martes, 8 de agosto de 2023

9. 8. Paris, Université, Philippes Auguste

Que ce n' est pas un petit honneur à la ville de Paris, d' avoir esté premierement nommee Université souz le regne de Philippes Auguste.

CHAPITRE VIII.

Quand je vous ay recité ce que dessus, je ne pense pas faire moins d' honneur à nostre Université de Paris, que ceux qui attribuent son origine à l' Empereur Charlemagne. Nous avons trois familles de nos Roys qui produisirent trois grands Roys sur tous les autres. La premiere le grand Clovis; la seconde l' Empereur Charlemagne, & la troisiesme, Philippes second surnommé Auguste, qui eut plusieurs belles correspondances avecques Clovis. Ils furent tous deux faits Roys en l' aage de quinze ans, & deslors par un taisible instinct de leurs natures se trouverent disposez à plusieurs grands exploits de guerre. Clovis combatit l' heresie Arrienne qui lors estoit en vogue par la Gaule, depuis appellee France: Et Philippes l' heresie Albigeoise, qui en avoit de son temps infecté une bonne partie. Clovis rendit les Roys Bourguignons à soy tributaires, Philippes reduisit au baise-main Eudes Duc de Bourgongne, s' estant contre luy revolté, Clovis en la journee de Tolbiac, obtint contre les Allemans une victoire espouventable, dont long temps apres ils ne se peurent relever: Et l' autre en un mesme jour en obtint deux, l' une à Bouines contre Othon Empereur d' Allemagne, Ferrand Comte de Flandres, Hugues Comte de Boulongne conducteur des sujets rebelles. 

L' autre à la Roche-dumaine, par Louys fils de Philippes contre Jean Roy d' Angleterre, avec une telle cheute qu' il ne s' en peut relever, quelque masque que depuis il voulust emprunter de l' authorité du Sainct Siege, quand il se mit sous son vasselage. Et qui est une chose grandement remarquable, c' est qu' en la bataille de Bouines, il y avoit trois soldats ennemis contre un des nostres. Et pour finir ce discours par où je l' ay commencé, je veux dire par la Religion: tout ainsi que Clovis, auparavant que d' estre Chrestien, ayant entendu que Sainct Denis estoit l' Apostre titulaire des Gaules, eut son recours vers luy en la journee de Tolbiac, se voyant pressé par son ennemy en ces mots (Sainct Denis mon joye) pour ma joye, par une parole de Prince qui n' estoit pas bonnement nourry en nostre vulgaire, voulant dire que s' il pouvoit estre garanty du peril qui l' assiegeoit, il se feroit de là en avant Chrestien. Parole qui servit depuis longuement à nos Roys de mot de Guet en leurs affaires militaires. Aussi le Roy Philippes d' une non moins forte devotion, jamais n' entreprit guerre, qu' il ne se presentast avecques tres-humbles prieres à Dieu dedans l' Eglise de Sainct Denis, & apres la Messe dite, ne prit par les mains de l' Abbé son estendard, que depuis nous appellasmes Auriflambe, qui servit par plusieurs siecles à nos Roys, pour leur estre comme une estoile qui les conduisoit en toutes les entreprises qu' ils faisoient contre leurs ennemis. Quand je vous fais cette comparaison du Roy Philippes, avecques le Roy Clovis, je ne pense faire peu de chose pour luy: Car je n' estime qu' il y ait eu jamais en France, un si grand Roy que Clovis, & n' en excepte pas Charlemagne, quelque grandeur que l' ancienneté luy ait voulu attribuer.

Mais encore veux-je passer plus outre. Le Roy Philippes dont je parle, fut deslors de sa naissance, appellé par la voix commune du peuple, Dieu-donné. D' autant que le Roy Louys son pere n' avoit eu de ses deux premieres femmes que des filles, & de sa troisiesme sur son vieux aage Dieu luy envoya ce Prince masle, pour luy succeder à sa Couronne: Et depuis pour les grandes conquestes qu' il fit, fut par sa posterité surnommé le Conquerant, & encore dés son vivant appellé par les siens Auguste, sur le moule d' Auguste premier Empereur de Rome: Et veritablement non sans cause, pour les familieres rencontres qui se trouverent entre ces deux Princes. Ils regnerent tous deux quarante & trois ans: Tous deux prindrent plaisir d' embellir de plusieurs ouvrages signalez, le premier la ville de Rome, le second celle de Paris, toutes deux villes capitales de leurs Empire & Royaume. L' Empereur Auguste bastit le Temple de Mars le Vainqueur, celuy d' Apollon au Palais, & de Jupiter foudroyant au Capitole: Nostre Roy Philippes Auguste fit paver toute nostre ville de Paris, auparavant comblee de fanges, clorre de murailles tout le quartier, qui deslors prit le nom d' Université, comme pareillement le grand Cimetiere de Sainct Innocent, fonda l' Abbaïe de Nonnains joignant Paris, souz le nom de Sainct Antoine des Champs, environna de murailles le Bois de Vincennes, distant de Paris d' une lieuë, qu' il peupla de plusieurs bestes sauvages pour servir de plaisir à luy, & à ses successeurs. L' Empereur Auguste divisa la ville de Rome en divers quartiers. Nostre Roy Auguste ordonna la police del' Eschevinage dedans Paris, & en outre y establit les Hales, magasin pour y debiter toutes sortes de marchandises. L' autre conquit la Cantabrie, Aquitaine, Pannonie, Dalmatie, Illirie. Nostre Philippes le Vermandois, la Normandie, Guyenne, Poictou, Anjou, le Maine, Touraine. D' une chose furent-ils en cecy difformes. Car celuy-là se fit grand par l' induë usurpation de sa Republique sur les siens. Au contraire cestuy-cy s' agrandit des despoüilles de ceux qui s' estoient induëment enrichis des nostres. Parce que toutes les Provinces par luy conquises, estoient de l' ancien estoc de nostre Couronne. Tellement que ce ne fut point tant conqueste, que reünion à sa premiere nature.

Le corps d' Auguste fut apres son decez porté sur les espaules des Senateurs, au lieu où il devoit estre bruslé, suivant l' ancien Paganisme, & ses cendres recueillies par les premiers de l' Ordre de Chevalerie, nuds pieds, pour estre d' une main mises en un magnifique cercueil; faveur qui ne fut jamais depuis faicte à aucun de ses successeurs. Aux obseques de nostre Philippes Auguste se trouverent l' Evesque de Portueuse Legat du Sainct Siege, deux Archevesques de Reims, & Sens, & vingt Evesques, sans y comprendre la fleur de la Noblesse de France, & avecques cette devote, & noble procession il fut inhumé en l' Eglise de sainct Denys, ancien & ordinaire tombeau de nos Roys. Honneur qui ne s' est jamais trouvé aux funerailles d' aucuns d' eux, ny devant ny apres luy. Honneur toutesfois à luy procuré, non par une vaine ambition mondaine reparée du manteau de devotion, ains par mystere caché de Dieu. Car lors le Roy deliberant d' aller guerroyer les heretiques Albigeois à toute outrance, s' estoit faite cette grande assemblee dedans Paris, sous l' authorité du Pape, pour sçavoir quel ordre on devoit tenir au deffroy de cette guerre. Et adoncques il pleut à Dieu de l' appeller à soy, voulant que la fin & catastrophe de sa vie fust couronnée d' une si belle assemblée, tant de Prelats, que Princes, Barons, & braves Chevaliers. Et pour me retrouver à mon but, ainsi que sous l' Empereur Auguste, la Poësie fut en plus grand credit qu' elle n' avoit esté auparavant dedans Rome, aussi advint il le semblable à nostre France sous Philippes Auguste. Car lors nous eusmes Guillaume de Lorry, & Helinan Poëtes François, & uns Leoninus Galterus, & Gulielmus Brito, qui en vers heroïques Latins meirent les mains à la plume. Le premier en la version d' une grande partie de la Bible, le second en la vie du Roy Alexandre sous le titre d' Alexandreide, & le dernier en celle de nostre Philippes son Maistre sous le nom de Philippide. Bien recognoistray-je qu' en ce subject Auguste emporta un grand advantage sur nostre Philippes. Mais il s' en sçeut fort bien revanger. Car sous luy fut plantee dedans Paris, l' Université des bonnes lettres, & sciences: Ce qui n' estoit advenu à Auguste dedans Rome.

Mais à quel propos tout cecy? Pour vous dire que si Charlemagne, fut à bonne raison surnommé le grand, dont nous avons forgé en nostre vulgaire celuy de Charlemagne, par une corruption de langage, Philippes second ne fut pas à moindre, des uns surnommé Auguste, des autres le conquerant, & de tous Dieu-donné. Et ceux qui attribuent l' origine de l' Université à Charles s' abusent, tout ainsi qu' en celle des douze Pairs, qui ne sont pas deux petits ordres en nostre France: Et neantmoins la verité est, que tout ainsi que l' Université prit son origine, puis croissant de la façon que dessus, & sous Philippes commença d' estre dite Université: Ainsi fit elle le semblable au fait des Pairs: car cest ordre ayant pris sa source & progrés, comme j' ay deduit par mon second livre, en fin le premier sacre de nos Roys, auquel est faite mention des Pairs qui s' y trouve, fut en celuy de Philippes Auguste. Tellement qu' il faut attribuer la verité de ces deux grandes polices bien & deuëment formées à Philippes, & le commun bruit au Roy Charles.

9. 7. Vers quel temps les Estudes de Paris prindrent le nom & titre d' Université.

Vers quel temps les Estudes de Paris prindrent le nom & titre d' Université. 

Chapitre VII.

Par les choses par moy cy-dessus deduites, je voy aux regnes de Louys le Gros, & Louys le jeune son fils un commencement d' Escoles dedans Paris, & sous celuy de Philippes Auguste fils de Louys le Jeune, le nom & tiltre d' Université y estre planté. Louys le Jeune fut apres le decez de Louys le Gros son pere appellé à la Couronne l' an mil cent trente & sept, & mourut l' an mil cent quatre-vingts. Alexandre troisiesme fut fait Pape l' an mil cent cinquante neuf, & deceda l' an mil cent quatre-vingts un, pendant tout lequel entrejet de temps souvenez vous qu' il n' y avoit aucune ville en ce Royaume, qui portast nom & titre d' Université, ains estoient seulement preparatifs de ce que nous avons depuis appellé Université. Le Pape Alexandre troisiesme eut pour successeurs Lucius, Urbain, Celestin troisiesme, Innocent, Honoré troisiesme, & Gregoire neufiesme, dont je feray cy-apres mon profit, selon que les occasions se presenteront. De tous lesquels le premier auquel vous commencez de recognoistre particulierement les estudes qui commençoient de s' exercer dedans Paris, vous le trouvez en un escrit de Celestin, depuis inseré dedans les Decretales de Gregoire neufiesme in cap. Quod Clerici. De foro compet. Ext. Mandamus quatenus si quas caussas pecuniarias, Clerici Parisius commorantes habent contra aliquos, vel aliqui contra illos, ipsas iure Canonico decidatis. Voyla un privilege expres que le Pape Celestin leur baille. Qui monstre qu' ils commençoient de faire corps general d' Estuste (Estude); Nulle mention d' Université. Mais Innocent troisiesme son successeur immediat, qui fut faict Pape en l' annee mil cent quatre-vingts dix-huict, & mourut l' an 1217. voulut suppleer ce deffaut, par un autre escrit par luy decerné pareillement du depuis couché dedans les Decretales, recueillies par l' authorité de Gregoire: In cap. Quae. de procurat. Ext. Quia in caußis, quae pro vobis, & contra vos moventur, vestra Universitas, ad agendum & respondendum commodè interesse non potest: postulastis à nobis, ut procuratorem instituere super hoc vobis de nostra permissione liceret. Licet igitur de iure communi hoc facere non valeatis, instituendi tamen procuratorem super his, authoritate praesentium vobis concedimus facultatem: Philippes Auguste fut Roy l' an mil cent quatrevingts, & mourut l' an mil deux cens vingt & trois. Innocent fut fait Pape l' an mil cent nonante & huict, & mourut l' an mil deux cens & seize. Doncques sous son regne fut faite expresse mention de cette Université, dont auparavant je n' en trouve nulle.

Aussi est-ce luy qui premier de tous nos autres Rois donna ordre de faire paver la ville de Paris, & signamment de ceindre de murailles, depuis la Tournelle, jusques vers l' autre part de riviere, comme nous apprenons de Rigord, qui est l' endroit de ville que depuis nous appellasmes Université. Aussi trouvons nous en ses Archifs lettres de luy de l' an mil deux cens, dans lesquelles vous ne trouverez pas le mot d' Université y estre porté, ains la valeur d' iceluy. Car comme ainsi fust que cinq Escoliers de Paris eussent esté occis par quelques matois & hommes malgisans, & que Thomas Prevost de Paris se fust nonchalamment porté à la vindicte publique de ce delit, il en fut demis de sa charge: Et par les mesmes lettres, le Roy deffend à ses Juges de prendre jurisdiction des delits communs, qui seroient commis par les Escoliers de Paris, dont il veut la cognoissance appartenir à l' Evesque, ains seulement qu' ils cognoissent des crimes atroces. Qui est ce que depuis nous avons appellé, cas privilegiez, Actum apud Bestiliacum (porte le texte des lettres) Anno Incarnationis Verbi, millesimo ducentesimo, regni nostri anno quadragesimo primo, adstantibus in Palatio, quorum nomina sub posita sunt & signa. Dapifero nullo, signum Guidonis buticularij, S. Matthaei Camerarij. Signum Droconis Constabularij: & au dessous est le nom de Philippes: Cancellaria Vacante.

Philippes Auguste, Cancellaria Vacante, Signum

Qui estoit le formulaire que nos premiers Rois observoient sous la troisiesme lignee: & tels estoient les seings de nos Rois, chacun en leur endroit selon leurs noms. Qui est le premier & plus ancien titre de tous nos Rois que nous trouvions concernant les privileges de l' Université de Paris, & combien que ces mots n' y soient en paroles expresses apposés, si est-ce qu' ils sont amplement suppleez par Rigordus, & Gulielmus Brito, lesquels apres le decez de ce Roy firent l' Histoire de sa vie, le premier en prose, le second en vers, dont je fais grand estat, pour recognoistre la verité des choses qui se passerent lors. Quant à Rigord, je le voy par tout le discours de son histoire, celebrer les Escoles qui estoient à Paris. Louys fils de Philippes estant grandement malade, on fit une procession generale de sainct Denis à sainct Lazare lez Paris, où les autres Eglises les allerent trouver, Et infinita scholarium, & populi multitudo nudis pedibus, porte le texte. Au retour de la victoire obtenuë  par Philippes en la journee de Bouines, l' Autheur recitant avec quelle joye ce Prince fut accueilly par les Parisiens, il adjouste: Maxime vero Scholares cum maximo quidem sumptu, convivia, choreas, tripudia, cantus indefesse agere non cessabant. Et qui est la piece de plus belle marque de cet Historiographe, c' est cette cy. In diebus illis (dit-il) studium litterarum florebat Parisiis, nec legimus tantam aliquando fuisse Scholarium frequentiam Athenis, vel Aegypti, vel in qualibet parte mundi, quanta locum praedictum studendi gratia incolebat. Quod non solum fiebat propter loci illius admirabilem amoenitatem, ad bonorum omnium superabundantem affluentiam, sed etiam propter libertatem, & specialem praerogativam deffensionis, quam Philippus Rex, & Pater eius ante ipsum ipsis scholaribus impendebant.

De là vient que Guillaume le Breton, parlant de cette ville de Paris au premier livre de sa Philippide disoit qu' elle estoit: Doctrix totius orbis: Et au dixiesme parlant du retour de Philippes à Paris, apres sa grande & inesperee victoire de Bouines, & comme chacun à l' envy le congratuloit.

Praecipuè (dit-il) quos Palladiae dulcedo laborum 

Allicit, alma sequi vitae documenta beatae.

Le premier des Papes que je voy avoir fait mention expresse des estudes de Paris, est Celestin troisiesme, ainsi que je vous ay cy-dessus cotté. Ce Pape siegea depuis le jour de son eslection, qui fut l' an 1185. jusques au jour de son decez 1198. En tous les passages cy-dessus cottez vous voyez estre parlé des Estudes, & des Escoliers de Paris souz Philippes Auguste: Nulle parole de l' Université. Celuy qui supplea ce deffaut fut Innocent III. successeur immediat de Celestin, qui fut creé Pape l' an 1198. & mourut l' an 1216. pendant le regne de nostre Philippes, sept ans auparavant son decez. Le semblable trouverez vous dedans Rigord, parlant de l' heresie d' Amaury, où vous verrez estre faite mention de l' Université à cœur ouvert. 

Cum igitur in hoc ab omnibus Catholicis Universitatis contradiceretur, de neceßitate acceßit ad summum Pontificem, qui audita eius propositione, Universitatis Scholarium contradictione, sententiavit contra ipsum.  Redijt ergo Parisius, & compellitur ab universitate confiteri ore, quod in contrarium opinioni suae praedictae sentiret: ore dico, quia corde nunquam consensit. En ce passage le mot d' Université Latin est pris en deux divers sens. Le premier en ces paroles, Quod Universitati Scholarum, &c. vouloit dire la plus grande & meilleure part des Escoliers. Au second, le mot de Universitas est pris, pour ce que nous avons appellé Université dans Paris. Je vous represente cecy par exprés, pour vous dire qu' avant le regne de Philippes Auguste, la ville de Paris ne recognoissoit l' usage des lettres sous le nom d' Université, par nous depuis tant respecté, encore que le Roy Louys VII. auparavant favorisast les gens doctes. Rigord parle long passage que j' ay cy-dessus emprunté de luy, dit que le Roy Philippes, & Louys son pere avoient honoré les Escoliers estudians à Paris de certains Privileges: Toutesfois vous ne trouvez en nostre Université, titre plus ancien que celuy de Philippes Auguste.

9. 6. Suite de la fondation de l' Université de Paris.

Suite de la fondation de l' Université de Paris.

CHAPITRE VI.

Lors que les bonnes lettres se voulurent habituer entre nous autres François, nous eusmes quatre braves guerriers qui se mirent sur les rangs, pour attaquer l' ignorance: Un Yve Evesque de Chartres, sous les regnes de Philippes I. & Louys le Gros, un S. Bernard fondateur de l' Abbaïe de Clairvaux, un Pierre Abelard, partie sous Louys le Gros, partie sous Louys VII. son fils. S. Bernard (dis-je) qui se fit ennemy formel d' Abelard, pour quelques propositions erronees qu' il soustenoit: mais au demeurant grand & signalé personnage entre les gens lettrez de son temps. Et outre ces trois, un Pierre Comestor qui vesquit sous le regne du mesme Louys VII. l' an 1178. Quant aux deux premiers, ils n' enseignerent jamais les lettres dedans Paris. Leurs devotes professions vouloient qu' ils residassent, l' un en sa ville Episcopale de Chartres: l' autre en son Abbaïe de Clairvaux, sinon lors que les affaires publiques de l' Eglise & du Royaume les contraignoient de s' en dispenser. Car quant à Pierre Comestor, i meit en lumiere son Histoire Ecclesiastique l' an 1172. & y a quelque apparence qu' il enseigna les bonnes lettres en l' Eglise de sainct Victor, où il est enterré. Quoy que soit son Epitaphe qui y est porte ces mots.

Petrus eram, quem petra tegit, dictusque Comestor,

Nunc comedor, vivus docui, &c.

Dernieres paroles qui me font croire qu' outre les livres par luy composez, il estoit monté en chaire pour enseigner la jeunesse.

Or de ces quatre grands personnages, Abelard est celuy qui sans doubte leut dedans Paris avec honneur, accompagné toutesfois de tant de traverses, qu' il fut contrainct de quitter la partie, se faisant Religieux profez de sainct Denis. Et comme il estoit d' un esprit versatil; aussi changea il depuis de diverses demeures sur nouvelles occasions; ores par necessité en la ville de Soissons, ores pour sa commodité en Champagne, où il fonda l' Abbaïe du Paraclit, puis en Bretagne où il fut esleu Abbé, & finalement au Monastere de Clugny, où il trouva la fin de sa vie, & de ses maux l' an 1142. C' est de luy mesme dedans les Epistres duquel nous trouvons quelques eschantillons, qui nous servent d' instructions & memoires pour cognoistre en quel estat estoient lors les Escoles de Paris, quand il y vint pour estudier. Car à vray dire nous serions lourches sans luy, au recit de l' ancienneté, dont je vous ay cy-dessus parlé. Auquel temps la Republique des Arts n' estoit encore en essence sous le nom d' Université. Vray qu' elle croissoit & augmentoit grandement d' Escoliers, estudians diversement selon leurs capacitez, qui de Grammariens, qui de Philosophes & Artiens, & qui de Theologiens. Pour ceste cause, a fin de descharger de leçons la maison Episcopale, on choisit le lieu plus proche & contigu d' icelle. Ce fut l' Eglise S. Julian, lors en venerable reputation, comme celle qu' on reputoit fille de la grande Eglise, par le consentement du Roy Louys VII. n' y ayant qu' un petit trajet d' eau à traverser de l' une à l' autre sur un pont, qui dés le regne de Philippes Auguste fut appellé Petit-pont. Ainsi apprenons nous de Rigord qui estoit du temps de luy, & fit l' histoire de sa vie apres son decez, que l' an 1206. il y eut une grande inondation de la riviere de Seine qui rompit trois arches du Petit-pont de Paris. Tres arcus parvi pontis fregit, & quamplures domos ibidem evertit. Par ainsi furent nos Escoles my-parties en deux. Dont celles de la Theologie demeurerent en la maison Episcopale, son originaire demeure, & celles tant de l' Humanité que Philosophie, au Prioré de S. Julian. Et fut la cause pour laquelle, par les Escoliers qui lors estudioient aux Arts furent leurs Recteurs esleus à S. Julian, & nul Docteur des Facultez de Theologie, Decret, Medecine, ne fut jamais esleu, ny ne pretendit pouvoir estre appellé à cette dignité de Recteur. Coustume qui s' est depuis continuee, & perpetuee jusques à nous. Et est une chose digne d' estre remarquee, qu' en ce mesme lieu se faisoit l' acte le plus solemnel pour les Arts. Ce que j' apprens d' un article de la reformation de l' Université faite par Jean Cardius d' Estouteville sous le titre des Artistes, qui est tel.

Item statuimus, & mandamus, ut actus ille solemnis, de disputatione quodlibetorum, qui dudum ad decus facultatis, exercitium studiorum, ac ingenia excitanda, fuit nobiliter institutus, observetur. Mandantes id in vim sanctae obedientiae, exercitium, iuxta veterem morem, apud sanctum Iulianum, omni excusatione postposita, reintegrari, & renovari, per praestantes ipsius fatultatis magistros, per singulas nationes eligendos. Qui nous monstre que cette Eglise fut du commencement le premier lieu, où les Maistres és Arts faisoient leurs premieres leçons, & exercices des lettres humaines. Vray que cela ne dura pas longuement: D' autant que nostre Université s' estant enflee, & accreuë en grand nombre d' Escoliers François, Picards, Normands, & Anglois, sous lesquels plusieurs nations estoient comprises, furent basties quatre grandes Escoles en leur faveur, sous le nom de Salles de France, Picardie, Normandie, Angleterre, & depuis furent ces dernieres intitulees d' Allemagne, comme je deduiray en son lieu: Escoles qui furent basties en la ruë au foüerre, non grandement esloignee de l' Eglise de S. Julian: Esquelles salles se firent de là en avant les lectures, tant en humanité, que Philosophie.

Quelque peu apres fut introduite la Faculté de Medecine, qui choisit son domicile non loing de la ruë au foüerre, & d' une mesme suite fut bastie l' Eglise en l' honneur de S. Nicolas ancien patron des Escoles, & le College des Bernardins, auquel se firent les anciennes assemblees, concernans les grandes consultations, comme nous apprenons des advis qui furent baillez à Messieurs de l' Université de Rouen, au procez faict à Jeanne, dite la Pucelle d' Orleans, le College des bons enfans: maison destinee pour ceux qui voudroient avoir part aux leçons qui se faisoient à sainct Victor: & combien qu' avecques le temps la Faculté de Decret fust logee au Clos Bruneau, comme nous voyons; toutesfois la verité est, que nos Escoles qui depuis prindrent le nom d' Université, ne gisoient que en cette basse liziere, que vous voyez se maintenir de l' une à l' autre, nostre Dame, Sainct Julian, ruës au Foüerre, de la Bucherie, jusques à l' Abbaïe de sainct Victor, hors les murs. Et n' avoient lors nos Escoles rien de commun avecques cette grande Montagne de saincte Geneviefve, & S. Jacques, & ruë de la Harpe, où les Muses se vindrent apres heberger: Chose mesme dont je pense avoir certain tesmoignage d' Abelard, lequel se voyant par le moyen d' une sienne maladie, chassé de la chaire qu' il pensoit luy appartenir en la maison Episcopale, pour se revanger de l' injure, qu' il pretendoit luy avoir esté faite: Extra civitatem (dit-il) in monte sanctae Genouefae, scholarum nostrarum castra posui, quasi eum obsessurus, qui nostrum occupaverat locum. L' Université n' estoit pas encore bastie, ains seulement commençoit de poindre. Mais le lieu dont Abelard avoit esté exterminé, estoit la maison Episcopale, premier fondement de nostre Université qui fut puis apres: & le lieu auquel malgré ses ennemis il continua ses leçons fut pres de S. Geneviefve. Qui nous enseigne presque que ce lieu estoit auparavant inaccoustumé aux lectures. Verité est que depuis se trouvans plusieurs personnages d' honneur, qui voulurent edifier des Colleges pour l' instruction de la jeunesse, ils choisirent le haut de cette montagne, comme celuy qui seroit à l' advenir un Parnasse de nostre France, auquel ils estimerent y avoir plus d' asseurance pour la santé. Qui fut une nouvelle police d' estude, aucunement prejudiciable à l' ancienne institution. Discours que je me reserve par autres chapitres, apres que j' auray deduit ce que je pense de l' ancienne institution.