiens est envoyé en parties loingtaines ne soit pas creu sans lettre de son Souverain. C' est à dire qu' il se donne bien garde de faire exploict en pays esloigné sans la commission de son Baillif ou Seneschal. Mot encore en usage pour mesme effect, en l' an 1386. où par le Reiglement faict par Charles sixiesme entre les Baillifs & Prevosts, est deffendu aux Prevosts de faire aucun don à leurs Juges Souverains. Ce mot ayant avec le temps gaigné plus grande authorité pour avoir esté approprié seulement aux Princes qui peuvent absolument s' en faire croire, ceux qui furent nourris aux escoles firent le mot de Superieur suivant nostre prononciation Françoise, & les autres qui suivirent la pratique delaisserent le mot de Souverain trop hardy, & en forgerent un autre qui approchoit aucunement de cestuy. Ce fut d' appeller Juges Souverains qui cognoissoient par appel des causes de leurs Juges inferieurs. Par ainsi voila comme d' un mot de Souverain qui s' employoit communément à tous ceux qui tenoient les premieres dignitez de la France, mais non absolument, nous l' avons avec le temps accommodé au premier de tous les premiers, je veux dire au Roy. Et quant au mot de Maistre qui s' adaptoit par antonomasie aux plus grandes dignitez de la France, encores que chacun en son particulier soit intitulé Maistre, si est-ce que nous rapportons aujourd'huy cette qualité aux moindres, comme sont les Escoliers & Maistres és arts, & Maistres des mestiers. Mais puis que je me suis donné le loisir de discourir sur le mot de Souverain, & qu' en l' Ordonnance de S. Louys il est faict mention des Sergens, il me plaist icy de faire le soubresaut de Phaëton & me precipiter du Ciel en Terre. Je veux doncques maintenant deduire dont procede ce mot. Ce grand IC. Cuias l' estimoit prendre son origine du Caesarianus Latin qui avoit quelque rencontre en sa charge avec le Sergent, & que par corruption de langage on en eust fait un Caesarien, & depuis Sergien. Les autres qui ne veulent rien desrober à leur patrie, le disent estre un mot composé, Sergens quasi Serre-gens, d' autant que leur estat est voüé à la capture des mal-gisans. Toutes-fois je ne doute nullement qu' il ne vient de l' un ny de l' autre, car il est certain qu' il vient de Serviens diction Latine par un changement d' V en G, qui nous est fort familier comme nous voyons que ces mots Vasco, vastare, vagina, nous avons fait Gascon, gaster, gaine, voire que du milieu de la diction de Phlegma, nous avons fait le mot de Phleume. Aussi nos plus vieux François firent du Latin Serviens un Sergiens que nous avons depuis appellé Sergent. Dans la vieille Histoire de S. Denis en la vie du Debonnaire, l' Autheur appelle les serviteurs de Dieu Sergens de Dieu: En la vie du Begue les Evesques de France escrivans à Jean Pape de Rome, s' appellent Sergens & disciples de sa saincte Authorité. Et dans le Roman de la Rose les amoureux sont souvent appellez Sergiens d' Amour, mais sur tout je vous veux cotter un passage tres-expres du Roman de Guerin de Mortbrune.

Si advint qu' un Sergiens qui à cour repairoit

Feut pris de larrecin, des anneaux qu' il embloit,

La vieille vint à luy en la prison tout droit

Si luy dit: Mon amy le tien corps mourir doit:

Mais si faire voulois ce que l' on te diroit,

Tu serois deliuré, & mis hors du befroit,

Dame, dy ly Varlets, qui de cœur l' escoutoit,

Il n' est rien en ce monde que mes corps ne feroit, 

Pour garentir, &c.

En un Registre de Parlement de l' an 1317. les Huissiers de la Cour sont appellez Valeti Curiae. Que si vous me demandez dont vient que ceux qui executoient les mandemens de Justice furent appellez par nos anciens, Sergens, qui ne sonnoit autre chose que Serviteurs. C' estoit parce que du commencement les Baillifs & Seneschaux employoient à cette charge leurs Serviteurs domestiques, & depuis en gratifierent uns & autres ainsi qu' il leur plaisoit. C' est pourquoy pour donner ordre à cet abus, on trouve en un vieil Registre du Parlement de l' an 1286. Praeceptum fuisse praeposito Parisiensi, ut effrenatam Servientium multitudinem ad certum numerum reduceret, pedites scilicet ad septuaginta, & equites ad triginta quinque. Et en l' Ordonnance de Philippes le Bel de l' an 1302. reduisant sa volonté à celle de son ayeul S. Louys de l' an 1256. Praecipimus quod qui in Servientes eliguntur, praestent idoneas cautiones. Par l' Ordonnance de S. Louys par moy cy-dessus cottee, on les appelle indifferemment Bedeaux & Sergens. Dans le vieux Coustumier de Normandie chapitre 5. est mise difference entre les Sergens à l' espee & les Bedeaux. En ce (dit le texte) que les premiers estoient ceux qui devoient Justicier vertueusement à l' espee tous malfaicteurs, & principalement faire que ceux qui estoient possesseurs fussent tenus en paix: Et les Bedeaux estoient les moindres Sergens qui devoient faire les moindres services. En fin ce mot de Bedeau est demeuré aux supposts du Recteur de l' Université de Paris qui vont aux ceremonies publiques devant luy, avecques leurs Masses argentees. Et encores en quelques subalternes Jurisdictions, comme au Four l' Evesque de Paris, où les Sergens sont appellez Bedeaux.

8. 18. Des proverbes qui sont tirez en nostre langue de ce mot, Chapperon.

Des proverbes qui sont tirez en nostre langue de ce mot, Chapperon.

CHAPITRE XVIII.

Ce fut un affeublement ordinaire de teste à nos anciens que le Chapperon. Chose que l' on peut aisément recueillir tant par ce mot Chapperonner, dont nous usons ordinairement encore aujourd'huy, pour Bonneter, que par ces deux proverbes. Qui n' a point de teste n' a que  faire de Chapperon, Et deux testes en un Chapperon, quand nous voulons signifier deux hommes qui sont de mesme volonté, & colludent ensemblément, duquel dernier proverbe usa autres fois Jean de Mehun dedans son Roman de la Roze, parlant de Contraincte Abstinence & de son Pere Confesseur: Toutes lesquelles manieres de parler estans tirees de l' usage qui couroit lors entre nous se sont continuees jusques à huy, encores que la coustume en ait esté du tout perduë. Or que les anciens usassent de Chapperons au lieu de Bonnets, nous l' apprenons mesmement de nos Annales: quand Charles cinquiesme du nom, pendant la prison du Roy Jean son Pere, estant Regent sur la France, à peine se peut garentir de la fureur des Parisiens, pour un descry de monnoyes qu' il fit lors faire, & eust esté en tres-grand danger de sa personne sans un Chapperon my-party de pers & rouge, que Marcel lors Prevost des Marchands luy mist sur la teste. Et a fin que l' on ne se face point accroire qu' il n' y eust que les grands & puissans qui portassent le Chapperon, ains que c' estoit une chose commune à tous, Maistre Alain Chartier nous en donne certain advertissement en l' Histoire de Charles VII. au chap. traictant de l' an 1449. où il dit que le Roy ayant repris la ville de Rouen fit crier que tout homme grand & petit portast la Croix blanche sur la robbe, ou le Chapperon. Quelques uns ont semblablement estimé que nos ancestres usoient de cet accoustrement de teste tout ainsi que maintenant les femmes, c' est à dire sans se defeubler. Qui est une opinion faulse, comme l' on peut apprendre de deux passages de Monstrelet, l' un au 78. chap. du I. Tome, où il dit que les Flamens qui estoient arrivez en France avec le Duc Jean de Bourgongne s' estans retirez en leurs païs, iceluy Duc envoya le Comte de Nevers son frere pour les prier de demeurer encore quatre jours: Et là dit cet Autheur que le Comte arrivé le Chapperon hors la teste devant eux, les pria à mains jointes tres-humblement qu' ils voulussent demeurer avec luy jusques à quatre jours: Et ailleurs au chap. 199. ensuivant racontant que la Royne Isabelle avoit esté confinee en la ville de Tours, sous la charge de Maistres Jean Torel, Jean Picard, & Laurens du Puys, il dit qu' elle avoit sur tous en grande haine Torel, parce qu' il parloit à elle irreveremment sans mettre la main à son Chapperon: qui est contre l' advis de Maistre Jean de Luc en ses Arrests qui dit, qu' anciennement les Procureurs de la Cour de Parlement vestus de leurs robbes longues & leurs Chapperons en la teste, lors que le President les interrogeoit sur quelque poinct, ne faisioient tant seulement que descouvrir le front, le reste demeurant couvert. De toutes ces choses doncques l' on peut recueillir que le Chapperon estoit le commun usage de teste des anciens, qui apporta comme j' ay dit ces deux Proverbes que j' ay cy-dessus recitez. Depuis petit à petit s' abolit cette usance premierement entre ceux du menu peuple, & successivement entre les plus grands, lesquels par une forme de mieux seance commencerent de charger petits Bonnets ronds portans lors le Chapperon sur leurs espaules pour le reprendre toutes & quantes-fois que bon leur sembleroit, ce que j' ay autres fois averé par un vieux livre enluminé de plusieurs belles images du temps de Charles VII. qui estoit en la Librairie du Roy François I. à Fontaine-bleau, dans lequel y avoit entre autres un Roy tenant Cour planiere, assisté de tous ses Nobles dont les aucuns diversement avoient leurs Chapperons en teste, & les autres sur leurs espaules, qui verd, qui rouge, qui pers, le tout de la mesme couleur qu' estoient les Bonnets, ou Chappeaux qu' ils avoient sur leurs testes: Et comme toutes choses par traite & succession de temps tombent en nonchaloir, aussi s' est du tout laissée la coustume de ce Chapperon, & est seulement demeuree par devers les gens du Palais, & Maistres és arts, qui encore portent leurs Chapperons sur leurs espaules: & les Bonnets ronds sur leurs testes, Bonnets qui furent appellez Ronds pour la forme ronde que lors ils avoient. Desquels je ne veux icy discourir pour leur avoir donné un Chapitre particulier au 4. Livre de ces Recherches.

8. 17. Faire des Chasteaux en Espagne.

Faire des Chasteaux en Espagne.

CHAPITRE XVII.

Les huit Vers du Roman de la Rose par moy cy-dessus alleguez, me convient à vous en alleguer sept autres de la mesme boutique, la part où Guillaume de Lorry introduit le Dieu Amours, qui fait une ample leçon à l' Amant.

Quand les nuicts venuës seront

Mille desplaisirs te venrront,

Telle fois te sera advis

Que tu tiendras celle au clers vis,

Du tout t' amie & ta compagne,

Lors feras Chasteaux en Espagne,

Et si auras joye à neant.

Par ces vers vous voyez que ce proverbe est d' une bien longue ancienneté: duquel nous usons contre celuy qui en ses discours pourpense à choses oiseuses, & qui luy doivent reüssir à neant. Et vient de ce qui a esté de tout temps pratiqué en Espagne, où vous ne rencontrez aucuns Chasteaux par les champs, ains seulement quelques Cassines & Maisonnettes, esquelles passans chemin vous estes contraints d' heberger, & encores distantes d' un long intervalle les unes des autres. Ceux qui rendent raison de cela, estiment que ce fut pour empescher que les Maures qui faisoient ordinairement plusieurs courses, ne surprissent quelques Chasteaux de force ou d' emblee, où ils avroient moyen de faire une longue & seure retraite. C' est pourquoy on a dit que celuy fait en son esprit des Chasteaux en Espagne, quand il s' amuse de penser à part soy à chose qui n' estoit faisable. Que pleust à Dieu (je diray cela en passant) que nos ancestres eussent apris en nostre France la mesme leçon que l' Espagnol, parce que pendant nos guerres civiles, une infinité de voleurs n' eussent eu moyen de se blotir en lieux forts, pour faire seulement la guerre aux pauvres Citoyens passans.