Procedures extraordinaires inexcusables, & faicts calomnieux, sur lesquels la Royne Brunehaud fut exposee à un impiteux supplice.
CHAPITRE XIX.
He vrayment! il ne faut trouver estrange, que la memoire de cette Princesse eust esté de cette façon deschiree, sur faits calomnieusement controuvez contr'elle apres sa mort, veu que dés son vivant elle ne se peut exempter d' autres calomnies, sur lesquelles elle fut condamnee à mort, & son corps cruellement mis en pieces. Histoire que je recueille de Fredegaire & Aimoïn, Autheurs souvent par moy cy-dessus alleguez, qui est le subject de ce present chapitre.
Le Roy Theodoric allant de vie à trespas delaissa quatre enfans qu' il avoit eus de quatre concubines, Sigebert, Childebert, Corbe, Meroüee, & avecques eux la Royne Brunehaud son ayeule. Apres le decez de luy, le Roy Clotaire s' estant emparé des Royaumes de Bourgongne, & d' Austrasie, & de la bisayeule, & de trois des arriere-petits enfans: le tout par la trahison de Garnier Maire du Palais de Bourgongne; lesquels luy ayans esté presentez, il fit soudain mettre à mort Sigebert & Corbe, devant les yeux de leur bisayeule, & au regard de Meroüee qu' il avoit tenu sur les fonts baptismaux, luy sauva la vie en consideration de cette filiation spirituelle, & le bailla en garde à un sien Secretaire, toutesfois depuis ce temps je ne voy ny voix, ny vent de luy dedans nos Histoires, non plus que de Childebert second fils, qui auparavant s' estoit garanty par la fuite sur un fort destrié. Non content de cette belle emploite il fit sommairement & de plain le procez extraordinaire à la Royne Brunehaud, sur dix chefs d' accusation qui furent contre elle proposez par ses ennemis. C' est à sçavoir qu' elle avoit fait mourir, quoy que soit esté cause de la mort de dix Roys: Entendans sous ce mot, non qu' ils fussent tous qualifiez Roys, mais bien les uns estans Roys, & les autres extraicts de sang Royal; C' est à sçavoir Sigebert son mary, Meroüee & Chilperic son pere, un autre Meroüee fils du Roy Clotaire, Theodebert, & son fils Clotaire, Theodoric, & ses trois enfans (ainsi sont ils, & de tel ordre denombrez par Fredegaire, car quant à Aimoïn, encore qu' en gros il face mention de dix Roys; toutesfois il ne les particularize, se contentant d' aigrir l' affaire par la Rhetorique claustrale, en quelques uns des Roys dont il parle.) Sur ces accusations le Roy du jour au lendemain la condamne en son Conseil, d' estre par trois jours tourmentee en sa personne à huis clos, puis conduite sur un chameau par tout le camp, non tant a fin que son armee fust spectatrice de sa misere, que pour luy servir en sa misere d' opprobre, mocquerie & illusion. Et finalement qu' elle fust attachee par les bras & cheveux à la queuë d' un cheval fougueux, & trainee par les voiries, jusques à la fin de sa vie. Ainsi jugé, & aussi tost en tout & par tout executé: & cette Princesse ainsi liee, au premier coup d' esperon donné au cheval, elle eut la teste ecervelee, & de là sans conduite de frain, trainee par halliers, hayes, buissons, broussailles & rochers, son corps deschiré & mis en pieces de telle sorte, qu' à peine en resta-il la carcasse.
Cette Histoire a esté par succession de temps, & de main en main representee, non seulement par les nostres; ains reblandie, comme ayant esté pris un juste supplice de cette Dame: Et de moy je l' estime la plus honteuse, inhumaine, & detestable, qui fut jamais couchee sur le papier. Si Clotaire l' eust fait passer par le fil de l' espee, comme ses arriere-petits enfans, peut estre y avroit il excuse comme d' une mort d' Estat, je veux dire comme de celle par laquelle, selon le monde, il voulust asseurer de tout poinct l' Estat par luy de nouveau conquis: Mais de l' avoir voulu revestir d' un faux pretexte de Justice, je dis & soustiens que ce fut non seulement violer le droict de gens & des armes; ains tout droit divin & humain, de quelque façon qu' il vous plaise mesnager cette Histoire. Premierement à qui est fait le procez? A une Royne & Princesse souveraine: Doncques non justiciable de celuy entre le mains duquel elle estoit tombee. Partant devoit son malheur aboutir, ou à une rançon seulement, ou bien à une longue prison, & detention de sa personne, ou en tout evenement à une mort, mais non cruelle, & exemplaire, comme cette-cy. Par qui est fait ce procez? non seulement par celuy qui estoit le juge, ains la partie; car pour tel vous est-il figuré par Aimoïn, quand il en parle. Sur quoy estoit l' accusation fondee? sur dix morts de Roys. Paravanture furent tous les chefs de cette accusation averez? Rien moins: mais aussi tost proposez: aussi tost la Princesse exposee à mort. Et qui est chose pleine d' une compassion admirable, non seulement ils ne furent averez; ains au contraire la calomnie s' y voit à l' œil: car quant à ce qu' en premier lieu on luy objecta, qu' elle estoit cause de la mort du Roy Sigebert son mary, comme l' ayant induit à la guerre contre le Roy Chilperic son frere; qui avroit occasionné l' assassinat depuis advenu en sa personne, c' est un vray songe & fantosme. Parce qu' en toute l' Histoire de Gregoire vous ne trouverez estre parlé d' elle depuis son mariage, sinon lors qu' advertie de la mort du Roy son mary, elle fit sagement evader de Paris le jeune Roy Childebert son fils. Et au surplus, le mesme Autheur nous enseigne que Chilperic fut le premier boute-feu de leurs guerres. Jusques à ce qu' en fin ce grand guerrier Sigebert fut assassiné par les embusches de Fredegonde, comme nous avons plus amplement discouru ailleurs; Et neantmoins voila le premier mets de son accusation dont on nous repaist, pour rendre l' innocence de cette pauvre Princesse inexpiable, pour avoir fait mourir son mary. Vous pourrez par cela juger quel est le demeurant du service. On luy objecte en second lieu la mort de Meroüee fils aisné du Roy Chilperic. Je vous ay cy-dessus recogneu, & encore recognois franchement, que pour se vanger de la mort du Roy son mary, elle espousa le fils de son ennemy, esperant par son moyen trouver par luy sa vangeance contre le pere: & encore que son intention ne luy reüssist à souhait; toutesfois il n' y avoit en cecy matiere de luy faire son procez, non plus qu' à la Royne Fredegonde qui reellement & de fait avoit faict mourir Sigebert. Adjoustez qu' apres la rupture de ce mariage, Brunehaud ayant esté reintegree en sa ville de Mets, on ne pouvoit plus luy rien imputer. Comme aussi est-ce la verité recogneüe par le mesme Gregoire, qui m' est en ce sujet un autre Evangeliste, si ainsi me permettez de le dire, que Meroüee fut tué, non par le commandement de son pere; ains à son deceu, par les menees de Fredegonde sa belle mere. Car quant à la mort de Chilperic, jamais on n' en soupçonna Brunehaud. Recours à toute l' histoire du mesme Gregoire, voire à celle de Aimoïn, qui fait tomber ce meurtre sous le glaive de Fredegonde & Landry. Et de fait toute la querelle que Childebert avoit dedans Gregoire contre son oncle Gontran, estoit a fin qu' il permist la porte luy estre ouverte à se vanger contre
Fredegonde & Clotaire son fils, tant de la mort du Roy Sigebert son pere, que de celle du Roy Chilperic son oncle. Et pour monstrer que ce n' estoit feintise, soudain que Gontran eut les yeux clos, Childebert leva les armes contre eux. On accusa en quatriesme lieu cette Princesse, d' avoir fait mourir un autre Meroüee fils de Clotaire, je vous prie de considerer la sottie de cet impropere. Il y eut pres de la ville d' Estampes une bataille donnee entre les Roys Clotaire & Theodoric, l' armee de Clotaire estoit conduite par Landry Maire de son Palais, sous l' authorité de Meroüee son fils; celle de Theodoric sous sa banniere & authorité par Arnoul Maire de son Palais grand Capitaine, lequel y mourut, mais en mourant obtint la victoire au Roy son Maistre; & de l' autre costé fut pris Meroüee: Quelle fut depuis sa fin, l' Histoire n' en parle point, au moins on se fait accroire qu' on le fit mourir en prison, & y en a tres-grande apparence: Mais de l' attribuer à Brunehaud, il n' y en a nulle preuve; au contraire si en ces obscuritez la vray-semblance tient souvent lieu de la verité, il y a bien grande apparence que pour vanger la mort qui luy avoit procuré une si grande victoire, il s' estoit voulu vanger sur la vie de Meroüee. Aimoïn rudoyant par aigres paroles Brunehaud, objecte à Brunehaud que par ses frequentes & souvent reïterees importunitez, donnant à entendre à Theodoric que Theodebert n' estoit son frere, avoit semé la zizanie de division entr'eux, cause de la ruine fatale de Theodebert: induisant par cela que Theodoric estoit l' agresseur. Au contraire celuy qui fut promoteur des guerres d' entre les deux freres fut Theodebert (esquelles il rendit les abois) par le tesmoignage du mesme Aimoïn. Pour 5. chef de son accusation, on luy mit sus qu' elle avoit fait mourir le Roy Theodebert son petit fils. Si vous parlez à Fredegaire, il fut fait prisonnier par Theodoric, & confiné de Colongne en la ville de Chaalons sur Saone: Nulle mention de sa mort: Si à Aimoïn, il fut traistreusement meurtry par l' un des citoyens de Colongne, qui fit tout aussi tost present de sa teste à Theodoric. Les choses estans telles, comment y pouvez vous engager le fait de la Royne Brunehaud? Et neantmoins pour ne flatter sous faux gages son histoire, je veux croire que luy ayant esté envoyé elle luy fit prendre la tonsure de Clerc, & quelque temps apres tuer pour faire plaisir au Roy Theodoric, car ainsi l' apprens-je de Jonas en la vie de S. Colombain: Jonas dis-je qui florissoit de ce temps-là. Pour 7. chef on luy impute qu' elle avoit fait mourir Theodoric puis trois de ses enfans. Quant à Theodoric, à la verité telle est l' opinion d' Aimoïn, mais desmenty par Fredegaire son devancier qui le declare estre mort d' un flux de sang: & cestuy pareillement par Jonas qui dit que ce fut d' un coup de foudre. Et pour le regard de ses trois enfans, fut-il jamais histoire plus digne d' un Escolier, ou d' un Moine claustral que cette-cy?, qu' à la veüe de tous Clotaire en fit mourir deux, & le troisiesme sous main, feignant de le vouloir conserver, & neantmoins que ces trois cruautez soient rejettees sur cette malotruë Princesse? Joint que ce ne fut elle qui fit prendre les armes par le Roy Clotaire contre ses enfans; & de ce je n' en veux meilleur tesmoin qu' Aimoïn. Or combien que selon le droit commun du genre humain il ne fust en la puissance du Roy Clotaire de faire le procez extraordinaire à cette Dame, Royne & Princesse souveraine, & ores qu' en sa puissance il eust esté, toutes-fois que toutes ces imputations fussent fausses & calomnieuses, horsmis une, sans en faire aucune perquisition, sans avoir esgard, ny à son sexe, ny à la longueur de son aage, qui estoit de 73. ans, ny à sa qualité de fille, femme, mere, ayeule, & bisayeule de Roys, elle fut horriblement traictee de la façon que je vous ay cy-dessus discouru. Cruauté qui n' eut oncques sa pareille en son tout. Et qui est plus espouvantable, c' est qu' elle proceda de la part d' un Roy, non seulement debonnaire & clement; ains la mesme debonnaireté par dessus tous nos Roys de la premiere lignee. Qui a fait estimer à quelques uns, que cette histoire estoit fabuleuse. Discours que je reserve au chapitre prochain.
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