lunes, 7 de agosto de 2023

8. 64. Fin.

FIN.

CHAPITRE LXIV.

Entre tous les mots de la France cestuy seul contient autant de significations, que de lettres: Car nous le prenons d' ordinaire pour une conclusion de toutes choses, l' appropriant tant à nostre mort qu' à tout autre subject dont il ne reste plus rien: Et l' empruntons formellement du Latin Finis: Mais outre cette signification, nous luy en donnons deux autres. Par l' une nous signifions la bonté de quelque marchandise: car les marchands debitans leurs denrees, les vous pleuvissent pour fines, c' est à dire pour bonnes & loyalles: & appellons du fin drap, quand nous le voulons dire estre bon. D' un autre costé nous appellons un homme fin, celuy qui est caut & rusé en ses actions, & finesse, une ruse, & à vray dire un fin homme, n' est proprement un trompeur: Mais aussi ne procede-il avec telle rondeur que l' homme de bien, qui accompagne ses actions de prudence. Tellement que la finesse est une parole moitoyenne entre la prudence & la tromperie. De dire dont ce mot soit derivé en ces deux dernieres significations, je ne le puis, & moins encores dont vient qu' un mesme mot produise ces diverses significations: Mais encores le trouverez vous plus estrange quand vous entendrez que l' ordinaire de nos anciens estoit d' employer le mot de fin pour bon, en toutes les occurrences qui se presentoyent: Car il fut tousjours pris par eux en bonne part. Hugue de Bersy au commencement de sa Bible Guiot:

Dou siecle puant, & horrible,

M' estuet commencier une Bible,

Per poindre, & per aiguillonner,

Et per bons exemples donner,

Ce n' est pas Bible losengere, 

Mais fine, & voire & droituriere. 

C' est à dire que ce n' est pas une Bible trompeuse, mais bonne, vraye & droituriere: Es chansons du Comte Thibaut de Champagne. 

Fine amour, & bonne esperance, 

M' y ramene joye & santé.

Il dit fine amour, au lieu de bonne & à peu dire je ne trouve dans ce gentil Prince le fin ou fine, pris en autre signification que pour bon, & bonne. Toutesfois cette bonté s' est esvanouye en ce mot par succession de temps, & ne nous est resté de memoire que ce que nous en aprenons negotians avec les marchands: & paradventure que de là mesmes nous avons emprunté la derniere signification de fin: Car tout ainsi que combien que les marchands asseurent leurs marchandises estre fines, si en font-ils tousjours monstre dans leurs arriereboutiques, sombres, & obscures, pour oster la vraye cognoissance de la bonté. Qui est proprement un art pour desguiser ce qu' ils disent estre bon, aussi tirasmes nous en metaphore les mots de fin, & de Finesse, pour astuce, quand par moyens aucunement sombres, & esloignez du vray chemin nous voulons nous advantager au desavantage des autres. Nous en avons fait encores un adverbe, comme quand Philippes de Commines dit que quelques Seigneurs, dont il parle, estoient au fin bord de la riviere de Seine. En ce mot de fin je mettray fin à cest œuvre.

Et par ce que je me doute qu' il se pourra rencontrer Lecteur, qui pour estre, ou trop Stoïque, ou trop delicat d' esprit, trouvera subject de se mescontenter de ce dernier livre, auquel j' ay discouru quelques particularitez qui luy sembleront trop basses, je le prie vouloir prendre en payement ces huict vers.

Si dedans ce Livre j' accueille 

Quelque discours foible ou petit 

Qui ne soit à ton appetit, 

Le foible sert aux bons de fueille. 

Je veux contenter le Lecteur, 

Mais aussi veux-je bien qu' il sache, 

Qu' en luy voulant plaire, je tasche, 

De ne mescontenter l' Autheur.


Fin du huictiesme Livre des Recherches.

8. 63. De quelques lettres doubles qui son dans nostre Alphabet, K. Q. X. &. 9.

De quelques lettres doubles qui son dans nostre Alphabet, K. Q. X. ET. 9.

CHAPITRE LXIII.

Apres avoir discouru tant de l' Estat Seculier qu' Ecclesiastic de nostre Royaume, au livre second & troisiesme, de vouloir maintenant me reduire à nostre Alphabet, c' est proprement ce que l' on dit en commun Proverbe, d' Evesque devenir Moyne, ou pour mieux dire, de Roy devenir Pedant, comme Denys le Tyran. Cela ne me destournera toutesfois de donner à ce subject quelque atteinte: Puisque je voy Chilperic, l' un de nos Roys, avoir de son temps esté si curieux, de transplanter dans nostre Alphabet toutes les lettres doubles des Grecs, *grec a fin que selon les occurrences des affaires, nous peussions sous un seul charactere representer Th. Ch. Ph. Cs. & Ps. Chose qui fut en usage tant qu' il regna, comme nous apprenons de Gregoire de Tours: mais apres sa mort s' esvanoüit par nonchalance. Les Roys n' ont en telles matieres tant de puissance, que l' usage commun du peuple, ainsi que nous pouvons recueillir de deux lettres, que le temps a adjoustées à nostre Alphabet, Et, & 9. la premiere signifiant E. conjoincte avec le T. la seconde V. avec S (VS: us). Les anciens Romains bornoient leur Alphabet en la lettre X. comme nous enseigne Quintilian livre I. chap. 4. Et nostrarum X. littera ultima est, qua tamen carere potuimus, si non quaesissemus. Enquoy certes il disoit vray, parce que le C suivi par une S. pouvoit suppléer le defaut de cette lettre. Qu' ils l' eussent empruntée des Grecs, je ne l' oze dire, parce qu' ils ne luy baillerent la figure de Csi Grec, qui estoit telle, *E. ains du Chi, X. Or quant est de nous autres François, nous n' avons limité nostre Alphabet de cette lettre X. ains apres elle nous y mettons y. z. Et & 9. Tellement qu' il est composé de vingt cinq caracteres, dont nous en avons trois doubles, que nous avons empruntez du Latin, K. Q. & X. & deux qui sont de nostre creu, Et. & 9. Quant à la lettre de K. que le Romain tenoit en foy & hommage du Grec Cappa, elle est indubitablement superfluë, & telle jugee par Priscian, livre premier, comme celle dont on ne peut user qu' és mots Grecs faicts Latins, esquels il eust convenu mettre un C. & A. ensemblément. Quintilian dit que quelques uns estoient autresfois tombez en cette heresie d' estimer que toutes & quantesfois qu' il se trouvoit une lettre Latine en laquelle au commencement du mot on usoit du C. & de A. il y falloit employer la lettre de K. J' ay leu quelques vieux Romans François, esquels les autheurs plus hardiment au lieu de Q. à la suite duquel nous employons l' V (: u). sans le proferer, usoient de K. disans Ka. Ke. Ki. Ko. Ku. Au regard du Q. encores que Quintilian soit fort empesché d' en trouver l' origine, si est-ce qu' elle est fort aisee, qui considerera & la prolation d' icelle, & sa figure. Car par la prononciation, Q. n' est autre chose que Cu, & s' il vous plaist vous representer sa figure, vous trouverez que ce n' est encores qu' un C. & V (u). fermez ensemble, en cette façon, Q. Qui a faict que nous ayons appellé cette lettre Cu. Tellement qe nos ancestres s' en pouvoient tout aussi bien passer que du K. De là vint qu' autresfois dans Rome il y en eut quelques uns, qui pour penser estre plus habilles gens que les autres escrivoient Qis, Qare, Qalitas, sans y adjouster la lettre de U. comme estant naturellement enclose dans le Q. Et à vray dire il y avoit paravanture en cecy plus de raison, que d' adjouster en ce mot de loquuntur deux U. au dessous du Q. Or tout ainsi que par la conjonction du C. & U. les Romains se façonnerent une lettre double, qu' ils appellerent Q. aussi nous advint-il depuis de faire une autre lettre double que nous appellons Et. par la conjonction de l' E & T. ensemblément, telle que je vous viens de representer: Mais sur tout est esmerveillable que le 9. derniere de nos lettres, produise en nous deux sons tout contraires: Car nous les mettons en la fin d' un mot pour un US, comme par exemple, Domin9, me9: Et au commencement pour Con. Voire l' appellons en commun langage Con. Mesmement fut cette lettre si familiere à nos ancestres qu' en tous les anciens livres manuscrits, vous trouverez le 9. employé par Com, dont ils usoient pour le mot de Comme, que nous avons depuis faict de deux syllabes. Mais dont peut estre procedee cette diversité de prononciations, representee par un mesme caractere? Premierement quant au son de US, cela vint que nos predecesseurs qui voulurent sur la fin de quelques mots user d' une abreviation, conjoignirent l' U, & l' S, en cette façon, US, dont ils feirent un caractere duquel ils abrevierent, lors qu' au bout d' une ligne le papier leur manquoit pour clorre le mot: & pour cette cause mirent-ils cette abreviation au dessus de la derniere parole. Qui fait qu' ils appellerent de cette lettre 9 dessus: Et parce que ces deux lettres furent conjoinctes ensemble, on appella ce caractere Con: Et à tant on l' employa quelquesfois au commencement de quelques mots pour mesme sens. Car il ne faut point estimer que fortuitement cette difference de tons sur un mesme subject se trouve dans nostre Alphabet. Je sçay bien que me pourrez objecter que si cela avoit lieu, on en pouvoit tout autant dire de Et, auquel y a pareille conjonction de deux lettres. Je le veux: Mais ce n' est pas le seul endroit où le hazard des ans apporte divers noms aux choses. Je recognoistray franchement que me trouvant empesché en cette resolution, Maistre Jacques Chouard mien amy, Advocat en la Cour de Parlement, m' en donna le premier advis que je n' ay voulu rejetter, en attendant que l' on m' en donne un meilleur.

FIN.

8. 62. De quelques particuliers proverbes, & mots dont le peuple use par corruption de langage.

De quelques particuliers proverbes, & mots dont le peuple use par corruption de langage.

CHAPITRE LXII.

Il m' eust esté aussi seant de me rendre franc, & exempt de toute faute en passant sous silence le present chapitre, comme ne le voulant escouler, demander pardon au Lecteur, pour apprester paravanture à rire à tel qui estimera tout ce sujet indigne d' estre redigé par escrit: Car je vous prie quel profit rapportera l' on, apprenant dont vient le Roger bon-temps, & telles autres particularitez, sinon pour faire dire de moy, ce que quelques Autheurs anciens reprenoient en un Junius Codrus, qui en escrivant les vies des Empereurs de Rome par une superstition trop grande, particularisoit par le menu mille petites façons de faire qui estoient en eux, lesquelles non seulement ne servoient d' aucune edification, mais au contraire apportoient ennuy à celuy qui les lisoit? 

Je ressembleray donc peut estre ce fascheux raconteur, & Historiographe Romain, mais en le ressemblant, j' espere qu' en essartant curieusement le mauvais, l' on fera plus ample cueillette du bon: Et à cette cause ce chap. sera comme une chose separee de tout mon œuvre, pour monstrer quelques mots, ou proverbes corrompus qui se trouvent en nostre langue, lesquels ont toutesfois pris leur croissance dessus un fertile terroüer.

Je veux doncques dire que le Roger bon-temps que nous practiquons, pour denoter l' homme de bonne chere, est ainsi dit par abus, au lieu de Rouge bon-temps. Parce que cette couleur au visage de toute personne promet je ne sçay quoy de gay, & non soucié, comme au contraire la couleur blesme est ordinairement accompagnee d' une humeur fade, & melancholicque. Aussi le Brodeur que nous adaptons à un insigne menteur, quand un homme nous ayant payé d' une bourde, nous en souhaitons autant pour le Brodeur, est dit par corruption de langage au lieu de Bourdeur. Comme nous voyons en cas semblable le commun peuple user indifferemment de Pourmener, & promener, forment, & froment, formage, & fromage, garnier, & grenier. Parquoy celuy qui premier voulut dire autant pour le Bourdeur, souhaita de payer d' une pareille bourde le menteur que celle dont il avoit repeu une compagnie: Semblablement ceux qui disent faire barbe de fouerre à Dieu, en usent abusivement au lieu de gerbe de fouerre: Qui est un proverbe tiré de la Bible, & usurpé contre ceux qui offroient seulement à Dieu des gerbes de paille, feignans offrir gerbes de bled, pensans appaiser Dieu par une tromperie, lequel toutesfois cognoist le fonds, & interieur de nos pensees. De cette mesme corruptelle vient quand pour denoter un homme, qui en ses actions faict le doux, & succré, nous disons qu' il fait le doux Dieu dessus une pesle, par ce que cela est dit au lieu de faire le doux Dieu sous un poesle. Car ordinairement le jour du Sainct Sacrement on porte l' hostie sous un ciel, que nous appellons autrement un poesle. Je ne veux icy oublier la chanson dont usent nos petits Escoliers en temps de Caresme, quand reconduisant le Roy de leur Escole, ils l' accompagnent d' une chanson qu' ils vont chantans par les ruës. Vive en France, & son alliance, Vive en France & le Roy außi, ausquels deux vers n' y a aucun sens pour la corruption qui vient d' une seule lettre qui est entrelassee. Parquoy au lieu de ces deux mots en France, nos anciens dirent enfance, souhaittant quiconque fut autheur de ce couplet, que l' enfance, & son alliance prosperast avec son Roy. Avec tout cecy nous pouvons aussi adjouster quand les bons gourmets tastans du bon vin disent qu' il sent sa framboise lors qu' ils le veulent haut louër, ne s' advisants pas toutesfois que si un vin sentoit sa framboise, il n' y a celuy qui en voulust boire aisément. Parquoy il faut indubitablement dire d' un bon vin qu' il sent son franc boire, c' est à dire qu' il n' a aucun vice. D' un homme qui a fait un marché asseuré, on dit qu' il a joué à Boule veue, metaphore inepte & qui n' a aucun sens. C' est pourquoy il faut dire à Bonne veue comme n' ayant rien fait sans y asseoir un bon & sain jugement, par une metaphore tirée de la veue. De mesme corruption vient presque ce que l' on dit Saisir un homme par le faux du corps, pour dire par le fort du corps, & faulser un harnois, pour forcer: Et quand par quelques coustumes de France, ou par ses Ordonnances de nostre ville de Paris, nous disons S' abonner avec un Seigneur de Fief, pour les droicts & devoirs Seigneuriaux, ou avec un fermier du huictiesme pour le vin, qu' un Bourgeois vend en detail, pour s' aborner, c' est à dire se borner par convention, soit avec le Seigneur ou fermier, de ce que l' on leur doit payer. De mesme façon nous appellons une personne lourde & grossiere, Grosse loudiere, pour grosse lourdiere, par la seule obmission d' une lettre: Entre les mesmes paroles corrompues nous pouvons aussi adjouster le mot de Beffroy au lieu d' Effroy. Car pour bien dire, Sonner le Beffroy en une ville, n' est autre chose que sonner l' effroy. Comme pareillement le mot de Chaußee n' est autre chose que Haussee, comme si nous eussions voulu dire une haussee de terre, & à cette occasion ce que nous appellons en cette ville de Paris, & és environs Chaussee, est appellé ordinairement Levee sur toute la riviere de Loire. Le mot de Brimborium dont nous usons quand nous disons que quelqu'un dit ses Brimborions, vient du Latin de Breviarium: Et quand nous appellons Quatre-menage, celuy qui mal a point s' entremesle de son mesnage, cela est au lieu de Gaste-menage. Car je ne voy point pourquoy on y eust applicqué plustost ce mot de quatre, que tout autre nombre: Et quand on dit en cas semblable Triboule-menage, c' est au lieu de Trouble-menage, Raquedenare, pour Racledenare, Soubre-saut, pour Souplesaut. Les revendeurs des livres qui les portent à leur col par la ville, sont appellez Contreporteurs d' un mot corrompu, au lieu de Colporteurs. Quelques uns curieux de cueillir des bons vins, recherchent quelquesfois les meilleurs plants de la France de plusieurs endroits, dont ils font leur clos de vigne, que nous appellons ordinairement Prepatout, c' est à dire des plants pris par tout. En cas semblable le mot de Passe-port, qui nous a esté si familier pendant nos derniers troubles, est une abreviation de Paße par tout. Qui est un buletin que nous obtenons des Gouverneurs a fin qu' il nous fut loisible de passer par tout sans pris. Il y a plusieurs mots de telle marque en nostre Langue, lesquels tout diligent lecteur pourra suppléer, & les adjouster s' il luy plaist en ses estudes particulieres à la suite du present Chapitre. Au demeurant, je sçay bien que tout ce que j' ay icy discouru dans ce septiesme (huictiesme) livre semblera peut estre à quelques uns inutile, & de nul effect, comme estant seulement dedié à la recherche ou des mots, ou des proverbes, dont les aucuns se changent de jour à autre, & la memoire des autres se pourra perdre par une longue traite de temps: Mais au fort je me persuade que si tous ces proverbes, ou paroles ne se perpetuent, pour le moins auray-je faict ce bien, que la posterité entendra qu' en ce siecle, & par le passé, nous en avons usé selon les significations que j' ay plus amplement deduites.