Suite de la fondation de l' Université de Paris.
CHAPITRE VI.
Lors que les bonnes lettres se voulurent habituer entre nous autres François, nous eusmes quatre braves guerriers qui se mirent sur les rangs, pour attaquer l' ignorance: Un Yve Evesque de Chartres, sous les regnes de Philippes I. & Louys le Gros, un S. Bernard fondateur de l' Abbaïe de Clairvaux, un Pierre Abelard, partie sous Louys le Gros, partie sous Louys VII. son fils. S. Bernard (dis-je) qui se fit ennemy formel d' Abelard, pour quelques propositions erronees qu' il soustenoit: mais au demeurant grand & signalé personnage entre les gens lettrez de son temps. Et outre ces trois, un Pierre Comestor qui vesquit sous le regne du mesme Louys VII. l' an 1178. Quant aux deux premiers, ils n' enseignerent jamais les lettres dedans Paris. Leurs devotes professions vouloient qu' ils residassent, l' un en sa ville Episcopale de Chartres: l' autre en son Abbaïe de Clairvaux, sinon lors que les affaires publiques de l' Eglise & du Royaume les contraignoient de s' en dispenser. Car quant à Pierre Comestor, i meit en lumiere son Histoire Ecclesiastique l' an 1172. & y a quelque apparence qu' il enseigna les bonnes lettres en l' Eglise de sainct Victor, où il est enterré. Quoy que soit son Epitaphe qui y est porte ces mots.
Petrus eram, quem petra tegit, dictusque Comestor,
Nunc comedor, vivus docui, &c.
Dernieres paroles qui me font croire qu' outre les livres par luy composez, il estoit monté en chaire pour enseigner la jeunesse.
Or de ces quatre grands personnages, Abelard est celuy qui sans doubte leut dedans Paris avec honneur, accompagné toutesfois de tant de traverses, qu' il fut contrainct de quitter la partie, se faisant Religieux profez de sainct Denis. Et comme il estoit d' un esprit versatil; aussi changea il depuis de diverses demeures sur nouvelles occasions; ores par necessité en la ville de Soissons, ores pour sa commodité en Champagne, où il fonda l' Abbaïe du Paraclit, puis en Bretagne où il fut esleu Abbé, & finalement au Monastere de Clugny, où il trouva la fin de sa vie, & de ses maux l' an 1142. C' est de luy mesme dedans les Epistres duquel nous trouvons quelques eschantillons, qui nous servent d' instructions & memoires pour cognoistre en quel estat estoient lors les Escoles de Paris, quand il y vint pour estudier. Car à vray dire nous serions lourches sans luy, au recit de l' ancienneté, dont je vous ay cy-dessus parlé. Auquel temps la Republique des Arts n' estoit encore en essence sous le nom d' Université. Vray qu' elle croissoit & augmentoit grandement d' Escoliers, estudians diversement selon leurs capacitez, qui de Grammariens, qui de Philosophes & Artiens, & qui de Theologiens. Pour ceste cause, a fin de descharger de leçons la maison Episcopale, on choisit le lieu plus proche & contigu d' icelle. Ce fut l' Eglise S. Julian, lors en venerable reputation, comme celle qu' on reputoit fille de la grande Eglise, par le consentement du Roy Louys VII. n' y ayant qu' un petit trajet d' eau à traverser de l' une à l' autre sur un pont, qui dés le regne de Philippes Auguste fut appellé Petit-pont. Ainsi apprenons nous de Rigord qui estoit du temps de luy, & fit l' histoire de sa vie apres son decez, que l' an 1206. il y eut une grande inondation de la riviere de Seine qui rompit trois arches du Petit-pont de Paris. Tres arcus parvi pontis fregit, & quamplures domos ibidem evertit. Par ainsi furent nos Escoles my-parties en deux. Dont celles de la Theologie demeurerent en la maison Episcopale, son originaire demeure, & celles tant de l' Humanité que Philosophie, au Prioré de S. Julian. Et fut la cause pour laquelle, par les Escoliers qui lors estudioient aux Arts furent leurs Recteurs esleus à S. Julian, & nul Docteur des Facultez de Theologie, Decret, Medecine, ne fut jamais esleu, ny ne pretendit pouvoir estre appellé à cette dignité de Recteur. Coustume qui s' est depuis continuee, & perpetuee jusques à nous. Et est une chose digne d' estre remarquee, qu' en ce mesme lieu se faisoit l' acte le plus solemnel pour les Arts. Ce que j' apprens d' un article de la reformation de l' Université faite par Jean Cardius d' Estouteville sous le titre des Artistes, qui est tel.
Item statuimus, & mandamus, ut actus ille solemnis, de disputatione quodlibetorum, qui dudum ad decus facultatis, exercitium studiorum, ac ingenia excitanda, fuit nobiliter institutus, observetur. Mandantes id in vim sanctae obedientiae, exercitium, iuxta veterem morem, apud sanctum Iulianum, omni excusatione postposita, reintegrari, & renovari, per praestantes ipsius fatultatis magistros, per singulas nationes eligendos. Qui nous monstre que cette Eglise fut du commencement le premier lieu, où les Maistres és Arts faisoient leurs premieres leçons, & exercices des lettres humaines. Vray que cela ne dura pas longuement: D' autant que nostre Université s' estant enflee, & accreuë en grand nombre d' Escoliers François, Picards, Normands, & Anglois, sous lesquels plusieurs nations estoient comprises, furent basties quatre grandes Escoles en leur faveur, sous le nom de Salles de France, Picardie, Normandie, Angleterre, & depuis furent ces dernieres intitulees d' Allemagne, comme je deduiray en son lieu: Escoles qui furent basties en la ruë au foüerre, non grandement esloignee de l' Eglise de S. Julian: Esquelles salles se firent de là en avant les lectures, tant en humanité, que Philosophie.
Quelque peu apres fut introduite la Faculté de Medecine, qui choisit son domicile non loing de la ruë au foüerre, & d' une mesme suite fut bastie l' Eglise en l' honneur de S. Nicolas ancien patron des Escoles, & le College des Bernardins, auquel se firent les anciennes assemblees, concernans les grandes consultations, comme nous apprenons des advis qui furent baillez à Messieurs de l' Université de Rouen, au procez faict à Jeanne, dite la Pucelle d' Orleans, le College des bons enfans: maison destinee pour ceux qui voudroient avoir part aux leçons qui se faisoient à sainct Victor: & combien qu' avecques le temps la Faculté de Decret fust logee au Clos Bruneau, comme nous voyons; toutesfois la verité est, que nos Escoles qui depuis prindrent le nom d' Université, ne gisoient que en cette basse liziere, que vous voyez se maintenir de l' une à l' autre, nostre Dame, Sainct Julian, ruës au Foüerre, de la Bucherie, jusques à l' Abbaïe de sainct Victor, hors les murs. Et n' avoient lors nos Escoles rien de commun avecques cette grande Montagne de saincte Geneviefve, & S. Jacques, & ruë de la Harpe, où les Muses se vindrent apres heberger: Chose mesme dont je pense avoir certain tesmoignage d' Abelard, lequel se voyant par le moyen d' une sienne maladie, chassé de la chaire qu' il pensoit luy appartenir en la maison Episcopale, pour se revanger de l' injure, qu' il pretendoit luy avoir esté faite: Extra civitatem (dit-il) in monte sanctae Genouefae, scholarum nostrarum castra posui, quasi eum obsessurus, qui nostrum occupaverat locum. L' Université n' estoit pas encore bastie, ains seulement commençoit de poindre. Mais le lieu dont Abelard avoit esté exterminé, estoit la maison Episcopale, premier fondement de nostre Université qui fut puis apres: & le lieu auquel malgré ses ennemis il continua ses leçons fut pres de S. Geneviefve. Qui nous enseigne presque que ce lieu estoit auparavant inaccoustumé aux lectures. Verité est que depuis se trouvans plusieurs personnages d' honneur, qui voulurent edifier des Colleges pour l' instruction de la jeunesse, ils choisirent le haut de cette montagne, comme celuy qui seroit à l' advenir un Parnasse de nostre France, auquel ils estimerent y avoir plus d' asseurance pour la santé. Qui fut une nouvelle police d' estude, aucunement prejudiciable à l' ancienne institution. Discours que je me reserve par autres chapitres, apres que j' auray deduit ce que je pense de l' ancienne institution.
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