domingo, 6 de agosto de 2023

8. 33. Passer plusieurs choses par un Fidelium, & autres Adages de mesme subject.

Passer plusieurs choses par un Fidelium, & autres Adages de mesme subject.

CHAPITRE XXXIII.

Chose piteuse & detestable, que l' impieté ait apporté entre nous certains proverbes, qui ne furent oncques introduit (introduits) qu' à la derision & mocquerie, ou de Dieu, ou des bonnes, & anciennes institutions de l' Eglise. Si je ne craignois que ce chapitre apportast plus de scandale au Lecteur, que de profit, & qu' en ce faisant je fusse reputé estre sçavant ineptement, je particulariserois plusieurs choses que le peuple dit ordinairement, sans sçavoir ny quoy, ny comment, lesquelles toutes-fois ne prindrent jamais leur origine, que de personnes abhorrens du tout de nostre Christianisme. Ce neantmoins pour ne tomber au vice commun des Prescheurs, qui en accusans les heresies, donnent le plus du temps à entendre au menu peuple celles où il n' avoit jamais pensé, je suis contant passer toutes ces mocqueries sous silence, & raconter seulement quelques proverbes qui courent assez souvent par la bouche du peuple.

Quand au lieu de nous acquiter de plusieurs charges, esquelles sommes obligez, nous les passons à la legere, on dit que nous les avons toutes passees par un Fidelium. Il ne faut point faire de doute que nous avons emprunté ce commun dire, des fautes qui sont faites par nos Curez, quand ils ne rendent le devoir qu' ils doivent aux morts. Car comme il advient que l' on ait fondé plusieurs Obits en une Eglise, esquels par longs laps de temps pour la multitude d' iceux il seroit impossible de fournir, ou bien que la negligence des Ecclesiastiques soit telle, nos anciens dirent que tout cela se passoit par un Fidelium, qui est la derniere Oraison dont on ferme les prieres des morts: Voulans dire que l' on avoit employé une seule Messe des morts pour toutes les autres: Aussi fut employé ce mesme proverbe en toutes autres affaires, où l' on commettoit pareilles fautes.

Nous en avons encores un autre assez ord & sale, quand nous disons qu' un homme qui est fort crotté, est crotté en Archidiacre, qui sembleroit de premiere rencontre plustost mot de gueule que proverbe: Toutesfois qui le considerera de pres, il trouvera qu' il contient aussi bien son ancienneté que plusieurs autres: D' autant que dés la premiere institution de nostre Eglise, les Diacres estoient comme nous pourrions dire les Censeurs à Rome, & ceux qui avoient charge de s' informer des fautes commises par les gens Ecclesiastiques ou menu peuple, pour puis en faire leur rapport à l' Evesque. Toutes-fois depuis il advint que la Chrestienté croissant de jour en jour en grandeur, & par mesme moyen les Prestres que nous appellasmes Curez (tellement que chaque lieu, ville, & village avoit ses Curez à part) aussi fut de necessité d' eriger Archidiacres qui presidoient sur les Diacres, lesquels tout ainsi que les Diacres du commencement de l' Eglise (outre ce qu' ils servoient, & ministroient à l' Evesque) prenoient cognoissance des fautes du peuple, aussi les Archidiacres de là en avant (comme estans de plus grande authorité que les Diacres) s' informeroient des bonnes ou malversations du Clergé: De là vient que par traicte de temps ils gaignerent lieu de  Jurisdiction dans les Eveschez: & semblablement pour autant que les Ministres de l' Eglise estoient divisez en plusieurs & diverses Parroisses, aussi estoient les Archidiacres tenus en certain temps faire les visites (comme encores ils font) sur chaque Curé, pour le tout rapporté à l' Evesque, en estre faite telle animadversion qu' il luy plairoit. De ces chevauchees qui au temps passé estoient plus frequentes qu' à cette heure, est venu à mon jugement que nous disons estre crotté en Archidiacre.

Quant à ce que nous appellons Eauë beniste de Cour, toutes & quantes-fois qu' un Courtisan nous repaist liberalement de plusieurs belles paroles, il ne faut point douter que cette maniere de parler n' ait esté empruntee des ceremonies de nostre Eglise, entre lesquelles il n' y a rien que l' on distribuë  avec tel abandon que l' eau beniste. C' est pourquoy on voulut aussi rapporter cela aux belles promesses sans effect, dont les courtisans ne sont avaricieux. Et ne voudrois pas jurer que celuy qui premier mit ce proverbe en usage, n' estimast que l' eau beniste dont nous usons dans les Eglises, ne fust de pareil effect, se trouvans de gros Chrestiens qui estiment que l' eau beniste est un amusoir de peuple, emprunté des ceremonies des Payens, entre lesquelles il est certain que dans leurs Temples ils avoient de l' eau qu' ils appelloient *Lustrale, laquelle ils jettoient sur ceux qui y entroient. Toutesfois ceux qui en jugent sainement, rapportent l' usage de nostre eau beniste au vieux Testament. Je viendray maintenant à celuy qui pour estre estimé un gros lourdaut, est par nous appellé Veau de Disme. Nous devons tous la disme à nos Curez, tant grosse, que menuë: Grosse des biens de nos terres qui procedent de nostre labeur: Menuë, des bestes qui naissent chez nous, comme veaux, brebis, & cochons. Estans tels que devons estre, nous devons offrir les meilleurs des animaux de nostre croist. Ainsi que sommes admonnestez au 26. du Deuteronome. Et il comme faisoit Abel dans le 4. du Genese, lequel receut la benediction de Dieu parce qu' il offroit du meilleur de son revenu, & Caïn la malediction, d' autant qu' il choisissoit du pire. Entre tous les animaux nous estimons un jeune veau fort lourd & grossier. Parquoy ceux qui premierement appellerent Veau de Disme celuy qui estoit un grand sot, voulurent dire que tout ainsi qu' entre les veaux, celuy de Disme estoit le plus signalé, aussi estoit tel nostre lourdaut entre les lourdaux.

Des Eglises Parrochiales je veux entrer dans les Monasteres. Quand nous disons qu' un homme est plus estourdy que le premier coup de Matines: C' est que les Religieux estans endormis, ne se peuvent aisément resveiller au premier coup de cloche que l' on sonne pour les sommer d' aller à Matines. L' on dit aussi qu' il n' y a rien tant à craindre que le retour de Matines: C' est à dire que quand un Religieux porte quelque inimitié à un autre, il luy est lors plus aisé de le surprendre, pour l' obscurité de la nuict qui le garantit des tesmoins.

Tout ce que j' ay deduit au present Chapitre va plus à la risee ou mocquerie qu' au bien: Ce que je discourray au Chapitre suivant sera tout d' une autre estoffe.

8. 32. De la derivaison de ce que l' on dit Guet apens.

De la derivaison de ce que l' on dit Guet apens. 

CHAPITRE XXXII.

Le mot d' Assassin dont j' ay traité en l' un des Chapitres precedens, m' a ramené icy en memoire ce terme de Guet apens, dont nous avons apris d' user en commun langage, pour denoter, ou une deliberation projettee, ou un propos deliberé pour mal user. Mot dont la derivaison n' est paravanture entenduë de tous. Car Guet venant d' un Gueter, parole assez cognuë, on y adjousta davantage (pour rengreger le fait) un Apens, qui vient d' un vieux mot François: Apenser, comme si on eust voulu dire d' un Guet apensé: & ainsi lit-on és grandes Croniques de France, Chose apensee pour mesme signifiance, au lieu où elles font mention de la guerre, que Childebert Roy de Mets eut contre Chilperic son oncle: Disans que les gens de Childebert murmuroient contre Gillon Archevesque de Rheims qu' ils avoient en soupçon de traistre, luy voulant pour cette occasion brasser la mort: Au plustost (dit le passage) qu' ils peurent le jour appercevoir, si vindrent tous armez de chose appensee au tref, & tante du Roy, pour occire, & mettre à mort l' Archevesque Gillon. Et Monstrelet au chapitre 181. du I. Tome, parlant comme Lyon de Jacqueville avoit outragé Hector de Saveuse, lequel pour s' en vanger, assembla gens, dit qu' à certain jour luy & ses complices vindrent de fait apensé dedans l' Eglise nostre Dame de Chartres, & le tirerent dehors, le delaissans à force de coups pour mort. Et au chap. 245. le Seigneur Cohen Capitaine d' Abeville de nuit fut assailly par quatre compagnons, qui là de fait apense l' attendoient. Aussi trouverez vous ce mesme fait apensé dans les Arrests de Jean Gallus en la question 287. Ausquels endroits est usé de chose apensee, & fait apensé, tout ainsi comme nous disons Guet apens. Dont l' on peut aisément recueillir que nous pratiquons ce mot Apens, par une abreviation pour Apensé, ayans pour exaggeration adjousté cet Apensement avec le mot de Guet, lequel emporte de sa nature une deliberation, & projet, pour laquelle cause nous disons mesmement prendre un homme d' Aguet en un mot, qui vient d' Aguetter, au lieu de dire Guet apens. Tellement qu' il sembleroit que ce fust une parole superfluë que l' Apens: mais ce n' est pas chose nouvelle ny en cette nostre langue, ny en la Latine, joindre deux mots de mesme signification ensemblément, pour rendre ce que l' on veut dire plus poignant, comme quand nous lisons dans Ciceron, Servire servitutem, Mori mortem, & dans une Epistre escrite par Celius à Ciceron, Gaudium gaudere, & en plusieurs passages du Jurisconsulte, Navigare navem, nocere noxiam: Et nous coustumierement disons, Surprendre un homme à l' impourveu, ou improvist, surprendre emporte le demeurant, mais pour augmenter la surprise. Aussi d' une mesme façon nos ancestres voulans rendre un Aguet plus odieux l' accompagnerent d' un apensement pour oster toute doute, & rendre la deliberation plus asseuree de celuy qui avoit commis le forfait: maniere de parler que je pense avoir autresfois leuë en quelque vieil autheur, reduite en un seul mot, sous cette diction deliberément, & ailleurs advisément, comme dans Froissard au I. livre de ses Histoires, chap. 15. parlant de quelque esmotion qui survint entre les Anglois, & Hannuyers: On supposoit (dit-il) que cecy fust advisément fait d' aucuns, qui est à dire de propos deliberé. Jean le Bouteiller en son Somme Rural, l' appelle autrement, Advis apensé.

8. 31. Gehir, & Gesne.

Gehir, & Gesne.

CHAPITRE XXXI.

Quand nos sainctes lettres usent du mot de Gehenne c' est pour denoter une peine de mort eternelle. Nous en nostre commun langage practiquons le mot de Gesne, pour une peine que l' on exerce contre un Criminel, pour extorquer de luy la verité du fait, c' est ce que nous appellons autrement, Torture. Nos bons vieux François userent du mot de Gehir, pource que l' on pourroit dire autrement faire dire la verité par force, & trouve ce mot en une espece de torture au Roman de Pepin.

Li Roy voit les deux serves, & Thibert ensement, 

Il fait prendre la vieille trestout premierement, 

En un trou de terrere li boutent erramment

Ses deulx polx, puis le coignent moult angoisseusement,

Pour li faire gehir la destraignent forment.

Ha Roy Pepins, dit-elle, per Diex omnipotent,

Deliurez moy les mains je diray tout briefment, 

Lors ostent la cheville, n' y font delayement, 

Et la vieille a gehy, oyant toute la gent, 

La trahison, &c.

Vers que je vous represente, non pour le langage, ou pour la façon, mais seulement pour ce vieux mot de Gehir, dont encores usa Enguerrand de Monstrelet du temps de nos trisayeulx au vingt-troisiesme chapitre de son Histoire, parlant d' un combat qui avoit esté faict devant le Comte de Hainault, entre Brouette demandeur, & Bernage deffendeur: Mais Brouette (dit-il) vainquit assez tost son adversaire, & luy fit gehir de sa bouche le cas pour lequel il estoit appellé. Mot qui n' est plus entre nous en usage, fort significatif toutesfois pource à quoy il estoit employé, & souhaiterois que quelque plume plus hardie que la mienne, le voulust remettre en vogue, puis que nous n' en avons aucun qui le represente que par circonlocution.