lunes, 7 de agosto de 2023

8. 54. Marquis, Marchal, Mareschal, Maire.

Marquis, Marchal, Mareschal, Maire.

CHAPITRE LIV.

Mon opinion est que le mot de Marquis signifie un Estat anciennement inventé pour la protection & deffence des pays frontiers, & limitrophes, que nous appellons de tout temps & ancienneté Marches. En la vie du Debonnaire, dans la vieille Chronique de S. Denis: Au mois de May tint l' Empereur Parlement à Aix la Chappelle. Là vindrent les Messagers des Bulgeois qui moult longuement avoient demeuré en Baviere: Si estoit telle leur intention, qu' apres la confirmation de Paix & alliance, on traictast debonnairement des Marches qui sont entre les Bulgeois, Allemands, & François Austrasiens. Mot certes fort ancien, & usurpé par plusieurs fois par Aimoin en son Histoire, mais par passage merveilleusement exprés au cent dixhuictiesme chapitre de son quatriesme livre, où il dit que le mesme Debonnaire tint Parlement en la mesme ville d' Aix, où l' on traicta du fait de la guerre, puis adjouste, Simili modo de Marcha Hispanica constitutum est, & hoc illius limitis praefectis imperatum: c' est à dire, En cas semblable il fut en ce lieu arresté touchant la Marche d' Espagne, & enjoinct d' y avoir esgard à ceux qui avoient la charge de cette frontiere: Auquel endroit vous voyez en moins de rien Marche & Limite estre pratiquez l' un pour l' autre, à cette occasion dirent nos anciens Marchir, pour confiner à quelque pays. Froissard au 3. volume: La Comté de Blois marchist à la Duché de Touraine. Et en la sus mentionnee Histoire de S. Denis: Ils degasterent la contree d' unes gens qui pres eux marchissoient, qu' on appelloit Toringiens: Et en la vie de Philippes fils de Henry: Si advint en ce temps qu' entre Adam l' Abbé S. Denis, & Boucard de Mont-morency sourdit contention pour aucunes de leurs terres, qui ensemblement marchissoient. Et de là à mon jugement vint celuy que nous appellasmes en François Marquis, & en Latin Marchio, je veux dire celuy auquel on commettoit la garde des lisieres d' un pays: Pour l' explication duquel mot les Romains furent contraints avant le desbord des nations Septentrionales user d' une periphrase, & circonlocution, estant par eux appellé celuy qui estoit commis pour garder les limites d' Orient Comes limitis Orientis, qui vaut autant à dire comme si nous disions Comte des Marches du Levant. De cette mesme façon use assez souvent Aimoin: Car vous y trouverez tantost un Praefectus limitis Britannici, tantost un Custos Avarici limitis, & neantmoins le mesme autheur le definit d' un tout seul mot au chap. 2. du 5. livre, auquel lieu parlant du Debonnaire Roy pour lors d' Aquitaine, qui fut mandé par Charlemagne son pere, Accersivit filium iam bene equitantem cum omni populo militari, relictis tantum Marchionibus, qui fines regni tuentes omnes, si forte ingruerent, hostium arcerent incursus. Or comme ainsi soit que pour distinguer les Marches & limites, l' on ait accoustumé d' asseoir bornes, que l' on peut appeller Marques, aussi avons nous façonné entre nous une diction qui respond à cette signification. Car nous appellons Marcher ou marquer, toutes & quantesfois que par signal, affiche, recognoissance, ou autrement nous assignons certains buts, limites, & separations entre les personnes, & de cette parole ainsi prise vient que nous appellons Marchal des logis du Roy celuy qui marche ou marque, & assigne diversement les logis aux domestiques de la maison du Roy, & Marchal du camp celuy qui marque & departit aux uns & autres Capitaines les Cantons & assietes diverses du camp. Car comme je viens de toucher, marcher & marquer, n' est qu' un, & en use-l'on indifferemment en commun langage, comme mesmes vous recognoistrez plus à plein dans les œuvres de Clement Marot. Tellement que c' est errer d' appeller telles gens Mareschaux des logis du Roy, ou du Camp, d' autant que le mot de Mareschal, qui reçoit l' e s' aproprie vrayement aux quatre Mareschaux de France, & vient de deux dictions corrompuës Maire, qui est une alteration, & changement de Maistre, & Chal pour Cheval, comme si on les eust voulu dire estre Maistre de la Chevalerie apres un Connestable (comite stabuli) de France. Quelques-uns toutesfois sont d' advis comme du Tillet, qu' il vient du mot de Marsk (Mark) qui signifioit Cheval, soit l' un ou l' autre, je m' en rapporte à ce qui en est.

8. 53. De cette diction, Riens.

De cette diction, Riens.

CHAPITRE LIII.

Je veux que l' on pense que je ne traicte icy rien discourant sur cette parole de Riens. Un chacun de nous estime que ce mot ne signifie autre chose que ce que nous disons autrement Neant, & pour cette cause qui voudroit representer en nostre langue ce que le Latin dit, Ex nihilo nihil fit, il ne le pourroit en meilleurs termes representer, que Riens ne se faict de riens: Aussi quand il advient en commun langage à quelqu'un de dire s' il veut riens mander, on s' en mocque, & dit on ordinairement qu' à riens mander, il ne faut point de messager response: Toutesfois qui considerera ce mot en sa vraye source & nature, il verra que ce que le Latin a dit Res, nous l' avons rapporté en nostre langue sous cette diction de Riens: & de fait lisant dans les anciens, vous le trouverez aussi souvent usurpé pour ce mot de Chose, que pour Neant: & voy le plus du temps nos anciens avoir dit nulle Riens, & Toute Riens, pour nulle chose, & toute chose, faisans Riens feminin, comme les Latins ont fait Res. Jean de Mehun (je suis contraint l' appeller souvent à garand, comme l' un de nos plus anciens approuvez autheurs) faisant instruire la jeune Dame par la Vieille.

Sur toutes Riens gardez ces poincts, 

A donner ayez les cloz poincts

Et à prendre les mains ouvertes.

Et l' Autheur de la grande Cronique, parlant de Protaide qui fut maire du Palais de Theodoric Roy de Bourgongne. Sage homme estoit (dit-il) & de bon conseil, mais avaricieux, & convoiteux sur toutes Riens, c' est a dire en l' un & l' autre passage sur toutes choses. Jean de Mehun en un autre lieu, où Genius dit à Nature que la femme ne peut celer un secret, quoy qu' elle ne feust semonce de le descouvrir.

Et si aucun ne luy demande 

Si le dira elle vrayement,

Sans estrange admonestement 

Pour mille riens ne se tairoit. 

Peu apres le mary à sa femme. 

Dame si Diex m' avoye,

Pour mille riens ne le diroye. 

Au lieu mesme.

Mais il est droicturier sans doute, 

Car en luy reluict bonté toute,

Autrement seroit en defaut

Cil à qui nulle riens ne faut.

En tous lesquels passages est adjoustee une negative, pour faire signifier nulle chose, & toutesfois le mesme Jean de Mehun en plusieurs autres passages prend bien Riens, pour Neant, comme au lieu où il introduit Genius devisant de la creation de ce monde.

Car le rien fait-il tout saillir, 

Luy qui a rien ne peut faillir,

N' oncques riens ne le meut à faire 

Fors sa volonté debonnaire.

Auquel lieu les deux premiers Riens sont usurpez pour Neant, & le tiers pour quelque chose. Ce que j' ay voulu remarquer en passant pour contenter les esprits de ceux qui ambitieusement se delectent mesmes aux plus petites anciennetez de nostre France. Mais d' où vient que de ce mot Res tant familier aux Romains, dont nos Ancestres avoient fait un Riens, nous usons en tout nostre commun langage du mot de Chose, qui a esté empruntee de cette diction Latine Causa, qui n' a rien de commun avec nostre Chose Françoise? D' en rendre la raison je ne puis. Bien diray-je que dés pieça le trouvay-je avoir esté ainsi pratiqué: Et mesmement par Pepin Roy d' Italie fils de Charlemagne, au chapitre De Itinerantibus où il deffend aux Evesques, Abbez, Comtes, & ses vassaux passans pays, Ut non praesumant ipsi aut homines illorum, ulli suam caussam tollere aut suum laboratum. Qui voulut dire qu' ils ne fussent si hardis, ny eux, ny leurs gens de ravir à qui que fust, une sienne Chose, ou de son labour.

8. 52. De ce mot Tintamarre.

De ce mot Tintamarre.

CHAPITRE LII.

Nous usons de cette diction Tintamarre, pour signifier un grand bruit & rumeur, & sembleroit de prime face qu' elle eust esté inventee à plaisir, & non pour autre raison que pour contenter le son de l' aureille: & par ce que cette parole en soy represente je ne sçay quoy de grand bruit, de mesme façon comme nous appellons le jeu de tablier Tric trac, pour autant que ce mot semble aucunement se raporter au son des dez: Toutesfois la derivaison en cest autre est digne d' estre remarquee en ce lieu. L' on trouve és vieilles Chartres de Berry en la sainte Chappelle de Bourges que Jean Duc fondateur d' icelle allant un jour à la Chasse, trouva grande quantité de vignerons qui estoient en un grand vignoble non esloigné de la ville de Bourges, lequel voyant ce pauvre peuple gaigner sa vie à tres-grand sueur de son corps, il se voulut informer de l' un d' eux ce qu' ils pouvoient gaigner par jour, & combien d' heures ils travailloient, & plusieurs autres particularitez, esquelles il prenoit plaisir à les escouter: A quoy luy fut entre autres choses respondu que quand c' estoit és grands jours d' Esté ils estoient tenus de prester pied à boule à leur besongne depuis les quatre heures du matin, jusques à huict & neuf heures du soir, c' est à sçavoir tant que le Ciel les favorisoit de clarté, & és plus courts jours de l' Hyver, depuis six heures du matin, jusques à sept ou huict heures du soir: estans mesmes contraints pour cest effect porter chandelles & lanternes quant & eux pour les esclairer. Le Duc prenant ce peuple à compassion, & estimant que la rigueur des maistres estoit en cela trop tyrannique en voulut effacer la coustume, & pour cette cause ordonna que de là en avant le Vigneron ne seroit tenu de s' acheminer à sa besongne devant six heures en quelque temps que ce fust, & qu' en Esté toute besongne cesseroit à six heures du soir, & en Hyver à cinq: Et pour ne rendre cette ordonnance illusoire, il commanda que ceux qui estoient plus proches de la ville, & consequemment devoient entendre plus à leur aise le son de la cloche, en donnassent advertissement en criant aux autres qui estoient plus prochains, lesquels seroient tenus de rendre le semblable aux autres & ainsi de main en main. Cecy depuis fut tres-estroittement observé en tout le pays de Berry, auquel le premier vigneron ayant sur les cinq ou six heures du soir faict la premiere clameur, il excitoit son voysin a en faire autant, & luy pareillement aux autres: Tellement qu' en toute la contree s' entendoit une grande huee, & clameur, par laquelle chacun estoit finalement adverty qu' il falloit faire retraite en sa maison: & cette mesme coustume s' observa autresfois, ainsi que j' ay ouy dire és environs de la ville de Blois en un grand cousteau de vignobles qui en est prés, où les plus proches vignerons de la ville ayans ouy l' orloge avoient accoustumé pour signal de retraitte de crier à haute voix, Dieu pardoint au Comte Thibault, s' estant le peuple fait accroire par un long succés de temps que ce fut un Comte Thibaut de Blois qui en introduisit entre eux la premiere loy & coustume. Or disent les bonnes gens du pays qu' ils avoient ouy qu' autresfois le premier qui donnoit advertissement aux autres avoit accoustumé de tinter dessus ses marres avec une pierre, & tout d' une suite commençoit à huer apres ses autres compagnons: Car Marre, comme vous sçavez, est un instrument de labour emprunté mesmement du Latin. Ainsi que nous pouvons recueillir de deux passages, du 10. de Columelle en sa maison rustique, dont est venu que presque en la plus part de cette France nous appellons marrer les vignes, ce qu' és autres endroits Labourer. Parquoy ce ne sera point à mon jugement mal deviner d' estimer que d' autant que au son du tint qui se faisoit sur la Marre, s' excitoit une grande huee entre vignerons, quelques uns du peuple François advertis de cette façon ayent appellé Tintamarre à la similitude de cecy, tout grand bruit & clameur qui se faisoit.