sábado, 5 de agosto de 2023

8. 24. De ces mots, Compagnon, Compagnie, Compain.

De ces mots, Compagnon, Compagnie, Compain.

CHAPITRE XXIV.

Encores faut-il que je loüe icy la diligence du mesme Henry Estienne, lequel au mesme livre parlant de Compagnon, & Compagnie, le raporte à un ancien mot Benna, tiré d' un passage de Festus, qui dit: Benna lingua Gallica genus vehiculi appellatur; unde vocantur Combennones in eadem Benna sedentes. Et que sçait-on (dit Estienne, car je ne luy veux rien desrober) si de ce Combennones on avroit point dit premierement Compennons, en changeant le B. en P. duquel en fin seroit venu Compagnons? Ce qui soit dit par parenthese (adjouste-il) & comme par maniere de devis, veu mesmement que je sçay bien que ce mot a d' autres Etymologies, qui ne sont sans quelque apparence, mesmement pour ce que Compain se trouve en langage Picard. A tant Estienne. 

Or quant à moy je tiens pour tres-asseuré que Compain est le mot originaire, dont est issu Compagnon, & de Compagnon, Compagnie. Nos vieux Poëtes appellent souvent Compain, celuy qui est leur amy. Entre toutes manieres de parler dont nous usons pour signifier une frequentation, on dit ordinairement, c' est trop mangé d' un pain en un lieu, pour trop demeurer en un lieu: Et quand un maistre courroucé veut donner congé à son Varlet, il dit qu' il ne mangera plus de son pain: Cela me fait penser que par le mot de Compain, nos ancestres voulurent representer celuy avec lequel ils vivoient, ou (si ainsi voulez que je le die) mangeoient leur pain d' ordinaire. Le Grec par un mot fondé sur le boire dit anciennement *grec & les Romains se tenans plus au large l' appellerent Convivium, tiré du mot de la vie. Et nous du mot de Compain, fismes celuy de Compagnie, pour ceux qui mangeoient leur pain ensemblement.

8. 23. De quelques proverbes François tirez des Monnoyes.

De quelques proverbes François tirez des Monnoyes.

CHAPITRE XXIII.

A tout seigneur, tout honneur, dit le peuple: A la mienne volonté que tous ceux qui prendront, ou apprendront de moy quelque chose, y procedent de mesme rondeur que je fay. Car desja ay-je senty en mon ame quelque affliction de ceux qui se son faits riches dans leurs œuvres à mes despens sans me nommer. J' ay ouy dire maintesfois qu' un homme est marqué à l' A, quand on le veut qualifier tres-homme de bien, & si sçavois bien que cela estoit emprunté des monnoyes: Mais par ce que Henry Estienne en son livre de la Precellence de la langue Françoise en a fait estat, je ne seray marry d' en faire icy mention. En toutes les villes esquelles il est permis de forger monnoyes, on les marque par l' ordre abecedaire selon leurs primautez, a fin que si elles se trouvent trop foibles d' alloy, ou de poids, on se puisse addresser contre les Maistres des monnoyes des lieux. Paris pour estre la Metropolitaine de la France, est la premiere, & pour cette cause la monnoye que l' on y forge est marquee à l' A. Et d' autant que les Monnoyeurs de ce lieu là peuvent estre esclairez de plus pres par les Generaux des monnoyes qui y resident, on y a tousjours fait monnoye de meilleur alloy, & poids qu' és autres villes. Qui a donné cours à cest adage. De mesme façon disons nous que celuy qui forge la fausse monnoye donne un souflet au Roy, plus par une metaphore, que proverbe: Et encores, il est descrié comme la vieille monnoye, pour un homme qui est en mauvaise reputation parmy le peuple: Mais je diray pour ce dernier, que le Proverbe ne me plaist point: Car comme nos affaires vont par la France, la vieille monnoye est meilleure que la nouvelle, laquelle depuis une centaine d' ans va tousjours en affoiblissant.

Les Monnoyes d'or & d'argent

8. 22. De ce que par maniere de gausserie on appelle Puceaux ceux qui au soufle de leur haleine r'allument une chandelle esteinte.

De ce que par maniere de gausserie on appelle Puceaux ceux qui au soufle de leur haleine r'allument une chandelle esteinte.

CHAPITRE XXII.

Toutes & quantesfois qu' il advient qu' une chandelle, ou bougie esteinte est r'allumee par l' un de nous au soufle de nos haleines, une, deux, ou trois fois selon la force de la meche, ou luminon, où il reste quelque peu de feu, nous disons en gaussant que si c' est une homme, qu' il est puceau; si une femme, qu' elle est pucelle: Mais dont peut proceder cette drolerie de langage? Car ainsi suis-je contrainct de l' appeller. Il ne faut rechercher ne livre, ne histoire pour en rendre raison. Mon opinion est que quiconque donna cours à cette rencontre, estoit tout de contraire advis à celuy de Tertullian, lequel au premier livre qu' il escrit à sa femme, dit que la veufve a plus de peine de maintenir sa chasteté, que la pucelle, sa virginité. D' autant qu' il est aisé de ne souhaiter ce que vous ne sçavez & tout d' une suitte de resister à ce que ne desirastes jamais: Au contraire qu' il y a plus de gloire en celle qui sent son mal pour avoir fait experience du bien. En bon langage il en parle comme si une vierge ne sentoit les aiguillons de la chair, pour n' avoir esté mise en œuvre. Leçon qu' elle aprend de soy mesmes, par les instincts de la nature avec la promotion de ses ans. Quant à moy je pense qu' encores qu' en la copulation charnelle de l' homme & femme, il y a grande volupté, toutesfois que celuy qui ne l' a esprouvee que par imagination, la pense cent & cent fois plus grande qu' elle n' est. Pour le moins le recognoist-on en ces amoureux transis, lesquels apres avoir fait mille tours de cinges devant leurs maistresses, pour parvenir au poinct par eux pretendu, quelque temps apres qu' ils y ont attaint, se trouvent plus refroidis, qu' ils n' avoient esté auparavant eschauffez à la poursuitte de leur sottie. Et de fait le mesme Tertullian ne s' esloigne pas beaucoup de mon opinion, quand en son exhortation à la chasteté, il dit que la premiere felicité de la femme gist en sa premiere virginité, c' est à dire de n' avoir cognoissance de ce dont on est puis apres bien aise d' estre deliuré: comme s' il eust voulu dire qu' apres que ces premiers feux sont esteins en nous par l' attouchement mutuel, nous commençons de les mespriser. Ce qui n' advient pas à ceux qui mesurent ce plaisir par la seule imagination. Il n' y a rien en quoy Nature ait esté si sage, qu' és semences de cest appetit furieux, qu' elle espandit dans nos cœur. Remettez devant vos yeux les incommoditez enchainees qui se trouvent au mariage, une liberté que l' on captive soubs la servitude de tel, ou telle, que ne cognoissiez que d' un mois, qu' il faut que vostre vie soit attachee aux imperfections d' un autre, & les supporter dissimulément pour viure en paix. Que vostre honneur despende de la folie d' une femme au contraire que la sagesse d' une femme soit le plus du temps exposee soubs la tyrannie d' un sot, la grande despence necessaire qui est à la suitte de ce mesnage, beaucoup plus grande que d' un garçon. Brief que le plus grand fruict de vostre mariage despend des enfans, lesquels plus vous aymez, plus produisent-ils d' amertumes dedans vos ames, par leurs desbauches, leurs morts, le soing de leurs advancemens. Et au bout de cela, que c' est à la vie, & la mort qu' il en faut estre logé là. Remettez dis-je d' un esprit calme, toutes ces perplexitez devant vos yeux, vous fuyrez le mariage comme un escueil, ou precipice de vostre bien en malaise, & faudra vous y allecher par privileges, ou contraindre par amendes extraordinaires. Qui nous y semond doncques, & nous faict oublier tout cela? Cette furieuse apprehension du plaisir de l' homme à la femme, vray chef d' œuvre de la Nature, pour s' immortaliser en ses especes mortelles par une surrogation de l' un à l' autre: & cette apprehension estant beaucoup plus violente devant l' effect, qu' en apres: aussi est-il plus facile de le renouveller de jour à autre dedans nous, ores, ou que par la crainte de Dieu, ou de nostre honneur, nous les voulions amortir: Et tout ainsi que ce renouvellement advient aux feux interieurs de nos ames, par les objects qui se presentent devant nous, aussi pour venir au subject de ce present chapitre par une belle metaphore voulut-on appeller puceaux, ou pucelles ceux, ou celles, qui en souflant r'allument une chandelle esteinte, en laquelle il reste quelque feu en la meche

De ce que par maniere de gausserie on appelle Puceaux ceux qui au soufle de leur haleine r'allument une chandelle esteinte.