viernes, 4 de agosto de 2023

8. 20. Assassin, Assassinat, Apannage, mots empruntez des Voyages d' Outre-mer.

Assassin, Assassinat, Apannage, mots empruntez des Voyages d' Outre-mer.

CHAPITRE XX.

En matiere d' Estat c' est une chose fort familiere, quand on se trouve le plus foible, de hazarder l' un de ses sujects contre le chef des ennemis pour le faire mourir, a fin de se garentir du danger où l' on estoit. Le Roy Porsenna au siege de Rome en eust peu dire quelque chose, quand Scevola, pour sauver sa ville, le pensa tuer, prit son Secretaire au lieu de luy. Ainsi fut meurdry le Roy Sigisbert à l' instigation de Fredegonde, lors que Chilperic son mary estoit par luy estroitement assiegé en la ville de Soissons, ou Cambray. Ainsi Amurath Roy des Turcs, dans sa chambre par un soldat qui faisoit semblant de luy vouloir baiser les mains: qui fut cause (dit Theodore Spadugin) que depuis il fut ordonné que les Gardes tiendroient les mains de tout homme qui viendroit salüer le grand Turc, pour obvier de là en avant à tel inconvenient. Et à peu dire, de nostre temps en cette façon fut occis François Duc de Guyse en l' an mil cinq cens soixante & un, par Poltrot devant Orleans: la mort duquel fit lever le siege, & tout d' une suite apporta la Paix par tout le Royaume. Cela s' est fait par des particuliers. Mais que tout un peuple par Loy ancienne du pays fust voüé à faire de tels meurdres, quand il en recevoit commandement par son Prince ou Superieur, je n' en trouve que deux manieres de gens, ceux qui de nostre jeune aage suivirent la secte des Anabaptistes soubs Jean Leïdan, & anciennement au Levant les Assaßins, subject de ce present chapitre. Celuy qui premier en introduisit l' usage fut un Seigneur, lequel lors de nos voyages d' outremer s' estant fortifié dans un Chasteau de tres-difficile accés, attiroit à sa suite plusieurs gens ramassez, ausquels il donnoit des brevuages pour les endormir d' un profond somme, & à leur resveil ils se trouvoient en une maison de plaisance, où ils estoient accueillis de toutes sortes de voluptez par personnes à ce atiltrees: Et apres avoir passé en cette façon quelques jours, finalement estans endormis par cette potion, puis resveillez on les presentoit à leur Prince, lequel s' informant d' eux de tout ce qu' ils avoient faict en dormant (car à vray dire ils estimoient que ce fust un Songe) il leur faisoit promesse d' un tel Paradis, là & au cas que pour la deffense de leur Religion ils voulussent entreprendre de tuer ceux des Chrestiens qui leur seroient par luy commandez: ce qu' ils sceurent fort bien exploicter, & depuis tels commandemens s' estendirent non seulement encontre les Chrestiens, mais aussi contre tous autres, ores qu' ils fussent Mahumetistes, ainsi qu' il sembloit bon à leur Roy. Chose à quoy ils se voüoyent d' un cœur si franc, & gay, que leur commun mauldisson estoit, Mauldy sois tu comme celuy qui s' arme de peur de mouri. Nicetas Senateur de Constantinople dit qu' ils portoient tel respect aux commandemens de leur Seigneur, que si seulement ils eussent descouvert à un clin d' œil, que sa volonté estoit qu' ils mourussent, ils se fussent precipitez du haut en bas d' une maison, & exposez au meillieu de cent espees, ou jectez au feu, ou dans l' eau, plustost qu' ils ne luy eussent obey: & qu' estans par luy deleguez pour tuer quelques Princes, ils se transportoient vers eux, comme leurs serviteurs, ou comme ayans à leur dire quelque chose à l' aureille pour  leur profit, & trouvans leur apoint, ils ne doutoient de les tuer, à la charge d' estre puis apres tuez. Vray que le passage est corrompu, les appellans Chaßins, au lieu d' Assaßins, tout ainsi qu' en un autre endroict vous trouverez Blachiens ceux qu' on disoit Valachiens. Guillaume de Nangy acquiesçant à cette opinion, dit que ce Roy des Assassins estoit non seulement redouté des Chrestiens, mais aussi des Sarrazins: Et parce que son passage fait grandement à mon intention, il me plaist de le vous transplanter icy tout au long. Ce tres-mauvais, & mal-veillant Seigneur de Assassins habitoit en la confinité & contree d' Antioche & de Damas en Chasteaux tresbien garnis sur montagnes: Celuy Roy estoit moult redouté & craint des Chrestiens, & des Sarrazins, Princes prochains, & lointains: pource que moult de fois eux par ses messagers indifferemment faisoit occire: car aucuns enfans commandoit de sa terre estre emmenez en ses Palais, & illec apprenoient toutes manieres de langue, & estoient enseignez d' aimer leurs Seigneurs sur toutes autres choses, & à luy jusques à la mort obeyr, qu' ainsi pourroient aux joyes de Paradis parvenir, & quiconque mouroit en obedience, estoit honoré au gré de la terre des Assassins: & ainsi à leur Roy obeyssans, moult de Princes occirent, comme ceux qui de leur mort avoient peu de crainte. 

Il dit vray: car par eux fut proditoirement mis à mort le Comte de Tripoly, & quelque temps apres Edoüart d' Angleterre, plus Thierry Prince de Tir. Philippe Auguste estant de retour de son voyage de Hierusalem, eut advis que le mesme Richard Anglois, avoit attitré quelques uns de ce peuple pour le meurdrir, qui le fit tenir sur ses gardes plus ententivement que de coustume. Sainct Louys en l' un de ses Voyages d' Outremer fut adverty qu' on luy vouloit dresser pareille embusche. Le tout de la mesme façon, que sur nos jeunes ans nous vismes un Jean Leïdan Prince des Anabaptistes, dont j' ay cy-dessus parlé, qui depescha douze de ses supposts pour tuer tous les Princes d' Allemagne, a fin de maintenir contr'eux sa Religion.

Tout de cette mesme façon les Jesuites ont introduit en leur Republique,  un nouveau formulaire d' Estat, non seulement contre ceux qui pretendent guerroyer leurs Roys, Comme contre le feu Prince d' Orenge, qu' ils firent assassiner dedans Anvers l' an mil cinq cens quatre vingts quatre par un Baltasard Girard, & encores contre le Prince Maurice son fils, l' an mil cinq cens quatre vingts dix-neuf, par Jean Parme: mais contre les Roys, & Roynes mesmes en & au dedans leurs Royaumes: Ainsi l' attenterent-ils par quatre fois contre la defuncte Royne Elisabeth d' Angleterre, par leur Jesuite Campian ou Campiense, l' an mil cinq cens septante huict. Par Guillaume Parry l' an mil cinq cens octante quatre à ce poussé & induict par Benedetto Palmio dedans la ville de Venise, & depuis confirmé dedans Paris, par Hannibal Coldreto: Par Patrice Culan 1588. persuadé par un meschant Jesuite nommé Holt. Et par Edoüard Squirre l' an mil cinq cens nonante sept par les inductions de leur Pere Richard Walpod. Ainsi deux fois contre nostre grand Roy Henry IIII. reduict sous l' obeyssance du sainct Siege de Rome, l' une en l' an mil cinq cens nonante trois par Pierre Barriere dit la Barre, dedans la ville de Melun, au beau milieu de la trefue, l' autre en celle de Paris l' an mil cinq cens nonante quatre par Jean Chastel dedans la Paix: celuy la mené à la main par les instructions & memoires de Varade & Commole Jesuites, & cestuy-cy nourry en leur escole dedans Paris: Ainsi l' ont-ils voulu de fraische memoire pratiquer, en l' an mil six cens cinq par leur Garnet contre Jacques Roy d' Angleterre, Escosse & Hibernie, c' est à dire la grande Bretagne. Et qui est une chose pleine de pitié & d' horreur tout ensemble: C' est que tout ainsi que le Prince des Assassins du Levant promettoit un Paradis asseuré à ceux qu' il mettoit en œuvre, là & au cas qu' ils mourussent sur cette querele, aussi font le semblable nos Jesuites à leurs champions, ausquels ils administrent premierement le Sainct Sacrement de penitence, puis celuy de communion, & armez de cette devotion leur laschent franchement la bride pour executer leurs detestables parricides. Institution impie, abhominable, & abhorrente de nostre Religion Chrestienne, mais grand artifice du Diable, pour les faire redouter, & consequemment quelquesfois embrasser par les Princes & grands Seigneurs, a fin de ne tomber en leurs aguets. Et qui est un malheur admirable, ce venin s' est espandu dedans quelques autres membres de nostre Eglise. Comme nous vismes par le malheureux parricide commis le deuxiesme jour d' Aoust mil cinq cens octante neuf en la personne de nostre bon Roy Henry troisiesme, à Sainct Cloud, par frere Jacques Clement Jacobin. Que Jean Mariana Jesuite a solemnizé comme chose tres-saincte au premier livre de son institution du Prince, chapitre sixiesme. Mais pour ne m' esloigner de mon but, combien que du commencement ces Assassins demeurassent en certaine contree, toutesfois ils furent depuis espandus en forme de secte par tout le Levant, ainsi que nous tesmoigne Jean Sire de Joinville, que les appelle Beduins: Mais il est certain que leur vray nom estoit d' Assassins, comme nous apprenons de Raphael Volaterran en sa Geographie, de Paule Aemile en ses Croniques de France, & de Guillaume Nangy par moy cy dessus allegué. Nicolas Gilles en ses Annales les appelle Arsacides d' un mot corrompu. Or d' eux est venu que la posterité tant en France, qu' en Italie: (car & François & Italiens entreprenoient d' ordinaire ensemblement tels voyages de Levant) appella Assassins ceux qui de sens froid, & guet apens faisoient des meurdres, & Assaßinats le mal qui en advenoit.

Au regard de l' Apanage, qui a exercité plusieurs esprits de la France, pour sçavoir dont il prenoit son origine: il est certain que tant sous la premiere que seconde lignee de nos Rois, mesmes bien avant sous la troisiesme, les Apannages estoient incogneus entre les enfans puisnez de la Couronne, tels que nous les observons aujourd'huy. Paul Aemile, autheur duquel je fais grand compte entre tous nos Historiographes, dit que Baudoüin Comte de Flandres, & Louys Comte de Blois s' estans croisez avec le Venitien, Baudoüin s' estant emparé de l' Empire de Constantinople, departit entre ses principaux Capitaines quelques Provinces, par forme de Panage. Nous y avons adjousté quelques formalitez tirees de nostre vieille Loy Salique.

8. 19. De ces mots, Maistre, Souverain, Suzerain, Sergent.

De ces mots, Maistre, Souverain, Suzerain, Sergent. 

CHAPITRE XIX.

Il en prend aux mots, comme à nos fortunes: Nous voyons quelques-fois gens de peu de merite estre levez aux grans honneurs sans sçavoir pourquoy, & les autres ravaller de leurs dignitez. Ainsi est-il des paroles, dont les aucunes furent autres-fois vilipendees, que nous voyons puis apres venir en valeur, & les autres qui avoyent esté en valeur, estre puis apres contemnees. Je m' en rapporte à ce mot d' Heresie Grec depuis transplanté dedans Rome qui signifioit opinion, & par succession de temps nous l' avons tourné en si mauvaise part, que nous n' en usons que contre ceux qui nous contreviennent à la Foy & Religion Catholique. Le semblable est advenu au mot de Tyran que l' on approprioit à tout Prince Souverain, qui vivoit selon les Loix communes de son pays, sans extravaguer, & depuis on l' a adapté à celuy qui contre tout ordre de droict se fait croire à la foule & oppression de ses subjects. Autant en est-il advenu à ce mot de Maistre, qui n' estoit anciennement attribué qu' aux dignitez authentiques, & maintenant est venu en tel raval, que quand on se veut mocquer d' un homme, on l' appelle un Maistre és arts, & n' y a mestier où l' on usurpe le mot de Maistre pour celuy qui a fait son chef-d'oeuvre. Les deux plus grandes compagnies de la France, chacune en son endroit, sont la Cour de Parlement, & Chambre des Comptes de Paris. Au temps du premier plant & establissement du Parlement on appelloit les Conseillers Maistres du Parlement. En l' Ordonnance de l' an 1321. Deffence aux Maistres de sortir de la Chambre sans la permission du Souverain, & en un autre article de ne desemparer la ville sans la licence du Chancelier & du Souverain. Ce mot s' est perpetué jusques à huy en la Chambre des Comptes, en laquelle tous les Conseillers sont appellez Maistres des Comptes. Chose qui estoit provenuë d' une bien longue ancienneté. Theodoric Roy d' Italie escrivant au Senat de Rome dans Cassiodore livre I. Eugenitem illustrem virum, litterati dogmatis opinione fulgentem: Magisterij honore subveximus, ut gereret, quam nomine poßidebat dignitatem. C' estoit qu' il l' avoit fait Senateur de Rome, & mandoit au Senat de l' admettre en leur compagnie. Ce mot estoit tellement authorisé par nos anciens, que l' on l' attribuoit encore aux plus grandes dignitez, comme aux Maistres des Requestes. J' ay veu un reiglement fait en l' an 1350. par Philippes de Valois, des Officiers de sa maison, où il appelle le Grand Fauconnier & Grand Veneur, Maistre Veneur & Maistre Fauconnier.

Or y eut encore un autre mot qui fut familier entre nos anciens, car ils appellerent Souverain celuy qui estoit le Superieur des Maistres, tesmoings les deux articles de l' Ordonnance de Philippes le Long par moy cy-dessus cottez. Car quand on fait deffence aux Maistres de sortir de la Chambre sans la permission du Souverain, c' est à dire, de celuy que nous avons depuis appellé President. L' un des plus anciens Presidens de la Chambre des Comptes, fut le Sire de Suilly. Et par l' Ordonnance de l' an 1316. il est appellé Souverain des Comptes, mot qui estoit encores en essence sous le regne de Philippes de Valois, lequel en l' an 1344. commandoit à la Chambre de recevoir l' Esleu de Langres qu' il avoit nommé pour l' un des Souverains d' icelle. En l' an 1356. Messire Louys de Beaumont President en la mesme Chambre du temps du Roy Jean est appellé Souverain. Celuy qui avoit toute intendance sur le Thresor 1342. Souverain du Thresor. Messire Pierre de Villiers grand Maistre auquel Charles VI. avoit baillé la charge de l' Oriflambe, est appellé en l' an 1372. Souverain Maistre d' Hostel du Roy. En une Ordonnance de Charles VI. du 6. Janvier 1407. le Comte de Tancarville Souverain Maistre & General reformateur des Eauës & Forests. Il n' est pas que les Baillifs & Seneschaux ne fussent aussi appellez Souverains à l' esgard des Prevosts & autres qui estoient en leurs sieges au dessous d' eux. Non pas que tous ces sieurs eussent une puissance absoluë en leurs dignitez, comme est maintenant l' usage du Souverain: mais par ce mot on entendoit simplement celuy qui estoit le Superieur des autres. Ce que vous recueillerez encores plus amplement de nos vieilles Ordonnances qui sont Latines & Françoises, esquelles si vous trouvez au Latin parlant des Seneschaux & Baillifs, Salva superioritate & ressorto, nos ancestres le tournerent en François. Sauf la souveraineté & ressort: Et ce grand Edit qui fut faict par Charles cinquiesme, Regent par l' advis des trois Estats sur la reformation du Royaume, il deffend aux Baillifs & Seneschaux de cognoistre d' aucune cause, sinon en cas de ressort & de Souveraineté. Mot qui est vrayement du nombre de ceux que nous pouvons appeller Romans, c' est à dire, que nous transportasmes en nostre langue, non par les reigles de la Grammaire Latine: mais quand par communication avec les Romains, nous eschangeasmes nostre langage Walon en Roman. Car il est certain que les Romains prononçoient l' V par la diphthongue Gregeoise, *gr comme nous apprenons de ces deux vers d' Ausone à Paulin.

Una est in nostris qua respondere Lacones 

Littera, & irato Regi dixere negantes.

Et encores par une ordinaire prononciation nous changeasmes le P Latin en un V comme nous voyons en ces mots Praepositus, Lepus, & autres, Prevost, Leurault. Parquoy ce que le Romain appelloit Superior, prononçant l' V en Ou, nous en fismes le mot de Souverain de la signification telle que dessus: Ce que j' ay dit du Souverain, se marque encores plus expressément en l' Ordonnance de S. Louys de l' an 1256. qui portoit cet article entr'autres. Nous commandons que nuls Seneschaux & Baillifs ne tiennent trop grand planté de Sergiens, mais au plus po qu' ils pourront en ayent pour faire les commandemens de nou & de noz Cours: Et voulons que le Bedel & Sergien soient nommez en plaine Assise, autrement ne seront-ils pas nommez pour Bedels ne pour Sergiens, & si le Sergiens est envoyé en parties loingtaines ne soit pas creu sans lettre de son Souverain. C' est à dire qu' il se donne bien garde de faire exploict en pays esloigné sans la commission de son Baillif ou Seneschal. Mot encore en usage pour mesme effect, en l' an 1386. où par le Reiglement faict par Charles sixiesme entre les Baillifs & Prevosts, est deffendu aux Prevosts de faire aucun don à leurs Juges Souverains. Ce mot ayant avec le temps gaigné plus grande authorité pour avoir esté approprié seulement aux Princes qui peuvent absolument s' en faire croire, ceux qui furent nourris aux escoles firent le mot de Superieur suivant nostre prononciation Françoise, & les autres qui suivirent la pratique delaisserent le mot de Souverain trop hardy, & en forgerent un autre qui approchoit aucunement de cestuy. Ce fut d' appeller Juges Souverains qui cognoissoient par appel des causes de leurs Juges inferieurs. Par ainsi voila comme d' un mot de Souverain qui s' employoit communément à tous ceux qui tenoient les premieres dignitez de la France, mais non absolument, nous l' avons avec le temps accommodé au premier de tous les premiers, je veux dire au Roy. Et quant au mot de Maistre qui s' adaptoit par antonomasie aux plus grandes dignitez de la France, encores que chacun en son particulier soit intitulé Maistre, si est-ce que nous rapportons aujourd'huy cette qualité aux moindres, comme sont les Escoliers & Maistres és arts, & Maistres des mestiers. Mais puis que je me suis donné le loisir de discourir sur le mot de Souverain, & qu' en l' Ordonnance de S. Louys il est faict mention des Sergens, il me plaist icy de faire le soubresaut de Phaëton & me precipiter du Ciel en Terre. Je veux doncques maintenant deduire dont procede ce mot. Ce grand IC. Cuias l' estimoit prendre son origine du Caesarianus Latin qui avoit quelque rencontre en sa charge avec le Sergent, & que par corruption de langage on en eust fait un Caesarien, & depuis Sergien. Les autres qui ne veulent rien desrober à leur patrie, le disent estre un mot composé, Sergens quasi Serre-gens, d' autant que leur estat est voüé à la capture des mal-gisans. Toutes-fois je ne doute nullement qu' il ne vient de l' un ny de l' autre, car il est certain qu' il vient de Serviens diction Latine par un changement d' V en G, qui nous est fort familier comme nous voyons que ces mots Vasco, vastare, vagina, nous avons fait Gascon, gaster, gaine, voire que du milieu de la diction de Phlegma, nous avons fait le mot de Phleume. Aussi nos plus vieux François firent du Latin Serviens un Sergiens que nous avons depuis appellé Sergent. Dans la vieille Histoire de S. Denis en la vie du Debonnaire, l' Autheur appelle les serviteurs de Dieu Sergens de Dieu: En la vie du Begue les Evesques de France escrivans à Jean Pape de Rome, s' appellent Sergens & disciples de sa saincte Authorité. Et dans le Roman de la Rose les amoureux sont souvent appellez Sergiens d' Amour, mais sur tout je vous veux cotter un passage tres-expres du Roman de Guerin de Mortbrune.

Si advint qu' un Sergiens qui à cour repairoit

Feut pris de larrecin, des anneaux qu' il embloit,

La vieille vint à luy en la prison tout droit

Si luy dit: Mon amy le tien corps mourir doit:

Mais si faire voulois ce que l' on te diroit,

Tu serois deliuré, & mis hors du befroit,

Dame, dy ly Varlets, qui de cœur l' escoutoit,

Il n' est rien en ce monde que mes corps ne feroit, 

Pour garentir, &c.

En un Registre de Parlement de l' an 1317. les Huissiers de la Cour sont appellez Valeti Curiae. Que si vous me demandez dont vient que ceux qui executoient les mandemens de Justice furent appellez par nos anciens, Sergens, qui ne sonnoit autre chose que Serviteurs. C' estoit parce que du commencement les Baillifs & Seneschaux employoient à cette charge leurs Serviteurs domestiques, & depuis en gratifierent uns & autres ainsi qu' il leur plaisoit. C' est pourquoy pour donner ordre à cet abus, on trouve en un vieil Registre du Parlement de l' an 1286. Praeceptum fuisse praeposito Parisiensi, ut effrenatam Servientium multitudinem ad certum numerum reduceret, pedites scilicet ad septuaginta, & equites ad triginta quinque. Et en l' Ordonnance de Philippes le Bel de l' an 1302. reduisant sa volonté à celle de son ayeul S. Louys de l' an 1256. Praecipimus quod qui in Servientes eliguntur, praestent idoneas cautiones. Par l' Ordonnance de S. Louys par moy cy-dessus cottee, on les appelle indifferemment Bedeaux & Sergens. Dans le vieux Coustumier de Normandie chapitre 5. est mise difference entre les Sergens à l' espee & les Bedeaux. En ce (dit le texte) que les premiers estoient ceux qui devoient Justicier vertueusement à l' espee tous malfaicteurs, & principalement faire que ceux qui estoient possesseurs fussent tenus en paix: Et les Bedeaux estoient les moindres Sergens qui devoient faire les moindres services. En fin ce mot de Bedeau est demeuré aux supposts du Recteur de l' Université de Paris qui vont aux ceremonies publiques devant luy, avecques leurs Masses argentees. Et encores en quelques subalternes Jurisdictions, comme au Four l' Evesque de Paris, où les Sergens sont appellez Bedeaux.

8. 18. Des proverbes qui sont tirez en nostre langue de ce mot, Chapperon.

Des proverbes qui sont tirez en nostre langue de ce mot, Chapperon.

CHAPITRE XVIII.

Ce fut un affeublement ordinaire de teste à nos anciens que le Chapperon. Chose que l' on peut aisément recueillir tant par ce mot Chapperonner, dont nous usons ordinairement encore aujourd'huy, pour Bonneter, que par ces deux proverbes. Qui n' a point de teste n' a que  faire de Chapperon, Et deux testes en un Chapperon, quand nous voulons signifier deux hommes qui sont de mesme volonté, & colludent ensemblément, duquel dernier proverbe usa autres fois Jean de Mehun dedans son Roman de la Roze, parlant de Contraincte Abstinence & de son Pere Confesseur: Toutes lesquelles manieres de parler estans tirees de l' usage qui couroit lors entre nous se sont continuees jusques à huy, encores que la coustume en ait esté du tout perduë. Or que les anciens usassent de Chapperons au lieu de Bonnets, nous l' apprenons mesmement de nos Annales: quand Charles cinquiesme du nom, pendant la prison du Roy Jean son Pere, estant Regent sur la France, à peine se peut garentir de la fureur des Parisiens, pour un descry de monnoyes qu' il fit lors faire, & eust esté en tres-grand danger de sa personne sans un Chapperon my-party de pers & rouge, que Marcel lors Prevost des Marchands luy mist sur la teste. Et a fin que l' on ne se face point accroire qu' il n' y eust que les grands & puissans qui portassent le Chapperon, ains que c' estoit une chose commune à tous, Maistre Alain Chartier nous en donne certain advertissement en l' Histoire de Charles VII. au chap. traictant de l' an 1449. où il dit que le Roy ayant repris la ville de Rouen fit crier que tout homme grand & petit portast la Croix blanche sur la robbe, ou le Chapperon. Quelques uns ont semblablement estimé que nos ancestres usoient de cet accoustrement de teste tout ainsi que maintenant les femmes, c' est à dire sans se defeubler. Qui est une opinion faulse, comme l' on peut apprendre de deux passages de Monstrelet, l' un au 78. chap. du I. Tome, où il dit que les Flamens qui estoient arrivez en France avec le Duc Jean de Bourgongne s' estans retirez en leurs païs, iceluy Duc envoya le Comte de Nevers son frere pour les prier de demeurer encore quatre jours: Et là dit cet Autheur que le Comte arrivé le Chapperon hors la teste devant eux, les pria à mains jointes tres-humblement qu' ils voulussent demeurer avec luy jusques à quatre jours: Et ailleurs au chap. 199. ensuivant racontant que la Royne Isabelle avoit esté confinee en la ville de Tours, sous la charge de Maistres Jean Torel, Jean Picard, & Laurens du Puys, il dit qu' elle avoit sur tous en grande haine Torel, parce qu' il parloit à elle irreveremment sans mettre la main à son Chapperon: qui est contre l' advis de Maistre Jean de Luc en ses Arrests qui dit, qu' anciennement les Procureurs de la Cour de Parlement vestus de leurs robbes longues & leurs Chapperons en la teste, lors que le President les interrogeoit sur quelque poinct, ne faisioient tant seulement que descouvrir le front, le reste demeurant couvert. De toutes ces choses doncques l' on peut recueillir que le Chapperon estoit le commun usage de teste des anciens, qui apporta comme j' ay dit ces deux Proverbes que j' ay cy-dessus recitez. Depuis petit à petit s' abolit cette usance premierement entre ceux du menu peuple, & successivement entre les plus grands, lesquels par une forme de mieux seance commencerent de charger petits Bonnets ronds portans lors le Chapperon sur leurs espaules pour le reprendre toutes & quantes-fois que bon leur sembleroit, ce que j' ay autres fois averé par un vieux livre enluminé de plusieurs belles images du temps de Charles VII. qui estoit en la Librairie du Roy François I. à Fontaine-bleau, dans lequel y avoit entre autres un Roy tenant Cour planiere, assisté de tous ses Nobles dont les aucuns diversement avoient leurs Chapperons en teste, & les autres sur leurs espaules, qui verd, qui rouge, qui pers, le tout de la mesme couleur qu' estoient les Bonnets, ou Chappeaux qu' ils avoient sur leurs testes: Et comme toutes choses par traite & succession de temps tombent en nonchaloir, aussi s' est du tout laissée la coustume de ce Chapperon, & est seulement demeuree par devers les gens du Palais, & Maistres és arts, qui encore portent leurs Chapperons sur leurs espaules: & les Bonnets ronds sur leurs testes, Bonnets qui furent appellez Ronds pour la forme ronde que lors ils avoient. Desquels je ne veux icy discourir pour leur avoir donné un Chapitre particulier au 4. Livre de ces Recherches.