domingo, 6 de agosto de 2023

8. 44. Ribaux, Ribaudes, Roy des Ribaux.

Ribaux, Ribaudes, Roy des Ribaux.

CHAPITRE XLIV.

Il n' y a dignité temporelle en France, qui entre en comparaison avecques celle du Roy: & neantmoins il n' y a parole en laquelle nos devanciers se soyent tant licentieusement desbordez qu' en cette cy, en subjects, les uns plus ravalez, les autres plus relevez. Roy des Merciers, Roy des Barbiers, Roy des Poëtes, Roy des Arbalestiers, Roy d' armes, Roy des Ribaux. Je vous laisse celuy de la Bazoche qui a lieu entre les Clercs du Palais. Et seroit tresmalaisé, voire impossible de dire pourquoy on honora les superieurs de ces six ordres du nom de Roy, au desavantage de tous les autres, & plus encores de deviner en quels temps ces Royautez imaginaires feurent introduites, fors celle des Arbalestiers, en laquelle nous trouvons lettres patentes de Charles

VI. du 26. Avril 1411. portans que le Roy avoit receu la suplication des Roy, Connestable, & Maistres de la Confrairie des soixante Arbalestiers de Paris: Le Roy des Merciers avoit l' œil sur les poids, aulnes, & mesures des Marchands: Le Roy des Barbiers, sur tous les autres Barbiers, ores qu' ils fussent passez Maistres en leur mestier & pouvoient l' un & l' autre, chachun endroit soy, proceder par amendes contre ceux esquels ils trouvoient quelque defaut.

Le Roy des Poëtes estoit celuy qui és jeux floraux de nostre Poësie ancienne se trouvoit avoir mieux besongne que tous les autres fatistes, & des lors l' année ensuivant jugeoit des Poësie (Poësies) de ses compagnons, ainsi que j' ay monstré au cinquiesme Chapitre du sixiesme livre de ces miennes Recherches: Le Roy des Arbalestiers, celuy qui avoit gaigné le prix sur ses Confreres au jeu de l' Arbaleste: & à vray dire les deux premiers visoient au gain sous le pretexte de leurs visitations, & les deux derniers à l' honneur. Quant aux Roys d' armes ou des armes, c' estoient les Heraux, lesquels comme messagers de paix ou de la guerre revestus de leurs cottes de velours pers pourfilées devant & derriere des armoiries d' or de la France, pouvoient aller trouver l' ennemy avec toute asseurance de leurs personnes pour executer ce qui estoit de leur charge.

Le dernier fut le Roy des Ribaux auquel j' ay dedié ce present Chapitre. De tous les autres nous sommes asseurez quelles estoient leurs fonctions; de cettuy cy on en doubte.

Si vous parlez à du Tillet, voicy quel en feut son advis, que je vous transcriray mot pour mot du tiltre du Prevost de l' Hostel du Roy.

Es Estats des Roys Philippes nommez au Chapitre precedant est faicte mention du Roy des Ribaux officier domestique, lequel se devoit tousjours tenir hors de la porte de l' Hostel du Roy, par l' ordonnance du Roy Philippe le long faite à Lorry en Gastinois le Jeudy 17. Novembre 1317. nommant Crasse Ire qui tenoit le dit office, ainsi appellé pour ce que les mauvais garçons estoient deslors appellez Ribaux, comme les filles, ou femmes abandonnées Ribaudes. Le mot de Roy estoit appliqué au superieur ou Juge, tout ainsi qu' au grand Chambrier le Roy des Merciers, à la Bazoche leur Roy, aux Arbalestiers leur Roy, & semblables. La charge du dit Roy des Ribaux estoit de faire Justice des crimes commis à la suite du Roy hors son Hostel. De ceux faits dedans, le grand & autres Maistres du dit hostel avoient la cognoissance. Le dit Roy des Ribaux avoit Varlets, ou Archers pour la force, & execution de son office, qui ne portoient verges au dit Hostel, & estoient de la jurisdiction des Maistres des Requestes de l' Hostel, lesquels anciennement avoient leur siege à la porte du dit Hostel, pour ouïr les Requestes, & plaintes de ceux de dehors, ainsi qu' il sera plus amplement deduit en leur Chapitre. Est ce que dessus concernant les Varlets du Roy des Ribaux recité au plaidoyé de la cause de I. Iunet le 16. Mars 1404. és Arrests de la Pentecoste 1270. est escrit Poincard Prevost des Ribaux. Car longues années apres, & le 22. Fevrier 1353. au second Arrest de Jean de Beauleem, le Roy des Ribaux est nommé pour chef de l' office, qui a depuis changé de nom, & regnant Charles VI. se trouve intitulé Prevost de l' Hostel du Roy. Les filles de joye suivantes la Cour font sous sa charge, & tous les mois de May sont subjettes aller faire sa Chambre.

Tout le reste du Chapitre concerne le fait, & charge du Prevost de l' Hostel. Et vrayement cette opinion n' est pas de petit effect, tant pour estre assistée d' un tel parrein, que le parrein des Arrests par luy alleguez, que je veux croire avoir esté par luy veus, puis qu' il en a cotté les dates, & noms des parties. Vray que j' eusse desiré qu' il eust particularizé le cas de l' un des Arrests pour en estre plus esclaircy.

Si vous vous adressez au President Fauchet vous le trouverez formellement de contraire advis au Chapitre du Roy des Ribaux premier livre des dignitez, & Magistrats de la France.

Celuy (dit-il) qu' on appelloit Roy des Ribaux ne faisoit pas l' Estat du grand Prevost de l' Hostel, comme aucuns ont cuidé, ains estoit celuy qui avoit la charge de bouter hors de la maison du Roy ceux qui n' y devoient manger, ou coucher. Car au temps passé ceux qui estoient deliurez de viandes (qui est ce que depuis on a dit avoir bouche en Cour) aprés la cloche sonnée se trouvoient au tinel, ou salle commune pour manger, & les autres estoient contraints de vuider la maison, & la porte fermée, les clefs estoient apportées sur la table du grand Maistre, & parce qu' il estoit defendu à ceux qui n' avoient leurs femmes de coucher en l' Hostel du Roy, & aussi pour voir si aucuns estrangers s' estoient cachez, ou avoient amené des garces, ce Roy des Ribaux, une torche au poing alloit par tous les coings, & lieux secrets de l' Hostel chercher ces estrangers soit larrons, ou autres de la qualité susdite.

En ces mots finit l' opinion de Fauchet sans toutesfois la fortifier d' autre authorité que de la sienne, luy qui d' ailleurs en tout son œuvre est prodigue en alleguation d' uns & autres Autheurs anciens, pour le soustenement de ses opinions; Vray qu' une page apres, sur la fin du Chapitre il adjouste ces mots. C' est trop s' asseurer de l' antiquité, de dire que le Roy des Ribaux faisoit l' Estat du Prevost de l' Hostel. Car dés le temps mesme de Charlemagne, il y avoit un Comes Palatij, qui jugeoit des differens des gens de la suite de sa Cour. Ainsi qu' on voit dans Eginard qui a escrit la vie de cest Empereur.

Je ne suis pas si mal apris que je vueille entreprendre jurisdiction & cognoissance sur ces deux personnages: Chacun d' eux porte son saufconduit sur le front; toutesfois si vous en croyez la voix commune du peuple, elle adhere plus à l' opinion du premier que du second, nonobstant son Comes Palatij, qui sous la troisiesme lignee de nos Rois a esté attribué à celuy qu' on appella grand Maistre. Et est certain que tout ainsi que le grand Maistre a pretendu estre fondé en jurisdiction des crimes qui estoient commis dedans la maison du Roy, aussi faisoit le semblable celuy qui sous la premiere, & seconde lignée, s' appelloit Comes Palatij, horsmis qu' en ce qui concernoit les Grands, il falloit en passer par le jugement du Roy. Et neantmoins si l' on me permet franchir le pas, & passer outre, je m' advantureray de dire que je treuve beaucoup à redire au premier: Car si le Ribaud estoit de son premier estre tel qu' il presuppose, je veux dire celuy qui abuse effrontément de son corps envers les femmes: Et la Ribaude celle qui fait le semblable à l' endroit des hommes. Pour à quoy remedier fut trouvé la jurisdiction du Roy des Ribaux, comme il dit. Hé vrayement nos ancestres ne furent guere sages, quand voulans designer celuy qui cognoissoit des causes criminelles en Cour, il fut par eux appellé, non Prevost, non Baillif, non Seneschal, ains Roy, & encore Roy des Ribaux, comme si la paillardise eust fait son principal & ordinaire sejour en la Cour de nos Rois. Chose fausse: car nous voyons par l' Ordonnance de sainct Louys de l' an 1254. qu' il chassa non seulement des villes, ains des champs, & consequemment de sa Cour, toutes garces & filles de joye. Et quand bien il s' y fust trouvé quelque abus, il falloit chastier ce vice sous le mot general de juge, comme l' on fait en toutes les autres jurisdictions de la France, & non le designer particulierement sous ce nom honteux du Roy des Ribaux. C' est pourquoy je veux deschifrer cette ancienneté tout d' un autre sens, qui n' a encore esté fait par aucun des nostres, & vous dire que du temps de Philippe Auguste, Ribaud n' estoit un mot de pudeur, ains d' honneur. Je ne doute point que dés cette premiere demarche je ne reçoive diverses atteintes, non seulement de la populace, ains de ceux qui font profession de bien entendre nostre langue Françoise. Le mot de Ribaud en France, ou de Ribaldi dans l' Italie, ne se peut prendre en bonne part, dit Nicot en son Dictionaire François. Adjoustez y le mot de Ribaude, encore y trouverez vous plus de honte; ce sont deux paroles pleines de vergongne. C' est pourquoy je supplie le Lecteur de suspendre son jugement jusques à la fin de ce mien discours, dedans lequel il verra une metamorphose admirable. Le mot de Ribaud sous le regne de Philippe Auguste estoit baillé à des soldats, ausquels il avoit tres-grande creance, en ses exploits militaires. Guillaume le Breton au troisiesme Livre de sa Philippide, dit que ce Roy estant venu pour donner confort & aide à la ville de Mante, que le Roy Henry d' Angleterre tenoit assiegee, soudain apres son arrivee, le Seigneur de Bar brave cavalier, avec ceux de sa banniere, & les Ribaux, attacqua chaudement l' escarmouche, & logea la spavente au camp de l' Anglois.

Hi, paucique aiij stimulante cupidine laudis,

Eminus admisso post Barrica signa feruntur, 

Armigerique suis dominis, qui deesse nequibant,

Et Ribaldorum nihilominus agmen inerme, 

Qui nunquam dubitant in quaevis ire pericla:

Et quelques vers apres, les nostres ayans vaillamment combatu & batu l' ennemy.

Nec munus armigeri, Ribaldorúmque manipli,

Ditati spolijs, & rebus, equisque subibant; 

Nec mora, Rex, & caetus ouans rediere Medonta, 

Et laeti somno se curavere, ciboque: 

Anglicus ex illo tunc tempore non fuit ausus 

Armato, nostros adoriri, milite fines.

Vous voyez qu' entre toutes les compagnies, il fait un singulier estat de celle des Ribaux. Le Roy Philippe apres avoir subjugué le Poitou, voulant assieger la ville de Tours, & trouvant la riviere de Loire luy faire obstacle. il choisit un Capitaine Ribaud pour la gayer.

Rex quodam duce Ribaldo vada tentat ubique,

Donec inundantis medio se fluminis, hasta

Appodians, ripa subito stetit ulteriori, 

Inventoque vado quasi per miracula, contra

Spem, contra fluvij naturam, transit absque

Remigis officio.

Et sur l' exemple de son Roy, toute l' armee ne douta de passer à gay la Loire, dont le Capitaine Ribaud leur avoit ouvert le premier chemin. Le Roy ayant mis le siege devant Tours: Ribaldi Regis (dit Rigord) qui primos impetus in expugnandis munitionibus facere consueverunt, eo vidente, in ipsam civitatem impetum fecerunt, & per muros cum schalis ascendentes ex improviso ceperunt. Quo audito Rex & exercitus, integram civitatem accepit, positis ibi custodibus, & ibidem aliquot dies gratias Deo agentes, solemnizaverunt.

Vous pouvez recueillir de ces passages, & specialement du dernier, que la compagnie des Ribaux estoit ordinairement à la suitte du Roy Philippe, tout ainsi que la Pretoriane dedans Rome à celle des Empereurs. J' ay repassé tout au long sur les dix livres de la Philippide du Breton, je ne trouve point en tout son œuvre qu' il donne nom expres à aucune autre compagnie qu' à celle-cy. Qui me fait dire que c' estoit la compagnie ordinaire de la garde du Roy; Et comme ainsi fust que l' on n' y enrolast que soldats d' eslite: aussi est-il advenu que depuis ce temps là jusques à huy, nous avons appellé puissans Ribaux, non les putassiers, ains tous hommes forts & membrus. Il leur falloit un Capitaine pour les conduire. Or tout ainsi que le Heraut qui estoit pres du Roy, fut appellé Roy d' armes, aussi fut ce Capitaine appellé Roy des Ribaux, non pour leur faire le procez ainsi qu' un Prevost de l' Hostel; ains pour les conduire à la guerre quand les occasions se presentoient. Ainsi le recueillay-je du Roman de la Rose, quand le Dieu d' Amours assemblant son ost, pour deliurer Bel-accueil de la prison en laquelle il estoit detenu, le dessus du Chapitre porte:

Comment le Dieu d' Amours retient,

Faux semblant qui des siens devient, 

Dont ses gens sont joyeux & baux,

Car il le fait Roy des Ribaux.

Et dans le discours du Chapitre.

Faux semblant par tel convenant, 

Tu seras à moy maintenant, 

Et à nos amis aideras, 

Et point tu ne les greveras:

Ains penseras les enlever, 

Et tous nos ennemis grever,

Tien soit le pouvoir & le baux 

Car le Roy seras de Ribaux.

Il est certain qu' en l' un & en l' autre vers le Roy des Ribaux est pris, non pour Juge; ains pour Capitaine. Tout de la mesme façon que depuis nous appellasmes Coronal de l' Infanterie celuy qui la conduisoit, mot qui approche de la Royauté. Et d' autant que cette compagnie estoit voüée à la garde du Corps du Roy, il falloit que son Capitaine tint pied à boule à la porte du chasteau. Le plus ancien Estat de la Maison du Roy, est celuy qui se trouve au plus vieux Memorial de la Chambre des Comptes de Paris cotté Croix, de l' an 1285. c' estoit la derniere annee du Roy Philippes le tiers fils de S. Louys, portant entr'autres ces deux articles.

Item ils seront deux portiers en Parlement quand le Roy n' y est, Philippot le Camus & un autre, & aura chacun 2. sols de gages, pour toute chose, & on leur defendra que par leur serment ils ne prennent rien de Prelat, ne d' aucuns, & qu' ils ne laissent nulli entrer en la chambre des Prelats, sans commandement des Maistres.

Item le Roy des Ribaux a six deniers de gages, & une provende, & un valet à gages, soixante sols pour robbe par an.

Le Parlement n' estoit lors resseant en la ville de Paris, ains suivoit la Cour du Roy. Au moyen dequoy il y avoit sa chambre pour juger les procez, & deux portiers, avec expresses inhibitions & deffences de prendre argent des Prelats pour y entrer. Et on y met apres le Roy des Ribaux que j' explique pour la garde du Corps du Roy. Chose qui se descouvre bien amplement par un autre Estat fait sous le Roy Philippes le Long, qui est au mesme Memorial.

C' est l' Ordonnance de l' Hostel du Roy Philippes le Grand, faite à Lorry en Gastinois le Jeudy dix-septiesme jour de Novembre mil trois cens dix-sept. Quand on vient à parler de ceux qui devoient avoir la garde des portes de la Maison du Roy.

Les Huissiers de Salle cinq. C' est à sçavoir Thiebaut, Olivier, Philippe, Jean le Clerc, & Geoffroy. Dont il y en aura tousjours 3. en Cour, & s' aideront pour servir par temps, & aura chacun une provende d' avoine, & XIX. deniers de gages pour toutes choses, & liuraison de chandelles, IX. quayer, & VI. conistres, & non point liuraison de vin.

Item portiers quatre, dont les trois seront tousjours en Cour, & aura chacun une provende d' avoine, & XIII. deniers de gages pour toutes choses, ils doivent avoir conistres, & aura la porte 9. cinquain, 9. quayer, & 12. chandelles courtes, & aura pour tout demie moule de busches.

Item trois varlets de porte qui mangeront à Cour, & n' avront autre chose, mais qu' eux trois ensemble avront 9. quayer pour esveiller, & chacun une conistre, & une bote de feurre. 

Item Crasse Joé Roy des Ribaux ne mangera point à Cour: mais il aura six deniers tournois de pain, & deux quartes de vin, une piece de chair, & une poule, & une provende d' avoine, & 13. deniers de gages, & sera monté par l' Escurie, & se doit tousjours tenir hors la porte, & garder qu' il n' y entre que ceux qui y doivent entrer. 

Du Tillet s' est aidé de cet article pour verifier son intention, & dit que l' on recueille de luy que le Crasse Joé qui y est nommé Roy des Ribaux estoit comme le Prevost de l' Hostel. Je voudrois sçavoir sur quel tiltre il voulut faire ce commentaire: Car nulle mention de juger, au contraire prenez l' Ordonnance tout de son long, vous verrez estre question seulement de la garde de l' Hostel du Roy. Et à cet effect elle commence par cinq Huissiers, puis passe à quatre Portiers, puis à trois varlets des portiers, declarant quelles estoient leurs charges, & en fin aboutit au Roy des Ribaux, auquel vous voyez estre aussi enjoint de garder la porte, mais avec plus d' appointement que tous les autres, luy assignant mesme un cheval de l' escurie du Roy; Qui est celuy qui ne voye que par cet article on n' entendit jamais parler d' un qui representast le Prevost de l' Hostel, lequel ne fut jamais commis à la garde des portes de la Maison du Roy: Mais bien que ce Roy des Ribaux avoit la charge de garder la porte, comme celuy qui estoit Capitaine des gardes du Roy. Je sçay bien que depuis ces Ribaux degenererent de leur ancienne vertu: comme je toucheray cy-apres. Ny pour cela ne fut ceste Capitainerie supreme, dont on voyoit l' image, non l' effect. Parce que l' on trouve au Memorial de la Chambre des Comptes cotté C. une Ordonnance du Roy Philippes de Valois sur son Hostel, & sur celuy de Monsieur le Duc d' Orleans son fils du 28. May 1350. par laquelle apres avoir compris sous un general article, Tailleur, Cordonnier, une Guette, un Huissier de la Salle, deux Portiers, deux Varlets de porte, quatre Varlets servans du vin, on adjouste immediatement cet article. Le Roy des Ribaux cinq sols par jour pour toutes choses. Qui estoit garder la mesme police que celle de Philippes le Long, mais avec un retranchement de sa pension ancienne. Jusques à ce qu' en fin pour monstrer combien cette charge estoit venuë avec le temps en nonchaloir, je trouve au Memorial cotté E, une Ordonnance du Roy Charles VI. du mois de Janvier 1386. portant ces mots. Le Roy des Ribaux 4. sols parisis par jour quand il sera à Cour pour toutes choses. Toutes les autres Ordonnances ne portoient point cette restriction de Cour. A la verité Fauchet avoit eu quelque ressentiment de cette ancienneté, quand il disoit que le Roy des Ribaux avoit la charge de fermer la porte à ceux qui ne devoient entrer en l' Hostel, mais de la particulariser de la façon comme il fait, je voudrois pour m' en rendre capable, avoir un autre garand que de luy seul.

Et pour m' estancher de ce long discours, & monstrer en peu de paroles, qu' il n' y avoit aucune communauté entre le Roy des Ribaux, & celuy que depuis nous appellasmes Prevost de l' Hostei, je prens droit (permettez moy de faire icy l' Advocat pour le soustenement de mon opinion) sur ce que du Tillet dit en la fin de son Chapitre. Des sentences du Prevost de l' Hostel (dit-il) en matiere civile les appellations ressortissent du Parlement, comme appert par les Registres d' iceluy des 21. Avril, & 29. Decembre 1486. Or est-il qu' en ce mesme temps il y avoit un Roy des Ribaux couché en l' Estat de l' Hostel du Roy, comme je vous ay cy-dessus touché: Il est donc vray de dire que c' estoient offices distincts. Ny pour ce que j' en discours je n' entens m' advantager au desadvantage de la memoire de du Tillet, ausquels la France a tres-grande obligation. En ces douteuses anciennetez je laisse la liberté aux plumes de me contredire, & au Lecteur de suivre telle opinion qu' il luy plaira: Sauf aux ans de juger des coups.

Quelqu'un paravanture desirera sçavoir de moy dont ce nom de Ribaud a esté emprunté, qui prendra cy-apres un autre visage. Cette compagnie de Ribaux, n' est, ny la premiere, ny la derniere, qui ont eu noms particuliers dont on ne sçait l' origine, desquelles les unes reüssirent avec le temps à honneur, & les autres à deshonneur. Amian Marcellin nous tesmoigne que vers le declin de l' Empire il y eut deux braves compagnies guerrieres, l' outrepasse de toutes les autres, dont l' une estoit appellee Gentilium, & l' autre Scutariorum, sans que sçachions comment, ny pourquoy leur furent baillez ces deux noms. Et de ma partie veux croire, comme j' ay traité ailleurs, que d' elles vindrent en usage ceux que depuis nous appellasmes en France Gentilshommes & Escuyers: Car il est certain que nostre Noblesse Françoise prist son commencement par les armes, & qu' entre toutes les nations estrangeres, qui se firent riches de la despoüille de l' Empire, il n' y en eut pas une des autres, qui emprunta tant des mœurs, & discipline des Romains que la Françoise, comme nous tesmoigne Procope.

Ces deux compagnies de Gentils & Escuyers prospererent. Au contraire deux autres qui avoient tenu dedans la France, lieu de primauté entre les guerriers, s' abastardirent avec le temps, & par un mesme moyen tomberent en l' opprobre de tout le monde. Pendant la prison de nostre Roy Jean, les Anglois s' estans emparez de la ville de Melun fermoient la porte aux basteaux & marchandises qui descendoient du haut de la riviere de Seine à Paris. Au moyen dequoy Charles son fils lors Regent en France, pour faciliter la descente ordonna certain nombre de Soldats, Brigands, Paluoisiens, Archers, & Arbalestiers qui seroient continuellement en basteaux couverts, pour servir d' escorte aux autres basteaux. Par cela vous voyez que la compagnie des Brigands estoit lors mise la premiere en ordre, comme estant de plus grand respect que les autres. Le semblable avoit il esté auparavant en celle des Ribaux: Et neantmoins l' une & l' autre forlignans par succession de temps, des Brigands on feit des Voleurs & guetteurs de chemins en nostre commun langage, & des Ribaux une je ne sçay quelle enjance de putassiers. Deux vices assez familiers aux soldats, si par une discipline estroite ils ne sont tenus en bride par leurs Capitaines. Or commença cette desbauche bien avant sous le regne du Roy Philippes le Bel, comme vous pouvez descouvrir par le Roman de la Rose, dedans lequel vous trouvez, Ribaux & Ribaudes estre pris pour personnes qui mettent indifferemment leurs corps à l' abandon, sans aucun soin de leur honneur. Et signamment quand vous voyez le Dieu d' Amours faire Faux semblant Roy des Ribaux: Car la beauté de ce passage est, que Jean de Mehun Autheur du Roman, qui vivoit sous Philippes le Bel, nous ayant representé quelle estoit la nature du Roy des Ribaux de son temps, qui ne signifioit autre chose que Capitaine, il represente aussi quel estoit le vice des Ribaux de son temps, ausquels il baille pour Capitaine Faux semblant. Et est une chose esmerveillable qu' avec le temps l' Estat de ce Roy des Ribaux alla tellement au raval, que je le voy avoir esté pris pour executeur de haute Justice. Jean Boutillier dedans son livre intitulé Somme Rurale, qui commença d' estre mis en lumiere le 22. Juillet 1490. Cela s' appelle la derniere annee du regne de nostre Roy Charles VII. Ce docte praticien (dis-je) discourant les droits qui appartenoient aux 2. Mareschaux de France: car lors il n' y en avoit d' avantage. Ces 2. Mareschaux (poursuit-il) peuvent faire & accoustrer un Prevost, qui peut & doit avoir pouvoir d' eux deux, où soient empraintes les armes des dits Mareschaux, & premieres du premier Mareschal. Par devant lequel Prevost peuvent estre ventilees toutes les causes qui au droit des dits Mareschaux appartiennent en la Judicature, & doit avoir de chacune commission 2. sols: de chacune amende 60. sols, en quoy il commande, il doit avoir 17. sols. Et pareillement si l' amende estoit de 60. liures, en quoy enqueurt toute personne qui fait ou vient contre les Estats des dits Mareschaux, il a aussi 17. liures. Item a le dit Prevost le jugement de tous les cas advenus en l' ost, ou chevauchie du Roy, & le Roy des Ribaux en a l' execution. Et s' il advenoit qu' aucun forface de corps, qui soit mis à execution criminelle, le Prevost de son droict a l' or & l' argent de la cheinture au malfaicteur: & les Mareschaux ont le cheval, & le harnois, & tous outils se ils sont; reservé le droict, & les habillemens quels qu' ils soient & dont ils sont vestus, qui sont au Roy des Ribaux qui en fait l' execution. Le Roy des Ribaux se fait toutes-fois que le Roy va en ost, ou en chevauchie: appellez l' executeur de ses sentences, & commandement des Mareschaux, & de leur Prevost. Le Roy des Ribaux a son droict à cause de son office, & cognoissance sur tous jeux de dez & de berlans, & d' autres qui se font en l' ost & chevauchee du Roy. Item sur tous les logis de bourdeaux & femmes bourdelieres doit avoir 2. sols la semaine.

Je ne feray aucun commentaire sur cet article; car le texte est assez clair, pour cognoistre quelle estoit la charge du Roy des Ribaux du temps de Jean Boutillier. Mais je vous prie de considerer en quel desarroy est en cet endroit nostre histoire: Car du Tillet estime que les filles de joye sont aujourd'huy sous la charge du Prevost de l' Hostel en Cour, comme ayant emprunté cette belle dignité du Roy des Ribaux lors qu' il estoit en pleine vogue: Au contraire Boutillier la luy attribuë, lors que de grand Capitaine, on luy veit faire la charge d' executeur de la haute Justice. Au demeurant pour ne laisser en ce sujet rien en arriere: Je sçay qu' il y a quelques vieux exemplaires de l' Ordonnance du Roy S. Louys de l' an 1254. qui parle des femmes folles & Ribaudes, en l' article auquel il bannit du Royaume tous les bordeaux. Chose qui pourroit apprester à penser que deslors le mot de Ribaud fut pris de mauvaise part. Cette Ordonnance fut faite en Latin (ainsi que l' usage commun de la France le portoit lors, & auparavant) & depuis traduite par diverses plumes, chacune desquelles approprioit sa version au langage commun de son temps. Et de fait je vous puis dire avoir veu une version plus ancienne que celle-là, portant au lieu de Ribaudes, femmes follieuses. Pareille faute trouvons nous aux anciens manuscrits de nostre Roman de la Rose: en chacun desquels le langage François est tel qu' il estoit lors qu' ils furent copiez, horsmis la ruine des vers, ausquels ils ne peuvent donner aucun ordre. Voire y trouverez vous je ne sçay quoy du ravage de ceux qui en furent copistes, je veux dire de leur Picard, Normand, Champenois. Qui sont choses ausquelles le Lecteur doit avoir grand esgard premier que d' y interposer son jugement.

8. 43. De ces mots, Voleurs, & Brigands.

De ces mots, Voleurs, & Brigands.

CHAPITRE XLIII.

La pauvreté produit quelquesfois en nous de merveilleux effects de vertu, quelquesfois de merveilleux effects de vice. En un commencement de Republique qui veut s' accroistre par la vertu, il faut faire profession de Pauvreté: Au definement ce sont choses incompatibles que la vertu, & la pauvreté. Chacun veut estre riche aux despens de sa conscience à quelque prix que ce soit. Nous fuyons le pauvre comme un ladre, si je disois du mot Italien, comme un Ladro, ce seroit comme un larron. Et ne seroit pas sans quelque raison. Car pour bien dire il advient fort souvent que la pauvreté est la mere de larcin. Parquoy apres avoir au chapitre precedant donné lieu non seulement à la pauvreté, ains à la mendicité, je ne douteray de vous faire part de cestuy que j' ay dedié aux voleurs, & brigands, qui sont ceux ou qui par les chemins publics, ou dans les bois & forests espient les passans, & leur ostent ce qu' ils portent sus eux, & le plus du temps la vie, a fin qu' ils n' ayent moyen de les deceler. Quant au mot de Voleur, l' Ordonnance du Roy François premier faicte contre eux, nous enseigne l' origine, quand elle dit, qu' il y avoit de meschans hommes, lesquels faisans semblant de voler l' oiseau, aguettoient les marchands sur les chemins. Si cela n' est vray, il est bien trouvé. Bien vous diray-je que dans les loix d' Allemagne, inserées apres nostre loy Salique, vous y verrez trois ou quatre tiltres de la punition de celuy qui avroit volé un Taureau, ou Cheval sous ce mot Involare. De eo qui alterius equum involarit. De eo qui Taurum gregem regentem involaverit. Aussi est-ce la verité que Involare en Latin signifioit derober, non pas avec telle licence effrenee comme faict le voleur en France, parmy les champs ou les bois. Mot qui prenoit sa source & Origine de Vola, qui est une partie tant de la main que du pied.

Car quant au mot de Brigand, je m' y trouve plus empesché. Parce que Brigade en vieux François, signifie compagnie: & Brigue entre nous n' est autre chose qu' une menee couverte que l' on faict pour parvenir à une entreprise. Et en cela je ne voy rien qui se rapporte au Brigand pris entre nous pour Voleur, je veux dire pour un meurdrier des champs qui vole & derobe le bien avec la vie. Il y a des mots qui naissent entre nous par hazard, & ausquels le peuple donne cours sans sçavoir pourquoy, ny comment. En l' an mil cinq cens cinquante quatre, nous eusmes des vins infiniment verds, que l' on appella Ginguets: en l' an mil cinq cens cinquante sept, il survint un mal de teste accompagné d' une perpetuelle fluxion de pituite par le nez, que l' on nomma Coqueluche: & practiquons encores ces deux mots en mesmes matieres quand les occasions s' y presentent. Toutesfois il est impossible de rendre la raison de l' un ny de l' autre: il suffit de monstrer au doigt quand ces mots furent mis en usage: j' en dirois volontiers autant de celuy de Brigand, que je voy anciennement avoir esté usurpé pour une espece de gens de guerre: Car comme ainsi fust que du temps de la regence de Charles cinquiesme, les ennemis se fussent emparez de Melun, & qu' ils empeschassent la voiture des denrees par eauë dans Paris, il ordonna le quatriesme Novembre, mil cinq cens cinquante huict, certain nombre de gens d'armes, & de pied, Brigands, Pavoisiens, Archers, & Arbalestiers, qui seroient continuellement dedans des basteaux couverts, pour servir d' escorte aux marchands. Sous le regne de Charles sixiesme, je le voy avoir esté pratiqué d' une plus naïfve signification, & approchant de plus pres à celle qui est entre nous. Le papier Journal, dont j' ay fait estat en quelques endroicts de cest œuvre, m' en a donné quelque advis, parlant des meurdres qui se commettoient dans Paris encontre les Armegnacs: là où discourant que Pierre des Essars Prevost de Paris, du tout à la devotion de Jean Duc de Bourgongne, excitant les Parisiens à la ruine des Armegnacs, fit tant qu' on crioit parmy les ruës, que l' on les abandonnoit à la volonté d' un chacun, & permis à tous de les tuer, s' ils le pouvoient faire: Au bout de cela l' Autheur de ce papier adjouste, Si y alla plusieurs gens, qui plusieurs fois leur firent dommages, & par especial compagnons de village qu' on nommoit Brigands, qui s' assembloient, & firent du mal assez sous ombre de tuer les Armegnacs. Là j' estime qu' ils furent nommez Brigands, parce qu' ils venoient en troupe suivant l' ancienneté de Brigade: Et neantmoins pour autant que cette troupe estoit faicte de gens des champs, où les voleurs font leur emploite, je me fais acroire que l' on appella depuis Brigands tous ceux qui se mesloient de ce beau mestier.

8. 42. Tru, Truage, Truant, Maletoulte, Pautonnier, Coquin, Cagnardier, Gueux de l' ostiere.

Tru, Truage, Truant, Maletoulte, Pautonnier, Coquin, Cagnardier, Gueux de l' ostiere.

CHAPITRE XLII.

Dans nostre Roman de la Roze la pauvreté est mere de larcin. Et assez souvent le larcin est proche parent du gibet. C' est pourquoy j' ay voulu mettre ce chapitre a la suite du precedant. Du commencement que nos Roys s' impatroniserent des Gaules, les mots de tailles, aides, & subsides n' estoient en credit: Mais les redevances qui estoient payees par leurs subjects, estoient comprises sous ce mot de Cens, ou Tributs, comme nous pouvons recueillir d' une infinité de passages de nos vieux autheurs. Aimoin au livre troisiesme, chapitre douxiesme Theodebertus nonnullis urbibus subactis tributa, Turonensibus, Pictavis, Caturcensibus, Lemovicis iure victoriae adscribit. Et estoient faicts registres de telles redevances, comme nous apprenons de Gregoire de Tours, au trente uniesme chapitre du neufiesme livre, Childebertus Rex descriptores in Pictavos, invitante Meroveo Espicopo (Episcopo), iußit abire, id est Florentianum Maiorem domus Reginae, & Romulphum Palatij sui Comitem, ut scilicet Censum, quem tempore patris reddiderat, facta ratione innovata reddere deberet: Multi enim ex his defuncti fuerant, & ob hoc viduis, orphanisque, ac debilibus Tributi pondus insederat: Quod si discutientes, per ordinem relaxantes pauperes, ac infirmos illos, quos iustitiae conditio tributarios dabat Censu publico subdiderunt. Auquel lieu vous voyez la description que l' on faisoit des tributs: Et en outre comme indifferemment il appelle, ores Tributs, ores Cens, les impositions qui estoient faictes sur le peuple.

Ces tributs par les anciens furent par un mot abregé appellez de nous Trus. Es grandes Croniques de France dediees à Charles huictiesme, au premier Tome, chapitre vingtdeuxiesme. En ce temps avoient les François cueilly à grande haine Parchume, & cil Parchume estoit moult puissant au palais de Theodebert comme il vivoit. La raison pourquoy il fut si forment hay fut pource qu' il avoit le peuple grevé de Trus, & exactions. Et au mesme livre sur le commencement, parlant de la composition que par une vieille Caballe nos Annalistes presupposent avoir esté autresfois faicte entre l' Empereur Valentinian, & nos premiers François. Valentinian (dit-il) leur quitta les Trus dix ans. De ce mot de Tru vint que nous dismes Truage, de là aussi Truander pour gourmander, & fouler. Parce que ceux qui sont destinez à exiger les tributs sont ordinairement gens fascheux, qui ont peu de pitié des pauvres, sur lesquels ils executent les mandemens d' un Roy: Tout de la mesme façon que nous appellons fier Pautonnier, un homme revesche, & mal à propos glorieux, au lieu de fier Pontonnier. D' autant que ceux qui sont commis à recevoir les peages des ponts sont presque ordinairement d' une façon fiere & farouche és choses qui concernent leurs droicts. Par une ordonnance du Roy Jean du cinquiesme Octobre 1301. il veut que tous trehuz, peages, pontenages, subsides & charges mises de nouvel cessent. Et pour ne m' esloigner du mot de Truant: pour autant que par les mangeries des exacteurs, plusieurs gens du pauvre peuple estoient reduicts à mendicité, nos anciens appellerent un homme Truant, qui alloit mendiant sa vie, & Truander, pour caimander. Jean de Mehun introduisant Faux semblant parlant des Caimands. 

Quand je voy tous nuds ces truands 

Trembler sur ces fumiers puants 

De froid, de faim, crier & braire,

Conte ne fais de leur affaire.

S' ils sont à l' Hostel Dieu portez, 

Par moy ne seront confortez:

Car d' une aumosne toute seule 

Point ne me paistroient à la gueule. 

Et en termes beaucoup plus exprés en un autre endroict où il dit que l' Art faict la cour à Nature.

Mais par son ententive cure 

A genoux est devant Nature 

Et prie, requiert, & demande 

Comme mendiante truande. 

Ainsi Truander, & Truant, usurpé de la façon que dessus, prist sa source à l' occasion de ceux qui pour la surcharge des tributs estoient reduits au point de mendicité: Et croy que pour cette mesme raison le simple peuple ait esté induict de dire au desavantage des Normans Qui fit Normand, il fit Truand, parce que sur tous les peuples de la France ceux-cy ont esté chargez de Trus, & imposts. 

Or combien que le tribut soit naturellement deu à un Roy, pour laquelle cause il fut dit és sainctes lettres, Rendez à Cesar ce qui appartient à Cesar: Toutesfois du commencement les François ne pouvoyent bonnement gouster telles charges: & de faict Aimoïn nous apprend qu' un Marc Chancelier de France estant deputé par Chilperic, pour lever au pays d' Aquitaine certain impost qu' il avoit assis sur les vignobles, fut tué tumultuairement dedans la ville de Limoges: Et depuis une infinité de seditions s' esmeurent diversement pour cest effet dedans Paris, Rouen, Troyes, Rheims, & plusieurs autres endroicts, selon la diversité des saisons, & par especial sous le regne de Charles sixiesme. Ces levees qui estoient quelquesfois extraordinaires, furent anciennement appellees Maletoultes, comme si le peuple eust voulu dire qu' elles estoient mal prises. Guillaume de Nangy en la vie de Philippe le Bel, En l' an mil deux cens quatre vingts & seize (dit-il) Philippe le Bel fit une exaction sur son peuple, que l' on appelloit Maletoulte, premierement sur les marchans du centiesme, & apres du cinquantiesme de tous les biens de chacun, tant de Clercs, comme Laiz, pour la guerre d' entre le Roy de France, & d' Angleterre, & dit ailleurs qu' en ce mesme temps pour raison de cette Maletoulte s' ensuivit un tumulte à Rouen encontre les Collecteurs d' icelle. Or vient cette diction du mot Tollir, de laquelle nos anciens ont autresfois faict Toult, & Toulte, En cette façon lisons nous dans le Roman de la Roze: 

Mal faict qui l' autruy toult & pince. 

Et dans la vieille Cronique de sainct Denys, en la vie de Louys le Begue, où il est recité qu' apres la mort de Louys le Begue, quelques grands Seigneurs de France manderent à Louys Roy de Germanie, qu' il vint en France pour s' investir du Royaume. En celle voye (porte le texte) firent les gens tant de maux; de Toultes, & de rapines, que plus n' en eussent osé sur les Payens. Chose dont nous pouvons aisément recueillir que Maletoultes furent dictes comme choses mal tollues, & non pas mal taxees, ainsi que quelques uns se font accroire mal à propos.

Puis que tout le discours de ce chapitre a esté de la pauvreté, peut estre ne sera-il hors de propos d' y adjouster la mendicité en ces mots, de Coquins, Gueux de l' ostiere, Caignardiers. Quant au mot de Coquin, c' est un mendiant volontaire, qui halene ordinairement les cuisines, que les Latins nomment Coquinas: Le gueux de l' ostiere, est un autre mot aussi transplanté du Latin en nostre vulgaire, je veux dire de ganeo hostiarius, c' est à dire un caimant, qui va fleureter les huis des maisons. Car quant au mot de Caignard, cela depend d' une histoire dont je puis estre tesmoin. De tant qu' en ma grande jeunesse ces faineants avoient accoustumé au temps d' Esté de se venir loger sous les ponts de Paris, garçons & garces pesle mesle: Et Dieu sçait quel mesnage ils faisoient ensemble. Tant y a qu' il me souvient qu' autresfois par cry public emané du Prevost de Paris, il leur fut deffendu sur peine du fouët de plus y hanter: Et comme quelques uns fussent desobeyssans, j' en vey fouëter pour un coup plus d' une douzaine sous les mesmes ponts, depuis lequel temps ils en oublierent le chemin. Ce lieu estoit appellé le Caignard, & ceux qui le frequentoient, Caignardiers, parce que tout ainsi que les Canards, ils voüoient leur demeure à l' eauë.