domingo, 6 de agosto de 2023

8. 38. Avoir laissé les Houseaux pour denoter un homme qui est mort.

Avoir laissé les Houzeaux pour denoter un homme qui est mort

CHAPITRE XXXVIII.

Le peuple facetieusement dit assez souvent que l' on a laissé les Houzeaux, lors qu' il veut donner à entendre qu' un homme est allé de vie à trespas. Pour lequel proverbe y a une rencontre, qui fut trouvee bonne du temps de Charles VI. Enguerrant de Monstrelet nous apprend que lors que le Roy Henry d' Angleterre, qui se disoit Regent de France fut decedé au bois de Vincennes, Messire Sarrazin d' Arly, oncle du Vidame d' Amiens, aagé de 60. ans ou environ, & homme fort tourmenté de la goute, s' enqueroit volontiers des nouvelles. Au moyen dequoy l' un des siens nommé Haurenas retournant de Paris: il luy demanda s' il sçavoit rien du decez du Roy Henry, à quoy le Gentil-homme fit response que ouy, & qu' il l' avoit veu mort, & en effigie dedans la ville d' Abeville, luy racontant par le menu de quelle façon il estoit accoustré: Et comme Messire Sarrazin desirast sçavoir tout au long la parade & magnificence qui estoit au convoy de ce grand Roy, il luy demanda specialement s' il avoit bien pris garde à son image, l' autre luy ayant semblablement respondu que ouy: Or me dis par ton serment (luy fit-il) s' il avoit point de Houzeaux chaussez pour le moins jusques à la ville de Calais. Ha Monseigneur (respondit l' autre) non sur ma foy. Adonc Messire Sarrazin poursuivant: Jamais ne me croy, dit-il, s' il ne les a laissez en France: auquel mot tous ceux qui estoient presens commencerent à rire: Qui nous apprend, ou que deslors ce commun dire que nous tirons des Houzeaux estoit en usage, ou paravanture que cette rencontre fut tant favorisee du peuple, que de là en avant il fut induit de dire, qu' un homme avoit laissé ses Houzeaux quand il estoit decedé: & de fait encore que je sçache bien que quelques-fois Monstrelet se soit amusé à choses de petit effect, si semble-il que pour lors cette rencontre fut aucunement en usage par le peuple, puis que cet Historiographe a pris la peine de la nous escrire.

Avoir laissé les Houseaux pour denoter un homme qui est mort.


8. 37. Ferté, Parage, Piédefief, & autres dictions racourcies en nostre langue.

Ferté, Parage, Piédefief, & autres dictions racourcies en nostre langue. 

CHAPITRE XXXVII.

Entre les Romains il eut des paroles racourcies, qui ne furent trouvees de mauvaise grace, comme quand ils disoient macte pour magis aucte, & Capsis pour cape si vis, dedans les Comiques intellextin, & dixtin, pour intellexisti nè & dixisti nè. Nostre langue en eut de semblables, qui en leurs saisons furent recueillies des mieux disans. Dans nos vieux Poëtes je trouve hireté pour heredité, main pour matin, forment pour fortement, dont l' utage est pour le jourd'huy perdu: aussi dirent-ils Penancier pour Penitencier, dont aussi a usé François de Villon en ses Repuës franches.

Vrayement ce dit le Penancier 

Tres-volontiers on le fera.

Il y en a d' autres que nous mettons indifferemment en œuvre, Benisson, & Benediction, cil & celuy, Hersoir, & hier au soir, confez, & repens, dit Viginelle au commencement de Villardoüin, pour Repentant: frilleux, & froidilleux. Marrien vient de Materien. Je trouve en un vieux Registre parlant des Loges de bois, qui avoient esté faites dans Rheims au sacre du Roy Philippes le Bel, qu' en fin elles furent venduës beaucoup moins qu' elles ne valoient en Materien, & façon. Qui me fait dire que de ce mot est issu nostre Marrien, que nous avons retenu, & rejetté le Materien. Ce que nous appellons mestier, vient de menestrier. Ainsi le voyons nous dans certaines lettres de Charles cinquiesme Regent, du vingtseptiesme Fevrier 1353. pource que sur la Chartre des ouvriers, laboureurs, manouvriers, & menestriers, nous avons fait certains Statuts (c' est à dire gens de mestier.) Le Latin les appelle Ministeriales. Celuy sur lequel pour peine on empraint une fleur de Lys chaude, on dit qu' il a esté flestry, qui est un abregement au lieu de fleurdelizer, mot qui sonneroit mal aux oreilles. Ester à droict, qui est fort familier en pratique est un racourcissement d' assister à droict: Ce que vous trouverez verifié par deux passages de l' Histoire mesdisante de Louys unziesme, comme si on eust voulu dire Iudicio sistere, & dans Froissard chap. 246. du premier Tome de son Histoire, où il dit qu' il fut ordonné que le Prince de Galle seroit adjourné à comparoir à Paris en la Chambre des Pairs de France, pour assister à droict, & respondre aux Requestes contre luy faites. Et quand dans des Essars en son Amadis de Gaule, & autres Romans, vous lisez un Ce m' aist Dieu, c' est une abreviation au lieu de ce que nos anciens disoient, Ainsi m' aide Dieu, dont on fit un ainsi m' aid Dieu, faisant par succez de temps du mot d' Ainsi un ce, & de m' aid un m' aist, ainsi en use Villon:

Si pour ma mort le bien publicque

D' aucune chose vaulsist mieux

A mourir comme un homme inique

Me jugeasse ainsi m' aist Dieux.

De là aussi est venu que quand un homme esternuë, pour salutation nous disons Dieu vous aid, pour Dieu vous aide, & depuis pour le faire plus doux, Dieu vous y. De cette mesme abreviation vint Courfeu pour Couvrefeu quand on dict sonner le Courfeu, que depuis par corruption de langage nous avons appellé Carfou, ainsi que j' ay deduit ailleurs. Quant à la Ferté, c' est un racourcissement de fermeté, qui signifioit anciennement forteresse tant en Latin, du temps de la corruption de la langue Latine, qu' en François. Adon de Vienne parlant de Charlemagne. Rex gloriosus Carolus iterum Saxones aggressus, Firmitatésque illorum, & universam Saxoniam recepit. Et Froissard au premier Tome de son Histoire: Et aussi (dit-il) si aucuns du Royaume, & obeïssans du dit Roy d' Angleterre ne vouloient rendre les chasteaux, villes, Fermetez, & forteresses. Or que ceste diction de Fermeté se prist en la façon que dessus, nous en voyons encore certaines remarques pour le jourd'huy en la conjonction de ces deux paroles, fort & ferme.

Entre ces mots racourcis il y en a deux qui sont diversement employez en matiere des fiefs, Parage & Piédefief. En quelques Coustumes nous voyons, que quand un fief se divise entre freres, à l' aisné appartient de faire la foy & hommage de tout le fief au Seigneur dominant & feudal, tant pour luy que pour ses puisnez, lesquels sont de là en avant estimez relever de luy leurs parts & portions, & les dit-on Tenir en Parage, qui n' est autre chose qu' une abbreviation du mot de Parentage, comme si nos anciens eussent voulu dire que par le moyen de leur Parentage les puisnez tenoient leurs parts en foy & hommage de leur aisné. Ainsi dit la vieille Oraison qu' on adressoit à la Vierge Marie, A toy Roine de haut parage, c' est à dire de haut parentage. Bel est aussi l' abregement du Piédefief tant rechanté par la Coustume de Touraine: car ce mot ne sonne autre chose que le Fief qui est depecé & demembré lors que le vassal s' en joüe pour sa commodité par alienations & transports, auquel cas la Coustume apporte divers regards, comme l' on peut recueillir d' icelle.

8. 36. Du mot, Abandonner, & de son origine.

Du mot, Abandonner, & de son origine.

CHAPITRE XXXVI.

Entre tous les mots François je trouve cestuy d' abandonner tres-riche & digne d' avoir icy sa maison particuliere. Et certes quiconque entendra l' energie qui fut anciennement en cette diction de Ban, de laquelle j' ay parlé en divers endroits de ces miennes Recherches, pourra par un mesme moyen entendre la vraye source d' abandonner. Ce mot de Ban estoit entre nous par nos plus anciens pratiqué pour une proclamation publique. Dedans Flodoard, parlant du Roy Raoul, Rodulphus interea de Burgundia revertitur in Franciam, & ut se ad bellum contra Normanos praeparent, Francis banno denunciat. Au vieil Coustumier de Normandie chap. 43. L' ost au Prince de Normandie dés le jour qu' il est banny, proroge les querelles. De là vint que nous appellasmes les Annonces qui se font en cas de mariage par les Curez, Bans. Le Maistre des Sentences lib. 4. distinct. 28. Banna sic iure nominari solita, hoc est publicae proclamationes, &c. De là nous disons Ban, quand nous semonnons les vassaux de venir à la guerre, de là est venu Banniere, pour autant qu' un Estendart est comme un signe de retraicte commune des soldats. Et à peu dire, de là est venu le mot que nous recherchons en ce lieu: car comme ainsi soit que ce mot de Ban prist diversité de signifiances, selon la diversité des rencontres, aussi fut-il pris par nos ancestres pour une chose qui estoit publique, ou voüee au public. Et en cette façon disons nous Pressouër bannier, Taureau bannier, de cette mesme fontaine dirent nos ancestres donner une chose à Ban, pour dire qu' ils l' exposoient à la discretion du public, ainsi que nous voyons estre pratiqué en termes du tout formels au mesme grand Coustumier de Normandie, au tiltre de Banon, & deffens. Où il appelle le temps de Banon, auquel les bestes peuvent aller par les champs pasturer communément, & sans pasteur: & les terres en deffens, ausquelles il n' est permis y aller: Vuides terres sont en deffens, (dit le lieu) depuis la my-Mars jusques à la S. Croix en Septembre. En autre temps elles sont communes, s' elles ne sont closes ou defenduës d' ancienneté si comme de hayes Banon doit estre ostee de toutes terres, en quoy la blee est apparoissant qui pourroit en estre empiree. Qui nous apprend que de trois dictions Françoises qui estoient A Ban donner, nous en avons fait une seule que nous disons Abandonner, de laquelle nous usons à l' endroit de toutes choses que nous voyons estre prostituees à la mercy d' uns & autres.