sábado, 5 de agosto de 2023

8. 27. De ce que nous appellons nos creanciers, Anglois.

De ce que nous appellons nos creanciers, Anglois.

CHAPITRE XXVII.

Guillaume Cretin remerciant le Roy François premier de ce nom, de quelque argent qu' il luy avoit ordonné, par le moyen duquel il avoit acquité toutes ses debtes, entre autres choses, dict ainsi:

Marchans, taquins, usuriers, incredules,

Pour recognoistre, ou nier mes sedules,

Me firent hier adjourner, & citer,

Et aujourd'huy je fais solliciter

Tous mes Anglois pour mes debtes parfaire,

Et le payement entier leur satisfaire, 

Clement Marot dans l' un de les Rondeaux qu' il adresse à un sien fascheux creancier.

Un bien petit de prés me venez prendre

Pour vous payer, & si devez entendre

Que ne vey oncques Anglois de vostre taille,

Car à tous coups vous criez, baille, baille,

Et n' ay dequoy contre vous me deffendre

Un bien petit.

Vous voyez par ces vers que l' un & l' autre appelle ses creanciers Anglois: Et à vray dire ce mesme mot en cette signification, tombe en la bouche ordinaire du peuple, sans sçavoir dont procede cela: Toutesfois il est aisé d' en rendre compte, qui considerera les traictez qui ont esté faicts entre nous & eux. On les appelloit autresfois anciens ennemis de la France, & certainement non sans cause: Car depuis que Louys le Jeune eust esté si jeune, & mal conseillé de repudier Leonor fille unique & heritiere du Duc d' Aquitaine, & qu' elle se fust mariee avec Richard Roy d' Angleterre, il seroit impossible de dire combien se trouverent grands les Anglois au milieu de nous: Par ce que de leur chef, & ancien estoc, la Normandie leur appartenoit: Et cette Princesse avoit annexé de nouvel à leur Estat tout la Guyenne, Poitou, Anjou, Touraine & le Maine, qui n' estoit pas un petit martel en la teste de nos Roys, dont Philippes Auguste premierement nous garentit. L' alliance qui depuis fut faicte avec eux par le mariage d' Isabelle fille de Philippes le Bel, avec Edoüart, introduisit une pepiniere de guerres, contre Philippes de Valois, & ses successeurs. Et finalement la conqueste que fit sur nous Henry cinquiesme, & le mariage de luy avec Catherine fille de Charles sixiesme apporta presque la ruyne finale de l' Estat. Or comme ces entresuites de guerres desirassent de fois à autres quelques relasches, aussi furent faits divers traitez, tantost de paix, tantost de surseances d' armes à longues annees, esquelles nous n' espargnions les belles promesses, soit d' argent, soit de restitution de pays, tesmoin le traicté de Bretigny pour racheter nostre Roy Jean de prison. Toutesfois les Anglois se sont faict accroire que nous ne nous acquitasmes pas, ainsi que nos capitulations le portoient. Si cecy est veritable ou non, je m' en rapporte à la verité de l' Histoire: Tant y a que Froissard, qui ne favorise pas grandement les François, est de cette opinion. Et de là est venu à mon jugement que nous appellons Anglois ceux qui pensoient que nous leur deussions. Et à ce propos me semble digne de recit, une Histoire qui s' est passee de nostre temps: Vous sçavez les pourparlers qui furent pour le mariage de la Royne Elizabeth d' Angleterre avecques François Duc d' Alençon frere du feu Roy Henry troisiesme. Qui ne se faisoient à vray dire que par mines, & beaux semblans. Car il y avoit trop grande disproportion d' aages, & peu d' esperance d' enfans: Mais ayant l' un à conquester la Flandre, l' autre à conserver les terres qu' elle avoit conquises sur le Roy Philippes d' Espagne, ils estoient contents que l' on estimast ce mariage devoir estre fait entre eux. Or comme ce jeune Prince s' eschappoit souvent à soy-mesme, aussi voulut il faire cette belle saillie. Qui fut d' aller trouver la Royne d' Angleterre, accompagné seulement de cinq ou six de ses plus confidents serviteurs. Et comme il fut arrivé apres l' avoir salüee, cette Dame qui parle assez bien François, luy dist qu' il estoit venu fort à propos pour payer les debtes qui luy estoient deuës par nous, deliberant de le tenir ce pendant en ostage. Ce Prince du commencement estonné, ne sçachant si à bon escient, ou petit semblant cette parole estoit proferee, fut aucunement à se repentir de ce voyage si hardy. Mais la Royne ayant accompagné cette parole d' un doux sous-ris, le Duc luy respondit qu' il estoit venu non seulement pour ostage, mais pour tenir prison clause, comme celuy qui estoit vrayement son prisonnier: Et ainsi estant le mieux que bien venu, fut par plusieurs jours festoyé avec toutes les allegresses que l' on pourroit souhaiter.

8. 26. De ces mots, de Fy entre les François, & de Physicien usurpé pour Medecin par nos ancestres.

De ces mots, de Fy entre les François, & de Physicien usurpé pour Medecin par nos ancestres.

CHAPITRE XXVI.

On dit en commun Proverbe que les paroles ne puent point: Et neantmoins encores doutons nous de les proferer, pourquoy doncques ne douterons nous de les escrire? c' est un privilege que la plume s' est donnee par dessus la langue. Elle ne rougit point les escrivant, & nous ne les pouvons proferer sans rougir. Allez au Roman de la Roze, allez visiter un Froissard, l' un & l' autre selon les occasions ont parlé brusquement des parties honteuses. C' est une chose esmerveillable comme les nations quelquesfois soient toutes contraires, & en façons, & en paroles. Qu' un François vous vueille appeller à soy sans parler, il esleve la main en hault l' approchant de la face: S' il veut que demeuriez où vous estes, il la tourne contrebas: En Italie tout le contraire, hausant la main, c' est un signal par lequel on vous semond de demeurer, la baissant c' est pour vous faire venir à soy. Voulez vous en François braver un homme, vous dites que vous le ferez bien camus, ou que luy rendrez le nez aussi plat comme une andoüille: Au rebours l' Italien dit Tanto di naso, representant un demy pied de nez par sa main, qu' il attache au bout de son nez. Le semblable s' est-il rencontré en cette diction de Phi. Recherchez la chez les Romains, vous la trouverrez prise pour une interjection qui ne s' approprioit qu' à choses dont l' on s' esmerveilloit. Ainsi le remarque Donat sur Terence en la Comedie des Adelphes, en ce verset où un bon compagnon de Valet parlant à son Maistre Demea, luy dit ainsi:

Phi! domui habuit unde disceret, comme si sous ce mot il eust voulu dire. T' en esbahis-tu? il a eu en sa maison un bon maistre qui luy a enseigné cette leçon. Or voyez combien ce mot est degeneré entre nous de cette ancienne noblesse. Par ce que nous n' en usons qu' aux choses les plus ordes & sales qui se presentent. Et c' est pourquoy nous appellons Maistre Fify, celuy qui se mesle du mestier de curer nos latrines. Mot qui a esté de toute ancienneté ainsi usité entre nous, comme vous entendrez des vers que je vous reciteray maintenant. Ceux que nous nommons aujourd'huy Medecins, estoient par nos anciens appellez Physiciens. Jean de Mehun en son Roman de la Roze fait sous le regne de Philippes le Bel.

Advocats & Physiciens

Sont tous liez de tels liens,

Tel pour deniers science vendent,

Et tous à cette hard se pendent 

Tant ont le gain, & doux, & sade,

Qu' ils voudroient bien pour un malade

Qu' il y en eust plus de cinquante.

Au memorial de la Chambre des Comptes cotté O, il se trouve par l' ordonnance du Roy Philippes de Valois, du mois de May 1350. qu' il n' y avroit qu' un Physicien ordinaire en Cour, & non plus à vingt sous tournois par jour, & apres sa mort, que le Roy Jean son fils n' avoit que trois Pysiciens (Physiciens). Le Roy Charles V. confirmant la fondation faicte par son ancien Medecin, & voulant que son grand Ausmonier (Aumosnier) y eust toute intendence. Carolus Dei Francorum Rex, ad perpetuam rei memoriam. Cum dilectus Physicus noster Magister Gervasius Christianus & c. Datum Parisius mense Aprilis, Anno Domini. 1378. Ce mot mesme estoit encores en usage du temps de celuy qui fit la farce de Patelin, comme aussi voyons nous Monstrelet en user souvent. Or comme ainsi soit qu' ils fussent ainsi appellez dés le temps mesme de S. Louys, Hugues de Bercy Moine de sainct Germain des Prez en sa longue Satyre, où il taxe tous les Estats soubs le tiltre de la Bible Guiot, apres n' avoir pardonné aux Advocats, tombant dessus les Medecins, voicy comment il les paye en l' orthographe qui s' ensuit. Fisiciens sont appellez, 

Sans fy ne sont-ils point nommez, 

De fy doit toute ordure naistre,

Et de fy Fisique doit estre.

De fy Fisique me deffie,

Fol est qui en tel art se fie,

Où il n' a rien qui n' y ayt fy,

Don suis-je fol si je m' y fy. 

Ne pensez pas qu' il ne paye en monnoye d' aussi bon alloy les Advocats, & Legistes, quand il dit:

On traict de la mine l' argent,

Dont on nous faict maint vaissel gent,

Et mainte autre ouiure belle, & chiere,

Et le voire de la fougiere,

Dont on faict aussi maint vaissel,

Qui moult son net, & clair & bel,

Et des haults livres honorez,

Qu' on appelle loix, & decrez,

Nous trayons engin, & barat

Et peu apres:

Et loix apprennent tricherie,

Per les poincts, & per les beaux dicts,

Que ils cognoissent és escrits,

Baratent le siecle, & engignent,

Ils ne compassent pas, ne lignent

Leur viure, si com' ils deuroient,

Et com' ils és escrits le voyent.

Et ne faut pas trouver estrange, qu' il ne les ayt pas espargnez, veu que dans sa Satyre il ne pardonne, ny aux Papes, ny aux Evesques, ny à tous les abus qu' il voyoit és Ordres de Religions. Tellement que pour retourner au refrain de ce chapitre, il y trouve je ne sçay quoy de pudeur, je dirois volontiers du fy. Au demeurant combien que ce soit hors de propos, si est-ce que ayant recité quelques vers de ce gentil Moine, encores ne veux-je oublier cecy, où il se plaint que tout alloit de mal en pis: Car paravanture ailleurs ne trouveroy-je lieu pour les employer.

Li siecle fut ja bons, & gras,

Or est de garçons, & d' enfans,

Li siecle sçachiez voirement 

Faudra per amenuisement,

Per amenuisement faudra,

Itant pera eptissera,

Que vingt homs batrons en I. jour

Et dui hommes voire bien quatre,

Se pourront en un pot combatre,

Itieux li siecle devenra

Sçachiez de voir ce avenra.

Fut-il jamais une plus hardie, & plaisante hyperbole?

8. 25. De quelques manieres de parler, tirees de la nature des Fiefs.

De quelques manieres de parler, tirees de la nature des Fiefs.

CHAPITRE XXV.

Nous disons qu' un Seigneur de paille combat un Vassal d' acier: cest adage tiré de quelques unes de nos coustumes, lors qu' elles traictent de la matiere Feodale. Tout homme qui entre nouvellement dans un Fief soit par succession, ou acquest, est tenu de faire la foy, & hommage à son Seigneur Feudal. S' il ne le fait, & que son Seigneur face proceder par voye de saisie sur le Fief, ainsi qu' il luy est loisible de faire, tant & si longuement que la saisie dure, il faict les fruicts siens, & n' y a moyen de s' en garentir, sinon en venant faire la foy & hommage, en laquelle encores faut-il rapporter beaucoup de regards. Car s' il y a eu quelques mutations precedentes, pour lesquelles soient deuz Rachapts, que l' on appelle autrement Reliefs, il faut qu' il en face offre à son Seigneur, lequel en ce faisant combatra fort vivement son Vassal, & lairra escouler le temps pendant une longue contestation sur les offres: Qui s' appelle en bon François manger & consommer un Vassal. De là le peuple a dit. Qu' un Seigneur de paille, combat un Vassal d' acier. De là aussi nos coustumes disent que pendant que le Seigneur dort, le Vassal veille, & pendant que le Vassal veille, le Seigneur dort. Qui n' est pas un adage, mais une leçon des Fiefs, qui nous enseigne que si le Seigneur ne faict saisir le Fief, son Vassal est hors de danger: Mais soudain qu' il est saisi, il faut qu' il se pourvoye par bonnes & suffisantes offres. Vray qu' il y a certaines coustumes si estrangement tyranniques, comme celle d' Amiens, & Estampes, esquelles sans user de main-mise, les fruicts sont acquis au Seigneur à chaque mutation de Fief, tant & si longuement que le Vassal est en demeure de faire la foy.