lunes, 7 de agosto de 2023

8. 48. Sans Feu, & Leu.

Sans Feu, & Leu.

CHAPITRE XLVIII.

Entre tous les Elemens je trouve que le feu a tousjours esté reputé necessaire pour la conservation de la santé. Qui a esté cause à mon advis que Martial devisant de la felicité que l' homme peut avoir en ce bas estre, apres la deduction de quelques particularitez, adjousta par exprés, Focus perennis, c' est à dire, avoir bon feu perpetuellement en sa maison: Et au contraire les plus expresses, & exemplaires punitions qui se faisoient dedans Rome, estoient quand l' on interdisoit un homme de feu, & d' eauë: voire fut trouvé le feu de telle necessité à une famille privee, que les mesmes Romains voulurent par une metaphore appeller la maison où ils residoient sous cette diction Latine Focus, qui ne signifioit toutesfois en sa propre signification, autre chose que le Fouyer: Et en cette façon estimerent-ils miserable celuy que la fortune avoit privé Laribus, & focis. Qui est comme si nous disions estre banny de sa maison. De cette mesme façon avons nous dit, & disons tant de feux estre aßis à la taille, c' est à dire tant de maisons à tel village estre contribuables à la taille: Ainsi dismes nous estre sans feu & sans leu quand nous voulusmes representer un homme qui n' avoit aucun domicile asseuré: Et de ce mesme mot est issu ce que nous appellons fouages, qui sont contributions annuelles que l' on tire de chaque feu. Chose qui est, ou qui peut estre notoire, & neantmoins remarquee par passage exprés au vieil Coustumier de Normandie chap. 15. parlant du Monneage qui estoit deu de trois ans en trois ans au Duc de Normandie, a fin qu' il ne fist point affoiblir les monnoyes. L' on doit sçavoir (dit-il) qu' il y a plusieurs lieux en Normandie, qui onc ne payerent cet ayde, si comme la Chastellenie, Laval, S. Jacques, Mortaigne, & aucuns autres qui oncques ne payerent Monneage. Et pource souloit-il estre appellé fouage, car ceux le payent ordinairement qui tiennent feu & leu: Aux dernieres impressions on a mis feu & lieu, ainsi que nous en usons maintenant. Mais il ne faut point douter que nos vieux François usoient du mot de leu, & non de lieu, & ce par une mesme analogie que de celuy de feu. Car tout ainsi que feu vient de focus, aussi leu venoit de locus, & nos anciens pour asseurer leur metaphore, par laquelle sous le mot de feu ils vouloient representer nos domiciles, y adjousterent encore celuy de leu, qui est beaucoup plus intelligible: Et par mesme moyen se joüerent de la rencontre des 2. mots: Quant à moy il me semble qu' il est beaucoup plus beau de demeurer dedans cette ancienneté que de dire feu & lieu, encores que le mot de lieu ait banny de nous celuy de leu. Tant y a que nos ancestres firent de ces mots focus, locus, & jocus, feu, leu, jeu. Et diray encores que de Coquus, ils firent Queu.


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8. 47. De ce que le peuple dit un homme estre bon, riche, ou vertueux par dessus l' espaule, lors qu' il se mocque.

De ce que le peuple dit un homme estre bon, riche, ou vertueux par dessus l' espaule, lors qu' il se mocque.

CHAPITRE XLVII.

J' appresteray à quelques uns, non à rire, ains à se mocquer de moy, me voyant si curieusement perdre quelques bonnes heures en des chetives Recherches. Cecy me fait souvenir d' un sage conseil que donna Pline second, l' un des premiers Orateurs de son temps, à un sien compagnon, qui se vantoit de n' employer jamais dans ses plaidoyez qu' argumens forts, & poignans: A quoy Pline luy respondit, Mon amy tu penses quelquesfois frapper droict à la visiere, & tu ne donnes qu' au talon

C' est pourquoy je mets en œuvre toutes sortes de pieces qui se presentent: Car en la diversité des jugemens, à tel plaist un argument, qui desplaist à l' autre: Ainsi est il des discours que je me suis icy proposez, l' un trouvera un sujet bon, qui ne sera aggreable à l' autre, & cet autre approuvera l' un de mes chapitres, qui sera bafoüé par son compagnon: en un mot, s' il se trouve quelque Censeur, auquel ces petites Recherches ne plaisent, comme chose de non valeur, tout ainsi que je me suis dispensé de les escrire, aussi se pourra-il dispenser de les lire. Je dy cecy par exprés, non seulement pour la matiere du present chapitre, mais aussi de toutes les autres, qui pourront estre trouvees de foible alloy: Et cependant je vous diray qu' il y a plusieurs proverbes en nostre langue qui semblent estre de soy ineptes, mais toutesfois encores doivent-ils avoir nom de proverbes, sinon entre gens de discours, pour le moins entre ceux qui sont de plus lourd, & grossier entendement, comme moy: Tel pouvons nous estimer ce commun propos, Quand nous disons un homme estre riche, ou vertueux par dessus l' espaule, nous mocquans de luy, & voulans signifier n' y avoir pas grands traicts de vertu, ou richesse en luy. Lequel dire tout ainsi que je l' ay quelquesfois estime evolé, aussi en appris-je depuis l' origine & derivaison, par quelques joüeurs de Flux: Car comme ainsi fust qu' en ce jeu l' As soit la principale carte (qui est celle en laquelle il y a une unité au milieu) il advint qu' un quidam en se riant, dist qu' il avoit deux As en son jeu, & les exhibans sur la table fut trouvé que c' estoient deux Varlets, chacun desquels comme l' on sçait porte une unité sur l' espaule: A quoy ayant appresté par son mensonge à rire à la compagnie, il respondit que veritablement il avoit deux As, mais que c' estoit par dessus l' espaule. Qui est prendre ce propos (dont nous faisons un proverbe) en sa vraye signification: Car comme je disois maintenant chaque teste soit de Coeurs, Careaux, Trefle, & Picque a un As dessus l' espaule, pour faire cognoistre de quel jeu ils sont Rois, Roines, ou Varlets, & toutesfois cette unité ne represente pas un As. Parquoy si nous voulons rapporter ce commun proverbe à ce jeu, nous le trouverons estre dit avec quelque fondement de raison, combien qu' autrement il semble avoir esté inventé à credit, & par une temerité populaire. J' adjousterois volontiers à la suite de cestuy-cy un autre, quand voyant un homme au dessous de toutes affaires, nous le disons estre reduit au tapis. Maniere de parler que nous empruntasmes des joüeurs, lesquels joüans sur un tapis verd, quand ils n' ont plus d' argent devant eux pour mestier mener, & ils sont contraints desemparer la table, on les dit estre reduits au tapis.

8. 46. Mestayer, Moitoyen, Mien, & Tien.

Mestayer, Moitoyen, Mien, & Tien. 

CHAPITRE XLVI.

Encores que les Romains peussent en diverses façons affermer leurs terres tantost en argent, tantost à certaine quantité de grain, selon que les volontez des contractans les admonestoient de faire, si avoient-ils en tres-grande recommandation le loüage qui se faisoit de leurs terres, à moitié: Pour cette cause voyons nous estre faicte en leurs loix si frequente mention d' un Colon partiaire. (Les Latins l' appellent Colonum partiarium) & sur le declin mesme de l' Empire y eut une loy de l' Empereur Valentinian, par laquelle il estoit deffendu à tous Maistres d' affermer leurs terres en argent, ains de soy contenter de ce qu' elles rapporteroient, laquelle loy tout ainsi qu' elle a receu diverses significations par les Commentateurs de droict, pour ne la rendre point contrevenante à quelques autres; aussi ne suis-je point exposé en ce lieu pour discourir, si elle a esté en tout, & par tout entretenuë selon sa forme & teneur; ains me contenteray de l' avoir alleguee, pour monstrer que c' estoit chose assez familiere en la ville de Rome d' affermer ses terres à moitié de grain. Cette mesme coustume semble s' estre insinuee entre nos anciens: Car à bien dire le mot de Metayer nous est aussi propre pour cest effect que le Partiaire en Latin, l' un prenant sa derivation de Partiri, & l' autre du mot de moitié. Pour laquelle cause mesmement vous trouverez en quelques vieux contracts qui sont reduits en Latin tel que l' infelicité du temps portoit lors, que tels fermiers sont appellez d' un mot Barbare Medietarij, qui vaut autant que s' ils eussent esté appellez Partiarij. Depuis comme toutes choses prennent divers plis, aussi s' est ceste particularité de coustume changee: De maniere que soit que l' on baille en argent, ou en bled, ou à moitié, nous les appellons tous Metayers; Tout ainsi que nous avons veu de nostre temps en cette France toutes sortes d' heretiques avoir esté appellez Lutheriens, bien qu' ils eussent quelque opinion separee de Martin Luther: Mais parce que les affaires de l' Eglise estans bien composees, Luther avoit esté le premier, qui du temps de nos peres remüa l' Estat de nostre Religion. L' origine de cette diction Metayer fera peut estre juger que d' un mesme tige soit aussi procedé le mot de Moitoyen, pour autant qu' il semble avoir quelque affinité avecques l' autre: Toutesfois qui voudra rechercher cette ancienneté à son vray point, il trouvera à mon jugement que les choses vont tout autrement, & que sous une proximité, & rencontre de dictions il y a diversité de sources: Car aussi le Metayer, comme j' ay dit, signifie celuy qui partit à moitié avec son Maistre, & le Moitoyen signifie une chose commune, & que l' on ne divise: Mais au contraire que l' on tient, & possede par indivis. Parquoy pour entendre en peu de paroles dont vient ce mot, la verité est que ces deux mots Mien & tien, & aussi Mienne & tienne, furent incogneus à nos anciens: Mais comme ainsi soit que tels mots soient derivez de moy & toy, aussi au lieu de mienne & tienne ils disoient moye & toye, & au lieu de mien, & tien, moyen, & toyen. Guillaume de Lorris en son Roman de la Rose faisant hommage à Cupidon.

Quand sa bouche toucha la moye,

Ce fut ce dont au cœur j' eus joye.

Et Jean de Mehun apres luy, au mesme livre, en quelque lieu, où il faict mention d' un jugement donné à Rome:

Sire Juge donnez sentence 

Pour moy, car la pucelle est moye. 

Et en un autre endroict:

Apprenez moy donc en vos voyes

Lesquelles choses seront moyes.

En la vieille histoire de sainct Denis livre second, chapitre troisiesme, Bellissaire escrivant à l' Empereur Justinian: Ceux qui avoient envie de ta santé, & de la moye. Je sçay bien que l' on trouvera en plusieurs endroits du Roman de la Rose, qui est imprimé, Mien & tien: Mais il ne faut faire aucune doubte que ces passages sont corrompus par ceux qui de nostre temps ont pensé beaucoup meriter de la langue Françoise, en reduisant ce bon vieux livre au langage qui court à present: En quoy je ne puis que je n' accuse à bon droict la miserable diligence de tels gaste-tout, lesquels estimans faire quelque brave traict de leurs plumes, nous ont en la plus part eschangé, & ce bon vieux Roman de la Roze, & la vie de sainct Louys du Sire Jean de Joinville, & encores par une impression recente l' Histoire de Jean Froissard, ne considerans pas toutes-fois qu' en ce faisant ils nous frustroient entierement de la cognoissance de l' ancienneté de nostre langue, laquelle nous ne pouvons remarquer, singulierement dans le Roman, sinon par la fin, & cadance du vers, que l' on n' a peu changer à cause de la rime. Or que les anciens usassent de Moyen, & toyen, je l' ay mesmes appris de Maistre Raoul de Presles (qui fut long temps apres Guillaume de Lorris, & Jean de Mehun) au Livre par lequel il pretend monstrer, que la Monarchie de France ne recognoist en rien pour temporel l' authorité du Sainct Siege: Cette antiquité me faict penser que de Moyen, & Toyen, vient le mot de Moitoyen, dont nous usons par une elision de la derniere syllabe de Moyen, comme si nous eussions voulu dire que ce mur estoit Mien & Tien.