domingo, 6 de agosto de 2023

8. 42. Tru, Truage, Truant, Maletoulte, Pautonnier, Coquin, Cagnardier, Gueux de l' ostiere.

Tru, Truage, Truant, Maletoulte, Pautonnier, Coquin, Cagnardier, Gueux de l' ostiere.

CHAPITRE XLII.

Dans nostre Roman de la Roze la pauvreté est mere de larcin. Et assez souvent le larcin est proche parent du gibet. C' est pourquoy j' ay voulu mettre ce chapitre a la suite du precedant. Du commencement que nos Roys s' impatroniserent des Gaules, les mots de tailles, aides, & subsides n' estoient en credit: Mais les redevances qui estoient payees par leurs subjects, estoient comprises sous ce mot de Cens, ou Tributs, comme nous pouvons recueillir d' une infinité de passages de nos vieux autheurs. Aimoin au livre troisiesme, chapitre douxiesme Theodebertus nonnullis urbibus subactis tributa, Turonensibus, Pictavis, Caturcensibus, Lemovicis iure victoriae adscribit. Et estoient faicts registres de telles redevances, comme nous apprenons de Gregoire de Tours, au trente uniesme chapitre du neufiesme livre, Childebertus Rex descriptores in Pictavos, invitante Meroveo Espicopo (Episcopo), iußit abire, id est Florentianum Maiorem domus Reginae, & Romulphum Palatij sui Comitem, ut scilicet Censum, quem tempore patris reddiderat, facta ratione innovata reddere deberet: Multi enim ex his defuncti fuerant, & ob hoc viduis, orphanisque, ac debilibus Tributi pondus insederat: Quod si discutientes, per ordinem relaxantes pauperes, ac infirmos illos, quos iustitiae conditio tributarios dabat Censu publico subdiderunt. Auquel lieu vous voyez la description que l' on faisoit des tributs: Et en outre comme indifferemment il appelle, ores Tributs, ores Cens, les impositions qui estoient faictes sur le peuple.

Ces tributs par les anciens furent par un mot abregé appellez de nous Trus. Es grandes Croniques de France dediees à Charles huictiesme, au premier Tome, chapitre vingtdeuxiesme. En ce temps avoient les François cueilly à grande haine Parchume, & cil Parchume estoit moult puissant au palais de Theodebert comme il vivoit. La raison pourquoy il fut si forment hay fut pource qu' il avoit le peuple grevé de Trus, & exactions. Et au mesme livre sur le commencement, parlant de la composition que par une vieille Caballe nos Annalistes presupposent avoir esté autresfois faicte entre l' Empereur Valentinian, & nos premiers François. Valentinian (dit-il) leur quitta les Trus dix ans. De ce mot de Tru vint que nous dismes Truage, de là aussi Truander pour gourmander, & fouler. Parce que ceux qui sont destinez à exiger les tributs sont ordinairement gens fascheux, qui ont peu de pitié des pauvres, sur lesquels ils executent les mandemens d' un Roy: Tout de la mesme façon que nous appellons fier Pautonnier, un homme revesche, & mal à propos glorieux, au lieu de fier Pontonnier. D' autant que ceux qui sont commis à recevoir les peages des ponts sont presque ordinairement d' une façon fiere & farouche és choses qui concernent leurs droicts. Par une ordonnance du Roy Jean du cinquiesme Octobre 1301. il veut que tous trehuz, peages, pontenages, subsides & charges mises de nouvel cessent. Et pour ne m' esloigner du mot de Truant: pour autant que par les mangeries des exacteurs, plusieurs gens du pauvre peuple estoient reduicts à mendicité, nos anciens appellerent un homme Truant, qui alloit mendiant sa vie, & Truander, pour caimander. Jean de Mehun introduisant Faux semblant parlant des Caimands. 

Quand je voy tous nuds ces truands 

Trembler sur ces fumiers puants 

De froid, de faim, crier & braire,

Conte ne fais de leur affaire.

S' ils sont à l' Hostel Dieu portez, 

Par moy ne seront confortez:

Car d' une aumosne toute seule 

Point ne me paistroient à la gueule. 

Et en termes beaucoup plus exprés en un autre endroict où il dit que l' Art faict la cour à Nature.

Mais par son ententive cure 

A genoux est devant Nature 

Et prie, requiert, & demande 

Comme mendiante truande. 

Ainsi Truander, & Truant, usurpé de la façon que dessus, prist sa source à l' occasion de ceux qui pour la surcharge des tributs estoient reduits au point de mendicité: Et croy que pour cette mesme raison le simple peuple ait esté induict de dire au desavantage des Normans Qui fit Normand, il fit Truand, parce que sur tous les peuples de la France ceux-cy ont esté chargez de Trus, & imposts. 

Or combien que le tribut soit naturellement deu à un Roy, pour laquelle cause il fut dit és sainctes lettres, Rendez à Cesar ce qui appartient à Cesar: Toutesfois du commencement les François ne pouvoyent bonnement gouster telles charges: & de faict Aimoïn nous apprend qu' un Marc Chancelier de France estant deputé par Chilperic, pour lever au pays d' Aquitaine certain impost qu' il avoit assis sur les vignobles, fut tué tumultuairement dedans la ville de Limoges: Et depuis une infinité de seditions s' esmeurent diversement pour cest effet dedans Paris, Rouen, Troyes, Rheims, & plusieurs autres endroicts, selon la diversité des saisons, & par especial sous le regne de Charles sixiesme. Ces levees qui estoient quelquesfois extraordinaires, furent anciennement appellees Maletoultes, comme si le peuple eust voulu dire qu' elles estoient mal prises. Guillaume de Nangy en la vie de Philippe le Bel, En l' an mil deux cens quatre vingts & seize (dit-il) Philippe le Bel fit une exaction sur son peuple, que l' on appelloit Maletoulte, premierement sur les marchans du centiesme, & apres du cinquantiesme de tous les biens de chacun, tant de Clercs, comme Laiz, pour la guerre d' entre le Roy de France, & d' Angleterre, & dit ailleurs qu' en ce mesme temps pour raison de cette Maletoulte s' ensuivit un tumulte à Rouen encontre les Collecteurs d' icelle. Or vient cette diction du mot Tollir, de laquelle nos anciens ont autresfois faict Toult, & Toulte, En cette façon lisons nous dans le Roman de la Roze: 

Mal faict qui l' autruy toult & pince. 

Et dans la vieille Cronique de sainct Denys, en la vie de Louys le Begue, où il est recité qu' apres la mort de Louys le Begue, quelques grands Seigneurs de France manderent à Louys Roy de Germanie, qu' il vint en France pour s' investir du Royaume. En celle voye (porte le texte) firent les gens tant de maux; de Toultes, & de rapines, que plus n' en eussent osé sur les Payens. Chose dont nous pouvons aisément recueillir que Maletoultes furent dictes comme choses mal tollues, & non pas mal taxees, ainsi que quelques uns se font accroire mal à propos.

Puis que tout le discours de ce chapitre a esté de la pauvreté, peut estre ne sera-il hors de propos d' y adjouster la mendicité en ces mots, de Coquins, Gueux de l' ostiere, Caignardiers. Quant au mot de Coquin, c' est un mendiant volontaire, qui halene ordinairement les cuisines, que les Latins nomment Coquinas: Le gueux de l' ostiere, est un autre mot aussi transplanté du Latin en nostre vulgaire, je veux dire de ganeo hostiarius, c' est à dire un caimant, qui va fleureter les huis des maisons. Car quant au mot de Caignard, cela depend d' une histoire dont je puis estre tesmoin. De tant qu' en ma grande jeunesse ces faineants avoient accoustumé au temps d' Esté de se venir loger sous les ponts de Paris, garçons & garces pesle mesle: Et Dieu sçait quel mesnage ils faisoient ensemble. Tant y a qu' il me souvient qu' autresfois par cry public emané du Prevost de Paris, il leur fut deffendu sur peine du fouët de plus y hanter: Et comme quelques uns fussent desobeyssans, j' en vey fouëter pour un coup plus d' une douzaine sous les mesmes ponts, depuis lequel temps ils en oublierent le chemin. Ce lieu estoit appellé le Caignard, & ceux qui le frequentoient, Caignardiers, parce que tout ainsi que les Canards, ils voüoient leur demeure à l' eauë.

8. 41. Qui a à pendre n' a pas à noyer.

Qui a à pendre n' a pas à noyer.

CHAPITRE XLI.

A la suitte du precedant chapitre, cestuy ne sera trop disconvenable. Mais encores ne le puis-je traiter sans y enfiler un autre discours, pour la liaison qu' il y a de l' un à l' autre, & avoir puisé les deux d' une mesme fontaine. Le Duc de Nemours nepueu du Roy Louys XII. & son Lieutenant General en tous les pays de delà les Monts, deliberant de liurer bataille à l' Espagnol, obstacle de tous les desseins du Roy, voulant s' acheminer au bourg de Final, pour illec resoudre & ordonner du compte final de cette affaire, passa par la ville de Carpy, avec la plus part de ses Capitaines singulierement ceux qu' il aymoit le mieux, & ausquels il avoit plus de fiance. Le seigneur de cette ville s' appelloit Albert Mirandula tresdocte en Grec & en Latin, cousin germain du grand Picus Mirandula. Ce Seigneur souppa le soir de l' arrivée avec le Duc: pendant le soupper y eut plusieurs devis, & entre autres d' un Astrologue judiciaire, qui demeuroit en la ville, homme aagé de soixante ans, lequel se rendoit admirable, tant à dire les choses passées dont il sembloit n' avoir eu cognoissance, que de predire celles qui estoient à venir. Le jeune Duc esmerveillé des merveilles que l' on en racontoit, pria le Comte de Carpy de le vouloir envoyer querir. Ce qu' il fit, & soudain qu' il fut arrivé, le Duc luy presenta la main, & apres quelques paroles de curialité, luy demanda entre autres choses, si le Viceroy de Naples & les Espagnols attendroient la bataille. Il dist que ouy, & que sur sa vie elle seroit le Vendredy sainct, ou le jour de Pasques & encores fort cruelle. Il luy fut demandé qui la gaigneroit. Il respondit ces propres mots. Le camp demeurera aux François, & y feront les Espagnols la plus grosse & lourde perte qu' ils feirent cent ans a, mais les François n' y gaigneront gueres. Car ils perdront beaucoup de gens de bien & d' honneur dont ce sera dommage. Le Seigneur de la Palisse luy demanda s' il demeureroit point à cette bataille, il luy respondit que nanny, & qu' il viuroit encores douze ans pour le moins, mais qu' il mourroit en une autre bataille. Autant en dit il au seigneur d' Imbercour: Le Chevalier Bayard là present s' en mocquoit, auquel le Duc de Nemours dist qu' il s' informast de sa fortune. Il ne faut point, respondit il, que je le demande, car je suis asseuré que ce ne sera jamais grande chose: Mais puis qu' il vous plaist Monseigneur, que je le face, je le veux bien. Et se tournant vers l' Astrologue. Monsieur nostre Maistre dites moy si je seray un grand riche homme. Il respondit. Tu seras riche d' honneur & de vertu, autant que Capitaine qui soit en France, mais des biens de fortune, tu n' en auras gueres, aussi ne les cherches tu pas. Et si te veux bien aviser que tu serviras un autre Roy apres cestuy-cy qui regne, & que tu sers, lequel t' aimera & estimera beaucoup, mais les envieux empescheront qu' il ne te fera jamais de grands biens, ny ne t' eslevera pas aux honneurs que tu as meritez: Toutesfois croy que la faute ne procedera pas de luy. Et de cette bataille, que dites devoir estre si cruelle (replique Bayard) en reschapperay-je? Ouy (dit-il) mais tu mourras en guerre dedans douze ans, pour le plus tard, & seras tué d' artillerie. Car autrement ne finirois tu pas tes jours, pour estre trop aimé de ceux qui sont sous ta charge, lesquels pour mourir ne te lairroient en peril. Brief ce fut une droite farce des propos, que chacun luy demanda à l' envy l' un de l' autre. Il voyoit qu' entre tous les Capitaines le Duc de Nemours faisoit grande privauté au Seigneur de la Palisse, & au Chevalier Bayard. Il les tira tous deux à part, & leur dit en son langage: Messieurs je voy bien que vous aimez tous ce Gentil Prince, qui est vostre Chef, aussi le merite il bien: Car sa face à merveilles demonstre sa bonne nature. Donnez vous garde de luy le jour de la bataille, Car il est pour y demeurer. S' il en eschappe, ce sera l' un des plus grands & eslevez personnages qui jamais sortit de France. Mais je trouve grande difficulté qu' il en puisse eschapper, & pour ce pensez y bien. Car je veux que me trenchiez la teste, si jamais homme fut en si grand hasard de mort, qu' il sera. Le bon Prince de Nemours leur demanda en soubriant. Qu' est-ce qu' il vous dit Messieurs? Bayard changeant de propos luy respondit, Monseigneur, c' est Monsieur de la Palisse, qui luy fait une question, sçavoir s' il est autant aymé de Reffuge que de Vignerols: & il luy a dit que non, dont il n' est pas trop contant. De ce joyeux propos le bon Prince se prit à rire qui n' y pensa autrement.

Sur ces entrefaites arriva un adventurier que l' on disoit estre gentil compagnon, mais assez vicieux qu' on appelloit Jacquin Caumont qui portoit une enseigne aux bandes du Capitaine Molart. Il se voulut faire de feste comme les autres, & vint à l' Astrologue qu' il tira à part luy disant. Viença bougre, dy moy ma bonne adventure. L' autre se sentit injurié, & respondit en homme courroucé. Va va je ne te diray rien, & si as menty de ce que tu dis. Il y avoit beaucoup de gentilshommes en presence lesquels dirent à Jacquin. Capitaine vous avez tort, vous voulez tirer du passetemps de luy, & neantmoins l' injuriez. Adoncques il revint peu à peu, & avec plus douces paroles luy dist. Maistre mon amy si j' ay dit quelque folle parole, je te prie pardonne moy, & fit tant qu' il le rapaisa, & puis luy monstra sa main: Car l' Astrologue regardoit le visage & les mains. Quand il eut veuë celle de Jacquin, il luy dit, je te prie ne me demande rien, car je ne te sçavrois dire chose qui vaille. Toute la compagnie qui estoit là se prit à rire, & Jacquin bien marry de ce que les autres rioient, dit encores à l' Astrologue. C' est tout un dy moy que c' est, je sçay bien que je ne suis pas cocu, car je n' ay point de femme. Quand il se veit ainsi pressé, il luy dit. Veux tu sçavoir de ton affaire? Ouy, dit Jacquin. Or pense donques de bonne heure à ton ame, dit l' Astrologue: car devant qu' il soit trois mois tu seras pendu & estranglé. Et de rire par les escoutans de plus beau, lesquels n' eussent jamais pensé que le cas deust avenir, n' y ayant aucune apparence: Pource qu' il estoit en credit parmy les gens de pied: & non mal venu envers les plus grands pour les bouffonneries dont il les entretenoit. Et pensoient que le maistre l' eust dit pour se revancher de l' injure que l' autre luy avoit faite. Jusques icy vous avez entendu les predictions, entendez maintenant la suite, qui est le principal subject de ce chapitre. Deux ou trois jours apres que le Duc de Nemours fut arrivé à Final, qui estoit un gros Bourg au millieu duquel passoit un canal profond d' une demie picque de hauteur, qui alloit fondre au Pau, il y feit bastir un Pont de bois pour aller d' un costé à l' autre: De jour en jour arrivoyent de Ferrare par ce Canal plus de cent barques qui apportoient toutes manieres de victuailles aux François. Un jour que Jacquin eut bien souppé, il vint environ les neuf heures de nuict environné de plusieurs torches, & tabourins de Souisses au logis du Seigneur de Molart son Capitaine, armé de toutes pieces, & monté sur un fort Coursier. Car de sa soulde, ou du pillage il estoit fort bien vestu: & avoit trois ou quatre grands Chevaux, estimant qu' apres la guerre faillie, il se mettroit des ordonnances. Quand le seigneur de Molart le vit en cette sorte, il se prit à rire, & jugea que la malvoisie faisoit ses operations en luy: Si luy dit, Comment Capitaine Jacquin, voulez vous laisser la picque? Nenny, dit-il, Monsieur, mais je vous supplie me vouloir mener au logis de Monseigneur de Nemours, a fin qu' il me voye rompre cette lance que je tiens, & cognoisse si un saultebuisson n' a point quelque privilege de mieux. Le Capitaine Molart jugeant que la matiere valoit bien venir jusques à la fin, & que le Seigneur de Nemours, & toute la compagnie s' en pourroit resjouïr, mena Jacquin, qui passa tout à cheval par dessus le pont de bois, car les gens de pied estoient logez d' un costé, & les gens de cheval d' un autre. Venu qu' il fut devant le logis du Prince, qui desja en estoit adverty, & descendu avec la compagnie pour en avoir le passetemps, Jacquin plus chargé de vin, que de ses armes, au milieu des torches allumées, qui aportoyent clarté, comme en plein midy, commence de se mettre sur les rangs. Et lors le Duc luy escria: Est-ce pour l' amour de vostre Dame, ou de moy que voulez rompre vostre lance? Il respondit en parlant de Dieu, à la mode des avanturiers, que c' estoit pour l' amour de luy & qu' il estoit homme pour servir le Roy à pied & à cheval. Si baissa la veuë, & fit sa course tellement quellement, mais il ne peut rompre sa lance. Il recourut encores un coup, mais il en fit autant, & puis la tierce & quarte fois. Quand on vit qu' il ne faisoit autre chose il facha la compagnie & fut laissé là. Au moyen dequoy il reprend la route de son logis. Le Cheval fort eschauffé alloit tousjours sautelant, joint qu' il le menoit assez mal, le talonnant de l' esperon dessus le pont sans cesse, & sans propos. Il avoit lors pleuviné, tellement que le chatoüillant de cette façon, le cheval faillit des quatre pieds, & tomba avec son maistre dedans le Canal qui estoit fait à fonds de cuve. Quand au cheval il se defit de son homme, & nagea plus de demy quart d' heure avant qu' il peust trouver moyen d' eschapper. En fin il se trouva en un lieu qu' on avoit baissé pour abreuver les chevaux, & se sauva. Ce pendant Jacquin tombé à plomb, grenoüilloit au profond de l' eauë chargé de ses armes, au beau millieu de la nuict, & y avoit là plusieurs barques sous lesquelles il estoit englouty: Ses gens sur le pont crioyent à l' ayde, à l' ayde. Mais il sembloit que ce fust en vain: parce que toutes choses combatoient contre cest ayde, toutesfois il fut en fin miraculeusement recoux & pesché par les bateliers qui estoyent dedans les barques, mais plus mort que vif. Incontinent fut desarmé, & pendu par les pieds, où en peu de temps il jetta par la bouche deux ou trois seaux d' eauë, & fut plus de six heures sans parler. Toutesfois les Medecins du Prince le vindrent voir, & fut si bien secouru que dedans deux jours il se trouva aussi dru & gaillard que devant. Mais non sans estre mocqué à toute reste des uns, & des autres. Car l' un luy disoit. He Capitaine Jacquin vous souviendra il une autrefois de courir la lance à neuf heures de nuict en hyver? Et l' autre: Encores vaut il mieux estre un sautebuisson, que haridelle. Et plusieurs autres telles sornettes és lieux où il se rencontroit, tant des grands, comme des petits: Ce que je vous dy en passant pour monstrer comme il estoit aymé, & bien venu de tous. Voyons doncques quelle sera la catastrophe de sa vie.

Comme le Duc de Nemours estoit à Final, il entend que les Venitiens avoyent repris sur nous la ville de Bresse, par la trahison du Comte d' Adnogadre, mais non le Chasteau dans lequel le Seigneur du Lude gouverneur de la place, & les nostres s' estoyent retirez. Nouvelles qui apporterent nouveaux tintoins à nostre jeune Prince, lequel sans marchander un long sejour s' y transporte avec toutes ses forces, & donna si bon ordre à son fait que la ville fut par luy remise en peu de jours soubs la subjection du Roy: Et conduisant ses affaires d' une bonne ordonnance, comme celuy qui estoit environné de plusieurs grands & sages Capitaines, en fin vint mettre le siege devant la ville de Ravenne, lors commandée par Marc Anthoine de Colomne. Pour le secourir l' armée Espagnole se haste, grasse & pleine de viures, & la nostre à l' estroit de tout cela. Qui nous occasionnoit de les semondre à la bataille, à quelque prix & condition que ce fust. Pour le faire court la bataille est liuree le jour du Vendredy saint, la plus sanglante d' une part & d' autre qui se soit veuë depuis: En laquelle presque tous les Espagnols passerent par le fil de l' espée: Et une bonne partie de nos grands Seigneurs demeurerent sur la place: Et mesme le Duc de Nemours. Le tout ainsi que l' Astrologue avoit predit. Luy mort tous les Capitaines esleurent le Seigneur de la Palisse pour leur Chef, en attendant commandement plus exprés de la volonté du Roy. Le champ de bataille à nous demeuré, le peu qui restoit d' Espagnols s' estant mis à vaudroute, il nous fut fort aisé d' attaquer & prendre la ville. Defenses de la piller par le Seigneur de la Palisse sur peine de la hard. Les mains fretilloient à Jacquin, la gorge luy demangeoit, & eust esté tres-marry de faire l' Astrologue menteur: Il se fait Capitaine du pillage, suivy des advanturiers François, & des Lansquenets, qui se gorgerent des ruines de cette miserable ville: Et comme il fut le premier infracteur des defenses, aussi le premier Mardy d' apres Pasques il fut le premier pendu & estranglé en plein marché par l' ordonnance du Seigneur de la Palisse. Je vous supplie dites moy si jamais ce Proverbe fut mieux averé qu' en luy, que celuy qui avoit à estre pendu ne pouvoit estre noyé? Ce pendant ce fut une chose non esmerveillable, ains espouventable, & surpassant le jugement humain, que l' Arrest prononcé par l' Astrologue, & du jour de la bataille, & de la victoire, & des meurtres, & encores de la mort du jeune Duc, & de celle de Jacquin, sortit à poinct nommé son effect. Comme aussi ce qu' il avoit predit du Seigneur d' Imbercour advint quelques années apres en la journée de Marignan contre les Souisses, & le Seigneur de Bayard fut tué par les Espagnols d' un coup de Faulconneau en l' an mil cinq cens vingt quatre. Cest Astrologue couvroit son jeu par l' inspection de la main & de la face, masque ordinaire de telles gens, & neantmoins il ne vit jamais la main du jeune Prince, & quand il l' eust veuë, il n' y pouvoit lire, ny la bataille, ny la victoire, & moins encores le jour. Nous appellons cette enjance d' hommes, Devins, comme si leur art consistoit en quelque divinité: Et tout fidele Chrestien le doit attribuer aux illusions du Diable, pere de mensonge. Dieu seul cognoist les choses futures, & defend expressement de s' en informer par telles voyes, comme estant une espece d' Idolatrie. Que si les males adventures lors predites advindrent apres, il faut croire que ce fut par une juste punition de Dieu, en haine, tant de la curiosité qu' ils avoient euë de s' en enquerir, que de la foy & creance qu' ils y aporterent.

http://evene.lefigaro.fr/citation/etre-pendu-mourra-noye-17231.php

8. 40. Plus malheureux que le bois dont on fait le Gibet.

Plus malheureux que le bois dont on fait le Gibet.

CHAPITRE XL.

Quiconque fut le premier du peuple qui mist en avant ce commun dire, il avoit tres-mal digeré l' entretenement & police de toute Republique bien ordonnee. Car tant s' en faut que j' estime le bois du Gibet mal-heureux, qu' au contraire je le pense nous rapporter un grand fruict, & merveilleusement heureux, pour estre l' un des principaux moyens, par lequel toute Republique demeure calme, & sans trouble. Parquoy je n' eusse passé facilement condemnation à Monsieur Riant Advocat du Roy en la Cour de Parlement, lequel prenant en l' audiance ses conclusions de mot contre un pauvre coupebourse, qui en plein plaidoyer avoit esté surpris au meffaict, dist pour le commencement de sa harangue, que son office estoit un mal necessaire: A mon jugement il luy eust esté trop plus seant de l' appeller Bien necessaire. Car tout ainsi que la Medecine de laquelle tout le sujet gist à entretenir en bonne santé le corps humain, ou bien de la luy restituer lors qu' elle se trouve esgaree, ne se pratique seulement par potions, quand le corps se trouve ou trop replet ou trop vuide: mais aussi à la coupe des membres mutilez, a fin qu' ils n' offencent les autres, & toutesfois pour cela nous avons en aussi grande recommandation le Chirurgien en son endroit, que le Medecin au sien. Aussi en une Republique outre les remedes civils & ordinaires qui s' observent, en sont requis d' autres, lesquels servent d' esmonder les mauvaises branches, qui par leur croissance pourroyent nuire au principal tige, c' est à dire, à toute la communauté du peuple: Au moyen dequoy pour le regard du bois qui est dedié à tel office, les bons devroient presque souhaiter qu' il y eust en chaque ville un Jardin de telles plantes, pour la suppression des meschans, tout ainsi que ja dis quelque personnage d' esprit estant mal mené de sa femme, & entendant qu' à un Figuier quelques femmes s' estoient penduës: Donne moy (dit-il à son voisin) de ce Greffe, a fin que je l' ente en mon Jardin, pour me rapporter de ce fruit. Et toutesfois si à un Gibet nous voulons avec le commun peuple trouver quelque desastre, ou malheur: Bien malheureux fut le Gibet que nous lisons dans la Bible avoir esté par Aman dressé, pour pendre le pauvre Mardochee, auquel le mesme Aman fut pendu au moins de vingt & quatre heures apres. Et le Taureau de Phalaris, duquel l' inventeur fit la premiere espreuve aux despens de sa propre vie. Et sans aller chercher exemples plus loing, nous trouverons le semblable peut estre en celuy de nostre ville de Paris, que nous appellons Montfocon (Montfaucon), qui a apporté tel malheur à ceux qui s' en sont meslez, que le premier qui le fit bastir (qui fut Enguerrant de Marigny) y fut pendu: & depuis ayant esté refaict par le commandement d' un nommé Pierre Remy, luy mesme y fut semblablement pendu, comme Jean Bouchet a observé dans ses Annales d' Aquitaine, en la vie de Philippes de Valois. Et de nostre temps Maistre Jean Moulnier Lieutenant Civil de Paris y ayant faict mettre la main pour le refaire, la fortune courut sur luy, sinon de la penderie, comme aux deux autres, pour le moins d' amende honorable, à laquelle il fut depuis condamné, estant la rencontre de ce Gibet aussi malheureuse, que l' or Tholozan tant celebré par les Historiographes.

Phalaris condamnant le sculpteur Perillus, Baldassarre Peruzzi.


Taureau de Phalaris, Taureau d'airain